Tout est provisoire même le titre de Mix ô ma prose
Cactus Inébranlable, coll. Les p’tits cactus #49, 2019
80 pages, 9 €.
« Être fier d’aller de l’avant,
Debout sur un tapis roulant »
En voilà un drôle de zèbre (clin d’œil à ceux qui se reconnaîtront) ce Mix ô ma prose ! Son Tout est provisoire même le titre est un vrai festin, un concentré de nourriture aussi délicieuse que corrosive, le lecteur n’en fera cependant pas indigestion car le plat est drôlement bien équilibré. Avec intelligence, justesse, une lucidité à vif et une ironie salvatrice, l’auteur qui n’aime pas signer de son nom, pose des pensées qui claquent, des mots kits de survie dans un monde carré à sens unique où l’impératif d’avoir, de réussir, mentir, gonfler, tricher, paraître mieux pour gagner du creux, assomment toute tentative de réelle humanité.
« Je voulais être,
Je me suis fait avoir. »
Et savoir exprimer l’essentiel en deux phrases, c’est un art.
« Entre moi et le bleu du ciel,
Le langage institutionnel. »
Tout est provisoire même le titre est une sorte de pense pas bête libert’air qui sans se prendre au sérieux, ni donner de leçons à personne, creuse des issues de secours vers des cieux plus sauvages, plus authentiques, vers la liberté d’être soi envers et avec tout en échappant aux injonctions de l’artifice.
« Connaissant la musique,
Je reste hors de portée. »
« De nos jours,
Réfléchir,
C’est refléter
Ce qui est proposé. »
« La nature enfin dominée,
Belle et triste comme un herbier. »
« Tout est cher,
Même la réalité a augmenté. »
« C’est vous qui composez votre menu,
Et c’est comme cela qu’ils nous ont eus. »
« Avoir un cœur de pierre
Pour faire carrière. »
Mais l’auteur, s’il pense que son nom n’a pas d’importance, ne se cache pas tant que ça : maniant l’humour sans céder à la facilité, il s’expose au contraire, se dénude, dans sa fragilité, son handicap à la normalité et ses « rêves savonnettes ».
« Si je devais résumer ma vie :
Tant pis ! »
« J’ai pris de la mort avec sursis. »
« Avec la société d’aujourd’hui,
J’ai des rapports non consentis. »
« Ma vie parmi les hommes :
Syndrome de Stockholm. »
« Pas évident,
quand nos centres d’intérêt
Sont à la marge. »
« Mes utopies
Sur un bûcher
Sont accusées
De sorcellerie. »
« Depuis le temps que la lutte est finale... »
« Je me suis coupé de la société
Et la plaie ne s’est jamais refermée. »
Si vains les efforts pour « en être ».
« L’ego gonflé à bloc
Pour aller en soirée
Tenter de s’éclater. »
« Toujours à fond,
Mais en surface. »
« Merde, le fond de ma pensée est percé ! »
« Miroir, miroir, mon beau miroir,
Suis-je le plus rebelle ? »
« Suis-je négatif parce que j’ai refusé
d’être un cliché ? »
« Je reste à l’écart
Et il se creuse. »
Comme il le dit lui-même, Mix ô ma prose fait
« de la poésie
Par souci d’intégrité
Car c’est bien connu,
Elle ne se vend pas. »
« Pour être précis,
La formule exacte est :
Poète autotorturé »
Mais le poète a pris l’option linguistique pour mettre à jour nos tics de langage.
« Ah des tics !
J’ai eu peur, j’avais compris
"d’éthique" ! »
« J’ai beau lécher les vitrines,
Aucune trace de cyprine. »
« Et pour une fois
Qu’il y a quelque chose de gratuit
c’est la méchanceté »
« Ainsi les publicités pourraient être
mensongères ? »
« Au lieu de la campagne
C’est la ville qu’on devrait battre. »
Il gratte le vernis qui recouvre nos mots pour nous faire entendre ce qui est vraiment dit :
« Même pour la lecture,
Ils nous ont foutu des grilles. »
« Même le respect
Il faut le forcer. »
« Avec tous ces profils,
On ne se regarde plus en face. »
« Quand on aime, on ne compte pas
Mais on se calcule. »
« Les décisions sont si lourdes
Qu’il nous faut un porte-parole. »
« Je ne connais pas le prix de la vie,
Mais il m’a tout l’air soldé ces temps-ci. »
« On a plus de compassion pour les batteries ;
Quand elles sont faibles, on les recharge. »
« Sinon pour la prise de conscience,
C’était le bon voltage ? »
« Ne dites pas que l’on va droit dans le mur ;
Faites comme tout le monde, dites futur. »
Il dévoile l’absurde dont nos cécités quotidiennes camouflent l’évidence.
« À part l’épargne,
Y’a quoi comme plan ? »
« Rien ne marche,
Tout fonctionne. »
« Même nos codes se barrent. »
« Le plus inquiétant
C’est que tout soit normal. »
« Tellement intégré
Que j’ai disparu. »
« Il y a un scénario à la base
Ou c’est improvisé ? »
« Putain les gens,
Merde, quoi !
Ça se voit !!! »
Tout est provisoire même le titre est un petit shoot qui devrait être remboursé par la Sécu :
« Bien sûr que l’on a progressé ;
Au départ, il y avait un point
Et on a une ligne à l’arrivée. »
« Franchement, Dieu n’est pas si con
Aucune enquête de satisfaction. »
Petite mais efficace piqûre de rappel pour temps sombre : tant qu’il y a de l’humour, il y a encore une chance pour qu’il y ait de la vie, de la vraie, vivante, impertinente qui se glisse en douce sous des plumes de poètes, là où elle sait qu’elle sera respectée, protégée.
Cathy Garcia
Derrière Mix ô ma prose se cache donc Olivier Boyron, un Viennois d’origine qui a eu le privilège de grandir dans la « vallée de la mort ». Malgré un cadre apaisant et propice au recueillement, il peine à s’adapter au monde qui l’encercle. Pour lui, le chaos n’est déjà plus une théorie mais une réalité dont il dépassera la friction au travers de nombreuses expériences : écriture, dessins, peintures, théâtre de rue… Mix ô ma prose, lui, naît en 2002 d’une rencontre avec le slam dont il devient un des pionniers en Rhône-Alpes avec La Section lyonnaise des Amasseurs de Mots et Les Polysémiques, association qu’il fonde à la même période. En 2006 il co-fonde La Tribut du Verbe, une compagnie de slam poésie qui propose toujours spectacles et performances. En 2016, Les Polysémiques rajoutent une branche éditions à leurs activités, il en devient le responsable d’éditions. Malgré tout, toujours mal à l’aise avec les conventions, il stoppera net sa déjà courte bio.