NUMÉRO 49
Oct. nov. déc. 2014
En guise d’édito :
Le missionnaire européen était assis accroupi avec les Indiens Hurons en grand cercle autour d’un feu de camp. C’était une position à laquelle il n’était pas habitué, et il avait le sentiment qu’elle ne l’aiderait pas à convaincre les Indiens de partager son point de vue. Néanmoins il leur a exposé courageusement l’idée selon laquelle il n’était pas un mais deux. En l’entendant les guerriers ont éclaté de rire et ont commencé à jeter de gros bâtons et de la poussière dans le feu. Un étrange mélange de terreur et de ressentiment a alors envahi le cœur du missionnaire. Lorsque les rires ont cessé, il a poursuivi son exposé. Avec patience, il a expliqué aux sauvages que ce corps fait de chair et de sang qu’ils voyaient assis devant eux n’était qu’une coquille extérieure, et qu’en lui un corps invisible plus petit habitait, qui un jour s’envolerait pour vivre dans les cieux. Les Hurons ont gloussé de plus belle, en se faisant des signes de tête entendus tout en vidant les cendres de leurs pipes en pierre dans le feu crépitant. Le missionnaire avait le sentiment d’être profondément incompris, et était sur le point de se lever pour regagner sa tente, vexé, lorsqu’un vieil homme près de lui l’a arrêté en lui saisissant l’épaule. Il lui a expliqué que tous les guerriers et les chamans présents dans le cercle connaissaient l’existence de ces deux corps et qu’ils avaient également de petits êtres qui vivaient en eux, au cœur de leurs poitrines, et qui s’envolaient eux aussi au moment de la mort. Cette nouvelle a réjoui le missionnaire, et l’a convaincu que les Indiens étaient désormais sur le même chemin spirituel que lui. Avec un zèle renouvelé, il a demandé au vieil homme où, selon son peuple, ces petits êtres intérieurs s’en allaient. Les Hurons ont tous recommencé à rire, et le vieil homme a désigné du doigt la cime d’un énorme cèdre millénaire dont la silhouette se dressait dans la lueur du feu. Il a dit au missionnaire que ces « petits êtres » allaient au sommet de cet arbre puis descendaient dans son tronc et ses branches, où ils vivaient pour l’éternité, et que c’était pour cela qu’il ne pouvait pas l’abattre pour construire sa petite chapelle.
Sam Shepard in Chroniques des jours enfuis
AU SOMMAIRE
Délit de poésie : Thomas Sohier, Patrick Devaux (Belgique) et Jean-Jacques Dorio
Délit de poèse : Paul Fréval
Délit de réponse : Pascale de Trazegnies & Cathy Garcia,
Poème pour deux voix ou deux mains
Délit de suite dans les idées : Cyril C. Sarot, Ces traces laissées dans le sable
Résonances : Chroniques du Diable consolateur de Yann Bourven
Les Délits d’(in)citations sont aux petits coins.
Vous trouverez le bulletin de complicité. Bien-sûr que vous trouverez le bulletin de complicité !!
Illustrateur : Jean-Louis Millet
Les illustrations ont été réalisées par détournements d’œuvres de van Gogh, Rodin, Schiele, Drakkar, van Malderghem, anonymes préhistorique, celte, hopi, internet, cg & jlmi.
Et si vous alliez faire un tour au Musée Improbable ?http://jlmi94.hautetfort.com/
Mon tragique à moi, c'est la vie quotidienne : la muflerie, la stupidité, le comportement de l'homme moyen, une sorte de méchanceté uniforme et institutionnelle.
Francis Blanche