Revue Nouveaux Délits - Numéro 70
Outre que j’en écris depuis maintenant 18 ans, il devient de plus en plus difficile pour moi d’écrire un édito. Comme la sensation de rajouter juste du bruit au bruit et la cacophonie actuelle qui ferait honte à une cour de récré est devenue juste insupportable. Pour, anti, vérité, complot, contrôle, propagande, QR code, labos, dollars, économie, dépistage, pandémie, puçage, data, reset, hashtag, merde, bite, cul… ! De quoi choper la Tourette ! On devient fou ! C’est effrayant !
Aujourd’hui pour moi, l’image de la réussite c’est d’être allée chercher des mûres et d’en avoir fait un clafoutis. Loin de l’écran, loin des batailles nudgiennes et des spectres de guerres, catastrophes, folies en cours et à venir. Il m’a été dit tout récemment que j’étais d’un autre monde… J’espère bien ! Et j’espère bien qu’on sera de plus en plus nombreux à être d’un autre monde. Pas un monde sans ancrage, un monde nébuleux qui deale ses chamallows pastels, non un monde multidimensionnel, relié, branché à la terre et à l’humus, à ce bon sens qui semble avoir foutu le camp avec la biodiversité. Un monde qui se réveillerait de ce cauchemar que je ne saurais plus qualifier tellement il est doté de tentacules ! Et pas un monde qui accélère exponentiellement vers la dystopie totalitaire en se berçant de climat de confiance, refonte, optimisation, économie positive, smart à toutes les sauces, capitalisme cognitif, sécurité globale, objets connectés, futur augmenté, rajeunissement, vie éternelle…
Une histoire antique en somme, toujours la même, celle du syndrome d’hubris, thème central des tragédies grecques, considéré comme le plus grand des crimes. Y entendait-on mieux alors la parole des aèdes et des pythies résonner comme autant de mises en garde ? L’humain, même milliardaire et transhumanisé, n’échappera pas à la loi des cycles, la Némésis tôt ou tard viendra frapper pour ramener tout imbécile trop imbu à un peu plus d’humilité. En attendant, allons ramasser des mûres et buvons à même la langue des poètes et des pythonisses, ces rescapés de toutes sortes de tragédies qui continuent à naître, siècle après siècle, apportant avec eux les graines vives d’un monde autre.
Ce numéro 70 correspond justement à l’année de ma naissance, cette revue est une des toutes petites graines que je lance au vent de cette époque si agitée, merci à vous de lui permettre de germer encore et encore entre vos mains !
CG
Un virus dans le monde entier, confine des peuples qui se révoltaient
contre les injustices du Capitalisme mondial.
Philippe K. Dick in La Vérité avant-dernière (1964)
AU SOMMAIRE
Délits de poésie :
Liliane Birsinger
Chiara Pastorini
Christine Bouchut et des extraits d’Avantage
Narki Nal
Délit dentaire : extraits de Cheese !!! de Gorguine Valougeorgis
Délit d’A. : La bague noire, une nouvelle de Julien Englebert
Délit d’autopromotion : Histoire d’amour, histoire d’aimer, de Cathy Garcia Canalès, paru le 1er septembre
Délits d’(in)citations en petites touches discrètes, comme un écho. Vous trouverez le bulletin de complicité au fond en sortant qui arbore fièrement un délit buissonnier de plus.
Illustratrice : Cathy Garcia Canalès
Femme-orchestre de cette revue,
est-il encore utile de me présenter ?
http://cathygarcia.hautetfort.com/
Maintenant on pourrait presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l'histoire du futur. On leur dirait qu'on a découvert des feux, des brasiers, des fusions, que l'homme avait allumés et qu'il était incapable d'arrêter. Que c'était comme ça, qu'il y avait des sortes d'incendie qu'on ne pouvait plus arrêter du tout. Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne.
Marguerite Duras
in Le Matin, 4 juin 1986
Revue Nouveaux Délits – octobre 2021 – ISSN : 1761-6530 Dépôt légal : à parution – Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable & illustratrice : Cathy Garcia Canalès Correcteur : Élisée Bec