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18/11/2023

Soliflore 132 - Éric Aubel

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Photo de l'auteur

 

 

Cessez – je ne vous entends plus
vos mots n’atteignent plus mes oreilles
cessez – je ne vous vois plus
vos images ne brûlent plus mes yeux

Sur les grèves du jour le chant du merle
fait l’inventaire de ce qui déjà n’est plus

Cessez – que le vent emporte votre vide
l’homme qui vous parle est d’un autre pays
l’impure a coulé dans ses veines
il se soigne au silence de l’exil

Jusque sous mes fenêtres à mes pieds
un ressac dépose le monde perdu

Cessez – il n’est plus temps de vos jérémiades
plus temps de vos courtisanes courbettes
le monstre au dos rond que vous entretenez
nous cherche des poux sur la tête jusqu’au sang

J’aménage une maison sur l’écume de l’aube
et à l’éveil de ma peau le monde de demain

Cessez – je n’ai plus d’oreille pour vous
bien trop souvent mes yeux m’ont menti
à tâtons pas à pas par les sens j’éprouve
et des êtres et des choses la vulnérabilité

Le futur est le temps de tous les rendez-vous
alors cessez je vous y attendrai au tournant

 

 

 

 

17/05/2023

Soliflore 131 - Andrée Buchet

portraitandrée_borisbuchet.jpeg

Photo d'un tableau d'Andrée peinte par son mari

 

 

Je voudrais t’entourer de mon âme,
Tenir loin de toi tout le mal,
T’abriter comme au creux d’une lame
En mon cœur dont l’amour n’a d’égal.
Tu es mien au-delà de mon être,
Mon enfant, mon aimé, ma douceur :
C’est par toi que l’espoir peut renaître
À mes yeux désertés de lumière.
Tu es l’ange, la source, l’origine
De mon si douloureux parcours :
Je t’appartiens, c’est toi qui me dessines
La voie vers la beauté des jours.
C’est par toi que j’existe et perdure
Traversant les méandres du temps :
Tu es ma joie, ma folie, mon délire,
Tu me rends l’infini des instants

 


photo_andréebuchet.jpegAndrée Buchet née BIVORT, le 24 décembre 1922 à Luxembourg, est une poétesse luxembourgeoise. Elle écrit chez elle toute sa vie, dans l'intimité du foyer qu'elle partage avec son mari, Boris Buchet, peintre de l'école de Paris.


"J'arrivais pour étudier les lettres et la philosophie à La Sorbonne. C'était en 1946. C’était très dur après la guerre, mais malgré toute cette misère physique qui a encore duré des années, les gens étaient exaltés, on avait des ailes. Je l’ai rencontré dans le train pour venir à Paris, un garçon de la rue où j'avais grandi. J’étais forcée d’écrire. Je n’aurai jamais choisi d’écrire. Quelqu’un m’aimait très fort, ce qui a déclenché en moi une urgence. Ce poème m'a été dicté. Un soir, j’étais dans mes papiers à étudier et j’ai dû l'écrire. L’amour m’a toujours fait écrire. Par la suite, d’autres amours ont alimenté cette écriture, différemment. Lui, était resté. Même après sans être allé, il était resté d’un amour qui a duré toute la vie, toujours aussi profond. Je crois que chacun d'entre nous contient les deux sexes, Platon le disait et, on cherche constamment à retrouver cette part de nous. Cela donne un grand bonheur de retrouver cette moitié, de se sentir complet et vaste comme cet amour. On ne peut pas vivre sans amour."

 

 

23/04/2023

Soliflore 130 - Iren Mihaylova

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Tableau de Monet - photo de l'auteur

 

 

 

            • l’effacement

d’une écriture -



« Jamais

tu n’y parviendras »



Ton corps prostré (convoité) comme refuge

Tes mains embaumées de promesses



Tes yeux comme éclairés de

SOLITUDE



Le refus que tu portes

Comme refuge

En signature du manque

Sera la clé de l’écluse invisible

 

  

            • Au fond des mots

(Depuis) toujours

Une même énigme :

 

Sauver ce qu’il y meurt

Ou ce qu’il reste à vivre

 

 

            • Dieu se vide de lui-même

                            et l’homme :

 

                           ce trou inconsolable

      qui contient sa trace

 

 

            • Deux siècles à rayer la fin

Cerner l’espace de deux silences



Je remonte d’un abysse

Rien ne me promet l’ascension



Il suffit de grimper

à l’échelle d’un manque

 

 

 

 

14/04/2023

Soliflore 129 - Alain Nouvel

 

Sergey Meytuv  -Russie- Petites histoires tristes et rencontres inutiles.jpg

©Sergey Meytuv  

 

 

 

Mon amour quand on sera riches


Mon amour, quand on sera riches 
et qu’on sera déconfinés,
on prendra l'autoroute en fleurs
 le matin dès potron-minet
et la 206 chauffera.
Sur une aire standardisée
au self-service on se rendra
où il y a plein de desserts
industriels et très sucrés.
Des cuisiniers en toque en toc
nous y serviront quelques frites
et puis ces cuisses de poulet
dont on mange même les os.
Là-bas, nous serons des rois,
assis à la table en faux bois
sous des poutres en polystyrène
on boira notre café crème.
Comme le moteur refroidit,
à Ouistreham on poussera,
où on verra les car ferries,
on écoutera en anglais
les haut-parleurs des compagnies
dire des mots qu’on comprend pas.
On rêvera de l'Amérique
en buvant une soupe aux huîtres.
Et puis on reviendra chez nous,
par la route aux ronds-points relous
pour économiser les sous
tout en prenant des raccourcis 
loin des radars et des soucis.

Mon amour, quand on sera riches,
on dormira au Sofitel
dans les environs de Paris.
Et on prendra le RER
pour voir de plus près Disneyland. 
Comme c’est trop cher l’entrée
on tournera autour des grilles
et on entendra les flonflons
des boîtes à rêve et à musique.
On marchera sur des chemins
parmi les champs de betterave
en contemplant de loin les tours
de plastique et de carton-pâte 
les attractions multicolores. 
Ce sera l'été, il fait doux,
on fera l'amour dans un bois
en écoutant les haut-parleurs
des grand huit, autos tamponneuses,
et des petits trains de la mort.
Il y aura le brouhaha
lointain des enfants qui rient, on
aura profité de tout ça
sans rien payer tant mieux tant mieux
ça nous rendra heureux, heureux.
On terminera le séjour
dans un F1 au lit friable
et puis on se mettra à table
au Mac Do au KFC
son vieux barbu qui vous sourit
comme un Joseph de cathédrale.
On lui répondra tendrement
en buvant notre Kronenbourg.
On rotera tout en songeant.


Mon amour, quand on sera riches,
on soutiendra nos libidos
en allant dans des club SM.
On y trouvera quelques vieux
qui se fouettent en disant « Je t’aime »
puis toute une armée de soumis
qui draguent en geignant : « Maîtresse »
et ils te montreront leurs fesses,
que tu punisses à l’envi.
Ils pleurent à tes pieds : « Madame,
châtiez-moi, je suis infâme. »
Quelque éléphant du socialisme
des professeurs et transgresseurs,
eux, vont en des salons privés
pour des pratiques plus osées.
C’est réservé à une élite 
des vieilles pies aux grosses bites.
Mon amour, quand on sera riches,
on se payera ces soirées
pour après, de retour chez nous,
s’exciter de tous ces à-coups.
Et quand on se fera la fête, 
on aura ce bordel en tête, 
ce sera doux, ce sera doux !

 

 

17/02/2023

Soliflore 128 - Anna Kermen

 

Arthur Hughes - Ophélie.png

Arthur Hughes - Ophélie

 

 

où est mon frère
au fond
de la rivière
il n'y est pas
car j'y suis et
je ne le vois pas

comme j'en ai
le cœur plein et
les yeux remplis
je me méfie
des ombres
des reflets
que j'y vois

il n'y est pas
 
là-haut
hors d'atteinte
loin
de mon étreinte
un soleil en morceaux
voilé à travers l'ombre
me rappelle que la vie existe

son or m'indiffère
me lacère
il ne m'enverra pas
sa chaleur

car il ne brille pas
pour les cœurs
plombés
tombés
tout au fond
de la rivière

aucune silhouette
sur la berge
prête à me hisser
à me sauver

où est mon frère

bien au fond
de la rivière
je suis seule

je suis celle
qui tombe
qui tombe
qui tombe

comme une pierre

pas celle
que tu relèves
pas celle
dont tu rêves

comme j'ai
le cœur
gros
à aimer
à avaler
une rivière
ne suffit pas
ne sera pas de trop

comme j'ai
le cœur
qui déborde
de mots
je me tais
je m'endors
au fil de l'eau

où je n'entends
que ton silence

où est mon frère
que fait mon frère

 

insta : @anna_s_kermen

 

 

 

Soliflore 127 - Alexandre Poncin

Chat Ombre.jpg

photo de l'auteur

 

 

La lumière aujourd’hui

n’a pas daigné

saluer mon salon

 

je n’en garde aucune

rancœur

— sinon pour moi

 

qu’ai-je fait pour

être si sérieux

si vérace

— impénétrable

 

je pensai à mon enfance

moi qui fut rivière

allant sans rien savoir

des transports minéraux

 

le soleil y barbotait

goulûment

ses rayons clapotaient

tout y était chair de poule

autant dire clair et humble

nous riions sans crispation

 

Je n’ai pas été fidèle

à moutonner mes colères

mes contradictions froissées

mes petites pétrifications

mes calculs et mes autres

lâchetés faites au monde

 

Ce jour

je ramasse humblement

ma poussière

demain me dira bien

ce que je suis

ce que je ne suis pas

 

https://alexandrepoemes.fr/

 

 

 

 

15/01/2023

Soliflore 126 - François Audouy

 

audouy.jpg

auteur inconnu

 

 

Surnuméraires


Semi-provinciaux, grands banlieusards,
nous logions dans de vastes hangars
anonymes que nous n’habitions pas.
Nés confinés dans nos campagnes
avec une avance dérisoire,
nous errions en sous-préfectures
où aucun tram n’aboutirait,
perdant nos centres de gravité
à mesure que s’amenuise l’espoir.
Le dimanche, on va en forêt,
bon bol d’air entre deux autoroutes ;
comme chien en laisse on pisse un coup,
rentre s’abrutir aux ondes hertziennes.
Quand on s’évade, il est trop tard,
cet exode est ancré en nous
et on apprend à composer
jusque dans nos moelles épinières.
Nous sommes des hordes de surnuméraires,
zonards, zombis, flous et hagards,
effacés des images d’archives,
rayés des registres, des radars.
On nous éduque à la patience,
à sagement faire nos devoirs ;
polis et muets comme des pierres,
nous ne nous berçons pas d’histoires.
Nous nous souviendrons d’Anaïs
qui au plaisir nous initia,
des émissions du samedi soir,
du mélange de pomme et de vodka,
des Noëls tristes et des œufs de Pâques,
des parents faisant semblant d’y croire,
des vacances au bord de la mer,
aux mêmes dates, aux mêmes endroits.
Il ne fallait pas le monter le volume,
il fallait effacer nos traces ;
il fallait bander dans les clous,
ne surtout pas manger l’espace.
Comme l’unique cinéma
clignote de ses blockbusters
face au bowling - zone commerciale-,
les témoignages de nos vies sur terre
doucement s’estompent dans l’air du soir

 

 

 

06/12/2022

Soliflore 125 – Haroun Guino

Turfu.JPG

 

Turfu 

C’est un petit soir à Marseille
Et le vent souffle sur l’avenir.
Qui en devine le fond absurde ?
Son chant baroque ou minuscule ? 
La vie superbe qu’il annonce,
Avec ses airs de victoire ?
Verra-t-on dans la vérité qu’il chante, 
La faiblesse de ses armes ? 
Et comment ne pas voir aussi, 
Dans le profond de son sourire, 
Dans la jolie révolte qu'il porte, 
Son refus d'aboutir. 

 

 

01/12/2022

Soliflore 124 – Lucie Roger

 

 

Mosaique.PNG

image de l'auteur

 

 


Mosaïque

Par petites touches, petites pièces 
Construisant mosaïque chemin 
S’animant en couleurs mélangées 
Mélangeant porcelaine les instants 
Instants du chemin coloré, parsemé 
Sinueux, ce chemin porcelaine 
Porcelaine s’ajoutant par touches petites
Touches de mots, pièces aimantes
Porcelaine fine, colorée et vibrante 
Du chemin incomplet, lacunaire
Aux mots dépareillés, oscillants,
Pièces porcelaine colorées s’agençant
Formant improbable le chemin 
Fragmentaire, chemin inavouable 
Conduisant vacillants les pas 
Tremblement des cœurs porcelaines
Vers ces instants fébriles, fragiles
Ces chers instants colorés marquants
Instants savourés sur chemin mosaïque 
Inachevé chemin en mosaïque vers toi

 

 

07/11/2022

Soliflore 123 - Pierre Théobald

7-1.jpg

auteur inconnu

 

 


ÉLEVAGE SAUVAGE

Mâles castrés, oreilles coupées :
Mise en préparation !
Queues tranchées, becs meulés :
À vif, ces amputations !
L’animal est maintenant prêt :
Apte à la production !
Ces centimes font rendement :
Voilà la croissance !
Performer pour l’amortissement :
Objectif finance !
L’animal, déjà mis en aliment :
Performance !

 

 

 

05/11/2022

Soliflore 122 - Dorothée Coll

 

Le cuir.jpg

illustration originale de Philippe Chevillard

 

 

Le cuir

Le cuir de nos amours
exhibe ses entailles
Je passe la main sur les blessures, les cicatrices
imprime sur ma peau la dentelle des bords 
Empreinte des remords

On s’étripe, on s’éviscère
nos lignes de conduite s’écrivent à cœur ouvert
Transparence des ruisseaux de sang
qui zigzaguent entre les rochers

Les patrons de nos deux corps mal ajustés
attendent qu’un couturier fantasque
les drape d’un tissu moiré
et les faufile de blanc
que les coutures apparentes
guident les petits poucets
que nous étions, souviens-toi, avant de nous égarer

 

 

 

04/11/2022

Soliflore 121 - Sacha Zamka

 

Nuée - Photo de l'auteur - 2022.png

Nuée - photo de l'auteur - 2022

 

 

arbres

une seule injustice et c’est celle de naître
les siècles sont figés les heures sont inertes

arbres nous revenons à ceux de la genèse
que sommes-nous ? un corps que la souffrance innerve
l’aube n’est rien de plus que de l’imaginaire
nous dormons regard givre et nous rêvons yeux neige

dérivons-nous sur une ou bien plusieurs planètes ?

 

 

 

 

 

07/03/2022

Soliflore 120 - Thierry Delhourme

 

 

Gil Goulpié - lumière sous la porte nb.jpg

©Gil Goulpié

 

 

 

L’ombre épousant la lumière

 

 

Bienvenue à l’enfant que je n’aurai jamais

il court déjà dans les herbes folles

 

Bienvenue au futur de mes amis

pour eux j’avais le désir de naître

sous leurs sabots aux pointes givrées

c’était un désir sans volonté ni rituel

avec juste la transparence à mon seuil

mes visions fraîches comme pains de l’aurore

 

Bienvenues les femmes de pailles et d’or

dont j’envie la flamme dressée

chaque nuit pour réparer le monde

 

Idem les funambules et jongleurs qui brisent

la roche pour en sucer l’âme

ils sont guetteurs de joies ravaleurs de mensonges

et bien plus nombreux les yeux dans le dos

que dans nos chansons nos aventures humaines

 

Alors comment allons nous dire

l’odeur de la fête qui frappera tantôt

 

Peut-être

 

Bienvenue la chose hantée en sa pure merveille  

 

 

 

 

22/02/2022

Soliflore 119 - Carl Hallak

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photo de l'auteur

 

 

une chance


s'il reste une chance
mince infime ou immense
cela vaut la peine je t'aime
juste une fissure
murmure dans le mur
cela vaut la peine je t'aime
s'il reste un copeau
de nos plus vieux fagots
cela vaut la peine je t'aime
juste un brin de vent
de nos grands ouragans
cela vaut la peine je t’aime

 

 

11/02/2022

Soliflore 118 - Alexandra Norelli

 

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©Erik Johansson - Impact

 

 

 

Garde-robe

 

Il s’était fait un beau costume
Brodé de nuit
"Ça devrait faire fuir le bonheur"
Qu’il a dit


Elle avait cousu des miroirs
sur son corps nu
"Il se verra comme je le vois"
Qu'elle a cru


Et ne sachant pas comment le
Déshabiller
Elle fit tomber toute son armure
En premier.

(et comme il y avait du verre partout

elle a fini par se blesser

et c’est une bien triste fin)

 

 

 

 

09/12/2021

Soliflore 117 - Stéphane Mongellaz

 

le ciel en larmes (2).JPG

Cathy Garcia Canalès

 

 

 

REPOS DE L’ARME

 

Ainsi m’ont-ils eu

et déjà tu le savais,

et durant le temps qui fut le nôtre   ̶

 

échangeant nos saveurs intimes,

trafiquant nos humidités crues,

reconnaissant tracé et inconnu

 

le passage ancien

d’une source claire

encore sourde de nous   ̶

 

tu ramenais l’ombre à sa brute matière

 

dans tout l’espace scellé maintenant

sur mon front, ruisseau de pluie

portée vivante par le vent

 

que je sais être toi,

ô l’Infiltrée, l’Échappée des lacunes.

 

 

 

28/11/2021

Soliflore 116 - Éric Moutier

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Xiaoming Yang

 

 

TÊTE À L’ENVERS

 

Prisonniers de nos tours syllabiques,

À écrire des mots

Quand d’autres vivent des histoires,

Laboureur de lumière

À la lueur de l’encre noire,

Nous cherchons libération

Dans le jour virevoltant,

Quittant nos maisons de papier

Pour de plus grands espaces.

Ne plus s’interdire de rugir,

Sentir l’existence nous souffler ses poèmes,

Souffleuse de verre brûlant,

Modelant

La finesse de nos êtres.

Attendre la dernière expiration

Pour se bomber de flamme,

Voir nos matières rougissantes

Prendre forme

Sous l’inspirante lave

Et revenir

Parfois à la marge

Parfois à la page

Graver nos lignes muries

Sur nos cahiers

Devenues mémorielles.

 

 

https://m.facebook.com/eric.moutier.3

 

 

 

 

09/11/2021

Soliflore 115 - Michel Woelffle

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Le passage


Le gamin descendait du Chabre
Il avait chaud je l’ai arrêté
Il m’a dit
“j’viens de là-haut”
J’ai regardé la montagne
haute, verte dans cette apparence immobile
qu’ont les arbres regardés de loin
J’ai encore songé que les hommes étaient nés là-haut
de ces arbres étrangement silencieux, attentifs
s’élevant lentement vers le ciel
sans répit
Je songeais à cela en regardant cet enfant échappé de la montagne
que les arbres avaient connu
écorce rompu des siècles et des légendes
La légende d’un monde qui avait relevé les arbres pour en faire des hommes
“T’es passé par le col de l’ange ?”
Il savait pas trop...
“T’as rencontré des anges ?”
“Non il m’a dit... personne...”
“Alors c’est qu’tes pas grimpé assez haut”
Il avait l’air sympa.
Il me regardait sans se foutre de ma gueule
Alors j’ai ajouté
“De toute façon tant que t’en seras pas un
t’en rencontreras pas”

 


Ballons 20/21 Juillet 21

 

 

 

 

15/09/2021

Soliflore 114 - Christophe Salus

 

chiens violets dans la nuit rouge 001.jpg

tableau de René Mazyn, tous droits réservés

 

 

 

Religieuse prose

 

Les exégèses exagèrent :

 

Dans ces Livres pleins de virgules,

que l’histoire a lentement essuyées,

Tout peut se voir et s’interprète,

et si l’on s’en tient au seul mot,

ce sont bien des pages glauques d’horreurs !

 

Et comme on peut pas faire pire

et que le délit plagiaire est proscrit :

 

« Écrivons nous-même notre livre sacré ! »

 

 

 

 

 

23/08/2021

Soliflore 113 - Silvère Cordin

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Suivre les mélodies monophoniques
Se laisser prendre par le jeu de la pluie
renoncer au reflet du miroir
le combat des astres, aux rites d'autrefois
lumineux, irradiant râles d'un sous-monde
souffles de liberté, de mains et de cœurs
proches d'un monde tempétueux qui s'ouvre.
Qui est l'inculte ? Qui est le païen de l'autre ?
Qui sera celui qui nous donnera l'avenir d'un millier d'arbres ?
Celui qui fera renaître les cendres d'une terre nébuleuse ?
peut-être,
celui qui purgera la laideur à l'intérieur de nos fibres ?
sûrement.
Qui absoudra la rage muette et indicible dans nos regards ?

 

 

 

09/08/2021

Soliflore 112 - Gorguine Valougeorgis

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photo de l'auteur

 

 

Dans l’obscurité

la mer au loin

fume une île brûle

consume coule une île nous

regardons les étoiles la fin

d’un monde encore

un de moins

c’est si calme ici

mon ami comme chaque 

soir allume 

en regardant la mer sa

cigarette

on ne laisse pas la mer

mourir seule il me dit



 

 

15/07/2021

Soliflore 111 - Yvan Robberechts

salle-de-classe-école.jpg

 

 

CANCRE

 

Cancre…
Dix ans de mitard à buller au fond d’une classe,
suivre une plume invisible livrée au vent. 
Dix ans de trous d’air et de brumes. 
Dix ans à me téléporter de vagues en vagues, 
ma peau sur une chaise où mes idées divaguent. 
Dix ans de solitude… presque cent.

Cancre. Cancrelat, petit cafard assoupi, 
déguisé en écolier, trahi par ses antennes. 
Bousier indécrottable.

- « Il ne fera jamais Polytechnique » (moue navrée et entendue). 
Litote,  licence poétique.
Continuer à vaquer à mes songes. Envers et contre tous. 
Rester focus sur la téléportation, mon petit domaine d’expertise.

-  « Yvan, au tableau ! »
Calcul du périmètre d’un cercle. 
Pris en flagrant délit de téléportation. 
Le nez dans le pot de miel de la liberté volée, dérobée à l’institution. 
Me pousse un groin entre ma chaise et le tableau. 
Le maître se paie la bête. Bête à manger du foin.
Rien… Presque rien … Rien que moi et le tableau,
 … Moi et ma craie, …  Ma nullité et moi. 
Mon groin dans la fange et ses clapots de honte.

J’aurais pu devenir mauvais, hargneux, 
à boire jusqu’à la lie le jus amer de la défaite. 
Moi et ma nullité on vous emmerde !!
Revendiquer cette médiocrité, étendard de mon identité enclavée. 
Persister et signer. A la lame et dans le sang. Cruel à mon tour. 
J’en ai eu longtemps la tentation.
Allumer les mots par la mèche et les jeter à la face 
des faux-semblants, des évidences et des litotes, 
faire péter le malheur et la honte.

Il a fallu se débarrasser du petit niaiseux,
…Oublier. 
Plier mes antennes et mes ailes, les ranger sous le pupitre, 
me désincarcérer de ce corps d’insecte,
laisser ma mue de blatte accrochée à la chaise devant mon bureau vide. 
Dernier regard sur la scène de crime.
Fermer la porte.

 

 

 

 

27/06/2021

Soliflore 110 - Isabelle Garreau

Pech Merle main-negative-art-parietal.jpg

 

RETOUR À PECH MERLE

 

la pierre est chair

où vit la rhétorique magique des images

peuplant la même aspérité

mammouth buffle tigre cheval

par transparence on lit

emballement dévoration vitesse frayeur fuite et chaos chair chair

le réel se conforme à de telles objurgations

 

oui nous ferons des signes

nous mettrons en scène

nous manierons le symbole

nous créerons un langage vivant

 

nous mêlerons la salive et le sang

le pigment et les cendres

lapis et carmin régurgités

par nos sarbacanes

nous sommes la bouche

qui crache

au cortex de la grotte

ces images rétiniennes hors du temps

 

la camera oscura

transmute nos mains en négatif

monstration des reliques

la hyène digérée par l'ours digéré par l'image digérée par la grotte

dans son intimité suintant le souffre

un boyau retient prisonnières

les images inverses apposées

au cerveau de la grotte

 

on voit son œil blanc et fendu

 

ombres mêlées

le mammouth la biche l'aurochs la tête d'ours l'homme la femme la femme treize fois la femme le point la jument le brochet

 

ce langage c'est Eurydice aux Enfers

et nous voudrions en retirer quelque chose

alors nous rebroussons chemin

chemin rebroussé au-delà du texte

au-delà de la feuille

au-delà de l'articulation

par-delà les limites que nous nous sommes infligées

nous rebroussons chemin vers l'image pure

le signe vivant

 

 

pech-merle9a.jpg

 

 

 

05/05/2021

Soliflore 109 - Pierre Théobald

 

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©Heather Plew

 

Sucs à plaies 

 

Ici ou là coulent leurs plaies 

 

En cônes enroulés 

Leur haché vert à apaiser 

S’inhale en cautère herbacé 

 

Ici ou là coulent leurs plaies 

 

Contre un mur ou bien cachés 

Fondre la came en suc troublé  

Et par la veine les panser

 

En silence regards concentrés

 

Ô bonbon Éden à avaler 

Chimie d’instants colorés

Tout éteindre et s’envoler 

 

 

 

04/05/2021

Soliflore 108 - Yvan Robberechts

Etude de Nuages de John Constable.jpg

Étude de Nuages de John Constable

 

 

Nuage...

...qui ne s'achète ni se vend
ni se soumet ni se prend
ni se contraint ni se consomme
indispensable à rien ni à personne

archives éphémère pour poète indigent,
traversé de vide, boursouflures du néant,
confluents du rêve, de la pluie et du vent

dans tes flancs vague à l'âme
dérivent les mémoires fantômes,
cartographie errante de pensées perdues,
rêves oubliés, souvenirs diaphanes,
archipel des songes, écumes filigranes

Mais bientôt les orques grondent
et roulent dans les hauts fonds de tes limbes,
percent de leur sang noir
les entrailles de tes brumes
et soufflent aux oracles du chaos
les présages à venir...

 

septembre 2019

 

 

24/03/2021

Soliflore 107 - Fabienne Roitel

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Depuis longtemps, que mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
m’ont donné le maillet et le ciseau, le burin et la pierre
je suis fils, artisan, compagnon en apprentissage
sans gants ni tablier 
vers un lieu d’harmonie  
cent fois espéré 
les gestes se superposent aux leurs
pour suspendre le temps sans jamais y réussir.

Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
m’ont légué un poignet osseux, un cuir rêche, une mémoire mosaïque
je m’éloigne des berges d’un fleuve qui fut le leur, qui fut origine, qui fut fardeau
qui fut voyage
ma joue posée au creux de l’effort 
mes paumes lisent la douceur comme une autre manière de s’abandonner.

Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux, ces fils de plomb
avec lesquels je me réconcilie surveillent et éclairent mon espace
de liberté. 

 

 

04/03/2021

Soliflore 106 - Fabrice Fossé

 

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œuvre de l'auteur

 

En haut de la tour sur la colline

Tu touches le ciel du bout de tes doigts

Et les nuages autours de toi

Se moquent de moi

Se moquent de moi

 

Hivernale   hivernale

Tu es mon hivernale

Tu es mon hivernale

 

Dans ton château au cœur de la nuit

Tel un rapace tu guettes ta proie

Et les étoiles haut-dessus de toi

Se moquent de moi

Se moquent de moi

 

Hivernale hivernale

Tu es mon hivernale

Tu es mon hivernale

 

De ton nid de glace tu souffles le froid

Un baiser du nord qui mord sa proie

Et le temps qui règne

Me dicte sa loi

Me dicte sa loi

 

Hivernale  hivernale

Tu es mon hivernale

Tu es mon hivernale

 

 

https://www.youtube.com/channel/UC86Sn9--6L3EJsAUUM0E2Sw

 

 

 

27/02/2021

Soliflore 105 - Nathaël Bethencour

 

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photo de l'auteur

 

 

L'espoir est capital

 

 

Il a le pas rapide de la hyène, il s'offre en holocauste au grand capital.

Dieu est une ruine, sur laquelle les gargouilles tombent et se fracassent.

Les enfants ont peur du masque du corbeau, des petits Moha disparaissent.

Sur les hautes collines, les prisons de Babylone grouillent du cri des infamies.

Baladant ma carcasse et mon chapelet, je rentre en payant dans Notre-Dame.

Le spirituel est une sinistrose, l'art est une mangeoire d'usurier.

J'ai goûté de l'œil la rue du Cherche-Midi, il n'y avait que des dents blanches.

Je tournai vers la rue du Dragon pour y chercher la demeure de l'Ours Hugo.

Ma vie va aussi vite que l'échange des marchands du temple et des veaux éclatants.

J'ai hurlé dans le métro que je ne voulais pas d'argent, ils baissaient les yeux.

À la Butte Montmartre, je me suis acheté un tissu, j'en ai fait un pagne.

J'étais nu, quant au cœur du printemps, j'ai senti un oranger du Mexique, ô senteur !

Ivre de ma folie, j'ai regardé la capitale, avec l'œil de la pitié.

Je me suis allongé sur l'herbe menue, pour prier, des images d'animaux m'envahirent.

À mon réveil, l'amante inconnue me caressa, elle était de toutes les nations.

 

Paris c'est l'aumône du miracle !

 

 

23/02/2021

Soliflore 104 - Isabelle Bois Cras

 

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photo de l'auteur par Jean-Marie Cras, photographe

 

Plastique

 

Alerte !

Lèpre de la terre,

Gangrène des berges,

Interstices humanoïdes entre limon et humus,

Qui glisse ses métastases dans les dermes de nos sols.

L’indigeste plastique dégueule sur le rivage des fleuves,

Et incruste ses couleurs criardes dans l’humble nature.

Il souille,

Il tue,

Il mine la plénitude des paysages, le mystère des sous-bois,

Tranche l’équilibre des rizières et des campagnes du monde.

Des rives de l’Ouémé traversant le Bénin aux temples du Cambodge,

Des criques méditerranéennes au vert bocage normand,

Des cimes Himalayennes aux abysses Atlantiques,

Les poches volent au vent et flottent dans les courants,

Accrochant follement aux branches et aux algues leurs anses insécables.

Membranes informes…

 

Cancer des océans,

Magma meurtrier

De particules indestructibles,

Qui flotte entre deux mers ;

Entre La Californie et Hawaï,

Dérive la nappe immonde,

Charriée par les courants.

Le septième continent engloutit tout,

Étouffe les coraux,

Emplit les ventres des baleines,

Emmêle les tentacules des poulpes.

 

Plastique,

Que ce mot est comique ; 

Place-tique, plassstik, plaztik, clastip,

Il saute en bouche et rebondit comme une petite farce,

Qu’il est doux, ce mot qui claque la langue et tape les dents,

Choque le palais et pousse les lèvres,

Il se moque !

 

Plastique,

Jamais il ne s’efface.

Quand l’homme périra,

Il disparaîtra dans un sac

Et deviendra poussière,

Le sac demeurera.

 

Alerte !

L’écosystème est en péril et l’équilibre bascule,

Alerte !

Sur les chemins du monde, ramassez, recyclez.

 

 

 

 

21/02/2021

Soliflore 103 - Parme Ceriset

 

 

 

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illustration de l'auteur

 

 

L’enfant de l’aubépine

 

C’est un petit enfant tombé d’une branche morte, 

Chassé du nid douillet de la pré-Vie.

Il est né différent, il se nourrit de roses sauvages, 

Il ne sent plus les épines qui déchirent son cœur sage.

Il avance dans l’ombre mais il se bat,

Il a en lui toute l’âme du monde...

Et le feu inextinguible

De la joie.

 

http://parmecerisetlaplumeamazone.over-blog.com/