18/11/2023
Soliflore 132 - Éric Aubel
Photo de l'auteur
Cessez – je ne vous entends plus
vos mots n’atteignent plus mes oreilles
cessez – je ne vous vois plus
vos images ne brûlent plus mes yeux
Sur les grèves du jour le chant du merle
fait l’inventaire de ce qui déjà n’est plus
Cessez – que le vent emporte votre vide
l’homme qui vous parle est d’un autre pays
l’impure a coulé dans ses veines
il se soigne au silence de l’exil
Jusque sous mes fenêtres à mes pieds
un ressac dépose le monde perdu
Cessez – il n’est plus temps de vos jérémiades
plus temps de vos courtisanes courbettes
le monstre au dos rond que vous entretenez
nous cherche des poux sur la tête jusqu’au sang
J’aménage une maison sur l’écume de l’aube
et à l’éveil de ma peau le monde de demain
Cessez – je n’ai plus d’oreille pour vous
bien trop souvent mes yeux m’ont menti
à tâtons pas à pas par les sens j’éprouve
et des êtres et des choses la vulnérabilité
Le futur est le temps de tous les rendez-vous
alors cessez je vous y attendrai au tournant
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17/05/2023
Soliflore 131 - Andrée Buchet
Photo d'un tableau d'Andrée peinte par son mari
Je voudrais t’entourer de mon âme,
Tenir loin de toi tout le mal,
T’abriter comme au creux d’une lame
En mon cœur dont l’amour n’a d’égal.
Tu es mien au-delà de mon être,
Mon enfant, mon aimé, ma douceur :
C’est par toi que l’espoir peut renaître
À mes yeux désertés de lumière.
Tu es l’ange, la source, l’origine
De mon si douloureux parcours :
Je t’appartiens, c’est toi qui me dessines
La voie vers la beauté des jours.
C’est par toi que j’existe et perdure
Traversant les méandres du temps :
Tu es ma joie, ma folie, mon délire,
Tu me rends l’infini des instants
Andrée Buchet née BIVORT, le 24 décembre 1922 à Luxembourg, est une poétesse luxembourgeoise. Elle écrit chez elle toute sa vie, dans l'intimité du foyer qu'elle partage avec son mari, Boris Buchet, peintre de l'école de Paris.
"J'arrivais pour étudier les lettres et la philosophie à La Sorbonne. C'était en 1946. C’était très dur après la guerre, mais malgré toute cette misère physique qui a encore duré des années, les gens étaient exaltés, on avait des ailes. Je l’ai rencontré dans le train pour venir à Paris, un garçon de la rue où j'avais grandi. J’étais forcée d’écrire. Je n’aurai jamais choisi d’écrire. Quelqu’un m’aimait très fort, ce qui a déclenché en moi une urgence. Ce poème m'a été dicté. Un soir, j’étais dans mes papiers à étudier et j’ai dû l'écrire. L’amour m’a toujours fait écrire. Par la suite, d’autres amours ont alimenté cette écriture, différemment. Lui, était resté. Même après sans être allé, il était resté d’un amour qui a duré toute la vie, toujours aussi profond. Je crois que chacun d'entre nous contient les deux sexes, Platon le disait et, on cherche constamment à retrouver cette part de nous. Cela donne un grand bonheur de retrouver cette moitié, de se sentir complet et vaste comme cet amour. On ne peut pas vivre sans amour."
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23/04/2023
Soliflore 130 - Iren Mihaylova
Tableau de Monet - photo de l'auteur
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- l’effacement
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d’une écriture -
« Jamais
tu n’y parviendras »
Ton corps prostré (convoité) comme refuge
Tes mains embaumées de promesses
Tes yeux comme éclairés de
SOLITUDE
Le refus que tu portes
Comme refuge
En signature du manque
Sera la clé de l’écluse invisible
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- Au fond des mots
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(Depuis) toujours
Une même énigme :
Sauver ce qu’il y meurt
Ou ce qu’il reste à vivre
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- Dieu se vide de lui-même
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et l’homme :
ce trou inconsolable
qui contient sa trace
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- Deux siècles à rayer la fin
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Cerner l’espace de deux silences
Je remonte d’un abysse
Rien ne me promet l’ascension
Il suffit de grimper
à l’échelle d’un manque
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14/04/2023
Soliflore 129 - Alain Nouvel
©Sergey Meytuv
Mon amour quand on sera riches
Mon amour, quand on sera riches
et qu’on sera déconfinés,
on prendra l'autoroute en fleurs
le matin dès potron-minet
et la 206 chauffera.
Sur une aire standardisée
au self-service on se rendra
où il y a plein de desserts
industriels et très sucrés.
Des cuisiniers en toque en toc
nous y serviront quelques frites
et puis ces cuisses de poulet
dont on mange même les os.
Là-bas, nous serons des rois,
assis à la table en faux bois
sous des poutres en polystyrène
on boira notre café crème.
Comme le moteur refroidit,
à Ouistreham on poussera,
où on verra les car ferries,
on écoutera en anglais
les haut-parleurs des compagnies
dire des mots qu’on comprend pas.
On rêvera de l'Amérique
en buvant une soupe aux huîtres.
Et puis on reviendra chez nous,
par la route aux ronds-points relous
pour économiser les sous
tout en prenant des raccourcis
loin des radars et des soucis.
Mon amour, quand on sera riches,
on dormira au Sofitel
dans les environs de Paris.
Et on prendra le RER
pour voir de plus près Disneyland.
Comme c’est trop cher l’entrée
on tournera autour des grilles
et on entendra les flonflons
des boîtes à rêve et à musique.
On marchera sur des chemins
parmi les champs de betterave
en contemplant de loin les tours
de plastique et de carton-pâte
les attractions multicolores.
Ce sera l'été, il fait doux,
on fera l'amour dans un bois
en écoutant les haut-parleurs
des grand huit, autos tamponneuses,
et des petits trains de la mort.
Il y aura le brouhaha
lointain des enfants qui rient, on
aura profité de tout ça
sans rien payer tant mieux tant mieux
ça nous rendra heureux, heureux.
On terminera le séjour
dans un F1 au lit friable
et puis on se mettra à table
au Mac Do au KFC
son vieux barbu qui vous sourit
comme un Joseph de cathédrale.
On lui répondra tendrement
en buvant notre Kronenbourg.
On rotera tout en songeant.
Mon amour, quand on sera riches,
on soutiendra nos libidos
en allant dans des club SM.
On y trouvera quelques vieux
qui se fouettent en disant « Je t’aime »
puis toute une armée de soumis
qui draguent en geignant : « Maîtresse »
et ils te montreront leurs fesses,
que tu punisses à l’envi.
Ils pleurent à tes pieds : « Madame,
châtiez-moi, je suis infâme. »
Quelque éléphant du socialisme
des professeurs et transgresseurs,
eux, vont en des salons privés
pour des pratiques plus osées.
C’est réservé à une élite
des vieilles pies aux grosses bites.
Mon amour, quand on sera riches,
on se payera ces soirées
pour après, de retour chez nous,
s’exciter de tous ces à-coups.
Et quand on se fera la fête,
on aura ce bordel en tête,
ce sera doux, ce sera doux !
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17/02/2023
Soliflore 128 - Anna Kermen
Arthur Hughes - Ophélie
où est mon frère
au fond
de la rivière
il n'y est pas
car j'y suis et
je ne le vois pas
comme j'en ai
le cœur plein et
les yeux remplis
je me méfie
des ombres
des reflets
que j'y vois
il n'y est pas
là-haut
hors d'atteinte
loin
de mon étreinte
un soleil en morceaux
voilé à travers l'ombre
me rappelle que la vie existe
son or m'indiffère
me lacère
il ne m'enverra pas
sa chaleur
car il ne brille pas
pour les cœurs
plombés
tombés
tout au fond
de la rivière
aucune silhouette
sur la berge
prête à me hisser
à me sauver
où est mon frère
bien au fond
de la rivière
je suis seule
je suis celle
qui tombe
qui tombe
qui tombe
comme une pierre
pas celle
que tu relèves
pas celle
dont tu rêves
comme j'ai
le cœur
gros
à aimer
à avaler
une rivière
ne suffit pas
ne sera pas de trop
comme j'ai
le cœur
qui déborde
de mots
je me tais
je m'endors
au fil de l'eau
où je n'entends
que ton silence
où est mon frère
que fait mon frère
insta : @anna_s_kermen
10:51 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
Soliflore 127 - Alexandre Poncin
photo de l'auteur
La lumière aujourd’hui
n’a pas daigné
saluer mon salon
je n’en garde aucune
rancœur
— sinon pour moi
qu’ai-je fait pour
être si sérieux
si vérace
— impénétrable
je pensai à mon enfance
moi qui fut rivière
allant sans rien savoir
des transports minéraux
le soleil y barbotait
goulûment
ses rayons clapotaient
tout y était chair de poule
autant dire clair et humble
nous riions sans crispation
Je n’ai pas été fidèle
à moutonner mes colères
mes contradictions froissées
mes petites pétrifications
mes calculs et mes autres
lâchetés faites au monde
Ce jour
je ramasse humblement
ma poussière
demain me dira bien
ce que je suis
ce que je ne suis pas
09:28 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
15/01/2023
Soliflore 126 - François Audouy
auteur inconnu
Surnuméraires
Semi-provinciaux, grands banlieusards,
nous logions dans de vastes hangars
anonymes que nous n’habitions pas.
Nés confinés dans nos campagnes
avec une avance dérisoire,
nous errions en sous-préfectures
où aucun tram n’aboutirait,
perdant nos centres de gravité
à mesure que s’amenuise l’espoir.
Le dimanche, on va en forêt,
bon bol d’air entre deux autoroutes ;
comme chien en laisse on pisse un coup,
rentre s’abrutir aux ondes hertziennes.
Quand on s’évade, il est trop tard,
cet exode est ancré en nous
et on apprend à composer
jusque dans nos moelles épinières.
Nous sommes des hordes de surnuméraires,
zonards, zombis, flous et hagards,
effacés des images d’archives,
rayés des registres, des radars.
On nous éduque à la patience,
à sagement faire nos devoirs ;
polis et muets comme des pierres,
nous ne nous berçons pas d’histoires.
Nous nous souviendrons d’Anaïs
qui au plaisir nous initia,
des émissions du samedi soir,
du mélange de pomme et de vodka,
des Noëls tristes et des œufs de Pâques,
des parents faisant semblant d’y croire,
des vacances au bord de la mer,
aux mêmes dates, aux mêmes endroits.
Il ne fallait pas le monter le volume,
il fallait effacer nos traces ;
il fallait bander dans les clous,
ne surtout pas manger l’espace.
Comme l’unique cinéma
clignote de ses blockbusters
face au bowling - zone commerciale-,
les témoignages de nos vies sur terre
doucement s’estompent dans l’air du soir
11:30 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
06/12/2022
Soliflore 125 – Haroun Guino
Turfu
C’est un petit soir à Marseille
Et le vent souffle sur l’avenir.
Qui en devine le fond absurde ?
Son chant baroque ou minuscule ?
La vie superbe qu’il annonce,
Avec ses airs de victoire ?
Verra-t-on dans la vérité qu’il chante,
La faiblesse de ses armes ?
Et comment ne pas voir aussi,
Dans le profond de son sourire,
Dans la jolie révolte qu'il porte,
Son refus d'aboutir.
18:54 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
01/12/2022
Soliflore 124 – Lucie Roger
image de l'auteur
Mosaïque
Par petites touches, petites pièces
Construisant mosaïque chemin
S’animant en couleurs mélangées
Mélangeant porcelaine les instants
Instants du chemin coloré, parsemé
Sinueux, ce chemin porcelaine
Porcelaine s’ajoutant par touches petites
Touches de mots, pièces aimantes
Porcelaine fine, colorée et vibrante
Du chemin incomplet, lacunaire
Aux mots dépareillés, oscillants,
Pièces porcelaine colorées s’agençant
Formant improbable le chemin
Fragmentaire, chemin inavouable
Conduisant vacillants les pas
Tremblement des cœurs porcelaines
Vers ces instants fébriles, fragiles
Ces chers instants colorés marquants
Instants savourés sur chemin mosaïque
Inachevé chemin en mosaïque vers toi
20:11 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
07/11/2022
Soliflore 123 - Pierre Théobald
auteur inconnu
ÉLEVAGE SAUVAGE
Mâles castrés, oreilles coupées :
Mise en préparation !
Queues tranchées, becs meulés :
À vif, ces amputations !
L’animal est maintenant prêt :
Apte à la production !
Ces centimes font rendement :
Voilà la croissance !
Performer pour l’amortissement :
Objectif finance !
L’animal, déjà mis en aliment :
Performance !
11:15 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
05/11/2022
Soliflore 122 - Dorothée Coll
illustration originale de Philippe Chevillard
Le cuir
Le cuir de nos amours
exhibe ses entailles
Je passe la main sur les blessures, les cicatrices
imprime sur ma peau la dentelle des bords
Empreinte des remords
On s’étripe, on s’éviscère
nos lignes de conduite s’écrivent à cœur ouvert
Transparence des ruisseaux de sang
qui zigzaguent entre les rochers
Les patrons de nos deux corps mal ajustés
attendent qu’un couturier fantasque
les drape d’un tissu moiré
et les faufile de blanc
que les coutures apparentes
guident les petits poucets
que nous étions, souviens-toi, avant de nous égarer
11:52 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
04/11/2022
Soliflore 121 - Sacha Zamka
Nuée - photo de l'auteur - 2022
arbres
une seule injustice et c’est celle de naître
les siècles sont figés les heures sont inertes
arbres nous revenons à ceux de la genèse
que sommes-nous ? un corps que la souffrance innerve
l’aube n’est rien de plus que de l’imaginaire
nous dormons regard givre et nous rêvons yeux neige
dérivons-nous sur une ou bien plusieurs planètes ?
14:18 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
07/03/2022
Soliflore 120 - Thierry Delhourme
©Gil Goulpié
L’ombre épousant la lumière
Bienvenue à l’enfant que je n’aurai jamais
il court déjà dans les herbes folles
Bienvenue au futur de mes amis
pour eux j’avais le désir de naître
sous leurs sabots aux pointes givrées
c’était un désir sans volonté ni rituel
avec juste la transparence à mon seuil
mes visions fraîches comme pains de l’aurore
Bienvenues les femmes de pailles et d’or
dont j’envie la flamme dressée
chaque nuit pour réparer le monde
Idem les funambules et jongleurs qui brisent
la roche pour en sucer l’âme
ils sont guetteurs de joies ravaleurs de mensonges
et bien plus nombreux les yeux dans le dos
que dans nos chansons nos aventures humaines
Alors comment allons nous dire
l’odeur de la fête qui frappera tantôt
Peut-être
Bienvenue la chose hantée en sa pure merveille
10:56 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
22/02/2022
Soliflore 119 - Carl Hallak
photo de l'auteur
une chance
s'il reste une chance
mince infime ou immense
cela vaut la peine je t'aime
juste une fissure
murmure dans le mur
cela vaut la peine je t'aime
s'il reste un copeau
de nos plus vieux fagots
cela vaut la peine je t'aime
juste un brin de vent
de nos grands ouragans
cela vaut la peine je t’aime
13:52 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
11/02/2022
Soliflore 118 - Alexandra Norelli
©Erik Johansson - Impact
Garde-robe
Il s’était fait un beau costume
Brodé de nuit
"Ça devrait faire fuir le bonheur"
Qu’il a dit
Elle avait cousu des miroirs
sur son corps nu
"Il se verra comme je le vois"
Qu'elle a cru
Et ne sachant pas comment le
Déshabiller
Elle fit tomber toute son armure
En premier.
(et comme il y avait du verre partout
elle a fini par se blesser
et c’est une bien triste fin)
15:09 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
09/12/2021
Soliflore 117 - Stéphane Mongellaz
Cathy Garcia Canalès
REPOS DE L’ARME
Ainsi m’ont-ils eu
et déjà tu le savais,
et durant le temps qui fut le nôtre ̶
échangeant nos saveurs intimes,
trafiquant nos humidités crues,
reconnaissant tracé et inconnu
le passage ancien
d’une source claire
encore sourde de nous ̶
tu ramenais l’ombre à sa brute matière
dans tout l’espace scellé maintenant
sur mon front, ruisseau de pluie
portée vivante par le vent
que je sais être toi,
ô l’Infiltrée, l’Échappée des lacunes.
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28/11/2021
Soliflore 116 - Éric Moutier
Xiaoming Yang
TÊTE À L’ENVERS
Prisonniers de nos tours syllabiques,
À écrire des mots
Quand d’autres vivent des histoires,
Laboureur de lumière
À la lueur de l’encre noire,
Nous cherchons libération
Dans le jour virevoltant,
Quittant nos maisons de papier
Pour de plus grands espaces.
Ne plus s’interdire de rugir,
Sentir l’existence nous souffler ses poèmes,
Souffleuse de verre brûlant,
Modelant
La finesse de nos êtres.
Attendre la dernière expiration
Pour se bomber de flamme,
Voir nos matières rougissantes
Prendre forme
Sous l’inspirante lave
Et revenir
Parfois à la marge
Parfois à la page
Graver nos lignes muries
Sur nos cahiers
Devenues mémorielles.
https://m.facebook.com/eric.moutier.3
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09/11/2021
Soliflore 115 - Michel Woelffle
Le passage
Le gamin descendait du Chabre
Il avait chaud je l’ai arrêté
Il m’a dit
“j’viens de là-haut”
J’ai regardé la montagne
haute, verte dans cette apparence immobile
qu’ont les arbres regardés de loin
J’ai encore songé que les hommes étaient nés là-haut
de ces arbres étrangement silencieux, attentifs
s’élevant lentement vers le ciel
sans répit
Je songeais à cela en regardant cet enfant échappé de la montagne
que les arbres avaient connu
écorce rompu des siècles et des légendes
La légende d’un monde qui avait relevé les arbres pour en faire des hommes
“T’es passé par le col de l’ange ?”
Il savait pas trop...
“T’as rencontré des anges ?”
“Non il m’a dit... personne...”
“Alors c’est qu’tes pas grimpé assez haut”
Il avait l’air sympa.
Il me regardait sans se foutre de ma gueule
Alors j’ai ajouté
“De toute façon tant que t’en seras pas un
t’en rencontreras pas”
Ballons 20/21 Juillet 21
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15/09/2021
Soliflore 114 - Christophe Salus
tableau de René Mazyn, tous droits réservés
Religieuse prose
Les exégèses exagèrent :
Dans ces Livres pleins de virgules,
que l’histoire a lentement essuyées,
Tout peut se voir et s’interprète,
et si l’on s’en tient au seul mot,
ce sont bien des pages glauques d’horreurs !
Et comme on peut pas faire pire
et que le délit plagiaire est proscrit :
« Écrivons nous-même notre livre sacré ! »
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23/08/2021
Soliflore 113 - Silvère Cordin
Suivre les mélodies monophoniques
Se laisser prendre par le jeu de la pluie
renoncer au reflet du miroir
le combat des astres, aux rites d'autrefois
lumineux, irradiant râles d'un sous-monde
souffles de liberté, de mains et de cœurs
proches d'un monde tempétueux qui s'ouvre.
Qui est l'inculte ? Qui est le païen de l'autre ?
Qui sera celui qui nous donnera l'avenir d'un millier d'arbres ?
Celui qui fera renaître les cendres d'une terre nébuleuse ?
peut-être,
celui qui purgera la laideur à l'intérieur de nos fibres ?
sûrement.
Qui absoudra la rage muette et indicible dans nos regards ?
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09/08/2021
Soliflore 112 - Gorguine Valougeorgis
photo de l'auteur
Dans l’obscurité
la mer au loin
fume une île brûle
consume coule une île nous
regardons les étoiles la fin
d’un monde encore
un de moins
c’est si calme ici
mon ami comme chaque
soir allume
en regardant la mer sa
cigarette
on ne laisse pas la mer
mourir seule il me dit
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15/07/2021
Soliflore 111 - Yvan Robberechts
CANCRE
Cancre…
Dix ans de mitard à buller au fond d’une classe,
suivre une plume invisible livrée au vent.
Dix ans de trous d’air et de brumes.
Dix ans à me téléporter de vagues en vagues,
ma peau sur une chaise où mes idées divaguent.
Dix ans de solitude… presque cent.
Cancre. Cancrelat, petit cafard assoupi,
déguisé en écolier, trahi par ses antennes.
Bousier indécrottable.
- « Il ne fera jamais Polytechnique » (moue navrée et entendue).
Litote, licence poétique.
Continuer à vaquer à mes songes. Envers et contre tous.
Rester focus sur la téléportation, mon petit domaine d’expertise.
- « Yvan, au tableau ! »
Calcul du périmètre d’un cercle.
Pris en flagrant délit de téléportation.
Le nez dans le pot de miel de la liberté volée, dérobée à l’institution.
Me pousse un groin entre ma chaise et le tableau.
Le maître se paie la bête. Bête à manger du foin.
Rien… Presque rien … Rien que moi et le tableau,
… Moi et ma craie, … Ma nullité et moi.
Mon groin dans la fange et ses clapots de honte.
J’aurais pu devenir mauvais, hargneux,
à boire jusqu’à la lie le jus amer de la défaite.
Moi et ma nullité on vous emmerde !!
Revendiquer cette médiocrité, étendard de mon identité enclavée.
Persister et signer. A la lame et dans le sang. Cruel à mon tour.
J’en ai eu longtemps la tentation.
Allumer les mots par la mèche et les jeter à la face
des faux-semblants, des évidences et des litotes,
faire péter le malheur et la honte.
Il a fallu se débarrasser du petit niaiseux,
…Oublier.
Plier mes antennes et mes ailes, les ranger sous le pupitre,
me désincarcérer de ce corps d’insecte,
laisser ma mue de blatte accrochée à la chaise devant mon bureau vide.
Dernier regard sur la scène de crime.
Fermer la porte.
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27/06/2021
Soliflore 110 - Isabelle Garreau
RETOUR À PECH MERLE
la pierre est chair
où vit la rhétorique magique des images
peuplant la même aspérité
mammouth buffle tigre cheval
par transparence on lit
emballement dévoration vitesse frayeur fuite et chaos chair chair
le réel se conforme à de telles objurgations
oui nous ferons des signes
nous mettrons en scène
nous manierons le symbole
nous créerons un langage vivant
nous mêlerons la salive et le sang
le pigment et les cendres
lapis et carmin régurgités
par nos sarbacanes
nous sommes la bouche
qui crache
au cortex de la grotte
ces images rétiniennes hors du temps
la camera oscura
transmute nos mains en négatif
monstration des reliques
la hyène digérée par l'ours digéré par l'image digérée par la grotte
dans son intimité suintant le souffre
un boyau retient prisonnières
les images inverses apposées
au cerveau de la grotte
on voit son œil blanc et fendu
ombres mêlées
le mammouth la biche l'aurochs la tête d'ours l'homme la femme la femme treize fois la femme le point la jument le brochet
ce langage c'est Eurydice aux Enfers
et nous voudrions en retirer quelque chose
alors nous rebroussons chemin
chemin rebroussé au-delà du texte
au-delà de la feuille
au-delà de l'articulation
par-delà les limites que nous nous sommes infligées
nous rebroussons chemin vers l'image pure
le signe vivant
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05/05/2021
Soliflore 109 - Pierre Théobald
©Heather Plew
Sucs à plaies
Ici ou là coulent leurs plaies
En cônes enroulés
Leur haché vert à apaiser
S’inhale en cautère herbacé
Ici ou là coulent leurs plaies
Contre un mur ou bien cachés
Fondre la came en suc troublé
Et par la veine les panser
En silence regards concentrés
Ô bonbon Éden à avaler
Chimie d’instants colorés
Tout éteindre et s’envoler
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04/05/2021
Soliflore 108 - Yvan Robberechts
Étude de Nuages de John Constable
Nuage...
...qui ne s'achète ni se vend
ni se soumet ni se prend
ni se contraint ni se consomme
indispensable à rien ni à personne
archives éphémère pour poète indigent,
traversé de vide, boursouflures du néant,
confluents du rêve, de la pluie et du vent
dans tes flancs vague à l'âme
dérivent les mémoires fantômes,
cartographie errante de pensées perdues,
rêves oubliés, souvenirs diaphanes,
archipel des songes, écumes filigranes
Mais bientôt les orques grondent
et roulent dans les hauts fonds de tes limbes,
percent de leur sang noir
les entrailles de tes brumes
et soufflent aux oracles du chaos
les présages à venir...
septembre 2019
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24/03/2021
Soliflore 107 - Fabienne Roitel
Depuis longtemps, que mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
m’ont donné le maillet et le ciseau, le burin et la pierre
je suis fils, artisan, compagnon en apprentissage
sans gants ni tablier
vers un lieu d’harmonie
cent fois espéré
les gestes se superposent aux leurs
pour suspendre le temps sans jamais y réussir.
Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
m’ont légué un poignet osseux, un cuir rêche, une mémoire mosaïque
je m’éloigne des berges d’un fleuve qui fut le leur, qui fut origine, qui fut fardeau
qui fut voyage
ma joue posée au creux de l’effort
mes paumes lisent la douceur comme une autre manière de s’abandonner.
Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux, ces fils de plomb
avec lesquels je me réconcilie surveillent et éclairent mon espace
de liberté.
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04/03/2021
Soliflore 106 - Fabrice Fossé
œuvre de l'auteur
En haut de la tour sur la colline
Tu touches le ciel du bout de tes doigts
Et les nuages autours de toi
Se moquent de moi
Se moquent de moi
Hivernale hivernale
Tu es mon hivernale
Tu es mon hivernale
Dans ton château au cœur de la nuit
Tel un rapace tu guettes ta proie
Et les étoiles haut-dessus de toi
Se moquent de moi
Se moquent de moi
Hivernale hivernale
Tu es mon hivernale
Tu es mon hivernale
De ton nid de glace tu souffles le froid
Un baiser du nord qui mord sa proie
Et le temps qui règne
Me dicte sa loi
Me dicte sa loi
Hivernale hivernale
Tu es mon hivernale
Tu es mon hivernale
https://www.youtube.com/channel/UC86Sn9--6L3EJsAUUM0E2Sw
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27/02/2021
Soliflore 105 - Nathaël Bethencour
photo de l'auteur
L'espoir est capital
Il a le pas rapide de la hyène, il s'offre en holocauste au grand capital.
Dieu est une ruine, sur laquelle les gargouilles tombent et se fracassent.
Les enfants ont peur du masque du corbeau, des petits Moha disparaissent.
Sur les hautes collines, les prisons de Babylone grouillent du cri des infamies.
Baladant ma carcasse et mon chapelet, je rentre en payant dans Notre-Dame.
Le spirituel est une sinistrose, l'art est une mangeoire d'usurier.
J'ai goûté de l'œil la rue du Cherche-Midi, il n'y avait que des dents blanches.
Je tournai vers la rue du Dragon pour y chercher la demeure de l'Ours Hugo.
Ma vie va aussi vite que l'échange des marchands du temple et des veaux éclatants.
J'ai hurlé dans le métro que je ne voulais pas d'argent, ils baissaient les yeux.
À la Butte Montmartre, je me suis acheté un tissu, j'en ai fait un pagne.
J'étais nu, quant au cœur du printemps, j'ai senti un oranger du Mexique, ô senteur !
Ivre de ma folie, j'ai regardé la capitale, avec l'œil de la pitié.
Je me suis allongé sur l'herbe menue, pour prier, des images d'animaux m'envahirent.
À mon réveil, l'amante inconnue me caressa, elle était de toutes les nations.
Paris c'est l'aumône du miracle !
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23/02/2021
Soliflore 104 - Isabelle Bois Cras
photo de l'auteur par Jean-Marie Cras, photographe
Plastique
Alerte !
Lèpre de la terre,
Gangrène des berges,
Interstices humanoïdes entre limon et humus,
Qui glisse ses métastases dans les dermes de nos sols.
L’indigeste plastique dégueule sur le rivage des fleuves,
Et incruste ses couleurs criardes dans l’humble nature.
Il souille,
Il tue,
Il mine la plénitude des paysages, le mystère des sous-bois,
Tranche l’équilibre des rizières et des campagnes du monde.
Des rives de l’Ouémé traversant le Bénin aux temples du Cambodge,
Des criques méditerranéennes au vert bocage normand,
Des cimes Himalayennes aux abysses Atlantiques,
Les poches volent au vent et flottent dans les courants,
Accrochant follement aux branches et aux algues leurs anses insécables.
Membranes informes…
Cancer des océans,
Magma meurtrier
De particules indestructibles,
Qui flotte entre deux mers ;
Entre La Californie et Hawaï,
Dérive la nappe immonde,
Charriée par les courants.
Le septième continent engloutit tout,
Étouffe les coraux,
Emplit les ventres des baleines,
Emmêle les tentacules des poulpes.
Plastique,
Que ce mot est comique ;
Place-tique, plassstik, plaztik, clastip,
Il saute en bouche et rebondit comme une petite farce,
Qu’il est doux, ce mot qui claque la langue et tape les dents,
Choque le palais et pousse les lèvres,
Il se moque !
Plastique,
Jamais il ne s’efface.
Quand l’homme périra,
Il disparaîtra dans un sac
Et deviendra poussière,
Le sac demeurera.
Alerte !
L’écosystème est en péril et l’équilibre bascule,
Alerte !
Sur les chemins du monde, ramassez, recyclez.
15:09 Publié dans LES SOLIFLORES | Lien permanent | Commentaires (0)
21/02/2021
Soliflore 103 - Parme Ceriset
illustration de l'auteur
L’enfant de l’aubépine
C’est un petit enfant tombé d’une branche morte,
Chassé du nid douillet de la pré-Vie.
Il est né différent, il se nourrit de roses sauvages,
Il ne sent plus les épines qui déchirent son cœur sage.
Il avance dans l’ombre mais il se bat,
Il a en lui toute l’âme du monde...
Et le feu inextinguible
De la joie.
http://parmecerisetlaplumeamazone.over-blog.com/
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