Numéro 76
Nous venons de passer le mois dit de la rentrée : bonne rentrée ! souhaite-t-on… Et la sortie, bonne sortie ? Nous usons au sens littéral de formules, elles finissent par être très polies mais que signifient-elles vraiment ? Formule, c’est joli ce mot si on n’y colle pas de chiffre après, genre formule 1 ou l’air renfermé d’un formulaire…
Et si nous profitions de la rentrée donc pour rentrer oui, véritablement, en nous-mêmes ? C’est ce que nous enseignent les cycles des végétaux qui en cette saison — de notre côté du monde en tout cas —, après avoir tout donné pour se perpétuer, laissent tomber leurs derniers fruits, dernières graines sur le sol où chacun sait ce qu’il à faire puis ralentissent le rythme, laissent redescendre la sève aux racines… Les animaux se préparent aussi pour la saison froide donc ce serait bien le moment de rentrer en soi, voir la rentrée comme un ralentissement, un approfondissement plus qu’une agitation, une accélération…
On l’oublie trop souvent : la majeure partie de ce qui se passe dans le monde, se passe d’abord en chacun de nous et on revient à la formule — abracadabra, que le feu de Dieu tombe sur toi ! — et quelle autre déité ici-bas que nous-même, qui décidons et créons, éludons ou provoquons, prévenons ou aggravons ? Sommes-nous déité de la discorde ou des récoltes ? De l’argent ou du soin ? De l’avidité ou du partage ? Ladite nature est imprévisible, oui, mais nous sommes une espèce dite intelligente et nous pouvons concevoir l’imprévisible et protéger l’essentiel. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qui est essentiel... Nous parlons de cultiver notre jardin intérieur : est-il jardin ou terrain vague plein d’ordures ? Jardin ou terre exsangue et saturée de pollution ? Jardin ou zone commerciale ? Jardin ou bunker ?
Que formulons-nous dans nos intériorités ? Quelles pensées, quelles intentions laissons-nous se densifier en nous jusqu’à ce qu’elles se matérialisent et agissent à l’extérieur ? Abracadabra ! La magie est un art du quotidien ordinaire, c’est faire bien attention à ce à quoi nous donnons formula, c’est-à-dire « forme », en latin.
La poésie est une façon de formuler le monde, qui nous imprègne, nous traverse, nous façonne et nous ensemence de l’intérieur. Un art du quotidien ordinaire.
CGC
(…) le chaos du monde n’est que la projection du chaos régnant dans chaque individu.
Jiddu Krishnamurti in L’origine de la pensée
AU SOMMAIRE
Délits de poésie :
Sandrine Davin
Jean-Louis Clarac : Poussières aimantes
Amandine Gouttefarde-Rousseau : Nagas (extraits)
Alain Nouvel : Presque riens
Josette Soulas Moyes : Des ombres et des anges (extraits)
Bruno Giffard : Écume au plus sec des tiroirs (extraits)
Où la revuiste se lâche et parle de ses trois derniers livres avec des extraits de Je l’aime nature, sorti en juillet 2023.
Comme dans chaque numéro, les Délits d’(in)citations scintillent au coin des pages et vous trouverez à la fin le bulletin de complicité avec ses beaux délits buissonniers mais pas de nouveau en cette année qui exige de se concentrer sur ce qui est déjà là.
Illustrateur : Philippe Chevillard
Auteur de BD amateur et illustrateur amateur, je consacre une partie de mon temps à la création de courtes bandes dessinées et l'illustration de textes d'auteurs pour des revues, recueils de poésie, ou affiches. Mes dessins ont été publiés aux éditions Jacques Flament, éditions des embruns, éditions Lamiroy, dans les distributeurs BDs de Short édition, ainsi que dans divers fanzines, recueils, et revues littéraires tels que : Traction Brabant, Le Soc, Le coquelicot, Poétisthme, Soleil Hirsute, La piscine, L’imagineur, L’utopie, Présences d’esprits, Lichen, Hélas, Opuscule, L’Ampoule, Caractère … https://philippechevillard.fr/
D'où vient la haine ?
D'où vient la haine
cette haine-ci
qui fuit la conscience
comme la peste
qui proscrit de la langue
la raison
qui réduit le cerveau
à un pois chiche
qui efface des yeux
la lumière
qui déracine du cœur
ce qui pourrait s'apparenter
à un sentiment
D'où vient la haine ?
qui a fermé à double tour
la porte
derrière laquelle se tiennent terrorisés
le doute
le regret
la compassion
le pardon
qui frappent et frappent
à cette porte
jusqu'à ne plus comprendre pourquoi
et s'arrêtent
convertis au désespoir
Abdellatif Laâbi
in La Terre est une orange amère
Nouveaux Délits 76 - octobre 2023 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès Illustrateur : Philippe Chevillard Correcteur : Élisée Bec