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Là-bas sur la lande
le nuage noir et mouvant
d’un vol d’étourneaux
ce frisson de ciel d’automne
fait trembler tes lèvres closesDaniel Birnbaum [1]
Daniel Birnbaum nous a quittés ce 21 septembre et ce ciel d’automne fait trembler nos lèvres closes. Daniel vivait plusieurs vies et il les traversait toutes en humaniste : la recherche médicale, la poésie, les souvenirs des lieux et des proches (son père juif polonais, la Creuse rurale de sa mère, où il fut élevé par des grands-parents aimés et aimants, la Provence…). Qu’est-ce que ça veut dire : traverser ses souvenirs en humaniste ? Peut-être ouvrir simplement ses bras, offrir ses paumes, faire un peu de place au lecteur auprès de soi, auprès des amis d’enfance, des proches disparus, des proches encore à grandir. Se placer à ce point aigu, frêle, où l’humanité point et où l’autre est accueilli autant que soi est donné. S’effacer mais être essentiel, être le passeur.
Passeur, Daniel l’a été ô combien dans son activité professionnelle de chercheur en oncologie moléculaire. Il était médecin et, très tôt, il comprit combien la recherche dite « de transfert » en cancérologie, située à l’interface entre la recherche clinique et la recherche fondamentale, était d’une importance majeure. Il a été de ceux qui ont fondé la recherche en génomique du cancer en France (les microaltérations moléculaires qui rendent les tumeurs plus agressives, notamment dans le cancer du sein).
Il aura formé auprès de lui nombre de chefs d’unité ou de professeurs d’université en activité actuellement dans ce domaine pointu, en constante évolution et marquée par l’apparition depuis quelques années des traitements dits personnalisés qui ciblent précisément les caractéristiques de telle ou telle tumeur. François Bertucci, ancien élève de Daniel Birnbaum et chef de l’unité d’Oncologie prédictive au Centre de recherche en cancérologie de Marseille, a la gentillesse de m’apporter son témoignage :
... intelligence, bienveillance, finesse, humour, simplicité, passion pour la recherche et le sport, travail, disponibilité, discrétion, enthousiasme, écoute...,
ses amies et amis poètes ne pourront que reconnaître les qualités de Daniel. Il m’avait confié toutefois, un peu doux-amer, combien son enthousiasme et ses illusions de jeune chercheur avait dû en être rabattus par l’immense difficulté de la recherche en oncologie, combien celle-ci était une affaire de petits pas, d’humilité, de travail au long cours.
Passeur humble, il le fut également en poésie, qu’il aborde sur le tard. Il aura eu un goût pour les formes courtes, avant tout le haïku et le tanka — prétendant qu’il n’avait pas le temps de faire plus du temps de sa carrière de chercheur ! Ce qui est évidemment un trait de modestie tant on sait combien difficile est le chemin à parcourir vers l’effacement de soi et de la langue pour creuser une place dans le poème où pourront se lover l’instant, le réel, le prosaïque. Il a pratiqué aussi les micronouvelles et les aphorismes dans un style plein d’humour. Il ne reculait pas devant le thème de la mort, de la guerre, de la conscience de l’impermanence qui doit nous guider en modestie, bien sûr, mais pas faire de nous des ermites loin de la cité. Humaniste, oui.
Daniel aurait voulu que le chemin de traverse entre sciences et poésie soit plus simple à parcourir. Mais il constatait combien il était délicat de partager la poésie avec le non-amateur de poésie et la science avec le non-scientifique. Il me disait donc avoir plutôt compartimenté ces deux aspects de sa vie, à regret. Je n’ose dire qu’il était sur la crête entre ces deux versants, car l’image est bien trop éloignée de sa personnalité. Non, il suivait plutôt le ruisseau de fond de vallée, ruisseau creusois aux truites fario de son enfance heureuse.
La petite
je lui apprends à chercher des champignons
puis à les reconnaître
à distinguer les bons et les mauvais
mais peut-être est-ce déjà lui en dire trop
sur notre mondeDaniel Birnbaum [2]
Repères : Daniel Birnbaum : Monde, j’aime ce monde. Collection Polder (n° 165 - 2015.) Préface Cathy Garcia. Couverture : Daniel Birnbaum.
Pierre Gondran dit Remoux : Même. Coll. Polder (n° 197 - 2023). Préface : Daniel Birnbaum. Couverture : Marie Dekerle.
On se procure ces ouvrages auprès de la revue Décharge ( 11 rue Général Sarrail - 89000 Auxerre) ou à la Boutique ouverte sur le site : ici, contre 9 € pièce. 14€ (port compris) les deux.
Autres ouvrages de Daniel Birnbaum (sélection) :
Le Cercueil à deux places, éditions Gros Textes- 2019.
Aucun angle mort. Préface de Milène Tournier. Éditions du Cygne, 2022.
Quand je serai jeune. Ed. P.i.sage intérieur - 2020.
Dessin de l'auteur
Roue de secours
C'est la machine qui prend l'homme
Les yeux rivés, le dos plié
Cardan, manivelle, courroie,
Plus serré, c'est bête de somme.
La nuque raide et les épaules
Figées, les mains sur les leviers
Les pieds meuvent le palonnier
L'homme aux commandes ; la machine
Piston, vilebrequin, rouage
Bielle, arbre à cames, engrenage
Gouverne l'oreille et l'échine
l'homme entre pression et tension.
!!!
ATTENTION ! EN RAISON DE CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES, LE NUMÉRO D'OCTOBRE SORTIRA EN NOVEMBRE ET LA REVUE CHANGE ÉGALEMENT D'ADRESSE POSTALE, PLUS D'INFOS PAR MAIL BIENTÔT.
Quelques-uns des poèmes publiés dans le numéro 78, paru en avril 2024.
Lus par Cathy Garcia Canalès.
En savoir plus sur ce numéro :
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/archive/2024/03/30/nouveaux-delits-n-78-6492008.html
Nouveaux Délits publie 3 numéros par an (janvier, avril et octobre) de 52 pages. Il y a toujours beaucoup d'auteurs en attente, aussi si vous souhaitez proposer des textes, soyez très patients, merci. Envoyez-les par mail uniquement, nouveauxdelits arobase orange.fr, une dizaine (pas plus). Ne soyez pas déçus si vos textes ne sont pas retenus, il m'est impossible de publier tout le monde, il s'agit de choix subjectifs et non d'un jugement de valeur.
Les Soliflores sont des publications de texte unique en ligne sur ce blog, ils sont complémentaires à la revue. Ils permettent la visibilité d'auteurs qui ne seront pas publiés ou republiés (ce qui est très rare) dans l'immédiat dans la revue papier (recyclé depuis la naissance de la revue en 2003). Il est préférable de lire au moins un numéro de la revue pour voir à quoi elle ressemble et avoir une idée de l'esprit qui l'anime. Vous pouvez aussi, bien entendu, vous abonner, en demandant par mail un bulletin de complicité ou voir ici : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/s-abonner Il va de soi qu'il n'y a pas de favoritisme pour les auteurs abonné-e-s, les délais de publication restent les mêmes.
La revue accueille toujours avec plaisir de nouvelles-nouveaux, illustratrices-illustrateurs (un-e par numéro), n'hésitez pas à me contacter (par mail).
Cathy Garcia Canalès, coupable responsable et femme orchestre (éditrice, comité de lecture, maquettiste, secrétaire, service communication, attachée d'imprimante, agrafeuse, colleuse de timbres, plieuse de couverture, posteuse, service après réception...). Depuis quelques années, le correcteur de la revue est Élisée Bec que je remercie infiniment.
Photo de l'auteur
J'abandonne la structure,
je renie tout amarre,
brise le silence
comme d'autres brisent le cercle -
et je rejoins
la joyeuse anarchie de l'herbe.
Je suis égal au signe égal.
La Tamise à Twickenham (photo de l'auteur)
FLEUVE
Belle artère
Lumières somptueuses
Terres et eaux mélangées
Poudre d’original
Gris, verts, jaunes se fondent
Je te connais
Comme un connaît
Un humain
Un ami
Un amant peut-être
Dont on suit les courbes
Les éclats sur la peau
Les envies de plonger
Dans les creux
À la source
Je te connais si peu
Mais j’arpente les ponts
Qui enjambent ton flot
À l’abri
De tes colères et tes passions
Je cherche
Le désir de voyage
Lorsque le soleil
Rejoint tes eaux
Là-bas, là-bas j’irai
Il me rejoindra
Près du château
Le même air
Nous respirerons
Comme sur ma peau
Le désir passe
Le désir s’écoule
Entre les îles
Mamelons et refuges
Rythmes des marées
Paysages
Toujours changeants
Improvisations des éléments
Jazz, swingue, valse
Près du fleuve
Les corps se rencontrent
Je ne te connais pas
Pas vraiment
Mais tu me fais rêver
Un rêve fou de nature-mère
Aimante et passionnée.
Cet édito ne m’est pas aisé car j’ai perdu les mots. Cela arrive et ce n’est pas grave même si la cause en est un excès de maux qui dépasse la capacité — même pour une poète bien noire comme je peux l’être — d’assimilation et de transmutation, et ce n’est pas la démence épuisante des décideurs du monde qui va me faire retrouver l’art des mots pirouettes.
J’ai perdu les mots mais les silences font des trous dans le temps, plongent au plus profond de sources insoupçonnées et ramènent dans leurs filets tendus à vif, une poignée de sable : l’essence de soi et des vibrations qui tournent autour des anciens mots, forment un tourbillon et les décapent jusqu’à l’os. Le reste est à brûler, brûler pour renaître, libre des mots radotés, des mots enkystés, des mots qui nous entravent, nous enferment dans les cachots de nos histoires.
Et après le labeur des silences, viendront les mots nouveaux, les mots graines.
CGC
Toute parole est là pour séduire la mort.
Anne Jullien
AU SOMMAIRE
Délits de poésie :
Jean-Jacques Camy
A. Celnetz, poèmes du temps de la Quarantaine
Alain Lasverne, Rue Révolution
Yve Bressande
Ahmed Elalfy
Marine Giangregorio
Estelle Cantala, Bain de nuit – 4 au champ (extrait)
Délits d’(in)citations, l’écho au fond du puits au-dessus duquel tout poème se penche. Et vous trouverez le bulletin de complicité au fond en sortant toujours émerveillé de trouver encore et encore lui aussi un écho parmi vous.
Illustratrice : Alissa Thor
« Je peins pour que vous vous arrêtiez, pour aller vers vous, pour faire face. Je peins pour que les mots viennent, et la douceur, et la violence, et les corps tout ensemble. Je peins pour que quelque chose se passe. Quelque chose entre nous, d’intime et de sauvage. »
Son site : https://alissathor.wixsite.com/alissathor
fleurs de prunier blanches
et cette nuit qui devient
la lueur de l'aube
Buson
Nouveaux Délits 78 - Avril 2024 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Femme orchestre : Cathy Garcia Canalès Illustratrice : Alissa Thor Correcteur : Élisée Bec — http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com
Johann Oberhauser, " Boussole de mine", 1777- photo©Jean-Claude Bérizzi
Héritage
Parfois je me lève la nuit
Compte les deniers, compte les soucis
Rafistole la carte, et
Partage mon royaume en parts égales
Ma boussole, comme d'habitude
Pointe à l'Est
Je révise mes verbes d'état
Vire à l'Ouest
Ils ne connaissent pas mes airs
Comment me reconnaîtront-ils ?
Heureusement, j'ai encore mes drôles de manières
Deux pots de yaourt, et un fil
Je laisserai en héritage de quoi porter chance
Quelques réflexions intéressantes
Deux grands-mères souffrantes
Et, bien sûr, mes gris-gris d'un autre âge
Quelques extraits de ce numéro paru en janvier 2024, lus par Cathy Garcia Canalès.
Une collection de poésie hors norme, des pièces uniques, fabriquées avec de l'inspiration spontanée, du papier, de la colle & des ciseaux : à l'époque du tout virtuel, décalage revendiqué !
Un poème unique de Cathy Garcia Canalès, fruit d'une contrainte que l'auteur s'impose à elle-même.
Les cartes double sont disponibles à la pièce ou sous forme d'abonnement : une carte par mois pendant 6 mois ou un an et donc là c'est la surprise à chaque fois !
Ce sont des cartes doubles (qui s'ouvrent donc) au format 10,5 x 15 cm, chacune est signée et numérotée.
10 € à la pièce port compris
Abonnement soutien 6 mois : 50 €
Abonnement soutien 12 mois : 80 €
Elles sont vendues en soutien à l'association Nouveaux Délits.
Vous pouvez voir et choisir ci-dessous parmi les cartes disponibles de la collection :
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hors série
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L’auteur :
Josette Soulas Moyes est née le 25 décembre 1942, dans une banlieue proche de Paris, Issy-les-Moulineaux, mais le changement de vie de sa mère l’amena en Normandie, à l’âge de quatre ans. Elle n’a jamais été publiée, mais a toujours gardé un contact avec l’écriture, « petits papiers », porteurs de poèmes et d’histoires courtes, perdus, déchirés, retrouvés… Elle a suivi plusieurs ateliers d’écriture et depuis sa retraite, elle a consacré plus de temps et de travail à l’écriture. Elle a formulé, d’une façon qui l’a surprise elle-même, l’enjeu que représente ce chemin : « se réconcilier avec sa vie ». Sa vie, elle la partage entre l’Alsace (Strasbourg) et la Provence (Vaucluse-Ventoux).
L’illustrateur, Philippe Chevillard
« Auteur de BD amateur et illustrateur amateur, je consacre une partie de mon temps à la création de courtes bandes dessinées et l'illustration de textes d'auteurs pour des revues, recueils de poésie, ou affiches. Mes dessins ont été publiés aux éditions Jacques Flament, éditions des embruns, éditions Lamiroy, dans les distributeurs BDs de Short édition, ainsi que dans divers fanzines, recueils, et revues littéraires tels que : Traction Brabant, Le Soc, Le coquelicot, Poétisthme, Soleil Hirsute, La piscine, L’imagineur, L’utopie, Présences d’esprits, Lichen, Hélas, Opuscule, L’Ampoule, Caractère … »
https://philippechevillard.fr/
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28 pages agrafées
tirage numéroté
imprimé sur papier 90 g & 250 g calcaire
100 % recyclé
cliquez sur l'image pour l'agrandir
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Délits buissonniers
est une collection de tirés à part
de la revue Nouveaux Délits
Vous pouvez lire Josette Soulas Moyes
dans le numéro 46 (octobre 2023)
©Caroline Cavalier
Brouillon d’une solitude
silence d’un corps
robe à fleurs en souvenir
d’une épaule souple
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L’autre côté d’une nuit
plaine aux lèvres fendues
la carcasse d’une Bentley
où commence la ville
mon père est mort
samedi
pas hier ni ce matin
samedi dernier
mon père est mort
contre sa volonté
mon père est mort
fin des disputaisons
mon père est mort
Basta
mon père est mort
exit la peur
la trouille
l'esquive
mon père est mort
fini terminé
stop pas de replay s'il me plait
out dehors circulez
mon père est mort
il y a un longtemps un temps infini
pas hier ni samedi
mon père est mort
pour l'éternité
mon père est mort
mort mort mort mort
en boucle
mon père est mort
et pas enterré
je n'irai pas vérifier
mon père est mort
pas saint
ni de corps ni d'esprit
mon père était déjà mort
pour toujours
mon père est mort
avec ses dossiers ses combines
ses coups montés ses magouilles ses complots
ses menteries ses manigances ses coups bas ses fantômes
sa réalité
mon père est mort
faussaire à temps plein
mon père est mort
à l'hôpital comme les autres
pas de favoritisme
mon père est mort
avec ses sacs de noeuds
mon père est mort
mon géniteur est décédé
mon paternel a passé l'arme à gauche
son petit papounet est parti au ciel
mon père est mort
pas de quartier
mon père est mort
paix à mon âme
photo de l'auteur
Je dis « je », mais cette douleur n’est pas que la mienne. / Je dis « je » et le fil de la douleur circule dans nos corps et dans nos âmes. /Lien électrique, positif ou négatif qui relie ou délie ou délie/relie les êtres humains, les êtres tout court, ou qui nous sommes. Nous (dés)humains. Nous qui cherchons à le rester/humain.es./
Je dis « je » mais je est celle ou celui qui le dit.//Transmission des douleurs, guerres et traumas, de ce qui ne semble s’arrêter jamais./Et guerres encore.//Transmission de la cruauté du monde, des mots dits et non-dits (et je voudrais parfois effacer tous les mots, pour les recréer autrement, le langage qui se tord, mais ça ne marche pas, alors encore dire)//Le sensations qui épuisent et vident le corps lorsque la violence ailleurs s’accroit, encore et encore//
Je dis « je » à qui un tant soit peu se reconnaîtra/ ou qui voudra ou qui pourra//se saisir de quelque chose de notre histoire, de nos histoires, quelque chose capable pourtant de circuler et d’éclairer magmas et chaos, dans l’ombre des inhumaines douleurs, non dites, brutales et agressives, et mortifères ou meurtrières//Je dis « je » pour que quelque chose résonne encore, toucher nos corps, nos cœurs. Je dis « je » comme un je qui s’éloigne, sans disparaître pourtant. Pour dire non, à ce qui encore nous détruit, nous (humain.e.s)
2024
©Karol Eibl
Aucune vie ne ressemble à une autre et la douleur n’est pas toujours visible, quantifiable, sauf quand elle est si collective qu’on ne peut plus l’ignorer. Aucune vie ne ressemble à une autre, certaines sont tellement pleines de ces épreuves qui jettent à terre, rouent de tant de coups que cela semble n’avoir plus aucun sens. Les épreuves cependant qui nous tordent, nous forgent de l’intérieur jusqu’à parfois toucher la grâce. Toujours au bord pourtant de basculer, grâce ou folie, la frontière est si fine. En ce début d’année où il est de coutume de souhaiter et s’entre souhaiter, mes pensées vont vers toutes celles et ceux qui souffrent dans leurs corps, dans leurs têtes, dans leur vies, dans le corps des êtres qui leur sont chers. Mes pensées se ruent vers celles et ceux qui vivent dans la peur, la terreur, l’horreur, celles et ceux qui sont accablé-e-s par les injustices, celles et ceux qui éprouvent une solitude inhumaine, celles et ceux qui ont le cœur en miettes, l’âme mutilée, celles et ceux qui sont oubli-é-e-s, piétiné-e-s, humili-é-e-s, écrasé-e-s, broyé-e-s, perdu-e-s, poussières… Et je me souhaite — car qui suis-je pour dire à d’autres ce qui leur est nécessaire ? — je me souhaite, donc, le courage de garder dignité quoiqu’il arrive et le sens du respect, la volonté d’être juste, d’accepter ce qui en moi est fragile et blessé, ce qui chemine dans les ténèbres et la force d’endurer ce qui me tord, me forge, me polit et qui, peut-être à la longue, finira par me sublimer. Aucune vie ne ressemble à une autre mais la vie est une seule et même énergie qui nous traverse, nous anime, qui que nous soyons, où que nous soyons : humains, animaux, végétaux et même, à leur façon, les pierres de cette Terre qui n’en peut plus de nous. C’est ce que je ressens au plus profond de moi. Tout est vibration, tout porte un message alors je voudrais veiller toujours mieux à celui que moi-même je porte et transmets à travers mes pensées, mes choix, mes actions, mes mots, mes cellules… Veiller sur les causes car il est toujours trop tard quand il s’agit de réparer de néfastes conséquences… J’essaie de ne pas me décourager trop vite ou trop longtemps. Aucune vie ne ressemble à une autre, que chacune soit belle et sereine comme un lever de soleil, un chant d’oiseau à la nuit tombée, un vin d’amour à partager.
CGC
Étant donné que nous avons des cellules qui sont les filles des premières cellules de la vie, nous avons en nous de façon singulière toute l'histoire de la vie... nous avons l'univers en nous.
Edgar Morin
AU SOMMAIRE
Délits de poésie :
ᕱ Michel Abécassis
ᕱ Alain Flayac
ᕱ Judith
ᕱ Alexandre Poncin
ᕱ Erwan Gourmelen
ᕱ Marianne Duriez
ᕱ Oriane Barbey
Résonance (profonde) : Kogis, le chemin des pierres qui parlent, Éric Julien (Actes sud, coll. Voix de la Terre, 2022).
Délits d’(in)citations au coin des pages en réflexion. Vous trouverez le bulletin de complicité toujours au fond en sortant avec des étoiles plein les poches !
Grâce à vous, abonné-es et lectrices, lecteurs d’un numéro ou deux, il résiste aux tempêtes inflationnistes et vous en remercie chaleureusement !
Illustratrice : Corinne Pluchart
cheminant toujours en poésie, en bleu, en indicible. Pas de langue autre qu'en poésie. Et la peinture pour la chair, la vibration et la légèreté. Et toujours en terre bretonne.
Bon à savoir : la revue Nouveaux Délits utilise l’écriture inclusive (qui ne portait pas encore de nom mais existait déjà) depuis au moins le n°42, c’est-à-dire avril 2012…
Même dans les périodes les plus sombres, nous sommes en droit d’attendre une certaine lumière. Et il est très probable qu’elle ne viendra pas tant de théories ou de concepts, mais de la lumière incertaine, vacillante, souvent faible, que certains hommes et femmes, au cours de leur vie et de leur travail, auront allumée dans toutes sortes de circonstances, la répandant sur le temps qu’il leur a été donné de passer sur terre.
Hannah Arendt
Nouveaux Délits 77 - Janvier 2024 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès Illustrateur : Corinne Pluchart Correcteur : Élisée Bec
Si je dois mourir
tu dois vivre
pour raconter mon histoire
pour vendre mes effets
et acheter une étoffe
et quelques ficelles
(une étoffe blanche avec une longue traîne)
pour qu'un enfant quelque part à Gaza
en regardant le paradis dans les yeux
guettant son père parti dans un brasier
sans dire adieu à personne
pas même à sa chair
pas même à lui-même
voie le cerf-volant, mon cerf-volant tout là-haut
que tu auras fabriqué, volant tout là-haut
et pense un instant qu'un ange est là
ramenant l'amour
Si je dois mourir
fais que cela apporte de l'espoir
que ce soit un conte
Refaat Al Areer, poète palestinien, professeur de littérature anglaise, mort à Gaza sous les bombes dans la nuit du 7 au 8 décembre.
NON À LA GUERRE, À TOUTES LES GUERRES ! STOP !
Photo de l'auteur
Cessez – je ne vous entends plus
vos mots n’atteignent plus mes oreilles
cessez – je ne vous vois plus
vos images ne brûlent plus mes yeux
Sur les grèves du jour le chant du merle
fait l’inventaire de ce qui déjà n’est plus
Cessez – que le vent emporte votre vide
l’homme qui vous parle est d’un autre pays
l’impure a coulé dans ses veines
il se soigne au silence de l’exil
Jusque sous mes fenêtres à mes pieds
un ressac dépose le monde perdu
Cessez – il n’est plus temps de vos jérémiades
plus temps de vos courtisanes courbettes
le monstre au dos rond que vous entretenez
nous cherche des poux sur la tête jusqu’au sang
J’aménage une maison sur l’écume de l’aube
et à l’éveil de ma peau le monde de demain
Cessez – je n’ai plus d’oreille pour vous
bien trop souvent mes yeux m’ont menti
à tâtons pas à pas par les sens j’éprouve
et des êtres et des choses la vulnérabilité
Le futur est le temps de tous les rendez-vous
alors cessez je vous y attendrai au tournant
Quelques extraits de ce numéro sorti en octobre 2023, avec des textes de Sandrine Davin, Jean-Louis Clarac, Amandine Gouttefarde-Rousseau, Alain Nouvel, Josette Soulas Moyes, Bruno Giffard, Cathy Garcia Canalès & un poème d'Abdellatif Laâbi. Morceaux choisis et lus par Cathy Garcia Canalès.
Nous venons de passer le mois dit de la rentrée : bonne rentrée ! souhaite-t-on… Et la sortie, bonne sortie ? Nous usons au sens littéral de formules, elles finissent par être très polies mais que signifient-elles vraiment ? Formule, c’est joli ce mot si on n’y colle pas de chiffre après, genre formule 1 ou l’air renfermé d’un formulaire…
Et si nous profitions de la rentrée donc pour rentrer oui, véritablement, en nous-mêmes ? C’est ce que nous enseignent les cycles des végétaux qui en cette saison — de notre côté du monde en tout cas —, après avoir tout donné pour se perpétuer, laissent tomber leurs derniers fruits, dernières graines sur le sol où chacun sait ce qu’il à faire puis ralentissent le rythme, laissent redescendre la sève aux racines… Les animaux se préparent aussi pour la saison froide donc ce serait bien le moment de rentrer en soi, voir la rentrée comme un ralentissement, un approfondissement plus qu’une agitation, une accélération…
On l’oublie trop souvent : la majeure partie de ce qui se passe dans le monde, se passe d’abord en chacun de nous et on revient à la formule — abracadabra, que le feu de Dieu tombe sur toi ! — et quelle autre déité ici-bas que nous-même, qui décidons et créons, éludons ou provoquons, prévenons ou aggravons ? Sommes-nous déité de la discorde ou des récoltes ? De l’argent ou du soin ? De l’avidité ou du partage ? Ladite nature est imprévisible, oui, mais nous sommes une espèce dite intelligente et nous pouvons concevoir l’imprévisible et protéger l’essentiel. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qui est essentiel... Nous parlons de cultiver notre jardin intérieur : est-il jardin ou terrain vague plein d’ordures ? Jardin ou terre exsangue et saturée de pollution ? Jardin ou zone commerciale ? Jardin ou bunker ?
Que formulons-nous dans nos intériorités ? Quelles pensées, quelles intentions laissons-nous se densifier en nous jusqu’à ce qu’elles se matérialisent et agissent à l’extérieur ? Abracadabra ! La magie est un art du quotidien ordinaire, c’est faire bien attention à ce à quoi nous donnons formula, c’est-à-dire « forme », en latin.
La poésie est une façon de formuler le monde, qui nous imprègne, nous traverse, nous façonne et nous ensemence de l’intérieur. Un art du quotidien ordinaire.
CGC
(…) le chaos du monde n’est que la projection du chaos régnant dans chaque individu.
Jiddu Krishnamurti in L’origine de la pensée
AU SOMMAIRE
Délits de poésie :
Sandrine Davin
Jean-Louis Clarac : Poussières aimantes
Amandine Gouttefarde-Rousseau : Nagas (extraits)
Alain Nouvel : Presque riens
Josette Soulas Moyes : Des ombres et des anges (extraits)
Bruno Giffard : Écume au plus sec des tiroirs (extraits)
Où la revuiste se lâche et parle de ses trois derniers livres avec des extraits de Je l’aime nature, sorti en juillet 2023.
Comme dans chaque numéro, les Délits d’(in)citations scintillent au coin des pages et vous trouverez à la fin le bulletin de complicité avec ses beaux délits buissonniers mais pas de nouveau en cette année qui exige de se concentrer sur ce qui est déjà là.
Illustrateur : Philippe Chevillard
Auteur de BD amateur et illustrateur amateur, je consacre une partie de mon temps à la création de courtes bandes dessinées et l'illustration de textes d'auteurs pour des revues, recueils de poésie, ou affiches. Mes dessins ont été publiés aux éditions Jacques Flament, éditions des embruns, éditions Lamiroy, dans les distributeurs BDs de Short édition, ainsi que dans divers fanzines, recueils, et revues littéraires tels que : Traction Brabant, Le Soc, Le coquelicot, Poétisthme, Soleil Hirsute, La piscine, L’imagineur, L’utopie, Présences d’esprits, Lichen, Hélas, Opuscule, L’Ampoule, Caractère … https://philippechevillard.fr/
D'où vient la haine ?
D'où vient la haine
cette haine-ci
qui fuit la conscience
comme la peste
qui proscrit de la langue
la raison
qui réduit le cerveau
à un pois chiche
qui efface des yeux
la lumière
qui déracine du cœur
ce qui pourrait s'apparenter
à un sentiment
D'où vient la haine ?
qui a fermé à double tour
la porte
derrière laquelle se tiennent terrorisés
le doute
le regret
la compassion
le pardon
qui frappent et frappent
à cette porte
jusqu'à ne plus comprendre pourquoi
et s'arrêtent
convertis au désespoir
Abdellatif Laâbi
in La Terre est une orange amère
Nouveaux Délits 76 - octobre 2023 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès Illustrateur : Philippe Chevillard Correcteur : Élisée Bec
à tire d’aile, septembre 2023
Chaque tome fait 52 pages agrafées comme le premier
imprimé sur papier recyclé 80 g et 250 g calcaire pour la couverture
chaque exemplaire est numéroté et signé
avec dans le tome 2, deux illustrations originales de François Pouch
12 € chaque nouveau tome
+ port pour un tome : 2,50 €
pour deux : 4 €
Offre spéciale pour les trois tomes : 40 € port compris
Pour commander voir en fin de revue
Je n'aurais jamais pu le prévoir, mais voilà :
la revue Nouveaux Délits a eu 20 ans le 1er juillet ! Dingue !
Merci à toutes celles et ceux qui la soutiennent et y ont contribué d'une façon ou d'une autre !
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NOUVEAUX DÉLITS
Revue de poésie vive et dérivés
– Numéro zéro -
juillet 2023
Voilà le point de départ de cette revue qui se lance, à l’eau ou par la fenêtre comme on voudra, l’essentiel étant l’élan, l’impulsion, l’envie de faire. Faire réfléchir plus que plaisir, faire connaissance, faire le lien entre tous et chacun, pourvu qu’il soit avide de paroles, fraîches ou chaleureuses c’est selon, mais dans tous les cas vivantes.
Les auteurs sont lecteurs, les lecteurs auteurs et chacun contribue ainsi à poétiser le monde.
Poétiser : nettoyer les regards de la poussière du conformisme ambiant, goûter des saveurs nouvelles. Nouveaux Délits aime les mélanges, les différences, les mots qui dérangent, qui grattent, qui démangent, pour ne pas céder au sommeil qui dissout les consciences.
Nouveaux Délits à inventer, à commettre ensemble. Poétiser est un acte, pas un luxe.
Soyez à l’écoute du vent qui passe, ignorant les frontières, colporteur de bonnes et mauvaises nouvelles. Confiez-lui vos textes, vos poèmes, vos délires, il en fera peut-être de la matière à Nouveaux Délits.
"Un poète doit laisser des traces de son passage, non
des preuves. Seules les traces font rêver"
René Char
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Un audio un peu plus en forme radiophonique, j'innove pour ce n°75.
Voici donc quelques-uns des poèmes & textes de Marie-Florence Ehret, Alain Simon, Marie-Françoise Ghesquier, Pierre Gondran dit Remoux, Marie Tavera, Daniel Quérol Bonhomme et Cathy Garcia Canalès, publiés dans ce n°75 sorti en avril 2023 et présentation de ce numéro. Extraits choisis et lus par Cathy Garcia Canalès. Illustrations de ce numéro : Anouk Rugueu.
Photo d'un tableau d'Andrée peinte par son mari
Je voudrais t’entourer de mon âme,
Tenir loin de toi tout le mal,
T’abriter comme au creux d’une lame
En mon cœur dont l’amour n’a d’égal.
Tu es mien au-delà de mon être,
Mon enfant, mon aimé, ma douceur :
C’est par toi que l’espoir peut renaître
À mes yeux désertés de lumière.
Tu es l’ange, la source, l’origine
De mon si douloureux parcours :
Je t’appartiens, c’est toi qui me dessines
La voie vers la beauté des jours.
C’est par toi que j’existe et perdure
Traversant les méandres du temps :
Tu es ma joie, ma folie, mon délire,
Tu me rends l’infini des instants
Andrée Buchet née BIVORT, le 24 décembre 1922 à Luxembourg, est une poétesse luxembourgeoise. Elle écrit chez elle toute sa vie, dans l'intimité du foyer qu'elle partage avec son mari, Boris Buchet, peintre de l'école de Paris.
"J'arrivais pour étudier les lettres et la philosophie à La Sorbonne. C'était en 1946. C’était très dur après la guerre, mais malgré toute cette misère physique qui a encore duré des années, les gens étaient exaltés, on avait des ailes. Je l’ai rencontré dans le train pour venir à Paris, un garçon de la rue où j'avais grandi. J’étais forcée d’écrire. Je n’aurai jamais choisi d’écrire. Quelqu’un m’aimait très fort, ce qui a déclenché en moi une urgence. Ce poème m'a été dicté. Un soir, j’étais dans mes papiers à étudier et j’ai dû l'écrire. L’amour m’a toujours fait écrire. Par la suite, d’autres amours ont alimenté cette écriture, différemment. Lui, était resté. Même après sans être allé, il était resté d’un amour qui a duré toute la vie, toujours aussi profond. Je crois que chacun d'entre nous contient les deux sexes, Platon le disait et, on cherche constamment à retrouver cette part de nous. Cela donne un grand bonheur de retrouver cette moitié, de se sentir complet et vaste comme cet amour. On ne peut pas vivre sans amour."
Ce qu’il y a de fascinant dans les nouvelles de Cortázar, très représentatives du réalisme fantastique de la littérature latino-américaine, c’est qu’elles partent quasi toujours du quotidien, de situations des plus banales et puis, comme si la réalité commune n’était protégée que par un voile extrêmement ténu, soudain par une brèche, une faille, une déchirure, elle est envahie ou insidieusement pénétrée par d’autres réalités bien plus sombres et menaçantes où évoluent des créatures dangereuses, effrayantes ou pire encore. Elles montrent à quel point notre normalité, finalement, tient à peu de chose et qu’un rien peut nous faire basculer dans la folie, attiser nos pulsions les plus obscures, les plus animales, comme la statuette qui rend fou et sanguinaire dans L’idole des Cyclades et Les ménades où un chef d’orchestre paye cher et probablement en chair, son moment de gloire, quand le concert classique se transforme en orgie carnassière, sous la conduite d’une femme vêtue de rouge. Le talent de Cortázar n’est plus à démontrer et bien que les nouvelles de Gîtes, dont certaines figurent également dans d’autres recueils, commencent à dater — première parution chez Gallimard en 1968 — elles n’ont pas pris une ride. Elles se lisent avec toujours autant d’intérêt, de frissons et de plaisir. Une des plus notables, c’est sans doute N’accusez personne. Un homme enfile un pull, situation que nous avons tous connu, ça serre un peu, on se débat, on cherche la sortie, lui n’en ressortira pas vivant. Cette nouvelle, très simple en apparence, est d’une efficacité redoutable. Dans le registre légèrement surréaliste, il y a encore Céphalée où un couple d’éleveurs subit les symptômes de tous les terrains homéopathiques, sur fond d’élevage de bêtes étranges, fragiles et apparemment répugnantes : les mancuspies. Il y a cet homme aussi dans Lettre à une amie en voyage qui vomit des petits lapins. Dans Maison occupée, un frère et une sœur vivent seuls dans une vaste demeure familiale, mais peu à peu sont obligés de se retrancher dans un espace de plus en plus restreint, jusqu’à devoir quitter la maison. Le talent de Cortázar est l’art de rendre palpables les tensions, sans besoin d’expliquer quoi que ce soit, souvent les situations virent à l’absurde mais un absurde si noir qu’il est difficile d’en rire. Parfois, les nouvelles ressemblent à des souvenirs d’enfance, elles ont cette ambiance un peu douce et délavée des anciens albums photos où transparaît sans qu’on s’y attende, la cruauté. Pas mal de nouvelles se construisent aussi autour des rêves, des prémonitions, comme Récit sur un fond d’eau, Dîner d’amis ; de la perméabilité des frontières entre la vie et la mort, comme cet enfant qui pleure derrière La porte condamnée d’une chambre d’hôtel, scène qui pourrait tout à fait figurer dans un film d’horreur japonais et puis dans Le fleuve, une nouvelle particulièrement cynique autour du couple, ainsi que dans Autobus, où deux réalités s’ interpénètrent le temps d’un parcours en autobus, au plus grand effroi de deux des passagers qui n’ont pas de bouquet de fleurs et ne descendent pas au cimetière.
Cette nouvelle d’ailleurs fait penser à une autre excellente nouvelle qui se déroule dans un tramway : Les vautours, de l’auteur bolivien Oscar Cerruto dans Cercle de pénombre. Pour les aficionados comme moi de ce genre de littérature, on ne saurait trop conseiller l’anthologie Histoires étranges et fantastiques d’Amérique latine parue chez Métailié en 1997, où l’on peut retrouver deux nouvelles de Cortázar : N’accusez personne et Apocalypse du Solentiname. Un auteur à découvrir également, uruguayen, si ce n’est déjà fait : Horacio Quiroga, avec notamment ses Contes d'Amour, de folie et de mort.
Cathy Garcia Canalès
Julio Florencio Cortázar Descotte est né le 26 août 1914 à Ixelles, banlieue de Bruxelles où travaille son père puis la famille retourne à Buenos Aires, dès la fin de la Première Guerre mondiale. Le père abandonne la famille. L'enfant, fréquemment malade, lit des livres choisis par sa mère, dont les romans de Jules Verne. Après des études de lettres et philosophie, restées inachevées, à l'université de Buenos Aires, il enseigne dans différents établissements secondaires de province. En 1932, grâce à la lecture d'Opium de Jean Cocteau, il découvre le surréalisme. En 1938, il publie un recueil de poésies, renié plus tard, sous le pseudonyme de Julio Denis. En 1944, il devient professeur de littérature française à l'Université nationale de Cuyo, dans la province de Mendoza. En 1951, opposé au gouvernement de Perón, il émigre en France. Il travaille alors pour l'UNESCO en tant que traducteur. Alfred Jarry et Lautréamont sont d'autres influences décisives. Il s'intéresse ensuite aux droits de l'homme et à la gauche politique en Amérique latine, déclarant son soutien à la Révolution cubaine (tempéré par la suite : tout en maintenant son appui, il soutient le poète Heberto Padilla) et aux sandinistes du Nicaragua. Il participe aussi au tribunal Russell. La nature souvent contrainte de ses romans, comme Livre de Manuel, modelo para armar ou Marelle, conduit l'Oulipo à lui proposer de devenir membre du groupe. Écrivain engagé, il refuse, l'Oulipo étant un groupe sans démarche politique affirmée. Naturalisé français par François Mitterrand en 1981 en même temps que Milan Kundera, il meurt le 12 février 1984 à Paris. Sa tombe au cimetière du Montparnasse est un lieu de culte pour des jeunes lecteurs, qui y déposent des dessins représentant un jeu de marelle, parfois un verre de vin. L'œuvre de Julio Cortázar se caractérise entre autres par l'expérimentation formelle, la grande proportion de nouvelles et la récurrence du fantastique et du surréalisme. Si son œuvre a souvent été comparée à celle de son compatriote Jorge Luis Borges, elle s'en distingue toutefois par une approche plus ludique et moins érudite de la littérature. Avec Rayuela (1963), Cortázar a par ailleurs écrit l'un des romans les plus commentés de la langue espagnole. Une grande partie de son œuvre a été traduite en français par Laure Guille-Bataillon, souvent en collaboration étroite avec l'auteur.
Tableau de Monet - photo de l'auteur
d’une écriture -
« Jamais
tu n’y parviendras »
Ton corps prostré (convoité) comme refuge
Tes mains embaumées de promesses
Tes yeux comme éclairés de
SOLITUDE
Le refus que tu portes
Comme refuge
En signature du manque
Sera la clé de l’écluse invisible
(Depuis) toujours
Une même énigme :
Sauver ce qu’il y meurt
Ou ce qu’il reste à vivre
et l’homme :
ce trou inconsolable
qui contient sa trace
Cerner l’espace de deux silences
Je remonte d’un abysse
Rien ne me promet l’ascension
Il suffit de grimper
à l’échelle d’un manque
©Sergey Meytuv
Mon amour quand on sera riches
Mon amour, quand on sera riches
et qu’on sera déconfinés,
on prendra l'autoroute en fleurs
le matin dès potron-minet
et la 206 chauffera.
Sur une aire standardisée
au self-service on se rendra
où il y a plein de desserts
industriels et très sucrés.
Des cuisiniers en toque en toc
nous y serviront quelques frites
et puis ces cuisses de poulet
dont on mange même les os.
Là-bas, nous serons des rois,
assis à la table en faux bois
sous des poutres en polystyrène
on boira notre café crème.
Comme le moteur refroidit,
à Ouistreham on poussera,
où on verra les car ferries,
on écoutera en anglais
les haut-parleurs des compagnies
dire des mots qu’on comprend pas.
On rêvera de l'Amérique
en buvant une soupe aux huîtres.
Et puis on reviendra chez nous,
par la route aux ronds-points relous
pour économiser les sous
tout en prenant des raccourcis
loin des radars et des soucis.
Mon amour, quand on sera riches,
on dormira au Sofitel
dans les environs de Paris.
Et on prendra le RER
pour voir de plus près Disneyland.
Comme c’est trop cher l’entrée
on tournera autour des grilles
et on entendra les flonflons
des boîtes à rêve et à musique.
On marchera sur des chemins
parmi les champs de betterave
en contemplant de loin les tours
de plastique et de carton-pâte
les attractions multicolores.
Ce sera l'été, il fait doux,
on fera l'amour dans un bois
en écoutant les haut-parleurs
des grand huit, autos tamponneuses,
et des petits trains de la mort.
Il y aura le brouhaha
lointain des enfants qui rient, on
aura profité de tout ça
sans rien payer tant mieux tant mieux
ça nous rendra heureux, heureux.
On terminera le séjour
dans un F1 au lit friable
et puis on se mettra à table
au Mac Do au KFC
son vieux barbu qui vous sourit
comme un Joseph de cathédrale.
On lui répondra tendrement
en buvant notre Kronenbourg.
On rotera tout en songeant.
Mon amour, quand on sera riches,
on soutiendra nos libidos
en allant dans des club SM.
On y trouvera quelques vieux
qui se fouettent en disant « Je t’aime »
puis toute une armée de soumis
qui draguent en geignant : « Maîtresse »
et ils te montreront leurs fesses,
que tu punisses à l’envi.
Ils pleurent à tes pieds : « Madame,
châtiez-moi, je suis infâme. »
Quelque éléphant du socialisme
des professeurs et transgresseurs,
eux, vont en des salons privés
pour des pratiques plus osées.
C’est réservé à une élite
des vieilles pies aux grosses bites.
Mon amour, quand on sera riches,
on se payera ces soirées
pour après, de retour chez nous,
s’exciter de tous ces à-coups.
Et quand on se fera la fête,
on aura ce bordel en tête,
ce sera doux, ce sera doux !