Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Rancœurs de province de Carlos Bernatek

     

    traduit de l’Espagnol (Argentine) par Delphine Valentin

    éditions de l’Olivier, 23 février 2017

    119627_couverture_Hres_0.jpg

    288 pages, 22 €.

     

     

    Selva et Leopoldo, dit Poli. Une jeune femme un peu coincée et un homme déjà mûr, deux tranches de vies, pas très belles, amères même. Deux histoires qui sont racontées ici en alternance sans aucun lien entre elles, si ce n’est qu’elles se passent toutes deux dans la province argentine, éloignée de Buenos Aires. Deux personnages modestes, voire fades, sans envergure, qui se retrouvent chacun happé par des évènements hors de son contrôle.

     

    Poli, petit vendeur itinérant d’encyclopédies, qui gagne de quoi assurer un minimum qui ne suffit pas à sa famille qu’il voit peu, découvre que sa femme le trompe depuis un moment avec un riche avocat. Celle-ci le met alors à la porte sans ménagement, alors que dans un même temps il est remercié par sa boite. Il perd donc sa femme et son fil qui ont trouvé un meilleur parti, son travail, sa maison. Ne lui reste que sa camionnette et quelques encyclopédies, avec lesquelles il part au hasard, complètement largué sur tous les plans. C’est ainsi qu’il atterri dans un petit village où une bande d’évangélistes l’embauche pour vendre des Bibles et du dentifrice…

     

    Selva a vingt-cinq ans et enchaine sans perspective les petits boulots, aussi cette offre de tenir un bar dans une station balnéaire qu’elle ne connait pas, durant la saison estivale, pour un type qui a des affaires un peu partout, lui parait être une opportunité idéale pour prendre un peu le large vis à vis de sa mère, avec qui elle vit encore et dont elle porte le prénom. Ce pourrait être l’occasion de travailler sans patron sur le dos et avec l’impression d’être aussi en vacances.

     

    Rancœurs provinciales parle de ces gens modestes, qui osent à peine envisager de décoller un peu d’une vie ennuyeuse et qui soudain s’enfoncent pour des raisons extérieures à leur volonté, ou trahis par leurs propres faiblesses ou leur négativité. La sexualité est au premier plan dans ce roman, explicitement, pour l’un c’est sans doute la seule façon de se sentir vivre, mais aussi de perdre plus encore ce qui compte, pour l’autre, c’est un fantasme refoulé, une méfiance, un dégoût des hommes. En arrière-plan, l’Argentine, sa situation politique, économique, son histoire dramatique, sa corruption et les petits qui payent, toujours et encore. Victime et bourreau finissent par se confondre dans une sorte de spirale descendante et infernale.

     

    Carlos Bernatek parvient à nous tenir en haleine, et avec brio, dans ce roman qui fait penser au genre polar noir, avec du sexe et un humour proche du cynisme, mais le style est trompeur, il est bien moins graveleux et bien plus littéraire que ce qu’il veut faire croire. Roman qui parle des gens qui n’intéressent personne, de la dramatique banalité de leur vie. La violence y est très concentrée, elle surgit brièvement, de façon brutale et rapide. Une violence physique aussi bien dans la douleur que dans la jouissance, mais il y a également une violence latente et permanente dans l’atmosphère, qui ronge peu à peu les esprits, tel le sable qui persiste à tout envahir, à passer sous les portes de la station balnéaire où Selva attend vainement que Waldo, le propriétaire du bar, lui envoie la marchandise qui lui permettrait de procéder à l’ouverture. Pendant ce temps, dans le petit village desséché à la chaleur accablante où Poli est devenu l’amant de la jeune épouse du patron des évangélistes, ces derniers font croire aux habitants qu’ils vont y apporter la mer.

     

    Selva, Poli, leurs déroutes finiront-elles par se croiser ?

     

    Cathy Garcia

     

     

    AVT_Carlos-Bernatek_5294.jpgNé en 1955 à Buenos Aires, Carlos Bernatek a notamment été finaliste du prix Planeta en 1994 et premier prix du prestigieux Fondo Nacional de las Artes en 2007. Banzaï est son premier roman traduit en France. 

     

     

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits n°58 (spécial Guatemala) - Vania Vargas

     

    Deux des six poèmes de Vania Vargas publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lus par Cathy Garcia Canalès.

     

    Hay días en que me acuerdo de Dios
    de la cosas que tengo pendientes
    de las veces que he creído encontrar
    el amor
    y que quizá tampoco me basten
    cuando vuelva a topármelos
    en una esquina cualquiera
    y por última vez los escuche
    cargar sus armas
    a la altura de mi vientre
    o de mi sien
    y no quede historia
    ni miedo
    solo esta soledad
    sobre el asfalto
    hecha mil pedazos

     

    *

     

    La mujer compra flores cuando va camino a casa
    y recorre con ellas las calles nocturnas

    Mira los ojos que la miran
    imagina las historias que le inventan

    una abuela enferma
    una declaración de amor
    un poco de fe / una devoción

    Y así transita medio camino
    mudando de vidas y posibilidades
    mientras los autos pasan a su lado
    y ella le pisa los talones a su silueta
    que se adelanta por banquetas anaranjadas
    silueta de mujer sola
    con ramo de flores en la mano

    Entonces llega a casa sonriente
    con sus flores y sus historias
    y siente que su abuela mejoró
    que sus oraciones serán respondidas
    que alguien la ama

    Enciende las luces / prepara el florero
    lo observa un momento
    y mientras termina la noche
    enciende el televisor

    Yo la observo de reojo
    cuando paso frente a su ventana

    El reflejo azul intermitente de la TV
    lanza contra la pared su silueta temblorosa
    silueta de mujer sola con florero
    ha de esperar a alguien / imagino
    mientras cierro mi puerta

    Y como si ella intuyera mis pensamientos
    apaga el televisor
    se encierra en su cuarto con una nueva historia
    y sonríe
    como si esa noche alguien no tardara en llegar

     

    (c) Vania Vargas

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits n° 58 (spécial Guatemala) - Julio Serrano Echeverría

     

     

     

    deux des sept poèmes de Julio Serrano Echeverría publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lus par Cathy Garcia Canalès.

     

    Versions originales :

    Ok,
    nos vencieron.
    Como si aún significara algo la derrota.
    Como si a este valle de esqueletos
    y carros viejos
    aún le pudiéramos llamar desierto.
    Para cuando nos dieron el golpe
    el desierto ya no era desierto
    los parques ya no eran los parques
    ustedes seguían siendo los mismos
    y nosotros,
    a los que vencieron,
    éramos la sombra de los cuerpos que los crearon,
    la ceniza,
    el polvo.
    Nos vencieron,
    caímos,
    molieron nuestros huesos.
    Pronto volverán a saber de nosotros

    *

    Entendemos
    por los libros de geografía,
    que los cuerpos en resistencia
    que una dictadura lanzó a un cráter
    en Centroamérica,
    llovieron un día en Filipinas
    sobre un cultivo de arroz
    que alimentó a una familia completa
    durante un largo período de lluvias
    en la década de los setenta.


    (c) Julio Serrano Echeverría

     

     

  • Revue Nouveaux Délits n° 58 (spécial Guatemala) - Luis Carlos Pineda

     

    Deux des neuf poèmes de Luis Carlos Pineda publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset. Lus par Cathy Garcia Canalès.

     

    Versions originales :

    En Guatemala todos somos deportistas

    Todas las personas sin excepción
    nadamos y salimos a correr
    todos los días.
    Nadamos contra corriente
    y salimos a correr riesgos.
    Nuestro deporte oficial:
                                            la vida.


    *

    Un hombre sale de la peor cantina del mercado Colón,
    Una mujer duerme en esa banqueta bajo el sol de marzo
    a medio día,
    El hombre se aproxima, se sienta y coloca la cabeza de ella
    en su regazo,
    El hombre saca con sus manos sucias —y las uñas más—
    Un octavo de aguardiente y le da el salvador trago,
    La mujer despierta,
    Se sienta, lo observa,
    El hombre saca de su saco hecho más de mugre que de tela,
    Una flor fucsia, radiante y recién cortada,
    La asquerosa ciudad cambia de color,
    La mujer la recibe, sonríe, derrama una lágrima,
    El hombre la besa, la abraza,
    Se acuestan y se duermen.
    —Yo camino,
    Rascándome el amor—

    (c) Luis Carlos Pineda

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits n° 58 (spécial Guatemala) - Regina José Galindo

     

    Pays pour les hommes, un des 11 poèmes de Regina José Galindo publiés dans ce numéro bilingue, en collaboration avec Fuego del Fuego - http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ - traduction de Laurent Bouisset

     

    Version originale :

    País de hombres

    Me niego a pensar que éste
    sea un país para hombres

    parí a una hija
    hembra
    y a ella
    no le negaré su derecho de piso

    mi abuela se lo ganó a punta de trabajos
    mi madre a punta de putazos.

    Yo
    mi sitio me lo sigo ganando a diario
    yo soy yo pienso yo decido yo hago yo gano yo reacciono yo acciono.

    No saldré a la calle vestida de hombre para sortear el peligro
    y no dejaré de salir.

    No andaré siempre acompañada para evitar que me asalten
    y no dejaré de andar.

    No tomaré horchata en las fiestas para no merecer que me violen
    y no dejaré de tomar.

    Yo parí a mi hija en un país hecho para ella
    y aquí quiero que crezca

    con los ojos abiertos
    la consciencia abierta
    en pleno derecho de su libertad.

     

    (c)Regina José Galindo

     

     

     

     

  • Le numéro 58 lu par Murièle Murielle Compère-Demarcy

    Merci pour la qualité de ces nouveaux Nouveaux Délits de poésie guatémaltèque en version bilingue-n°58

    sans artifice, brut, sans décorum

     

    où le coeur flambe

    écoule ses charrois de sperme de sang de menstrues

    battant, brûlant

    cognant vivant

    sur

    "quatre mondes denses où se tord l'âme et la peau enfle" (Laurent Bouisset)

     

    accroché à nos foyers en quête toujours

    de péninsule "héliotropique"

     

    pour que tourne

    les sols tectoniques

    du seul vrai réel à gueuler

    pour ses mots dire

    ses leurres-baudruches crever

    sa lave telurrrrique

    cracher

     

     

    Merci.

     

    Murielle

    MCDem.

     

     

  • Le numéro 58 lu attentivement par Frédéric Perrot

    Il faut regarder la bête en face (sur Nouveaux Délits, numéro 58, spécial Guatemala)

      

    Le numéro 58 de la revue de Cathy Garcia, Nouveaux Délits, ouvre ses pages à quatre poètes du Guatemala, présentés et traduits par Laurent Bouisset. Quatre poètes : deux femmes, deux hommes. Belle parité ! Il semble également que l’on puisse parler d’une même génération, les quatre poètes étant sensiblement du même âge.

    Dans son édito, Laurent Bouisset nous précise que le Guatemala a le triste privilège d’être l’un des pays les plus dangereux du monde. Il sera donc beaucoup question de « l’humain face au pire » et d’une poésie exempte de cette « manie formaliste et hermétique de jouer sur la langue en permanence, en oubliant que la langue, c’est la vie ». Pour les avoir lus dans Realpoetik ou ailleurs, on connaît les arguments de Laurent Bouisset contre la poésie qui s’écrit ici, en France, dans cette noble patrie littéraire prétendue, qui a charitablement « réhabilité » son plus grand poète, un certain Charles Baudelaire, un siècle après l’avoir condamné dans une cour d’assises. À en croire Laurent Bouisset, les quatre poètes présentés dans ces pages ne sont pas spécialement menacés par les récompenses ou le prix Nobel ; idée amusante, si l’on songe que les deux derniers prix Nobel français (Le Clézio, Modiano) sont des écrivains surfaits, embarrassants et à plus d’un titre provinciaux ; les vivats cocardiers que l’on a entendus en ces occasions ne se justifiant pas du tout…

    Ce que je veux dire par ce détour un peu long, c’est que la carte du monde poétique n’a sans doute guère à voir avec les cartes de la géographie officielle et l’importance supposée des nations. Laurent Bouisset en est convaincu. Partons donc en sa compagnie à la rencontre du Guatemala !

     

    Je crois que parmi les quatre poètes présentés, la première, Regina José Galindo, est celle qui retiendra le plus immédiatement l’attention. Sa poésie est rageuse, violente, convulsive. C’est une poésie de refus (« Je me refuse à penser/que c’est un pays pour les hommes »), marquée par la guerre et portée par un féminisme frémissant. Face à la violence de ce qu’un sociologue nommait « la domination masculine », il s’agit pour Regina José Galindo de se réaffirmer en femme « toute puissante » et de n’être pas une « femme soumise/encore moins au foyer » ; ce goût de la liberté, ayant ses risques, acceptés : « Je ne sortirai pas dans la rue vêtue en homme pour éviter le danger /et je n’arrêterai pas de sortir ». Ou plus terriblement : «  Je ne me priverai pas d’alcool dans les fêtes pour ne pas mériter mon viol/et je n’arrêterai pas de boire ».

    Ces lignes m’ont fait songer à ce que pouvait écrire il y a quelques années Virginie Despentes dans son essai King Kong Théorie, où des idées semblables, scandaleuses peut-être pour des esprits plus prudents, se trouvaient exprimées. En résumé : pourquoi les femmes devraient-elles rester chez elles, ne pas sortir, ne pas marcher dans les rues, ne pas porter des jupes courtes si elles en ont envie, ne pas boire, fumer, danser, flirter, et cela sous prétexte que les prédateurs rôdent et que le risque est trop grand ?

    Il me semble ces deux auteurs nous disent chacune à leur manière cette vérité importante : la liberté des femmes fait toujours peur.

    J’aurais quelques réserves personnelles sur la poésie de Régina José Galindo, qui par moments me semble un peu trop forcenée et d’une outrance problématique ; mais la critique « dialectique » si je puis dire – thèse, antithèse, synthèse – n’est pas mon propos ! Passons à la suite.

    On retrouve chez le second poète, Luis Carlos Pineda, une même qualité de refus et l’ombre portée d’une guerre, d’un « génocide » qui a ensanglanté le Guatemala dans les années quatre-vingt du siècle précédent ; cela en particulier dans le beau poème consacré à la « nostalgie » et ce qu’elle peut avoir de dangereux et de mortifère ; quand elle est par exemple celle de « la légalité sinistre » ou celle « des dictateurs ». L’ironie probable des deux derniers vers (« Dis-moi quelle est ta nostalgie/Et je te dirai qui tu es ») ne doit pas nous tromper ; toutes les nostalgies ne se valent pas et la nostalgie peut être une prison : « Ils veulent nous enfermer dans la nostalgie/Pour continuer à profiter de l’ignorance »

    Un autre point commun entre ces deux premiers auteurs me semble être une certaine crudité dans l’évocation du sexe ou plus précisément de l’érotisme pour Luis Carlos Pineda : « La jeune femme se caresse/avec les draps sales ». Cela n’est pas forcément le plus neuf, car on connaît également de ce côté-ci de l’Atlantique quelques poètes et poétesses dont les œuvres complètes se réduisent « à l’enregistrement de leurs orgasmes effectifs ou inventés », pour reprendre une expression de cet aimable sceptique qu’est Cioran. Il me semble qu’un peu plus de légèreté, d’humour, de distance s’imposeraient dans ces domaines. Cela n’est qu’un goût personnel et n’enlève rien à la beauté de ce « corps inconscient » qui « bouge/d’une manière quasi imperceptible » et dont « la cadence désigne » au poète « un cours/humide, tiède et anxieux ».

    Mais laissons Madame rêver et passons à la suite ! Car le plus important à mon sens est encore à venir.

     

    Quelques-uns des plus beaux textes de ce numéro 58 sont en effet selon moi à porter au crédit du troisième auteur, Julio Serrano Echeverria.

    Le premier que je prendrai la liberté de nommer « Il faut regarder la bête en face », puisqu’il n’a pas de titre, m’apparaît comme un utile rappel à la lucidité. Les poètes, dont on fait un peu naïvement tant de cas, comme s’ils étaient une sorte d’humanité à part – certains en sont même convaincus ! – ne sont que des êtres parmi d’autres êtres et souvent ne valent pas mieux qu’eux : « il n’y a pas de mérite/à se regarder dans un miroir/et découvrir qu’on est une bête ». Ou plus justement encore : « il faut regarder la bête en face/il faut l’appeler par son nom/ce qui vient de se dérouler d’abject ici/tu aurais très bien pu y prendre part/ pas forcément du côté de la victime ». Donc, même si cela est déplaisant, « il faut se regarder soi-même en face », car chacun a « ce potentiel » en soi, d’appuyer sur « la gâchette » ou « l’accélérateur », de laisser d’un mot libre cours à « la bête ». Le plus étrange dans ce texte à la fois beau et terrible reste cette paradoxale demande de « pardon », qui tend à rendre le poème vertigineux : « il faut regarder la bête en face/et lui dire ton nom/la reconnaître/la regarder fièrement et lui demander pardon », « pour la simple raison que le pardon/est une des manières qu’a l’obscurité/de prendre forme humaine sous un arbre/où se faufilent les rayons du soleil levant ».

    Sentiment de vertige, que confirment et approfondissent les toutes dernières lignes, dont je ne dirais rien, pour passer plus brièvement au second poème, que je nommerai « C’est un lieu commun ». D’apparence moins complexe, il est simplement superbe dans son évocation de ceux dont tout l’effort consiste à survivre jour après jour, qui voient « en rêve des chaussures neuves/des chaussettes propres/pour des pieds qui ne saignent plus » et s’accrochent tant bien que mal car « c’est un lieu commun de mourir tous/les jours ».

    J’ai parlé des deux poèmes qui m’ont le plus touché, mais les trois derniers poèmes de Julio Serrano Echeverria – « La leçon », « L’ocote », « Nous comprenons grâce aux cartes de géographie »–, où se mêlent l’autobiographique et le politique, sont également remarquables.

    Reste Vania Vargas, celle que je préfère, pour le ton qui est le sien… Car les convulsions poétiques, les cris ou « les ovaires » qui volent en éclats, peuvent lasser à la longue !

    Par goût, dans la chanson, j’ai toujours préféré ceux qui murmurent à votre oreille, ne songent pas à vous agresser et sont donc d’agréables « compagnons de solitude ». C’est je crois ce genre de complicité qu’établit Vania Vargas avec chacun de ses lecteurs. Qu’elle parle de sa « grand-mère » ou de sa « peur » – pour une raison évoquée au début, la peur et la proximité de la mort, une mort toujours violente, sont un motif récurrent dans tout le numéro –, elle le fait sur le ton juste. Le poème sur la photographie de la grand-mère entre d’autres mains pourrait être atroce, larmoyant, pathétique ; il est étrangement léger, presque volatil : « Elle est sortie/elle a dansé », « Elle s’est rappelé sans tristesse sa jeunesse perdue », « Elle n’en a fait qu’à sa tête/elle les a amusés ». Et l’on a bien l’impression de voir même fugitivement « la gamine qu’elle avait été ».

    Il y a ainsi des épiphanies, de fragiles miracles en poésie, qui sont rares ; car trop souvent les poètes eux-mêmes ne voient que des mots, non les êtres et les choses qui leur préexistent. Ils vous parlent de leurs « images » ; mais vous ne voyez rien, que des acrobaties verbales… Je vois cette « femme » qui « achète des fleurs en rentrant chez elle » et qui plus tard n’est plus qu’un fantôme, une « silhouette tremblante » que « projette contre le mur » « le reflet bleu intermittent de la télé ». Je vois cette autre qui « a 31 ans » « et plusieurs vies en moins », sur qui « la fatigue pèse » et qui « voit la solitude fermer des portes/effacer des visages ».

    La poésie de Vania Vargas est concrète – en ce sens qu’elle est à la recherche du détail touchant – humaine et mélancolique ; et s’il y est essentiellement question de solitude, s’y devinent aussi un désir, un rêve d’amour : « Et comme si cette femme devinait mes pensées/elle éteint la télé/elle s’enferme dans sa chambre avec une nouvelle histoire/et elle sourit/comme si cette nuit quelqu’un était sur le point d’arriver ». Cela se passe au Guatemala et partout ailleurs…    

     

    Nouveaux Délits, numéro 58

    Illustrations Anabel Serna Montoya

     

    par Frédéric Perrot