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Avril-Mai-Juin 2011
C’est donc, le 40ème édito (puisque il y a eu le n°0 en juillet 2003) que j’avais déjà écrit l’autre jour… Avant le Japon… Avant ce monstrueux enchaînement de catastrophes qui montre, encore une fois, combien l’irresponsabilité de quelques-uns est payée au prix fort par tant d’autres, qui montre aussi que l’homme aveuglé par le profit en a perdu la mémoire. Quant au nucléaire, tout le monde le sait, sécurité et transparence. Dans l’édito déjà écrit donc, je parlais du Tiré à Part Nouveaux Délits et ses 40 éditos, qui sort en même temps que ce n°39, peut-être parce que moi-même j’ai 40 ans et du coup je me suis intéressée au nombre 40. Il revient souvent dans la Bible comme nombre de la préparation, de l'épreuve ou du châtiment. Symbole de la mort à soi-même et de la renaissance spirituelle, il correspond à la 13ème lettre hébraïque, mem, et à l'arcane 13 du Tarot, la Mort, marquant l'achèvement d'une étape. Ce nombre joue également un rôle tout particulier dans d’autres religions et dans les rites mortuaires de nombreux peuples du monde. J’évoquais aussi la coutume de la quarantaine et puis j’avais écrit pour finir l’édito : « Le monde change vite mais nous ne changeons pas aussi vite, alors que le mot changement est dans toutes les bouches, surtout celles qui prétendent maîtriser quelque chose. Mais qu’est-ce que le changement ? »
Alors faut-il donc que ce soient des catastrophes atroces, des populations toujours et encore sacrifiées, pour que se fassent enfin – peut-être - de véritables prises de conscience ? Le problème du nucléaire, que je considère comme une technologie définitivement folle, c’est surtout d’être utilisé dans un contexte d’irresponsabilité, où seul compte le profit et la rentabilité à court terme. Le futur des enfants sur cette planète, une utopie. La santé publique, elle n’est intéressante que lorsqu’elle rapporte. D’ailleurs, une des premières choses dont on a parlé suite au tsunami, c’est du CAC 40… Si ça ce n’est pas de l’indécence !
Quelques jours avant le tsunami, j’ai rêvé d’immenses vagues boueuses déversant sur une plage des voitures avec des gens dedans, et tout ça en silence et au ralenti, j’étais juste témoin de la scène. Je n’ai pas l’habitude de faire des rêves prophétiques, aussi vous imaginez ma perplexité quelques jours après, mais je ne vous le raconterais pas si juste à l’instant, je ne m’étais demandé quel rapport entre tout ça et le chiffre 40 ? Alors j’ai tapé dans un moteur de recherche « Japon 40 » et à ma très grande stupeur s’est affichée une page entière de titres « Japon : 40 morts dans un séisme majeur au nord-est », « Séisme au Japon : 40 morts et 39 disparus, premier bilan de la... »… 40 signifie aussi innombrables. Je ne sais que dire d’autre, il n'y a rien à dire d'autre. Juste se taire.
CG
le bruit incessant des vagues
mon village natal
si loin
Shiki
(1867-1902)
AU SOMMAIRE
Pris(es) en flagrant Délit de poésie :
Marlène Tissot, Didier Pesnel, Linda Caro et Patrice Maltaverne
Délit d’abandon de chaussure au milieu de la route : Stéphane Beau
Délits d’(in)citations printanières et en Résonances, 1 roman, 1 chanteuse et 1 recueil.
Vous trouverez le bulletin de complicité fidèle à son poste.
L’Illustre Illustrateur de retour pour ce numéro :
Joaquim Hock !
joaquimhock@yahoo.fr
Joaquim Hock, est né en 1974 du côté du futur ex-royaume de Belgique. Ses activités ont été depuis cette lointaine époque diverses et variées. Dès l’âge de 10 ans, il a été fortement influencé par l’œuvre d’Alfred Jarry en général, et la science pataphysique en particulier. La pataphysique est la science des solutions imaginaires, et il croit avoir fait en ce domaine quelques petites découvertes. Son goût pour l’incongru se manifeste par un style où il aime mêler le sens et le non-sens. L’insolite est au cœur de ses textes et de ses dessins, mais le bizarre naît toujours du quotidien. Faire accepter comme normales les descriptions et les situations les moins ordinaires est ce qu’il recherche en particulier. Il està la fois dessinateur/illustrateur et romancier. Parmi ses dernières parutions : son premier roman intitulé L’INTRUS – fragments d’une humiliation en milieu domestique, aux éditions Durand-Peyroles 2010 (avec 30 illustrations) dont Nouveaux Délits avait publié en exclusivité quelques extraits. Il s’agit d’un roman mêlant le burlesque et le tragique et qui s’interroge sur la solitude et la lente acceptation de la tyrannie.
La vie est une bougie dans le vent
Proverbe japonais
Je crois qu'il est beaucoup de cabris du verbe parmi nous, d'équilibristes du fil court, d'écarteleurs des logiques morbides, de danseurs des forêts, de nobles ascètes de l'honneur, de vaillants poètes de la jaillance, bref les acrobates se sont retrouvés et entretiennent le feu et les sursauts d'ivresse. Mais ce qui fait défaut, c'est davantage la planification des actes, l'architecture des envolées, la construction de réels dans la durée, le souffle des bâtisseurs d'espace social. Les ménestrels persistent, mais presque plus personne ne sait échafauder des stratégies vitales collectives, architecturer des cathédrales communes, œuvrer la charpente d'un édifice total. Bref, cela bondit divinement, cela jongle, mais cela compose surtout de la musique de chambre, cela ne s'élabore jamais au-delà de quelques pages, minutes, oraisons. Notre lyrisme se porte bien, mais il ne nous portera pas loin sans la patience du maçon organique, du mathématicien de la chair... Et tandis que l'acrobate rue dans les brancards, l'ennemi grandit car il sait s'organiser, construire et suivre des plans. Platon avait-il tout à fait tort de chasser le poète égotiste de la République ? Que nul ne chante trop s'il n'est aussi géomètre... Pour une éthique acrobatique, oui, mais à condition qu'elle sache aussi se faire ordinatrice. Diogène cherchait un homme. Nous cherchons, en Europe, des planificateurs de dimensions multiples. Là est la difficile éthique, ascèse, là est le plus grand défi pour la magie de l'agir.
Luis de Miranda