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Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi

traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller

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Métailié éd., 22 août 2019

 

Ce roman est une fresque étourdissante d’une densité telle qu’il est impossible de le résumer, et d’ailleurs tel n’est pas le but de cette note, mais il faut tout de même pouvoir donner quelques pistes au lecteur. De quoi s’agit-il ? D’une histoire de famille sur plusieurs générations, trois siècles, en Ouganda, donc bien avant que ce pays ne soit arbitrairement nommé ainsi par le colon britannique, en référence à l’ethnie Ganda, occultant ainsi toutes les autres qui peuplaient cette terre.

 

Kintu est donc une histoire de famille, mais à vrai dire, c’est avant tout l’histoire d’un geste malheureux et de ses conséquences : la répétition transgénérationnelle d’une malédiction. La gifle d’un père, Kintu, à son fil adoptif, Kalema, lors d’une déjà difficile traversée de désert, ayant entraîné accidentellement la mort de ce dernier, qui de plus, fut vite et mal enterré par mégarde à côté d’un arbuste épineux auprès duquel on enterre habituellement les chiens.

 

Le roman démarre par un prologue, nous sommes en janvier 2004 à Bwayse, un bidonville situé dans une zone marécageuse au pied de Kampala. Kamu Kantu y est assassiné. Kamu Kantu est un descendant de Kintu Kidda, l'ancêtre qui a attiré la malédiction sur sa lignée. Et ce prologue laisse place au premier chapitre qui nous ramène à l’origine donc de cette malédiction : en 1750, dans la Province du Buddu, au Buganda.

 

Plusieurs générations vont ainsi se succéder, depuis le temps des clans, des royaumes jusqu’au début du XXIe siècle. L’histoire des individus mêlée, emmêlée à l’Histoire d’une terre sur laquelle sont venues, les unes après les autres, se greffer des religions importées et conflictuelles, dont la pas si petite dernière : la très activiste évangéliste. Une terre démembrée par la colonisation, ce qui a entre autre ravivé et compliqué les guerres tribales, et qui essaie d’avancer avec de douloureuses prothèses occidentales comme tout le reste du continent, et tous les flux migratoires consécutifs, la modernisation et la paupérisation qui va avec, les guerres encore, le sida… Y est évoqué bien-sûr la sinistrement célèbre figure d’Idi Amin Dada, mais d’un point de vue ougandais, notamment dans une discussion entre deux amis qui ne sont pas d’accord.

 

La figure était cependant déjà suffisamment et atrocement sanguinaire, sans besoin que les fantasmes occidentaux n’en rajoutent pour en faire une caricature révélatrice de leur propre peur du « noir », tout en faisant oublier ainsi leur responsabilité dans l’instauration de ce dictateur, comme tant d’autres en Afrique.

 

Kintu est un roman, écrit forcément dans la langue de l’ancien colon britannique, mais c’est vraiment un roman ougandais, sans compromis.

 

Si la toile de fond se transforme au cours des siècles, Jennifer Nansubuga Makumbi tisse sa trame avec tant de subtilité, l'art de montrer sans dire, que ce n'est pas ce qu’on pourrait appeler une fresque historique. L’Histoire est un grand fleuve, mais ce sont les êtres humains qui sont ici au centre de la fresque, ils sont bien sûr entraînés par le courant, roulés, malaxés, modelés et parfois brisés par lui, mais, comme des galets, ils sont solides. Ils ont leur propre densité, identité, ils sont tous reliés à une montagne originelle, ancestrale et si la destinée de chacun est à la merci des événements, il existe aussi une forme de prédestination. La force du fleuve ne change rien à la malédiction qui poursuit les descendants de Kintu Kidda, génération après génération, mais cela pourrait tout aussi bien être une bénédiction, ce qui émerge de ce roman, c’est le fil qui nous relie les uns aux autres et qui traverse le temps.

 

Roman foisonnant, puissant, où l’on se perd facilement mais, comme les personnages, nous sommes entraînés par la force du courant. Une liste et un arbre généalogique en début d’ouvrage peuvent nous aider à reprendre pied, mais à vrai dire on n’en a pas forcément envie, car très vite, il n’est pas tant question de tout comprendre, mais plutôt de se laisser emporter et peu à peu imprégner de cette langue franche et magnifique avec laquelle Jennifer Nansubuga Makumbi nous raconte sa terre d’origine.

 

Un premier roman magistral.

 

Cathy Garcia Canalès

 

 

jennifer-nansubuga-makumbi.jpgJennifer Nansubuga Makumbi est née à Kampala. Elle a étudié et enseigné la littérature anglaise en Ouganda, avant de poursuivre ses études en Grande- Bretagne, à Manchester, où elle vit aujourd'hui. Son premier roman, Kintu, lauréat du Kwani Manuscript Project en 2013, sélectionné pour le prix Etisalat en 2014, a reçu un accueil critique et public extraordinaire, aussi bien en Afrique qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, qui lui a valu d'être comparée à Chinua Achebe et considérée comme un « classique » instantané. Elle a remporté le Commonwealth Short Story Prize en 2014 et le prix Windham Campbell en 2018. En sélection pour le Prix Médicis étranger 2019.

 

 

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