Soliflore 111 - Yvan Robberechts
CANCRE
Cancre…
Dix ans de mitard à buller au fond d’une classe,
suivre une plume invisible livrée au vent.
Dix ans de trous d’air et de brumes.
Dix ans à me téléporter de vagues en vagues,
ma peau sur une chaise où mes idées divaguent.
Dix ans de solitude… presque cent.
Cancre. Cancrelat, petit cafard assoupi,
déguisé en écolier, trahi par ses antennes.
Bousier indécrottable.
- « Il ne fera jamais Polytechnique » (moue navrée et entendue).
Litote, licence poétique.
Continuer à vaquer à mes songes. Envers et contre tous.
Rester focus sur la téléportation, mon petit domaine d’expertise.
- « Yvan, au tableau ! »
Calcul du périmètre d’un cercle.
Pris en flagrant délit de téléportation.
Le nez dans le pot de miel de la liberté volée, dérobée à l’institution.
Me pousse un groin entre ma chaise et le tableau.
Le maître se paie la bête. Bête à manger du foin.
Rien… Presque rien … Rien que moi et le tableau,
… Moi et ma craie, … Ma nullité et moi.
Mon groin dans la fange et ses clapots de honte.
J’aurais pu devenir mauvais, hargneux,
à boire jusqu’à la lie le jus amer de la défaite.
Moi et ma nullité on vous emmerde !!
Revendiquer cette médiocrité, étendard de mon identité enclavée.
Persister et signer. A la lame et dans le sang. Cruel à mon tour.
J’en ai eu longtemps la tentation.
Allumer les mots par la mèche et les jeter à la face
des faux-semblants, des évidences et des litotes,
faire péter le malheur et la honte.
Il a fallu se débarrasser du petit niaiseux,
…Oublier.
Plier mes antennes et mes ailes, les ranger sous le pupitre,
me désincarcérer de ce corps d’insecte,
laisser ma mue de blatte accrochée à la chaise devant mon bureau vide.
Dernier regard sur la scène de crime.
Fermer la porte.