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Claude Vercey parle de Nouveaux Délits

A lire sur http://www.dechargelarevue.com

 

I.D n° 222 : Alcools découverts au fond d'un placard

samedi 28 novembre 2009 [10:27:09]

Une revue sous couverture kraft ! Je rêve …? Un peu troublé, je l'admets, de retrouver sur le dos d'une autre l'habillage par lequel la revue Décharge s'est identifiée 99 numéros durant, - jusqu'en septembre 98. Non qu'il y ait quelque raison de supposer une filiation directe avec ces Nouveaux Délits que je découvre en leurs 33ème et 34ème livraisons, mais plus sûrement qu'une solution semblable sous-entend une démarche proche, et qu'il n'est décidément pas mieux qu'une couverture kraft pour se donner mauvais genre, marquer son insoumission, exprimer le défi.

Car, si je ne me trompe, la casaque incolore – « robe des champs », si on veut - a ici la même signification que pour l'ancien Décharge, selon Jacmo : celle d'une pauvreté ostentatoire, imposée par les conditions de production – l'une et l'autre revues étant fabriquées à la maison, – assumée et qui fait la nique aux publications mieux friquées, mieux sapées, marquer sa rage et sa révolte, tout en redoublant le caractère provocateur par un titre à rebrousse-poil.

Si elle instruit avec fougue et dévouement les dossiers de ces Nouveaux délits, Cathy Garcia n'entend pas que le « poète de grande bourrasque », tel qu'elle-même se présente, cède le pas à l'animatrice. Simplement, la revue prolonge l'œuvre, y participe. « J'aime les mots, ces alcools que l'on découvre parfois au fond d'un placard oublié.». En conséquence de quoi, sont donnés à lire des auteurs rares ou méconnus, souvent en marge du centralisme hexagonal : Saint-John Kaus, né en Haïti, écrit depuis le Quebec, Ernest Pépin est Guadeloupéen, Rita Mestokosho une poète innue. Le sommaire s'en tenant à quatre ou cinq noms, chacun a de quoi s'exprimer à l'aise au long de 48 pages bien remplies.

Poésie vive, est-il indiqué en sous-titre, et ses dérivés : ici, proclamations écologiques et revendicatives de Rita Mestokosho défendant la terre innue et les traditions de son peuple (n° 33) ; là, Journal d'un instituteur (d'un Stit, selon l'auteur Jean-Marc Couvé). Au final, tendant volontiers la main à l'expression minoritaire ou à celle de minorités, la revue ouvre sur un champ original de création, duquel se détachent, pour le lecteur que je suis, les poèmes d'Ile Eniger (n° 33) et d'Ernest Pépin (n° 34).

Ile Eniger est une véritable découverte, bien que la bibliographie copieuse de cette poète passionnée souligne surtout mon ignorance à son endroit. Dans des proses courtes, denses et vigoureuses, extraites de trois livres différents, se lisent son appétit, son désir et son impatience, une envie féroce d'étoiles : « Je n'ai pas le temps d'être civilisée » écrit-elle. Et, dans le même poème: « J'écris cet amour dans l'urgence tant sa lenteur étonne. » A suivre. Certainement.

Grandement absente des revues hexagonales, l'œuvre d'Ernest Pépin n'est pourtant pas seulement « importante aux Antilles », comme l'affirme un peu cavalièrement la biographie jointe; l'auteur fut invité d'honneur aux Rencontres de Clermont-Ferrand ; et le simple rappel que le romancier est publié par Gallimard contrarie l'image de marginalité dans laquelle Nouveaux Délits enfermerait volontiers tout auteur présenté. Certes, Ernest Pépin écrit une poésie forte, de dénonciation et de révolte, qu'illustre bien L'odyssée de la ville donnée ici à lire. Mais de même que Césaire fut député et maire de Fort-de-France, Ernest Pépin est en Guadeloupe un notable. En dépit de quoi, c'est son mérite, il demeure à l'écoute des malheurs de son peuple, des exclus et de humiliés, des éconduits et de tous les reconduits :

Souviens-toi de l'enfant mort d'atterrir
En un seul bloc de froidure
Dessous le ventre de l'avion
Souviens-toi de sa mort d'oiseau gelé

Références : Nouveaux Délits n° 33 et n°34 (4ème trimestre 09). 5€ le numéro.


En contrepoint à cette revue vivace, lire les adieux de Jacmo à Rétroviseur,
revue du mois sur notre site.

 

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