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  • Nouveaux délits N°49 (2014) lu par Georges Cathalo

     

    Guidée par un instinct très sûr, Cathy Garcia excelle dans l’art du revuiste d’investigation pour dénicher des poètes rares et originaux. Ici, avec Thomas Sohier peu lu mais déjà maître d’une écriture assurée, Patrick Devaux, poète belge dont la poésie s’apparente à celle de Guillevic et Jean-Jacques Dorio dans une écriture « à sauts et à gambades » dans le sillage d’un Montaigne finalement très actuel. Plus surprenants encore, les écrits du jeune Paul Fréval (né en 1978) où l’on devine le penchant prononcé pour une oralité où le poème s’accomplit. Suit encore une expérience d’écriture de poèmes « pour deux voix et deux mains » entre Pascale de Trazegnies et Cathy Garcia dans une originale recherche poétique qui mériterait d’être poursuivie. Enfin, avec Cyril C. Sarot, on se trouve face à quelqu’un qui d’emblée déclare ne pas se considérer comme un écrivain. Précaution bien inutile car les neuf pages ici proposées nous prouvent le contraire. Comme toujours, Cathy Garcia parsème chacun de ses numéros de citations diverses ; cela va d’Anouilh à Werner Lambersy, et de Borgès à Noël Godin l’entarteur. Belle palette éclectique à l’image d’une revuiste de haut-vol.

     

     

     
  • La Patagonie de Perrine Le Querrec

     

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    Préface de Jean-Marc Flahaut, Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, novembre 2014.

      

    Lire Perrine Le Querrec c’est prendre un risque, prendre le risque de se faire engloutir. Les mots ici deviennent matière, tantôt gluante, paralysante, tantôt rêche, étrangleuse, tantôt lourde, étouffante, tantôt acérée, tranchante, de la matière sombre, grouillante et tremblante, puis soudain ils ont des ailes et tentent de s’échapper vers la lumière. Vers la Patagonie.

     

    Ou bien ils s’écrasent. La pâte-agonie.

     

    Il y est question d’enfance, de violence, de peur et de désespoir ravalés, d’extrême solitude. « Son enfance sent toujours le carnage ». Quelque chose qui ne se voit pas de l’extérieur, quelque chose que l’on peut trimballer en soi toute une vie, qui nous dévore de l’intérieur et personne ne s’en aperçoit. Personne ne s’en est jamais aperçu. Alors les mots tentent de donner consistance à cette grande béance, de faire apparaître l’indicible, l’invisible, tentative qui elle-même écartèle : faire à la fois apparaître et disparaître à jamais. Fuir.  « Il ne faut pas fermer la porte mais la claquer derrière soi et partir pour toujours ».

     

    Les mots deviennent des encres à colorer le silence pour y faire apparaitre les non-dits, « la parole interdite embusquée derrière la porte close/la parole refusée bâillonnée en-dedans au dehors », des acides pour dissoudre ces murs qui retiennent les secrets qui rongent l’âme, des chimies diverses et variées pour que remontent de sous la terre tous les cadavres enterrés, les vers dissimulés. Toute la saleté enfouie.

     

    On n’est pas dans l’écriture, on est dans l’alchimie, pour dégager la pierre passée au cou de celle qui se noie sans eau, pour dégager la pierre à écrabouiller le cœur. On ne lit pas Perrine Le Querrec, on avale, on mâche une réalité qu’elle nous enfourne, bouchée après bouchée, une réalité figée comme « sauce froide sur les tripes abandonnées dans l’assiette. »

     

    De la douleur brute, interdite, non autorisée, non accueillie, à laquelle les mots ont ordre de donner forme, pour avoir prise sur elle, pouvoir la saisir à pleines mains et la briser, la détruire, l’achever en pleine tête.

     

    Être fillette, puis femme, puis mère, la fillette enfermée dedans. Les nœuds gordiens de la famille. Le passé, le présent et le futur «l’effort du restant de sa vie ». Et ce sentiment de décalage permanent avec le dehors, avec l’autre. Incompréhensible. Alors il ne faut pas que ça se voit : « Tu es dehors. La tête haute. Les gens te saluent. Tu es des leurs. »

     

    C’est cette chose avec laquelle on ne peut pas tricher qui donne tant de consistance, de densité, de force et de beauté, de magnificence même, à la langue de Perrine Le Querrec et la lire fait du bien. Peut-être pas à tout le monde, peut-être faut-il ce quelque chose en soi qui fait écho et que personne ne voit, dont personne ne s’est jamais aperçu. Un bien fou pour un mal fou. 

      

    Ce petit quelque chose qui remonte à la genèse de l’être et qui fait que l’on est toujours au bord et « pas de cou autour duquel elle pourrait jeter ses bras pour s’accrocher, comme en a droit toute personne qui se noie. »

      

    Toujours « trop près du bord. » et au loin pourtant, l’espoir encore d’une libre et vaste Patagonie.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    perrine le querrec.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Ses rencontres avec de nombreux artistes et sa passion pour l’art nourrissent ses propres créations littéraires et photographiques. Elle a publié chez le même éditeur Coups de ciseaux, Bec & Ongles (adapté pour le théâtre par la Compagnie Patte Blanche) et Traverser le parc. Elle vit et travaille à Paris comme recherchiste indépendante.

     http://entre-sort.blogspot.be/

     

     

     

     

  • Soliflore n°29 : Patrick Beaucamps

     

     

     

    La clé

     

    La clé de la maison.

    La clé que j’ai reçue pour mes onze ans.

    La clé qu’il ne fallait pas perdre.

    La clé qui devait pendre au crochet.

    La clé que j’ai bien cru avoir perdue.

    La clé que les locataires m’empruntaient.

    La clé qui m’accompagnait jusque l’internat.

    La clé de leur maison.

    La clé qui ne demandait qu’à s’échapper.

    La clé salvatrice de mes nuits d’ivresse.

    La clé dont je ne voulais plus entendre parler.

    La clé qui n’entre plus dans la serrure.

    La clé que je n’ai jamais perdue.

    La clé qui ne pend plus.

    La clé sans maison.