Revue Nouveaux Délits n°61 - Arnaud Martin
Quelques-uns des très courts poèmes d'Arnaud Martin publiés dans ce numéro, eux-mêmes extraits d'un ensemble intitulé Renaissance des Lumières. Lus par Cathy Garcia Canalès.
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Quelques-uns des très courts poèmes d'Arnaud Martin publiés dans ce numéro, eux-mêmes extraits d'un ensemble intitulé Renaissance des Lumières. Lus par Cathy Garcia Canalès.
coll. Sur le billot, 2016, réimpression 2017
74 pages, 12 €.
« Rien ne dure éternellement, mais tout continue à continuer »
Lame de fond a quelque chose du carnet intime que l’on emporte partout avec soi pour y noter nos météos intérieures, sauf que dans Lame de fond, le besoin d’écrire est motivé par un évènement précis : la perte. La perte et l’absence définitive d’un être cher et ce besoin soudain, cette urgence de tout plaquer, pour aller le retrouver sur les lieux qui rallumeront la mémoire. Partir les mains vides avec cette part de soi plus ou moins enfouie que la douleur vient raviver.
Ici l’être cher — mais l’auteur ne le dit pas, on le devine au fil des pages — c’est un grand-père, un grand-père vieux loup des mers adoré, un homme des grands espaces, un homme libre.
« Avec toi, tout est permis. Avec toi, on chahute l’apparence des choses ordinaires, on colorie le monde. »
Mais il ne s’agit surtout pas de rendre un hommage édulcoré au disparu.
« Non, tu n’étais pas parfait. Mais c’est ainsi que je veux me rappeler de toi. Avec chacun des fils dont ta peau d’homme était tissée, les rêches comme les soyeux. »
Et le lieu vers lequel le deuil renvoie l’auteur est un espace-temps, celui de Cancale en Bretagne et celui de l’enfance. Car avec les êtres chers qui nous quittent, ce sont comme des parts de nous qui s’en vont et que seule la mémoire peut convoquer. L’écriture sert alors de catalyseur et de fixateur.
« Des détails en forme de graines semées dans le terreau de l’enfance. Giboulée de souvenirs. Tout cela me semble tellement loin et si présent pourtant. Comme un paysage miniature dans une boule à neige. »
L’écriture de Marlène a toujours été juste, précise, percutante. Dans Lame de fondelle se polit comme un galet roulé par la mer dans le sable. La douleur non seulement ramène à l’essentiel, mais dénude aussi ce qu’on pourrait appeler l’âme. Il est impossible de tricher avec la mort, elle met le doigt sur toute notre fragilité, met en relief tout ce qui est creux, vide et artificiel en nous et dans nos vies.
« Quel contrat tacite nous oblige à penser en terme d’avenir professionnel, de confort matériel, en termes de consommation, de concurrence, d’efficacité, de sacrifices, en termes de famille à fonder, d’enfants à éduquer, de vacances à planifier ? Doit-on nécessairement être raisonnable, responsable, capable d’adapter sa ligne de conduite à la société, se fondre dans la masse ? (…) Est-ce qu’on se laisse décolorer l’âme sans même le remarquer ? »
Dans toute famille, on peut espérer qu’il y ait au moins une personne qui nous transmette quelque chose qui a à voir avec l’essentiel, c’est le cadeau le plus précieux que l’on puisse faire à quelqu’un, c’est comme un nécessaire de survie. Le grand-père que Marlène évoque est de ceux-là, aussi son absence a la capacité de la rendre à elle-même avec une force et une acuité telle que la douleur de la perte devient une leçon de vie, intense.
« Cours ma belle ! Nage dans le ciel. »
La douleur anesthésie mais l’amour qui transcende la perte exacerbe au contraire tous nos sens, nous rend plus vivants que jamais. Et la mort du grand-père fait germer, dans le cœur de celle qui écrit, le noyau de l’enfance.
« Je marche à reculons, à rebrousse-temps et j’ai enfin l’impression d’avancer dans la bonne direction. »
Marlène nous offre un très beau livre, sensible, il ne peut laisser indifférent, il vient nous toucher, nous bouleverser, au plus secret de nous-mêmes, là où nous planquons nos plus grandes joies et nos plus grandes peines. Comme une lame de fond, il nous prend et nous retourne.
« Je trinque à ton éternité en buvant l’horizon, d’un trait. »
« Tu m’avais prévenue : “tout n’est que commencement.” »
Cathy Garcia
Marlène Tissot est venue au monde inopinément. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix ans et demi et capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Écrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.
La sirène étoilée, novembre 2017
47 pages, 12 €.
« le bout du monde ressemble au début du monde »
Ce recueil est un hommage, un magnifique et poignant hommage à une terre et à ses habitants disparus.
« L’horizon les dents du vent
aimantent les solitaires
les rêveurs de rupture
ceux qui ne craignent de se rencontrer »
C’est ainsi qu’il faut comprendre le « ma » devant Patagonie : non pas une appropriation conquérante des lieux, pas comme un adjectif possessif donc, mais comme la perception très personnelle de l’auteur au-delà de ce qui se donne à voir aujourd’hui.
Devant l’immensité des paysages, la puissance de leur mémoire et leur beauté qui raconte ce qui fut, elle s’incline avec humilité et une grande sensibilité.
« savoir se taire quand on écrit »
Ce n’est pas le premier recueil de Guénane qui évoque la Patagonie, mais ici elle s’attache avec les maigres outils du poète — « en poésie aucun mot n’est cloué/ il n’a aucune prise » — à rendre âme et justice aux premiers habitants de ces terres :
« Indiens Tehuelche
nomades aux empreintes géantes
onze mille ans de présence
(…)
civilisation Évangiles tourments
hommes blancs qu’ils voyaient roses
les Yámana s’éteignirent en 15 ans
(…)
1839 « Créatures abjectes et misérables »
Darwin écrit dans son Journal
(…)
Indiens Ona
(…) 1880 carnage
Ona tous traqués immolés
Aucun exil possible sur une île
Toutes ces vies horriblement massacrées et l’arrogante bêtise des « découvreurs ».
(…)
Je voyage en silence
Dans la témérité des traces
Une main posée sur la grotte du cœur. »
Rendre justice aussi aux animaux en péril :
« je regarde cabrioler les baleines
dans un golfe - maternité
(…)
elles sombrent jaillissent
trente tonnes de graisse
de grâce
saluent le ciel replongent »
et à la nature défigurée :
« espérer que son souffle survive
sous les talons du tourisme
(…)
Lointain Sud engagé
dans la prolifération assassine
de nos inutilités ».
Ainsi l’auteur a su capter, non seulement les paysages, mais leur essence même, visions d’un monde disparu. Elle parvient à transmettre au lecteur tout le respect qu’ils lui inspirent, sans tomber dans l’aveuglement d’un romantisme exacerbé, bien au contraire, sa lucidité est vive et aiguisée comme le vent d’été austral « qui garde trace des sauvageries polaires ».
« la Patagonie épineuse érafle
les images faciles
mais elle attire
ses dix millions d’années apaisent
les esprits trop griffés
rassurent les insatiables
les soiffards d’horizon
(…)
La Patagonie c’est elle qui vous explore
ouvre vos brèches fouille votre cœur. »
Ma Patagonie a clairement une dimension écologique et politique engagée. Tout territoire a une histoire, celle de cette « Terre des feux éteints/des rêves consumés » est particulièrement cruelle.
« la colère du vent vient de loin
dans sa voix mugissent des ombres. »
Histoire d’un monde disparu :
« si aujourd’hui les chevaux fiscaux
hennissent sur la piste
la mémoire agrippe les cavaliers du passé
soudés à leur monture ponchos au vent
ils avaient des ailes. »
Et d’un monde sur le point de disparaître sous l’avancée d’un prétendu progrès :
« Le vent happe les dépotoirs sauvages
plaque les plastiques aux buissons
nos indestructibles macromolécules»
et d’un tourisme de masse, « paisible ravage ».
« si tu prononces
Humains
pourquoi cette impression toujours
que s’annonce un déclin ? »
(…)
comment fait-elle l’Histoire
avec ce perpétuel goût de l’échec en bouche
d’où tient-elle cet estomac d’acier ? »
Notre propre histoire finalement, à toutes et tous.
« Si ta mémoire mesure le temps
évite la dangereuse nostalgie
se pencher à la portière de sa vie
c’est déjà la Patagonie »
(…)
Nous gardons tous en nous des lieux que jamais
Nous ne foulerons le cœur tiède »
Ma Patagonie, incontournable.
Cathy Garcia
Guénane est née le 26 juillet 1943 à Pontivy (Morbihan), sa famille ayant quitté la ville de Lorient bombardée par les Alliés. Elle ne se souvient pas avoir appris à lire et à écrire. Elle a commencé à étudier le violon à 7 ans. Elle a grandi au bord du Blavet, un fleuve marin, et a vite compris que chacun porte en lui ses propres marées. Dans les années 1960, elle fait des études de lettres à Rennes ; elle fait aussi partie de la petite troupe de théâtre du Cercle-Paul-Bert et déclame avec le groupe Poésie Vivante de Gilles Fournel, le mot Résistance avait alors son sens fort. Le 24 juillet 1964, avec le poète avignonnais Gil Jouanard, elle rencontre René Char, chez lui, à L'Isle-sur-la-Sorgue, une rencontre intense. Son premier recueil, paru aux éditions Rougerie en 1969, s'intitule Résurgences, un mot emprunté à René Char. Resurgere / renaître ; insurgere / s'insurger : toute sa démarche d'écriture est contenue dans ces mots. Renaître toute la vie à sa manière. Elle a enseigné à Rennes puis elle a longtemps vécu en Amérique du Sud. Années de dictature mais aussi avec la sensation d'avoir foulé les derniers arpents du paradis originel avant l'emballement économique mondial. Elle vit là où le fleuve d'origine qui lui enseigna le large se jette dans l'océan. Dans Un Fleuve en fer forgé (Rougerie), elle évoque son enfance auprès du Blavet en termes durs et implacables. "On ne repeint pas ses lieux d'enfance" dit-elle. Dans La Ville secrète (Rougerie) et La Guerre secrète (Apogée), elle évoque Lorient sous les bombes. Son roman Dans la gorge du diable (Apogée) se déroule dans les dictatures sud-américaines des années 1970-80. Demain 17 heures Copacabana (Apogée) se situe au Brésil dans les années 1970-80. L'Intruse, roman historique (Chemin Faisant) plonge dans le 19 e siècle, du second Empire à la guerre de la Triple-Alliance, l'épopée la plus sanglante de toute l'Amérique du Sud. Le titre de son recueil Couleur femme a été pris comme thème du Printemps des Poètes 20101.
Dernières publications poétiques : Tangerine éclatée, livret, collection La Porte, 2017 ; En Rade 4, brèves de cale illustrées par Pascal Demo et Killian Duviard, édition associative Chemin Faisant, 2017 ; Atacama, éditions La Sirène étoilée, illustrations Gilles Plazy, 2016 ; Le Détroit des Dieux, livret, collection La Porte, 2016 ; La Sagesse est toujours en retard, Éditions Rougerie, 2016 ; Au-delà du bout du monde, livret, collection La Porte , 2015 ; En Rade 3, brèves de cale, illustré par NicoB, édition associative Chemin Faisant, 2015 ; L'Approche de Minorque, livret, collection La Porte, 2014 ; Un rendez-vous avec la dune, Éditions Rougerie, 2014.