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  • Soliflore n°6 : El' Mehdi Chaïbeddera

    C'EST UN METIER D'ETRE DEBOUT

                                      DEBOUT C'EST NOTRE VOCATION

     

    Partout tant de monde debout

    Il y a debout et debout

     

    C'est du boulot d'être debout

    Un sacré taf d'être debout

     

    Surtout dans les butorderies

    Où l'on boute de deboutant

     

    Il y a du décès de bout

    Ce n'est pas tout d'être debout

     

    Il y a l'étalé - debout

    De la chefferie failliteuse

     

    Et puis le debout magistral

    De la valetaille étarquée

     

    A la galerie des succès

    Pour le maintien des litanies

     

    Il est du debout perturbant

    De la gent qu'on pousse à bout

     

    De celui qui joint les de(ux) bouts

    Et qui ne voit jamais le bout

     

    Il est du debout parasite

    Des ayants-tout du forestage

     

    Il y a du tapin debout

    En tapinois républicain

     

    C'est du boulot d'être debout

    Un sacré taf d'être au debout

     

    Venir à bout de son debout

    Il faut bien en connaître un bout

     

    Il y a du debout boutade

    Du bout au vent à la Quichotte

     

    Mais l'essentiel étant debout

    Cest de camper à son debout

     

    C'est ne plus jamais être dupe

    Aux rendez-vous des debouteux

     

    Il est des toqués du debout

    Aux grands pics de la deboutite

     

    C'est ne plus être débouté

    De son droit de vivre debout

     

    C'est un métier d'être debout

    Pour nous c'est une vocation

     

    Lyon. Lundi 25 octobre 2OIO

    El' Mehdi CHAIBEDDERA

     

  • Soliflore n° 4 : Jacques Laborde

     Je suis un lecteur
    Un lecteur de poèmes
    Un être rarissime et raffiné
    Qui n’écrit point
    Qui ne racole aucun éditeur
    Aucun imprimeur
    Ni ne convoite aucun auteur
     
    Je suis comme une gomme claire en plein jour
    Une tache obscure dans la nuit d’encre
    En somme un être d’exception
    Qui brille tout en discrétion
     
    Je ne drague aucun concours littéraire
    Ne charme point les revues bi-annuelles
    bimensuelles
    trimestrielles
     
    Je reste un simple lecteur
    Un esprit haut perché
    Sur son tabouret
    Dans son infinie rareté
     
    Je pratique
    En extérieur autant qu’en intérieur
    Selon l’humeur
    Et j’attends mes clients
     
    Ainsi cher édité, poète à tes heures
    Te lirai-je avec passion, curiosité
    Bonheur, amour et volupté
    Du bout des ongles
    Au bout des lèvres
    Attention je n’embrasse pas
    Il t’en coûtera cinquante euros la prestation
    Cinquante euros la page
    Protégée ou non par le copyright
     
    Car Je suis un lecteur
    Un lecteur de poèmes
    Et mes tarifs en vigueur
    Sont bien à la hauteur
    De ma singularité
    Sur le marché.


    Jacques Laborde

     

     

     

    http://www.bestiairedubasmontmartre.org/

     

  • Soliflore n°3 : Didier Trumeau

     

    La voyez vous derrière les joubarbes ?

    Non ?!

    Pourtant elle est là !

    Suivez la tige du milieu qui tombe

    vers les ténèbres et monte vers l’infini.

    Vous ne la voyez toujours pas ?

    Alors comptez trente huit pétales

    en partant de la gauche

    puis soustrayez la vache qui au loin

    broute l’herbe grasse du printemps

    avant de mugir au perdu

    pour attirer l’attention

    quelle frimeuse cette  belle Normande

    aux traits celtes aux yeux scandinaves,

    aux flancs larges.

    Alors vous la voyez ?

    Quoi ?

    L’imagination !

     Ah! bon...

     

     

    Didier Trumeau

    Extrait de Pacemaker Quark Pastel  

     

     

    DSCF0810.JPG

    (c) Didier Trumeau

     

    Didier Trumeau a créé et animé un bon zine musico-poético-artistico- anarcho pendant une dizaine d'années : L'Heure-Tard, Ed. Enitram Treab à Vierzon : http://www.enitramtreab.fr

     

     

  • Soliflore n°2 : Jean-Marc Gougeon

    rassurée

     

    Sur le dos de la nuit

    s’exhibent quelques chiens

    panse creuse ils accourent

    et toi tu les retiens

     

    Les crocs ont faim respire

    ils reviendront repus

    impose prends ta lyre

    ton chant est attendu

     

    Calmés ils auront gratté

    la peau de tes cauchemars

    au ventre chardons broyés

    tes aspérités sont douces

    et tu cours tu te fais tard

     

    Reconnaissante tu longes

    des restes de fossés vides

    franchis les talus en songe

    dors dans le baiser avide

    le drap te donne la source

     

     

    Jean- Marc Gougeon

     

     

     

     

  • Ouverture des Soliflores avec Stéphanie Cousin

    Aujourd'hui s'ouvre une annexe à la revue, ici même : Les Soliflores.

    Il s'agit de textes uniques d'auteurs, qui seront publiés ici. Ceci pour répondre à l'afflux toujours plus important de propositions, qui déborde largement de ce que peuvent contenir trois numéros papier par an. Inutile cependant d'envoyer des textes uniques à cet effet, il s'agit d'abord de donner de la visibilité à d'innombrables auteurs déjà en attente, et qui ne seront peut-être pas publiés ou republiés ultérieurement dans la revue papier. Les Soliflores sont donc des clins d'oeil pour encourager la création poétique et ne pas l'émousser en la faisant attendre des mois, parfois des années, pour une publication papier.

     

    Quant à la revue, elle continue son petit chemin, prochain numéro en octobre.

     

     

    Pour ouvrir donc le bal, un poème de Stéphanie Voisin, qui fait écho à Nuage rouge de Jean Azarel, publié dans le denier numéro : un hommage à la chanteuse trop tôt disparue, Lhasa de Sela.

     

     

    288208-lhasa-sela-spectacle-maison-culture.jpg

     

    Lhasa tu marches et tu appelles

    Celui qui froisse tes pieds sur des chemins de ronces

    Tes dents sont amoureuses ta bouche est sans racine

    Le désert tombe et ressuscite quand tu vacilles

    Quelqu’un vient

    Tu nages sur des braises

    C’est sûrement lui

    Et tes mains sont immenses même percées par la pluie

     

    Ton cri s’est allongé dans une roue de velours

    Comme un  feutre fragile

    Ta voix couleur de chair lève le pain de l’ombre

    La terre grogne et remplit la magie des oiseaux

    Qui redonne soif et faim

    Serre les poings sur ta fièvre

    La douceur et la pierre confondent leurs murmures

    Il y a tant de clarté dans l’obscur de ta voix

    Qu’un océan se glisse en travers de ma peau

     

    Lhasa laisse le vent marcher sur tes chansons

    Et convaincre la terre d’accueillir ta fraîcheur

    Car la nuit ce matin s’est trompée de fenêtre

     

    Sur la route ruisselle l’eau brève de ta vie

    Tel un souffle qui chasse             

    Lhasa laisse le vent dans l’étincelle des chats

    Car la nuit ce matin s’est trompée de fenêtre.

     

     

    Stéphanie Cousin 

     

     

     

     

     

    et une des chansons de Lhasa que j'aime tout particulièrement

     

     

     

  • Résonance 45

    L’éponge des mots – Saïd Mohamed – Les Carnets du Dessert de Lune – 2012. 128 pages, 12€.

     

     

     

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    L’éponge des mots est un livre sans commencement, ni fin, dans lequel on entre, puis on s’assoit et on écoute. On écoute un compagnon qui nous passerait la bouteille, on boirait à même le goulot, sans faire de manières, avant de la repasser à un autre, qui serait là aussi, quelque part au bord du monde, parce que toutes les routes ont déjà été arpentées, tout a été dit, et pourtant nul n’a encore trouvé le remède au mal de vivre.

     

    L’éponge des mots éponge le trop plein.

     

    Pas de gloire à se combler d’alcool

    Pour s‘inventer des cataplasmes.

     

    Boire encore et tordre le cou aux sortilèges.

     

    Capitaine au long cours veillant sur l’histoire du hasard.

     

    Taillader son chemin dans l’aventure des rues lisses.

     

     

    Tel un Ulysse qui ne retrouvera jamais son port. Les mots eux-mêmes deviennent éponge pour absorber le trop plein d’amertume, de vanités, de désillusions, de chagrins rouillés. Un trop plein qui n’a d’équivalent que la béance du manque d’amour.

     

    Revenir sur ton ventre noyer ma détresse à l’hôtel des carnages

    en soudoyant le gardien de nuit

    après une errance de bar en bar

    pour resquiller la lumière

     

    Lorsqu’on va chercher très loin ce que l’on ne trouvera jamais, le voyage devient errance, parce que depuis longtemps nous sommes perdus à nous-mêmes.

     

    Dans cette nuit espagnole, tu pointes un doigt vers le ciel

    et désignes l’aube avec sa rivière

    roulant des perles noires.

     

    (…)

    Je jure de ne plus savoir retourner chez moi.

     

    Car vivre c’est Être au monde avec ses pertes de lumière, des voiles trouées et ces haubans qui sifflent au moindre vent.

     

    Dans L’éponge des mots, Saïd Mohamed nous livre son désenchantement, et à chaque page pourtant, on trébuche sur des pépites. Si les larmes sèchent vite aux vents des quatre coins du monde, les mots eux, n’ont pas fini de couler.

     

    nous ne sommes pas devenus fou subitement,

    cela a demandé du temps.

     

    D’abord, on a vu l’étrange plaie

    qu’est la joie dans les yeux des autres.

     

    (…)

     

    Pris dans la tourmente des loups dépouillés

    qui guettent l’étrange et le dérisoire.

     

    Partout avec ces mots de pauvre, aller

    dans la perception des miroirs

    en traversant sur les passages cloutés.

     

     

    Les mots vomissent leur impuissance à changer le monde.

     

    Il n’est de sommeil plus puissant

    Que notre intelligence à ne pas vivre

     

    (…)

    L’idiot va à ses ratages comme à une science exacte,

    Seule raison valable pour achever cette bouteille.

     

    Quelle autre sagesse peut évoquer un tel carnage ?

     

     

    Le voyageur va chercher ailleurs quelque chose qui lui ferait croire qu’il vit plus intensément.

     

    La dentelle des jours nous pousse à faire escale

    dans les ports aux romances inachevées,

    à chercher dans la multitude des petits riens

    ces choses de peu qui manquent le plus.

     

     

    Plus c’est loin et plus on espère trouver cet autre chose qui nous ferait nous-mêmes autre.

     

    J’ai connu les ventres outragés et le rire des singes,

    L’ombre du feu avec dans la bouche

    Les cendres des morts comme seule preuve de vie

    Et combien de corbeaux, de singes, de najas,

    D’étranges banyans et d’immenses

    Oiseaux de nuit.

     

    Mais il y a quelque chose de définitivement voué à l’échec dans cette quête, des courants contraires aux chercheurs d’intensité, des trésors éphémères qui fondent comme goutte d’eau au soleil.

     

    Des éclats de possibles,

    des bribes de rien dans le silence résorbé des villes

    et des hommes de papier mâché

    au bar des illusionnistes.

     

    (…)

    Partout être à contretemps,

    à contre-emploi, à contresens du flux

    dans le décalage permanent,

    fuir quand tout converge.

     

    Grande est la désillusion, quand on découvre les coulisses de ce qui n’apparait au final, comme rien d‘autre qu’un grand cirque pathétique.

     

    Qu’auront nous dit vraiment ?

     

    Le silence est préférable à ces babils,

    ces faux-savoirs,

    ces mensonges appris comme une leçon.

     

    Ces bribes de rien, de tout, d’abject aussi, récitées par cœur

    quand le plus grand dénominateur commun ouvre sa gueule

    dans l’immonde barnum du tube cathodique,

    ce rectum de la pensée qui souille

    tout ce qu’il touche.

     

    Saïd Mohamed sait ce qui pousse à Parcourir le monde comme le sang bat les veines à la recherche de l’instant qui rend caduc tous les autres. (…) et la promesse toujours la promesse d’autres choses encore.

     

    Le voyage, la fuite, la solitude et l’oubli impossible.

     

    Accolé aux murs des villes, ton visage, ton sourire obsédant, ton ventre au mien accroché, où dedans le vent s’engouffre, dans le salpêtre, la crasse, l’odeur des poubelles, je t’ai cherchée.

    Dans le repli de l’indifférence j’ai appris à regarder avec cette habitude à qui rien n’échappe, en tous lieux j’erre seul, heurté à la raison qui maintient les êtres dans leur camisole. Partout où tu as posé les pieds, je retourne la terre. J’hésite à te nommer, pour laisser en friches ces souvenirs qui me reviennent, m’accablent et me jettent dans les bras d’hier.

     

    Saïd Mohamed sait qu’il est difficile de vivre en ignorant son ombre, elle se tord et crie si on marche dessus.

     

    Tout au long de son livre on sent peser cette ombre qu’aucune destination, si lointaine fut-elle, aucun alcool, ne sauraient dissiper.

     

    Tous ces arbres morts qui s’évertuent à lancer au ciel des branches pour s’y pendre…

     

    Et pourtant, nous confie t-il, ma raison demeure dans l’agitation du monde, de ces villes juchées les unes sur les autres, où dans l’ennui les hommes se laminent, se chevauchent.

     

    Dans la troisième partie du livre, il nous ramène à un « Ici et maintenant ». Une sagesse que connaissent tous ceux qui savent qu’il est vain de tenter d’être ailleurs, que dans ce laps de temps présent. Et si les souvenirs sont toujours là, en filigrane, il est temps de tirer un trait et Saïd Mohamed est sans doute un de ces êtres brûlés au feu de la passion comme de la lucidité, cette lucidité féroce qui pousse à n’importe quel extrême pour lui échapper, en vain.

     

    Nous n’avons pas grandi malgré le poids sur nos épaules.

    Prisonnier de l’enfance, on croit être devenu un autre

    en refusant l’idée que seul le corps change.

     

    L’éponge des mots est comme un fleuve qui s’écoule, qui déborde parfois, puis se calme à nouveau, qui remonte le temps aussi bien qu’il file vers une hypothétique embouchure.

     

    On relit ce qu’on a écrit sans le reconnaître.

    Ivresse de la prière païenne qui se nourrit d’elle-même

    À laquelle aucun parler n’est comparable.

    Ce mystère ne nous appartient pas.

    En bouche vient le fleuve,

    Message jamais interrompu ni commencé.

     

    Il y a l’ombre, mais aussi un flot de lumière, au sein même de ce qui peut sembler comme un constat désespéré.

     

    Dire l’instant émerveillé devient insolence

    Aux hommes obscurcis par trop de misère.

     

    L’auteur sait qu’avec les mots on peut tout inventer et il a gardé Des affamés (…) les vertus de l’illumination, les tenailles du silence et la tyrannie de l’aube.

     

    En d’autres termes, le chant et la soif du poète, mais il s’interroge sans cesse, il nous interroge.

     

    Comment apprécier l’insolence des moineaux et convaincre l’ombre du bien-fondé de la lumière

    Survivre aux ratages de l’existence et à cette nostalgie qui éreinte.

     

    Il faut avoir touché le fond pour en connaître la texture réelle et savoir si bien en rendre compte.

     

    Le mal de vivre n’a pas de nom, inquiétude rebelle, cœur sans raison.

     

    Le voyageur a vu la face périmée du rêve et le poète l’a bue jusqu’à la lie.

     

    L‘insulte nous a cueillis au cœur de la joie. Déplumé l’oiseau aux sept couleurs. Sidaïque l’oncle Jo des Amériques. La petite Jeanne s’injecte de l’héroïne.

    Comme des orphelins, efflanqués nous ne croyons plus en rien. Nous avons vu tant de désastres, de boue ruisseler des montagnes, de louves pleines les flancs ronds, de vagabonds pointer sur la carte du ciel une étoile rouge.

     

    Et comme ces marins condamnés à errer d’île en île, lui comme nous sommes étrangement ballotés entre l’histoire d’un monde aux urgences de grisaille et l’impatience de vivre.

     

    Saïd Mohamed n’a certainement pas fini d’essorer, encore et encore, L’éponge des mots, et c’est tant mieux !

     

     

    Cathy Garcia

     

     

    said_mohamed par bénédicte Mercier.jpg©photo de Bénédicte Mercier

     

    Saïd Mohamed, né en 1957, en Basse-Normandie, d’un père berbère, terrassier et alcoolique et d’une mère tourangelle lavandière et asociale, il a passé son enfance et son adolescence à la DASS. Nomade dans l’âme, il a été tour à tour, ouvrier imprimeur, voyageur, éditeur, chômeur, enseignant. Chef de fabrication dans le secteur éditorial, il a enseigné au BTS édition à Toulouse et poursuit désormais son enseignement à Paris, dans le cadre de la prestigieuse École Estienne.

     

    Romans
    Un enfant de cœur, Éditions EDDIF, Casablanca, 1997.
    La Honte sur nous, Éditions Paris Méditerranée, 2000. Éditions EDDIF, Casablanca, 2000 (réédition 2011, Ed. Non–lieu).
    Le Soleil des fous, Éditions Paris Méditerranée, 2001.
    Putain d’étoile, Éditions Paris Méditerranée, 2003.

    Poésie
    Terre d’Afrique, S’éditions, 1986.
    Mots d’absence, Le Dé Bleu, 1987.
    Délits de faciès, Le Dé Bleu, 1989.
    Femme d’eau, Polder, 1990.
    Le Vin des crapauds, Polder, 1995.
    Jours de pluie à New York, de cendres à Paris et de neige à Istanbul, Encres Vives, 1995. Réédition 2001.
    Lettres mortes, Poésimage, 1995.
    Chaos, Éditions Ecbolade, 1997.
    Point de fuite, Propos de Campagne, 1998.
    Instants fragiles, Le Maghreb Littéraire, Toronto, 1999.

    Liesse à Marrakech, Encres vivres, 2001.

  • Michel Host parle de la revue Nouveaux Délits

    Dans sa Chronique le Scalp en Feu (IV) in Recours au poème

    http://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/le-scalp-en-feu-i...

     

     

    NOUVEAUX DÉLITSrevue de poésie vive –

     

    Numéros 44 (janv.-févr.-mars 2013) & 45 (avril-mai-juin 2013)

    Cathy Garcia (cf. Scalp III, Le Poète) œuvre à plein temps, nous le savons, pour faire vivre la poésie entre Dordogne, Auvergne, Charentes et Pyrénées, et ailleurs encore j’imagine. Elle-même vit en poésie et, spirituellement du moins, de la poésie. Sa revue aussi bien que ses recueils en témoignent avec vigueur et constance. Parvenir à « fabriquer » soi-même plus de 40 numéros d’une publication sans la moindre subvention, lui trouver des abonnés fidèles, y rester fidèle à quelques orientations majeures suppose une admirable endurance personnelle et quelques qualités remarquables. Si Nouveaux Délits a un aspect quelque peu austère, c’est que ses pages sont tenues au respect de la planète et de ses ressources naturelles, et que par ailleurs elles mènent non des combats, mais une action continue par ce que j’appellerai l’action des mots. C’est d’ailleurs une tradition qu’ont maintenue bien des publications anciennes, parfois disparues… je pense à un titre comme Action poétique, par exemple… Cathy Garcia a, outre son immense talent de poète, toute l’énergie qu’il faut, et des dents et des griffes,  ce que nous laisse entendre son éditorial du N°44 : « Nos façons de penser, de vivre, de consommer, la façon dont nous entrons en relation avec l’autre et avec nous-mêmes, participent, qu’on le veuille ou non, à l’immonde. Personne ne peut, à elle, à lui tout(e) seul(e), changer ce monde, mais chacun(e) d’entre nous a la possibilité de réfléchir à sa façon d’en être et il est temps, il est urgence, de changements radicaux. Les alternatives, les solutions, elles sont là, à portée de main, de clic, de choix, qu’elles soient citoyennes, écologiques, spirituelles…  […] il nous faut stopper l’immonde avant qu’il ne nous dévore. » Voilà la dame ! L’idée ! Le songe ! la volonté ! Quoique n’étant pas le modèle à suivre dans ce combat, j’approuve et je comprends pleinement. L’immonde, je le combats avec d’autres armes, mais qu’importe, ce combat ne peut m’indifférer. Il n’envahit d’ailleurs pas la revue, elle n’en est pas le drapeau levé à chaque page. Cela est selon le poète, la poétesse, et son inspiration fait loi.

    Dans ce numéro 44 (illustré par Jean-Louis Millet), j’ai aimé Le Locataire, de Fanny Shepper : « Un cendrier de béton / voilà son appartement / un plancher à échardes / un matelas molesté au sol… », et tout autant son Ange perché : « Mon petit cœur le fantôme / Mon amoureux le cinglé / Dans ton souffle les putains sont des reines égarées / et les ivrognes des capitaines de navires qui se brisent »… Et cette solitude à méditer : « Dans la nuit sans fond / je t’entends moi / parfois, tu fredonnes d’étranges complaintes / alors l’océan se calme / et il berce et il souffle doucement ». Qui ne trouve beauté et sens à ces mots, à ces vers ? Aimé aussi les fureurs de Pascal Batard, qui roule et tangue avec les pirates, « Pirates de soufre et de sang / brigands / de sable, de vent / sur l’océan / indien », aussi bien qu’il vacille en pensée regardant l’image d’un Christ dont les imbéciles, par conformisme et étroitesse de pensée, écartent jusqu’au nom : « Christ crucifié, / résistance du mort, dépossédé, / Stabat Mater / et renaît poussière, / riche du livre, / du savoir de ses pairs, / éteint. » J’aime que l’on rappelle qu’il y eut, après Socrate, ce grand philosophe de l’impossible amour. Et aussi que Jean Michel A Hatton nous raconte que le tort fut d’avoir laissé s’évaporer les antiques odeurs, « des odeurs d’étraves / et d’ancres, / quelques-unes oubliées / quelques-unes perdues. » Et non moins que Hosho Mccreesh, en anglais (mais avec traduction d’Éric Déjaeger), nous dise à nouveau que c’est par le « faire » d’abord que s’instaurent le poétique et sa puissante action : « BECAUSE VAN GOGH DIDN’T SIT IN THE ASYLUM WAINTING STARRY NIGHT TO PAINT ITSELF, BECAUSE MICHAEL ANGELO DIDN’NT SIT IN FLORENCE WAITING FOR THE PIETA TO CARVE ITSELF… It takes years for tree limbs to tear down powerlines, for roots to buckle concrete… … but they always do. » Il n’est pas inutile, loin de là, que cette “livraison” (quel mot, bien qu’il soit avéré !) que Cathy Garcia nous convie ensuite à goûter des proses romanesques grecques, chiliennes, Sud-Coréennes, et qu’elle nous gratifie de cette sentence aiguë d’Edgar Morin : « L’indifférence, ce gel de l’âme. » Nouveaux Délits ne tombe certainement pas dans ce vice majeur de notre temps, et peut-être d’autres temps… Qui sait ?

    Au numéro 45 (avril-mai-juin 2013 ; illustrations de Corinne Pluchart) je lis des poèmes « combattants » : ceux de Samuel Duduit, « pas encore mort »  - et il a raison de nous le confirmer -, quoique parfois orientés vers ce moi haïssable dont la prégnance absolutiste nous empoisonne : « Je vais et viens passé déjà / touriste survivant à ma propre existence / et qui visite les ruines déjà ennuyé… » ;  ceux de Patrick Tillard, évoquant LES SURVENANTS : « Ils sont maintenant vaccinés / cachés dans des réserves / remplis à plein bords d’essence ou de colle / de crack et d’amphés / prêts à sombrer dans ces puits empoisonnés  […] Désaveu mécanique / statut de victimes / Lanière qui étrangle / une histoire épurée / souffle le silence ». C’est bien là poésie dans la vie : « La vie est une maison comparable / à bien d’autres / dépeuplée d’aspirations / elle éjecte des corps / incertains. » Cette incertitude des corps ne traduit pas l’entier désamour, le vide tragique de l’existence, car cette maison reste « habitée d’amour / côte à côte du vivant… » Et c’est sans doute ce qu’à sa façon nous dit le poète néocalédonien Frédéric Ohlen évoquant l’homme qui, embarqué clandestin dans une soute d’avion, sait, bien sûr, « qu’on gèle / là-haut chez les anges / alors il a mis // du papier sous son tee-shirt / feuilles de canards dont les gros titres / dégueulent sur lui. » Car, à la fin, « S’en aller / marcher jusqu’à / disparaître // surfer l’infinie / répétition / du mouvement », n’est-ce pas la destinée de chacun ?  Jean Azarel, revenant aux terres d’enfances (j’imagine), aux territoires « de lauze et d’air », aux amours et aux nostalgies d’autrefois, ne quitte personne, et même demeure avec nous tous qui l’avons connue cette « douce aux jambes d’airelle… au ventre de tourterelle… » qui ne laissa « aucune autre trace que le souvenir d’elle / assise sur une balançoire / l’amie qui le restera… » Quant à Nicolas Kurtovitch, lui aussi « calédonien », s’il connaît les sources de l’enlisement, il tente de s’en arracher et de nous en arracher avec lui : « Il ne faut pas s’arrêter / à la première embûche / et contempler les feuilles mortes / au sol elles y sont bien / en oublier le besoin de silence… » « Laissons à la porte de la forêt / les éternels déboires / d’un mot mal compris / d’une phrase assassine / et les fougères ici par milliers nous protégeront. » NOUVEAUX DÉLITS est bien l’île Utopia de poésie, le lieu qui avance dans nos têtes encombrées de récifs et d’écueils, le lieu de l’Autre-Soi, l’autre sans qui je ne suis pas grand chose, et l’autre qui sans moi se diminue ou s’ampute de son autre à lui. Revue de la générosité et de l’humanisme (je sais qu’il y eut des raisons de rejeter cette belle idée) renouvelé.        

    Nouveaux Délits : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/