Zéphyrage de Guénane Cade lu par Dana Shishmanian pour Francopolis
Zéphyrage. Éditions Nouveaux délits

(collection Délit buissonnier n° 8), juillet 2025 (56 p., 12 €)
"Ce recueil se lit en coup de vent… Il faut se laisser porter, goûter l’instant, les notations brèves sur des sujets en tout genre, telles des éclaboussures des vagues de la mer sur une plage balayée par le borée, mais aussi les touches suaves d’un zéphyr imaginaire qui apporterait la douceur et la paix sur des contrées dévastées… La voix de la poétesse assume un parler franc et n’hésite pas à interpeller le monde et ses puissants au pouvoir. L’écriture affiche une simplicité sans fard mais nulle naïveté, elle est plutôt mûre et acérée, avec une belle assurance en son pouvoir de trancher entre la haine et l’amour, le mensonge et la vérité, le fanatisme et la vie – tout en s’offrant à la propre réception de chaque lecteur. Citons quelques très belles volutes qui emportent toute notre adhésion :
Envie de crier
ça suffit ! Assez !
Fermez les vannes des chicanes
les tuyaux de la logorrhée
les jets de venin
les vindictes corrosives
vite vite rasons les gesticulations
les indignations les contaminants
les veules combines
ma page blanche n’absorbe plus (p. 19)
La poésie peut compter sur le vent
elle s’appuie sur la réalité
en réalité elle s’octroie le droit
de s’appuyer sur tout même sur toi
de chantonner se farder s’habiller d’images
à toi de la dénuder
de la laisser infuser à ton gré
de te l’approprier
comme le vent elle côtoie aussi bien
l’élégance que la gueusaille (p. 24)
Lassitude
je rêve d’offrir des poignées de poèmes
enveloppées de soie moirée
paresse caresse je rêve
que ces mots fondent sur la peau du monde (p. 27)
J’appartiens à la famille de ceux qui ont vu
voler l’albatros hurleur
ce voilier à l’envergure légendaire
ce voltigeur du ciel aux révérences de star
de ses dessous blancs frôle les rouleaux glauques
avant de s’élever jusqu’à l’épure (p. 47)
Faire le tour de l’Amour
épreuve infinie
la litanie des erreurs humaines
est tout aussi perpétuelle
Il n’est pas de vie banale
évidence anodine pas insipide
si l’amour déprime
l’amour propre sombre
remède simple
dans un jardin en repos estival
quand pas une brise ne bouscule les pétales
arrêtez-vous contempler
deux escargots énamourés (p. 53)
Par bonheur j’avais parmi les photos prises dans mon petit jardin sur la terrasse de l’appartement, immortalisé, l’instant unique de l’amour des escargots… et, comme en suivant le conseil de l’amie Guénane, j’en ai fait l’image-emblème de ce numéro : Faites l’amour, pas la guerre !"
Et tant d'autres auteurs, artistes, livres, revues à découvrir dans ce numéro d'automne : http://www.francopolis.net/
"D'où vous viennent toutes ces sensations, impressions, idées, réflexions qui envahissent chaque page ? Tout vous sollicite et mobilise votre esprit, vous êtes une véritable éponge ! Les grands vents de la mémoire ramènent plus qu'ils ne chassent vers les horizons lointains, vous avez encore beaucoup à dire, à crier, à confier, c'est certain."
"Ça y est, je me suis enfin plongé dans ces tourbillons de vents et de coups de gueule de Zéphyrage.
"À chacun son « réviser pour après », c’est ce que semble vouloir prouver l’auteure avec Zéphyrage, son dernier titre paru chez Délit buissonnier, dans une édition d’une grande sobriété. Elle y démontre une fois encore, après ses ouvrages publiés par Rougerie, une référence certaine, sa personnalité poétique marquante. Si le zéphyr est un vent léger, il peut être aussi porteur, avec Guénane, de cette rage éprouvée devant l’absurdité féroce du quotidien, quand les années s’obscurcissent et que le souffle exotique des souvenirs voyageurs voudrait retrouver son Amazonie. Pas d’attendrissement larmoyant à attendre de cette femme ô combien énergique au-delà des mots, mais, sourire en coin, une sagesse au fil des jours, des petits miracles de nos vies minuscules devant les éléments et le temps qui passe, le tout en jouant avec les mots et sur les mots ! 
























Dans ce recueil, Murièle Modély fait, encore une fois, en paraphrasant le titre, poème de tout bois. Chaque instant vécu devient poésie. Et quelle poésie : visions et épiphanies, sans cesse. Visions : « certains jours/la langue quitte la bouche/et se balade limace au-dessus de nos têtes » (cuisine). Vision apocalyptique dans voie basse. On pourrait même parler d’un livre des visions. Mais il y a des épiphanies aussi, et elles coïncident souvent avec les visions : le poème sommeil à citer en entier. Le quotidien, le passé (l’enfance) et le futur passés à la moulinette et réassemblés, avec quelques ingrédients : humour, voire dérision, lucidité, intelligence, maîtrise de la langue et dépassement du langage : «aujourd’hui, c’est la fête du couteau/c’est marqué en rouge à côté de la date/il y a la fête des mères, des pères/celle de la jupe, du voile/il y a aussi un jour/de l’amour/des morts/sans portable/sans voiture/sans électricité/la journée du lard ou du cochon/des seins/du saint des saints/des revendications, des recommandations/ de l’économie triomphante/du brame/des drames/des femmes/des hommes/(non, pas des hommes – question d’excroissance,/la case est trop petite)/vivre au fond/ n’est pas bien compliqué/il suffit de s’en tenir au mot du jour/composer décomposer, recomposer/une croix après l’autre/l’empilement des faits » (éphéméride)




