Hommage à Daniel Birnbaum (1953-2024)
Là-bas sur la lande
le nuage noir et mouvant
d’un vol d’étourneaux
ce frisson de ciel d’automne
fait trembler tes lèvres closesDaniel Birnbaum [1]
Daniel Birnbaum nous a quittés ce 21 septembre et ce ciel d’automne fait trembler nos lèvres closes. Daniel vivait plusieurs vies et il les traversait toutes en humaniste : la recherche médicale, la poésie, les souvenirs des lieux et des proches (son père juif polonais, la Creuse rurale de sa mère, où il fut élevé par des grands-parents aimés et aimants, la Provence…). Qu’est-ce que ça veut dire : traverser ses souvenirs en humaniste ? Peut-être ouvrir simplement ses bras, offrir ses paumes, faire un peu de place au lecteur auprès de soi, auprès des amis d’enfance, des proches disparus, des proches encore à grandir. Se placer à ce point aigu, frêle, où l’humanité point et où l’autre est accueilli autant que soi est donné. S’effacer mais être essentiel, être le passeur.
Passeur, Daniel l’a été ô combien dans son activité professionnelle de chercheur en oncologie moléculaire. Il était médecin et, très tôt, il comprit combien la recherche dite « de transfert » en cancérologie, située à l’interface entre la recherche clinique et la recherche fondamentale, était d’une importance majeure. Il a été de ceux qui ont fondé la recherche en génomique du cancer en France (les microaltérations moléculaires qui rendent les tumeurs plus agressives, notamment dans le cancer du sein).
Il aura formé auprès de lui nombre de chefs d’unité ou de professeurs d’université en activité actuellement dans ce domaine pointu, en constante évolution et marquée par l’apparition depuis quelques années des traitements dits personnalisés qui ciblent précisément les caractéristiques de telle ou telle tumeur. François Bertucci, ancien élève de Daniel Birnbaum et chef de l’unité d’Oncologie prédictive au Centre de recherche en cancérologie de Marseille, a la gentillesse de m’apporter son témoignage :
... intelligence, bienveillance, finesse, humour, simplicité, passion pour la recherche et le sport, travail, disponibilité, discrétion, enthousiasme, écoute...,
ses amies et amis poètes ne pourront que reconnaître les qualités de Daniel. Il m’avait confié toutefois, un peu doux-amer, combien son enthousiasme et ses illusions de jeune chercheur avait dû en être rabattus par l’immense difficulté de la recherche en oncologie, combien celle-ci était une affaire de petits pas, d’humilité, de travail au long cours.
Passeur humble, il le fut également en poésie, qu’il aborde sur le tard. Il aura eu un goût pour les formes courtes, avant tout le haïku et le tanka — prétendant qu’il n’avait pas le temps de faire plus du temps de sa carrière de chercheur ! Ce qui est évidemment un trait de modestie tant on sait combien difficile est le chemin à parcourir vers l’effacement de soi et de la langue pour creuser une place dans le poème où pourront se lover l’instant, le réel, le prosaïque. Il a pratiqué aussi les micronouvelles et les aphorismes dans un style plein d’humour. Il ne reculait pas devant le thème de la mort, de la guerre, de la conscience de l’impermanence qui doit nous guider en modestie, bien sûr, mais pas faire de nous des ermites loin de la cité. Humaniste, oui.
Daniel aurait voulu que le chemin de traverse entre sciences et poésie soit plus simple à parcourir. Mais il constatait combien il était délicat de partager la poésie avec le non-amateur de poésie et la science avec le non-scientifique. Il me disait donc avoir plutôt compartimenté ces deux aspects de sa vie, à regret. Je n’ose dire qu’il était sur la crête entre ces deux versants, car l’image est bien trop éloignée de sa personnalité. Non, il suivait plutôt le ruisseau de fond de vallée, ruisseau creusois aux truites fario de son enfance heureuse.
La petite
je lui apprends à chercher des champignons
puis à les reconnaître
à distinguer les bons et les mauvais
mais peut-être est-ce déjà lui en dire trop
sur notre mondeDaniel Birnbaum [2]
Repères : Daniel Birnbaum : Monde, j’aime ce monde. Collection Polder (n° 165 - 2015.) Préface Cathy Garcia. Couverture : Daniel Birnbaum.
Pierre Gondran dit Remoux : Même. Coll. Polder (n° 197 - 2023). Préface : Daniel Birnbaum. Couverture : Marie Dekerle.
On se procure ces ouvrages auprès de la revue Décharge ( 11 rue Général Sarrail - 89000 Auxerre) ou à la Boutique ouverte sur le site : ici, contre 9 € pièce. 14€ (port compris) les deux.
Autres ouvrages de Daniel Birnbaum (sélection) :
Le Cercueil à deux places, éditions Gros Textes- 2019.
Aucun angle mort. Préface de Milène Tournier. Éditions du Cygne, 2022.
Quand je serai jeune. Ed. P.i.sage intérieur - 2020.


















































































Andrée Buchet née BIVORT, le 24 décembre 1922 à Luxembourg, est une poétesse luxembourgeoise. Elle écrit chez elle toute sa vie, dans l'intimité du foyer qu'elle partage avec son mari, Boris Buchet, peintre de l'école de Paris.
Ce qu’il y a de fascinant dans les nouvelles de Cortázar, très représentatives du réalisme fantastique de la littérature latino-américaine, c’est qu’elles partent quasi toujours du quotidien, de situations des plus banales et puis, comme si la réalité commune n’était protégée que par un voile extrêmement ténu, soudain par une brèche, une faille, une déchirure, elle est envahie ou insidieusement pénétrée par d’autres réalités bien plus sombres et menaçantes où évoluent des créatures dangereuses, effrayantes ou pire encore. Elles montrent à quel point notre normalité, finalement, tient à peu de chose et qu’un rien peut nous faire basculer dans la folie, attiser nos pulsions les plus obscures, les plus animales, comme la statuette qui rend fou et sanguinaire dans L’idole des Cyclades et Les ménades où un chef d’orchestre paye cher et probablement en chair, son moment de gloire, quand le concert classique se transforme en orgie carnassière, sous la conduite d’une femme vêtue de rouge. Le talent de Cortázar n’est plus à démontrer et bien que les nouvelles de Gîtes, dont certaines figurent également dans d’autres recueils, commencent à dater — première parution chez Gallimard en 1968 — elles n’ont pas pris une ride. Elles se lisent avec toujours autant d’intérêt, de frissons et de plaisir. Une des plus notables, c’est sans doute N’accusez personne. Un homme enfile un pull, situation que nous avons tous connu, ça serre un peu, on se débat, on cherche la sortie, lui n’en ressortira pas vivant. Cette nouvelle, très simple en apparence, est d’une efficacité redoutable. Dans le registre légèrement surréaliste, il y a encore Céphalée où un couple d’éleveurs subit les symptômes de tous les terrains homéopathiques, sur fond d’élevage de bêtes étranges, fragiles et apparemment répugnantes : les mancuspies. Il y a cet homme aussi dans Lettre à une amie en voyage qui vomit des petits lapins. Dans Maison occupée, un frère et une sœur vivent seuls dans une vaste demeure familiale, mais peu à peu sont obligés de se retrancher dans un espace de plus en plus restreint, jusqu’à devoir quitter la maison. Le talent de Cortázar est l’art de rendre palpables les tensions, sans besoin d’expliquer quoi que ce soit, souvent les situations virent à l’absurde mais un absurde si noir qu’il est difficile d’en rire. Parfois, les nouvelles ressemblent à des souvenirs d’enfance, elles ont cette ambiance un peu douce et délavée des anciens albums photos où transparaît sans qu’on s’y attende, la cruauté. Pas mal de nouvelles se construisent aussi autour des rêves, des prémonitions, comme Récit sur un fond d’eau, Dîner d’amis ; de la perméabilité des frontières entre la vie et la mort, comme cet enfant qui pleure derrière La porte condamnée d’une chambre d’hôtel, scène qui pourrait tout à fait figurer dans un film d’horreur japonais et puis dans Le fleuve, une nouvelle particulièrement cynique autour du couple, ainsi que dans Autobus, où deux réalités s’ interpénètrent le temps d’un parcours en autobus, au plus grand effroi de deux des passagers qui n’ont pas de bouquet de fleurs et ne descendent pas au cimetière.
Julio Florencio Cortázar Descotte




