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LA REVUE NOUVEAUX DÉLITS - Page 6

  • Radicelles de Murièle Modély, photographies couleurs de Vincent Motard-Avargues

     

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    préface de Dominique Boudou – éd. Tarmac, 2019. 40 pages, 18 €.

     

    Murièle Modély a trop de talent pour être éditée, je ne me l’explique pas autrement, aussi quand enfin un de ses recueils voit le jour sur papier, c’est vraiment une grande joie que de tenir l’objet où l’écriture devient matière. Et pour une écriture aussi dense, un bel écrin s’impose.

     

    Après la revue Nouveaux Délits qui avait publié « Feu de tout bois », premier opus de sa collection Délits buissonniers, c’est de nouveau un revuiste qui tend la main à la talentueuse poète : Jean-Claude Goiri qui publie la revue FPM et a créé aussi les éditions Tarmac.

     

    Radicelles est un duo, un vis-à-vis où la voix de la poète vient se frotter aux photographies couleurs de Vincent Motard-Avargue tandis que ces dernières entrent en résonance avec cette langue organique et accrocheuse.

     

    On retrouve dans ce recueil, une thématique qui est précieuse à Murièle Modély, quasi obsessionnelle : l’île laissée derrière où sont plantées bien profond des racines lourdes de sang.

     

    « Il te semble entendre encore

    dans le sifflement du vent la déchirure de ton écorce »

     

    L’île, sa langue, son histoire, ses chaînes, sa douleur, ses débordements….

     

    « parl franssé ti fille/parl françé/parl franssais

    ou la bo ékri com ou veu

    tout’zafér la lé roug’, i rempli out tét

    tout’marmaille la lé roug’

    kan zot i aval, kan ou aval

    la mor la mer ek zot doulér »

     

    Français, créole, créole, français, les langues emmaillées tissent cette toile qui semble vouée à se défaire encore et encore.

     

    « on te dit choisis

    choisis ton camp, ta frontière, ton pays

    raye tout le reste, choisis

    pas de place pour à moitié, à demi, choisis

    gratte, arrache, la chair, la peau

    il ne restera plus qu’un peu de rouille sur la photo »

     

    Le poème devient la seule embouchure par où peut s’écouler le bruyant silence imposé, poème, corps, peau, papier.

     

    « tu n’en finis pas de danser

    sur la table

    de jouer du charbon

    de noircir

    écrire, ékrir

     

    (…)

    et des flots de salive qui ramènent dans la montée

    du poème

    ek in pé do sel sur la langue, le soleil »

     

    Nostalgie d’un temps ensoleillé donc où tout coulait de source, sans déchirure :

     

    « quand tu étais enfant, le bonheur était simple

    il tenait dans le creux de tes paumes

    s’écoulait jusqu’à tes dents de lait

    le bonheur mordait tes boucles

    mangeait ton cerveau nu

    puis tu as grandi : tes dents sont tombées

    la sagesse a poussé comme un buis

    a figé son basalte dans ton verre

    a fait taire le volcan et ta lave en fusion »

     

    La mémoire cependant est un creuset où plusieurs générations laissent leurs traces, même infimes, même invisibles, elles demeurent.

     

    « tu ne te souviens pas du mythe initial

    qui te raconte

    combien grinçaient les chaînes dans l’air pesant du soir

    combien le ciel, la terre et la mer étaient noirs

    (…)

    la sueur mangeait leurs yeux

    la moiteur dévorait leur langue

    ils n’avaient pas d’histoires »

     

    Le poème vient colmater les abimes, combattre l’oubli. Et nous lecteurs, gardons en refermant le livre comme la sensation en bouche de ces :

     

    « vers roses

    gras, lourds

    au parfum de coriandre »

     

    et cette main de feu dans les entrailles qui touille ensemble jouissance et douleur.

     

    Cathy Garcia

     

    murièle.jpgMurièle Modély est née à Saint-Denis (île de la Réunion) et vit aujourd’hui à Toulouse. Elle participe à des revues papier ou numérique et a publié quelques recueils : Penser maillée (2012), Je te vois (2014) et Tu écris des poèmes (2017) aux éditions du Cygne, Rester debout au milieu du trottoir, éditions Contre-Ciel (2014), Sur la table, éditions numériques Qazaq (2016), et Feu de tout bois, Délit buissonnier n°1, tiré à part de la revue Nouveaux Délits en juillet 2016.

     

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits numéro 65

     

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    Janvier 2020

     

     

    Une époque qui semble de plus en plus violente, oppressante, rapide, bruyante, voire cacophonique, absurde, déshumanisée trop souvent, et pour inaugurer une nouvelle année, j’ai vraiment ressenti le besoin d’une énergie plus apaisée — non pas que la douceur soit le monopole de la femme bien au contraire, et quelle merveille que la tendresse d’un homme — mais juste débuter l’année avec une énergie plus yin. Une énergie sacrément puissante, qu’on ne s’y trompe pas, comme peut l’être l’eau, mais peut-être plus aisément dans l’intériorité, moins frileuse dans ses émotions, plus sensuelle aussi et reliée à la nature hors et au-dedans de nous. Un numéro de femmes, il y en a eu un seul avant ça, c’était en janvier 2010, donc 9 ans, c’est un bon cycle pour recommencer. Voici donc un numéro offrant différentes couleurs, saveurs et textures en bouche. Femmes poètes, femmes à différentes saisons de la vie. Femme, mère, grand-mère peut-être et fille… Et là je dois vous avouer mon immense émotion et ma grande joie, cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de délit coup de pouce — c'est-à-dire la publication d’un poète mineur dans la revue ce qui ne signifie par pour autant une écriture mineure, loin de là ! La poésie serait-elle génétique, ou bien serait-elle une sorte de virus que l’on pourrait transmettre par l’éducation ou par amour ? C’est la question que je me pose car pour ce que j’en sais, cela s’est fait sans aucune volonté de ma part, j’en suis la première ébahie et c’est donc avec une grande émotion que j’accueille dans ce numéro mon enfant, qui fêtera ses 17 ans en 2020, comme la revue. Je n’en dis pas plus, je vous souhaite seulement pour cette nouvelle année qui débute, beaucoup de magie, beaucoup de lumière et de la belle obscurité, de celle qui chavire l’âme sans lui faire de mal. Je nous souhaite à toutes et tous, la paix, la sérénité intérieure car on le sait, 2020 ne sera pas un miracle, mais j’ose espérer cependant que quelque chose bouge au cœur même de l’humanité, que quelque chose brille de plus en plus dans nos consciences. J’ose espérer oui et puis 2020, tout le monde l’a remarqué, ça rime avec vin, un bon petit vin de derrière les fagots dans sa belle robe rubis. Allez santé !!

     

    CG

     

     

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    AU SOMMAIRE

     

     Délit de poésie : Danielle Laurent Carcey ; Barbara Le Moëne ; Patricia Castex Menier ; Diane Bifrare ; Zoé Besmond de Senneville ; Cindy Lajournade

     

    Délit coup de pouce : Key Mignot, troubadour onirique

     

     Résonances : Radicelles de Murièle Modély & Dé-camper de Florentine Rey

     

    Délits d’(in)citations décoiffent les coins de pages.

    Vous trouverez la bulletin de complicité au fond en sortant, facultatif mais nécessaire, il compte sur vous.

     

     

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    Illustratrice : Barbara le Moëne

     

     

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    Lorsqu'un soir je rentrais dans la chambre, complètement hagarde, par hasard je me regardais dans la glace. Elle reflétait l'image d'une possédée, sauvage et lubrique, repoussante et fascinante. Échaudée, les yeux enfoncés dans les orbites, la chemise de nuit de travers, le corps sans forme. La voilà la sorcière. Cette créature de la terre, aux instincts dénudés, débridés, avec son insatiable appétit de vie, femme et bête en même temps.
    Mary Wigman

     

     

     

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    Les vrais compagnons, ce sont les arbres, les brins d'herbe, les rayons du soleil, les nuages qui courent dans le ciel crépusculaire ou matinal, la mer, les montagnes. C'est dans tout cela que coule la vie, la vraie vie, et on n'est jamais seule quand on sait la voir et la sentir.
    Alexandra David-Néel
    in Journal de Voyage, Tome 1

     

     

     

    Nouveaux Délits - Janvier 2020 – ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès -  Illustratrice : Barbara le Moëne - Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

     

     

  • C’est quoi une femme à quarante-huit ans passés ?

    Quarante-huit ans passés, plus envie de faire semblant. C’est quoi une femme à quarante-huit ans passés ? C’est quoi une femme seule à quarante-huit ans passés ? Plus d’un an que je n’ai pas été touchée dedans, pire encore : ça fait longtemps qu’un homme ne m’a pas donné envie d’écrire.

    J’ai eu l’art de m’être laissée mal choisir. On appelle ça des expériences, mais c’est juste parce que j’ai mis trop longtemps à me rencontrer pour de vrai. Est-ce que quarante-huit ans passés, c’est enfin la maturité ?

    C’est un âge où certain-e-s ressentent le besoin de mentir, mentir sur leurs rêves,  mentir sur leur corps, sur les traces que la vie y a laissé, sur la graisse qu’on a tassé pour se protéger, d’autres justement, n’ont plus envie de mentir. Un besoin de vérité, de nudité, de douceur, d’un authentique jus de vie : être aimé vraiment, aimer vraiment. Avec outrance, avec sagesse, avec puissance, avec lenteur, avec autant de subtilité que d’intensité,  avec du rire et de la poésie, avec de l’audace et du tournis, parce qu’Éros versus Thanatos, là ça ne rigole plus.

    C’est un âge où on se dit que si à vingt ans on avait su tout ce qu’on savait maintenant…  Et on préfère ne rien s’en dire.

    C’est un âge où soudain on n’a plus envie d’attendre, plus envie d’être fidèle à son malheur. Un âge de volcan qui n’a pas dit son dernier mot.

     

    Cathy Garcia Canalès, octobre 2018

     

     

     

     

     

  • Soliflore 85 - Sarah Lecina

     

     

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    ©Caspar David Friedrich - L'Abbaye dans une forêt de chêne

     

     

    Ruines III

     

     

    Lui,     qui toque

    aux fenêtres noires

    pupilles-mouches

    courant d'une étincelle à l'autre

    et tes joues                  qui tremblent

    entre les vitraux de tes finalités

    jalouses du baiser du vent

    sur tes chevilles.

    Les arabesques sombres de sommeil

    s'éveillent à l'interstice de la nuit :

    je veux tomber à l'envers

    de tes yeux.

     

     

                Les yeux chavirés d'alcools

    il fallait écrire, à présent,

    sur l'amour des failles et des soubresauts violents.

    Pas une ruine encore ;

                seulement rime.

    Seulement déplacée de tes lèvres closes.

     

     

     

     

  • Soliflore 84 - Jacques Allemand

     

     

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    ©Aaron J. Groen, Dakota du Sud

     

     

    ces deux là feraient briller un terrain vague
    un champ de mottes et de choucas pareil
    autour d'eux les autres ne sont plus les autres
    vous non plus

    tourner autour sans les nommer
    (tant d'êtres et de choses perdent leurs forces dans la définition)
    juste les regarder lancer leurs bras
    par la fenêtre vers les arbres
    le chahut des criquets entre dans le train
    encore un instant et ces deux là
    ne feront plus qu'un avec les voyageurs les malles
    la ferraille qui bringuebale
    ils sont l'aujourd'hui de tous les voyages
    ceux du grand-père armé
    de l'enfance au masque de suie
    des corps volages
    des enneigés
    de tous ceux qui attendent leur tour
    dans les sacs et dans les reins

     

     

     

  • L’anarchie ou le chaos de Philippe Godard

     

    La Résonance du numéro 64 :

     

    illustrations de Vincent Odin

    Le Calicot éd., décembre 2018

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    220 pages, 10 euros.

     

      

     

    « l’édification d’une société d’êtres libres ne peut être que l’effet

    de leur libre évolution » Errico Malatesta (1853-1932)

     

     

    Voici un ouvrage qui amène un peu d’air frais dans le grand marécage idéologique de ce début du XXIe siècle, un air qui souffle librement sur les grandes questions contemporaines. Sont-ce vraiment des questions ? Dans la mesure où toute réponse ne visant pas à perpétuer le système tel qu’il est a peu de chances de trouver un espace officiellement autorisé d’expression, on peut s’interroger, alors disons donc : les grands problèmes contemporains. Il n’en manque pas. Le titre peut sembler ironique, tellement dans l’esprit commun anarchie et chaos semblent synonymes, mais le chaos, le grand désordre, n’est-ce pas ce que l’on vit déjà ? Cet ouvrage va donc à l’encontre des préjugés et des idées toutes faites sur un courant qui est au fond peu connu, parce qu’il est justement relégué systématiquement à la marge avec des idées et opinions tout aussi systématiquement cataloguées comme dangereuses. Pratique, pour ne pas prendre le risque qu’elles soient diffusées et donc entendues, qu’elles puissent ouvrir des brèches dans les couloirs de la pensée obligatoire. Qui dit anarchiste dit de nombreux courants, pour commencer, car il n’est pas question pour un anarchiste de se laisser enfermer dans une case, y compris celle de l’anarchie. Le point commun à tous ces courants donc, différents de par leurs orientations, leurs choix sur la mise en pratique, mais qui se rassemblent sur une vision sans compromis de l’autonomie de tout être humain, c’est le mouvement, la proposition, la créativité.

     

    « Que pensent les anarchistes des grands défis contemporains ? Nous n’en savons rien car peu de médias importants relaient leurs idées, qui sont le plus souvent considérées comme des vieilleries utopiques ou le fruit de dérèglements cérébraux. Le monde n’a guère évolué depuis ce jour de 1892, lorsque des médecins ouvrirent la boîte crânienne de Ravachol après son exécution pour prouver que son cerveau était anormal... »

     

    Cet ouvrage fait le tour de pas mal de ces défis et questions essentielles et offre des points de vue anarchistes donc, en évoquant et citant pas mal de figures et penseurs d’hier et d’aujourd’hui : Bakounine, Proudhon, Malatesta, Max Stirner, Emma Goldman, Kropotkine, Élisée Reclus, David Graeber, Marius Jacob, Louise Michel, Sébastien Faure, Alexandre Grothendieck, Pénélope Nin, Albert Thierry… avec un bon condensé de l’historique du mouvement, une réflexion solide et le tout non sans humour, grâce aux savoureux dessins de Vincent Odin.

     

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    Des points de vue qui peuvent apparaître radicaux, utopistes, mais si on y réfléchit bien, si on secoue un peu le formatage des esprits, ces idées sont peut-être surtout sensées, justes, évidentes, urgentes même, car contrairement à ce que l’on cherche à nous faire croire, à se faire croire, il n’y a pas qu’un seul futur possible.

    Ces idées utopistes font du bien et on sait que l’expérience de la Catalogne en 1936, même si elle fut trop brève et tragique, a été une mise en application concrète et réussie des visions anarchistes. Comme l’a dit en 1974, Noam Chomsky, cette expérience fut « un témoignage éloquent de la capacité des pauvres gens de s’organiser, de s’administrer sans coercition, ni contrôle. » 

     

    Et c’est peut-être bien justement parce que cela fonctionne que les systèmes en place font tout pour dénigrer cette pensée. Quoi de plus dangereux pour un pouvoir que la preuve de son inutilité, de son illégitimité ? Quoi de plus dangereux que des êtres libres et autonomes qui peuvent prouver que non seulement un pouvoir est inutile mais qu’il est aussi néfaste et à l’origine des problèmes qu’il prétend régler, problèmes dont la récurrence lui permet en réalité de se consolider et se perpétuer ?

     

    L’anarchie ou le chaos donne de la nourriture pour une réflexion vraiment libre et indépendante, ouvre plus largement des pistes considérées comme marginales en vue d’un mieux vivre ensemble.

     

    Bakounine disait, lors d’une tournée de conférences en 1871 :

     

    « Le droit à la liberté, sans les moyens de la réaliser, n’est qu’un fantôme. Et nous aimons trop la liberté pour nous contenter de son fantôme. Nous en voulons la réalité. Mais qu’est-ce qui constitue le fond réel et la condition positive de la liberté ? C’est le développement intégral et la pleine jouissance de toutes les facultés corporelles, intellectuelles et morales pour chacun. C’est par conséquent tous les moyens matériels nécessaires à l’existence humaine de chacun ; c’est ensuite l’éducation et l’instruction. Un homme qui meurt d’inanition, qui se trouve écrasé par la misère, qui se meurt chaque jour de froid et de faim, et qui, en voyant souffrir tous ceux qu’il aime, ne peut venir à leur aide, n’est pas un homme libre, c’est un esclave. Un homme condamné à rester toute sa vie un être brutal, faute d’éducation humaine, un homme privé d’instruction, un ignorant, est nécessairement un esclave. Et s’il exerce des droits politiques, vous pouvez être sûrs que, d’une manière ou d’une autre, il les exercera toujours contre lui-même, au profit de ses exploiteurs, de ses maîtres. […] Quant à nous, qui ne voulons ni fantômes, ni néant, mais la réalité humaine vivante, nous reconnaissons que l’homme ne peut se sentir libre et se savoir libre — et par conséquent ne peut réaliser sa liberté — qu’au milieu des hommes. Pour être libre, j’ai besoin de me voir entouré, et reconnu comme tel, par des hommes libres. Je ne suis libre que lorsque ma personnalité se réfléchissant, comme dans autant de miroirs, dans la conscience également libre de tous les hommes qui m’entourent, me revient renforcée par la reconnaissance de tout le monde. La liberté de tous, loin d’être une limite de la mienne, comme le prétendent les individualistes, en est au contraire la confirmation, la réalisation et l’extension infinie. Vouloir la liberté et la dignité humaine de tous les hommes, voir et sentir ma liberté confirmée, sanctionnée, infiniment étendue par l’assentiment de tout le monde, voilà le bonheur, le  paradis humain sur terre. »

     

    Philippe Godard prend un par un tous les sujets cruciaux : la liberté bien-sûr, condition première d’un être épanoui et donc bon pour lui-même et pour les autres car, écrit-il, « la liberté n’est pas la possibilité de faire n’importe quoi, d’oppresser, de réduire en esclavage. Rendre dépendant qui que ce soit, ce n’est pas nous rendre libre : c’est nous rendre exploiteur, et, donc, sortir de la condition libre qui est celle de l’humanité, pour entrer dans une autre sphère, celle du pouvoir. À l’inverse, échanger avec des êtres libres, travailler, jouer ou cultiver un champ, tisser des liens d’amitié ou d’amour avec des personnes libres, sans la moindre contrainte, est la plus intense réalisation de soi. Lorsque nous éprouvons que nous sommes semblables les uns les autres, que, toutes et tous, nous sommes libres, alors, notre association n’en est que plus forte, plus enthousiasmante. »

     

    La philosophie anarchiste est une des seules à souligner, faisait remarquer Emma Goldman (1869-1940), que l’évolution humaine, son bien-être physique, ses qualités latentes et ses dispositions innées doivent seuls déterminer la nature et les conditions du travail d’un homme.

     

    La question du pouvoir, radicalement remis en cause par la pensée anarchiste, est bien évidement abordée, ainsi que celle du vote et, par extension, ce que nous appelons démocratie (ou démocrature ?). Et puis encore : l’individu, le collectif et le penser collectif, l’argent et son corollaire, la consommation : « De nos jours […] : un billet de 20 euros n’indique pas qu’il correspond à la moindre contre-valeur en or ; il n’a de valeur que si le système perdure et s’il se trouve des commerçants pour l’accepter. […] Ce système mourrait si nous pouvions vérifier simultanément tous les comptes : aussitôt, les créanciers s’apercevraient qu’ils ne peuvent pas être tous remboursés, et le système s’effondrerait. »

     

    Il y est inévitablement aussi question de la violence et de la non-violence et Philippe Godard démontre, et ce n’est pas un détail, que l’usage de la violence n’a jamais obtenu l’adhésion de l’ensemble des anarchistes et « dès la période de propagande par le fait, dans les années 1890, le doute s’était installé […] à propos de l’utilité politique de la violence » et en 1920, Errico Malatesta demandait d’y réfléchir :

     

    « Nous ne devons pas oublier que la violence, malheureusement nécessaire  pour résister à la violence, ne sert à édifier rien de bon, qu’elle est l’ennemie naturelle de la liberté, l’accoucheuse de la tyrannie, et que par conséquent elle doit être contenue dans les limites les plus strictes de la nécessité. […] La révolution est utile et nécessaire pour abattre la violence des gouvernants et des privilégiés, mais l’édification d’une société d’êtres libres ne peut être que l’effet de leur libre évolution. »

     

    « La violence, reprend l’auteur, n’est en effet pas la voie stratégique que suivent la majorité des anarchistes. La violence "révolutionnaire" et la violence d’État sont plutôt "les deux mâchoires d’un même piège à cons", selon les deux derniers mots du héros anarchiste du film Nada (Claude Chabrol, 1974) ».

     

    L’écologie, l’éducation — essentielle l’éducation : former les esprits, et non les déformer —, les frontières que les anarchistes refusent, la science, la folie, la notion d’illégalité seront également abordées ainsi qu’une position des plus intéressantes — et qui mériterait qu’on s’y attarde plus que jamais aujourd’hui où l’on ne peut que constater les conséquences désastreuse de la course à la réussite — : le refus de parvenir.

     

    « Ce système nous a proposé jusqu’à maintenant d’accumuler, de vivre à fond dans l’avoir. Et il a acheté notre complicité, alors que des êtres humains n’avaient même pas la possibilité de vivre décemment. Cette misère s’étend à tout être vivant. La terreur d’État, l’asservissement industriel, l’abêtissement capitaliste et la misère sociale nous frappent toutes et tous. Insidieusement et continuellement, ces forces néfastes divisent notre être intime. Une partie de nous se voit subrepticement contrainte à être le bourreau de notre autre moi, celui qui rêve, sait et veut que ce monde ne soit pas celui-là. Combien d’entre les citoyens tentent difficilement de défaire la nuit ou pendant leur maigre temps libre ce dont ils ont été complices chaque jour travaillé ? » C’est ce qu’on peut lire dans un manifeste anarchiste dans les années 2008-2009 pendant la crise des subprimes.

     

    Philippe Godard, lui, écrit :

     

    « La coopération, la réflexion sur ce que nous produisons et ce que nous consommons, sont une part essentielle de l’utopie anarchiste, une utopie pas si irréaliste que cela si nous pensons à toutes les tentatives actuelles pour consommer autrement, consommer moins, beaucoup moins, de façon écologique et respectueuse du travail des autres. »

     

    L’anarchie ou le chaos est un ouvrage riche, dense et salutaire, nourriture saine pour l’esprit, manuel de  secours pour temps agités et dont on pourrait tirer encore un grand nombre de citations, mais laissons le dernier mot à Élisée Reclus, géographe anarchiste, qui écrivait en 1866 :

     

    « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves, détérioraient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois. »

     

    Alors, l’anarchie ou le chaos ?

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    lecrivain-philippe-godard-evoque-la-liberte-dexpression_1.jpgÉcrivain prolixe et directeur de collection, Philippe Godard a beaucoup voyagé, notamment en Amérique latine et en Inde. Il a étudié des langues dites « orientales » (chinois, bengali, hindi, haoussa, amharique, quechua) et est devenu claviste, puis correcteur. Puis encore rewriter, et enfin auteur de notices pour l’encyclopédie Hachette multimédia durant sept ans. 

    Sentant venir la fin de cette encyclopédie (et aussi la fin de l’idée même d’une encyclopédie telle que pensée par les Lumières), il a proposé une première collection de documentaires jeunesse chez Autrement : « Junior Histoire », dont les premiers titres sont parus en 2001, et qui en compte désormais vingt-cinq. 

    Il a ensuite lancé d’autres collections : « Les Insoumis » chez un petit éditeur strasbourgeois (qui a disparu), « Enfants d’ailleurs » chez La Martinière (13 titres parus depuis 2005, la plupart traduits et publiés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne), et il a repris la collection « J’accuse », chez Syros. 

    Il a aussi publié plusieurs essais politiques, dont un avec Henri Lefebvre sur le terrorisme en 1990, puis Contre le travail des enfants (Desmaret, Strasbourg, 2001) et Contre le travail (Homnisphères, 2005) et Au travail les enfants ! (Homnisphères, 2007).


    Il a publié de nombreux articles politiques, notamment dans la revue italienne Libertaria, intervient en milieu scolaire, fait des conférences sur des sujets sensibles. Il a fourni durant trois ans l’épicerie Fauchon en citrouilles, et a travaillé avec sa compagne à la fourniture en légumes d’un restaurant deux étoiles durant cinq ans.

     

    Depuis 2011, il donne des cours sur la pédagogie à de futurs travailleurs sociaux, éducatrices et éducateurs de jeunes enfants, éducateurs et éducatrices spécialisé.e.s.). Ce travail pédagogique s'inscrit en continuité de son travail éditorial, et c'est ainsi qu’il a publié, en 2017, Croire ou pas aux complots ?, qui est un véritable livre-outil, au service non seulement des jeunes mais aussi des éducateurs, spécialisés ou issus de l'Éducation nationale (aux éditions du Calicot).


    Philippe Godard vit, écrit et travaille dans le Jura. 

     

     

     

  • Soliflore 83 - Serge Muscat

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    photo©Corinne Nativel 

     

     

    UN VOISIN BRUYANT

     

                  Auguste Bouton avait décidé de consacrer ce samedi à la lecture. Il avait acheté la veille plusieurs ouvrages qu'il n’avait pas eu le temps de parcourir et, en ce début d’après-midi, il s’apprêtait avec enthousiasme à tourner la première page d’un roman dont il appréciait particulièrement l’auteur.

                Installé sur le canapé du salon, avec sur la table basse un verre et une bouteille de Martini, il commença, comme il en avait souvent l’habitude, par lire la quatrième de couverture du roman. Un bref extrait du récit y était rédigé, ce qui mit en appétit sa curiosité. Il était question d’un homme en prise avec le désespoir qui songeait à la manière la plus efficace de se suicider.

                Alors qu’Auguste Bouton entamait la lecture de la première page de l’ouvrage, il entendit les premières notes, plus précisément les coups de batterie d’une musique populaire, filtrer du plafond. Pressé de commencer la lecture de son livre, il se concentra sur le premier paragraphe du premier chapitre en détournant l’attention de la nuisance sonore.

                A peine entama-t-il le deuxième paragraphe que la musique provenant de l’étage supérieur monta en puissance de plusieurs décibels. Il redoubla alors d’attention en focalisant toute son énergie mentale sur les caractères imprimés de la feuille. Mais tandis qu’il lisait tant bien que mal le début du troisième paragraphe, les rythmes de la batterie montèrent en puissance jusqu’à donner l’impression que l’on essayait de défoncer la porte du salon à grands coups de bélier. A partir de ce moment, les phrases inscrites sur la page se vidèrent de toute signification. Il y avait bien des signes tracés à l’encre noire, mais pour Auguste Bouton ceux-ci devinrent de simples formes qui ne voulaient plus rien exprimer à sa conscience.

                Dans un accès de colère, il posa brusquement le livre sur la table et se précipita vers la cuisine. Là, il saisit un balai et revint au salon. Choisissant un endroit où le plâtre était dur, il se mit à cogner au plafond avec le balai. Après avoir donné une dizaine de coups, il constata avec dépit que la musique résonnait toujours aussi fort. Essayant de se contrôler, il se laissa choir dans un fauteuil, le balai à la main. Quelques poignées de secondes suivirent puis il alla remettre l’ustensile ménager à sa place.

                De nouveau au salon, il choisit un disque de jazz sur une étagère et plaça celui-ci dans la chaîne hi-fi. Presque immédiatement les premières notes de saxophone se répandirent dans l’appartement. Cela rendait une étrange musique faite d’instruments à vent et de coups de batterie provenant de chez le voisin. Auguste Bouton appuya trois fois sur la touche + du volume, ce qui eut pour effet de transformer le son du saxophone alto en une sorte de baryton. La batterie déchaînée filtrant toujours du plafond, il donna trois nouvelles impulsions sur la touche + du réglage de volume. Cette fois-ci le saxophone ressemblait à un son provenant d’une grande caverne, un peu à la façon d’un monstre criant depuis les entrailles de la terre. Les vitres des meubles du salon se mirent à vibrer, comme à l’approche d’une secousse sismique. La batterie de la musique du voisin était à présent devenue inaudible.

     

                Dans sa cuisine, en train de faire la vaisselle, D. pensa : « mais ils sont devenus fous ! »

                Les fous en question étaient bien entendu les responsables de ce vacarme indescriptible qui parvenait aux oreilles de D. Elle finit de rincer ses verres et ses assiettes, puis enleva ses gants de caoutchouc. Elle sortit ensuite de l’appartement et alla sonner à la porte d’Auguste Bouton.

                Malgré l’insistance de D, la porte de son voisin de palier resta close. D’ailleurs, la musique de jazz recouvrait totalement le timide bruit de la sonnerie composé d’une succession de deux notes. Elle patienta tout de même quelques instants, avec l’espoir que son voisin avait peut-être entendu quelque chose. Mais après deux minutes qui lui parurent une heure, elle regagna son logis, désappointée.

                Afin de se détendre de ses émotions, elle se servit un grand verre de lait qu’elle but d’un trait. Sentant ses forces lui revenir, elle ne trouva pas mieux, pour oublier le boucan fait par les voisins, de mettre une cassette de son compositeur favori. Afin de couvrir la musique des voisins, elle poussa le volume jusqu’à huit sur une échelle de dix. Ayant laissé les fenêtres ouvertes pour aérer l’appartement, la mélodie s’entendait jusque de l’autre côté de la rue. Satisfaite, D. s’alluma une cigarette et s’installa confortablement sur le grand canapé. Elle n’entendit même pas la sonnette d’entrée qui carillonnait. M., un homme âgé habitant l’étage en-dessous et souffrant de malaises cardiaques, sonna à quatre reprises. Constatant que cela ne donnait aucun résultat, il se mit alors à cogner à la porte ; d’abord faiblement, puis progressivement de plus en plus fort. D. écrasa sa cigarette dans le cendrier et alla se servir un autre verre de lait. Furieux, M. rentra chez lui et mit le poste de radio à fond.

     

                Lorsque tout l’immeuble trembla sous l’effet des enceintes déchaînées qui distillaient diverses musiques, les voisins de la rue d’en face prirent la relève. D’appartement en appartement la musique se mit à gronder jusqu’à couvrir le bruit des voitures. Bientôt tout le quartier manifesta son mécontentement en poussant le volume de la sono. Puis les jeunes descendirent dans la rue avec leur appareil à musique portable. Sur les places publiques on commença à danser sous une gigantesque cacophonie musicale.

     

                Vingt minutes s’étaient écoulées lorsque le disque qu’Auguste Bouton écoutait arriva à sa fin. Il prit alors conscience du remue-ménage qui régnait au dehors et alla à la fenêtre du salon. Il fut surpris de voir la rue grouillante de monde et d’entendre un brouhaha composé d’une mosaïque de mélodies et de chants. La curiosité éveillée, il décida d’aller observer tout cela de plus près.

     

                Après s’être rapidement vêtu, il descendit les trois étages de l’immeuble et déboucha dans la rue. Sous le soleil de ce début d’été, des gens allaient et venaient tandis que d’autres se trémoussaient au son de la musique brésilienne qui émanait d’un gros appareil portable posé sur l’épaule d’un jeune homme marchant d’un pas lent. Auguste Bouton remonta la rue en direction de la place sur laquelle se rassemblaient souvent les jeunes gens. Tout le long du chemin jaillissait des fenêtres ouvertes des musiques disparates couvrant pratiquement tous les genres que cet art propose. Des portes d’entrée apparaissaient des flots continus de personnes, comme si les immeubles se vidaient tous au même moment. Cela faisait un peu penser au sable coulant par l’ouverture d’énormes silos. Sans interruption, les gens se pressaient dans la rue jusqu’à finalement totalement encombrer celle-ci. Bientôt obligé de jouer des coudes pour se frayer un chemin dans la foule, Auguste Bouton, par on ne sait quel hasard, se retrouva alors face à face avec son voisin du dessus. La colère étant passée, ils se dirent courtoisement bonjour tandis qu’à une fenêtre proche un enfant criait à sa mère : « Maman viens voir, il y a une fête ! »

     

     

     

  • Christian Saint-Paul parle de la revue Nouveaux Délits

     

     

     

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    Le poète Christian Saint-Paul a, comme il le fait fidèlement depuis longtemps, encore parlé du dernier numéro de la revue dans son émission "Les poètes" du 17 octobre dernier sur Radio Occitania et il a choisi deux poèmes de Cathy Jurado, une lecture de cœur et de tripes avant tout, à écouter ici : https://lespoetes.site/emmission/emmission.html

     

    Merci à lui !

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits numéro 64

     

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    octobre 2019

     

    Je ne sais pas si cela vient de ce mois de septembre qui crépite de tensions, de nervosité ou de mon côté hyperactif, multitâche, de mon cerveau zébré en arborescence, de mon mental de Gémeaux capable de non seulement penser à plein de choses à la fois mais de les faire aussi simultanément, tout en réfléchissant, avec gourmandise, à toutes celles que j’ai envie de faire. Créer chez moi est compulsif, faire du lien aussi, transmettre, partager, pas étonnant que je me sois fait piéger par face de bouc.

    Je ne sais cependant pas si c’est l’afflux incessant de sollicitations, de données, d’informations, de questions exigeant réponse instantanée, qui nous submergent via toutes les nouvelles technologies  — et encore je n’ai pas de portable (je ne suis pas loin de faire partie des derniers des Mohicans). Je ne sais pas si cela vient des individualités de plus en plus selfisées, de la paperasse à n’en plus finir, pire quand elle est dématérialisée, avec ce tsunami d’identifiants, de codes, de mots de passe, de captcha (attention, marque commerciale déposée) et paradoxalement d’un manque croissant de professionnalisme — wow, j’ai vraiment utilisé ce terme ? — en tous les domaines, car peu importe comment et pourquoi les choses sont faites, ce qui compte c’est le fric, le fric, le fric et les plus pauvres de ramer et suer après ou sombrer dans une hyperactivité pathologique (devrais-je consulter ?) et pour bien d’autres, les « élus », c’est le fricot, le régal, la bombance. Ceux-là aussi sont en Enfer, comme Tantale, mais ils ne le savent pas, tant il leur est doux de se gaver, mais plus ils en ont et plus ils en veulent, jamais rassasiés et la planète n’est pas assez vaste, pas assez nutritive pour leur goinfrerie. S’ils aimaient manger de la chair humaine, c’est certain, ils nous dévoreraient littéralement.

    Je ne sais pas si c’est le fait que tant de mes convictions profondes, et qui ne datent pas d’hier, soient aujourd’hui à la une des médias et alors que je devrais m’en réjouir, j’ai pourtant l’impression que cela fait surtout du bruit, de la mode, du tweet et que la meilleure des intentions est récupérée, détournée, avant même d’avoir été énoncée. Je ne sais pas si c’est la sensation de vivre de plus en plus dans un gros fake, une cauchemardesque fête foraine, bien que je fasse partie de celles et ceux — il y en a — qui sont descendu-e-s du manège depuis longtemps.

    Bref, je suis fatiguée et je voulais donc dire que je faisais pour ce numéro, une grève d’édito ! Trop tard ? C’est tout moi, incapable de ne pas faire les choses, surtout quand personne ne m’oblige à les faire. Mais j’avoue, encore une fois, ce fut un plaisir de m’adresser à vous, je suis descendue du manège mais pas du bateau, alors ramons les amis, ramons ensemble et chantons, chantons avec nos voix, nos mots, nos poumons, nos tripes. Et apprécions le silence qui suit, le vrai silence : celui qui nous permet de sentir le battement de nos cœurs à l’unisson. Tant qu’on le peut encore.


    C.G.

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    Il faut faire attention : avoir le vent en poupe, c'est l'avoir dans le cul.
    Pierre Peuchmaurd in Fatigues

     

     

     

    AU SOMMAIRE


    Délit de poésie :

    Hommage à Jean-Pierre Hanniet et ses Poélitiques
    Duo pour les gilets jaunes : Laurent Thines & Cathy Jurado
    Olivier Robert, des extraits d’Accalmie un souffle

    Délit de griot blanc : aphorismes, pensées et un conte rouge du tribun des rues, Jg Tartar(e)

    Délit d’autopromotion : Cathy Garcia Canalès, préface et extraits de Pandémonium II

    Résonance : L’anarchie ou le chaos de Philippe Godard


    Les Délits d’(in)citations arrosent les coins de pages pour lutter contre la sécheresse de la pensée tandis que le bulletin de complicité sifflote au fond en sortant. Il ne va pas tarder à tendre le chapeau.

     

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    Illustrateur : Joaquim Hock

    https://joaquimhock.blogspot.com



     

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    Il n’est personne au monde aujourd’hui qui ne sache à quoi s’en tenir. Et que nous faisons tout ce que nous ne devons pas faire, que nous acceptons tous ce que nous savons ne pas pouvoir, ne pas vouloir accepter, que nous nous laissons tous entraîner en mettant tout sur le compte de la fatalité historique, aussi bien d’un côté que de l’autre… du mur de l’argent.


    Louis Guilloux 
    in Carnets, 5 août 1969

     

     

     

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    Nouveaux Délits - Octobre 2019 – ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès -  Illustrateur : Joaquim Hock - Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

     

     

  • Cathy Garcia Canalès - Toboggan de velours & Pandémonium II

    Comme une vaillante petite tailleuse de livres, je vous en sors deux d’un coup ! Et c’est dans la posture du grand écart que je fais moi aussi ma rentrée littéraire, avec deux livres aux antipodes l’un de l’autre : un dur et un doux, un noir et un lumineux, un grave et un léger, un engagé enragé et un tout délicieux sans danger pour le lecteur, ce qui n’empêche l’humour dans le premier avec les superbes illustrations originales de Joaquim Hock — l’Illustre Illustrateur Attitré de cette revue que l’on retrouve aussi avec une vive joie dans ce présent numéro — et de la profondeur dans la légèreté du second : toutes ces nuances humaines.

    Donc, en même temps que Pandémonium II  présenté dans ces pages, paraît aussi Toboggan de velours, qui comme son nom l’indique vous invite à vous laisser glisser les yeux bandés. Poèmes d’atmosphère, douceur, magie, mystère et quelques piquants soyeux d’impertinence. D’un format vertical cette fois de 32 pages et accompagné de collages en couleur de l’auteur.

     

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     « Glissade vers la nuit
    ses rivages de velours
    son écrin de pluie
    toute chaude d'amour
    se saisir de la chair
    y sculpter le plaisir
    descendre vers la mer
    abreuver son désir
    et rejoindre l'Éther »




    En savoir + sur ses deux parutions sur :  http://cathygarcia.hautetfort.com/

     

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    Tous mes livres auto-édités sont fabriqués et imprimés par mes soins, exclusivement sur du papier 100% recyclé haut de gamme.

    Tirages entièrement numérotés.

     

     

     

  • Soliflore 81 - Marc Liênet

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    Oscar Prudhomme - Rue de la Cathédrale - 2019

     

     

    L’Être

     

    L’être que tu penses être

    Ne m’intéresse pas

    Ou si peu

     

    Je m’adresse plutôt à ce naïf

    Que tu rabroues sans cesse

    À cet idiot dans sa superbe

    Qui continue d’alimenter

    La flamme

     

    Toi

    Cela fait longtemps

    Que tu es devenu rentable

     

    Lui

    L’autre toi-même

    Dont tu ignores toujours le nom

    Et qui croupit seul

    Dans le cachot de ton cœur

    Vibre encore

    Sur la musique du monde

    Entre tes rêves d’enfant

    Et la tristesse

     

    Toi

    Le bourreau le tortionnaire

    Toi l’esclave

    Toi l’arrogant dans son costume

    Toi la peur

     

    Lui

    L’amoureux le pendu

    Lui la tendresse

    Lui le poète à ses heures

    A n’en pas douter

    Lui mon ami

     

     

     

     

     

  • Soliflore 79 - Bernard B

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    photo de l'auteur

     

    pause surréaliste – saison 2 (V)

     

    sous les pavés de pierre de lune rousse c’est une plage de sable fin qui glisse entre les six doigts translucides de l’humanoïde aux mille souvenirs bien ancrés dans sa mémoire cache-cache où s’effleurent des corps célestes munis de lampes hallucinogènes où se bousculent des chimères sans queue ni tête où un quartet de soldats de plume sonne la charge en coulisse sous un ciel de cuivres sous une trompette de neige sous une averse de trombones à piston à double effet de surprise sous une grêle de croche-pieds sous un cyclone polaire de demi-tons en boîte de nuit sous un orage de notes piquées au vif du sujet de la phrase musicale que l’humanoïde claironne dans l’espoir du grand renversement des tables rondes en langue de bois non équitable dans l’espoir du grand effondrement de la tour infernale dans l’espoir d’un nouveau paradigme sans dogmes dans l’espoir de trouver sous les pavés de pierre de lune noire une plage de sable sans fin ni fond

     

    https://bernardbblog.wordpress.com/

     

     

     

     

  • REVUE NOUVEAUX DÉLITS, QUÈSACO ?

     

    La revue Nouveaux Délits est née dans le Lot en juillet 2003, sur l'initiative de Cathy Garcia Canalès, artiste et poète elle-même qui assume depuis en solo le rôle de femme-orchestre. La revue, bimestrielle jusqu’en janvier 2008, se décline aujourd'hui en 3 numéros par an, plus un délit buissonnier qui sort le plus souvent en juillet. Nouveaux Délits est une revue de poésie vive, ce qui signifie qu’elle publie beaucoup de poésie contemporaine mais aussi d’autres genres de textes.  Chaque numéro a ses illustrations originales réalisées par un-e artiste. Elle offre une belle place aux écritures marginales, non formatées. Y sont publié-es des autrices et auteurs de France et du monde entier (en version bilingue pour les non francophones), aussi bien connus que jamais encore publiés et tout le monde y est accueilli de la même chaleureuse façon.

     

     

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    52 pages agrafées

    revue artisanale

    imprimée sur papier 100 % recyclé

    cohérence oblige

     

     

    Pour s'abonner voir ici :

    http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/s-abonner/

     

     

    Offrir un abonnement à une revue poétique

    est un cadeau très original

    et sans aucun doute d'utilité publique.

     

     

     

     

     

  • Douces et reconnaissantes pensées pour Jean-Pierre Hanniet

     

    C'est en recevant le dernier numéro des Adex, ce journal poético-artistique du Pays de Valois dont il était avec son épouse fondateur, que j'apprends un peu tard que tous deux sont partis à quatre mois d'intervalle : Carole Harding-Hanniet en octobre 2018 et Jean-Pierre, le 8 février dernier. Je savais pour ce dernier que la santé était devenue fragile mais il y a pourtant des personnes qui sont tellement vivantes, qui mettent tellement en valeur ce mot 'vie", qu'on ne pense pas que cela puisse s'arrêter un jour. Jean-Pierre avec qui j'ai eu l'occasion d'échanger suffisamment pour voir en lui un grand homme, était un fervent soutien de ma revue Nouveaux Délits et de mon écriture par ailleurs, un soutien fidèle et discret. Nul doute que son voyage continue et que sa bonté continue à œuvrer, car rien ne se perd, tout se transforme et j'aime à croire que le meilleur de nous-mêmes est justement notre part d'immortalité.

    Merci Jean-Pierre de tout cœur !

     

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    Jean-Pierre HANNIET, né en 1937, élève de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Beauvais, fera sa carrière d’instit dans le Valois. Il y animera diverses associations culturelles, une revue de poésie “Banderille” avant de se consacrer à une vie politique militante. Elu Conseiller général de l’Oise en 1970, il exercera des fonctions électives diverses vingt cinq ans durant et initiera des ouvrages scolaires consacrés à l’éducation civique, publiés chez Bordas. Il fonde en 1995 Les Adex.

    Collections Tempoèmes :
    « Les poélitiques » – © Les Adex 2006
    « Sillages » – © Les Adex 2003
    « De haut et de travers » – © Les Adex 1997
    « Au fil de mes temps » – © Les Adex 1997

    Collections Graphipoèmes :
    « Couleur Safran » — Les Adex 2008
    « Paroles Bleues » — Les Adex 2001
    « Saisons de platanes II » — Les Adex 2001
    « Saisons de platanes » — Les Adex 1999 (épuisé)

    Associé à Lucas-Faytre dans la séries Les carnets qui rêvent : « Nus à la Grande Chaumière » – © ADAGP 2012

    http://www.lesadex.com/

     

     

     

  • Soliflore 78 - Pierre Melendez

     

     

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    ©Caroline Roméo (Pépite)

     

     

     

    Notes

     

    Accroupie sur le balcon

    elle fume une clope

    penchée sur un carnet

    de notes

    des fa des sols des si

    et elle fait comme si

    elle ouvrait grand les portes

    de l’inspiration

    au dessus du sol

    en quelque sorte

    On lui a souvent dit

    qu’elle chantait trop mal

    alors elle écrit

    dans un mode animal

    avec des cris

    des grognements

    hululements

    elle écrit comme elle ment

    des poésies de pacotille

    aux rimes qui brillent

     

     

     

  • Soliflore 77 - Magali Fenoglio

     

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    photo ©L.T.

     

     

     

    J'ai écrit
    Beaucoup
    Sur tout et n'importe quoi
    Sur ma vie et n'importe qui
    Et même sur toi, qui n'existait pas !
    J'ai écrit
    Parfois
    Que la solitude c'était moche
    Que ça ne baisait pas bien...
    J'ai menti !
    Je me suis menti
    Tout ça pour quoi ?
    Pour rentrer dans un moule beaucoup trop petit
    Faire semblant de... Ne plus être soi...
    Me perdre, me laisser aller
    Me dégoûter de cette chose molle
    Toute en douleur et sans joie
    Que je suis devenue, 
    Par choix !
    Je n'en veux à personne
    Même pas à moi, surtout pas à moi !
    Et puis un jour tu le fais, tu te regardes
    Pour de vrai !
    Et en fait t'es juste morte, t'es plus folle !
    Alors
    Qu'il soit bon ou mauvais
    J'ai fait un choix !

    Et je sais
    Je sais le mal que j' te fais !
    Je la connais
    Cette douleur
    Cette rancœur
    Cette envie de s'arracher cette merde 
    Qui ressemble à un cœur !
    Il paraît que l'amour ça n' dure pas
    Ou que ça dure 3 ans...
    Bien moins longtemps
    Quand ce n'en est pas !
    Mais j'ai choisi, 
    J'ai choisi de me sauver, moi !

    Et putain oui, Solitude t'es la plus belle des catins !
    Et putain non, tu n'es pas moche et triste.
    Tu es une salope en dessous de satin
    Pas en blouse blanche qui pue le médecin légiste !
    Tu as une odeur que je reconnais...
    Tu sens le vent un soir d'été
    Tu sens la forêt et la terre brûlée
    Tu as ce goût sucré-salé
    Qui dans ma bouche la salive fait monter
    Tu as l'odeur et la saveur de ma liberté...

    Alors non chérie, tu n'es pas laide, viens approche !
    Tu me libères, tu me retournes 
    Tu m' vides, tu m' fais les poches
    J' deviens liquide... 
    Flot ininterrompu coulant de mes doigts
    Tu m' fais grimper comme jamais
    Orgasmes trop longtemps contenus, oubliés
    Explosent enfin autour de moi !
    J'ai retrouvé l'envie, bordel !
    J'ai retrouvé sur ma langue, le goût du miel
    L'envie d'en écrire, l'envie de et je respire !

    J'ai écrit
    Beaucoup
    Mais je n'ai jamais écrit dans l' tiède !
    J'écris quand ça fait mal
    Ou quand j'ai la dalle !
    J'écris quand j'ai les yeux qui brillent
    Ou quand tout part en vrille...
    J'écris sur les murs, les trottoirs
    Ou quand sonne l'heure des messes noires...
    J'écris quand j'en crève
    Ou quand j'en rêve...

    Mais il reste une certitude
    J'écrirai toujours avec Solitude.
    A mes côtés ou ancrée en moi
    Elle sera toujours là !
    Alors je la laisse faire ce qu'elle veut
    Et je la regarde s'emparer de mes mains
    Elle me fouille, elle me fait du bien
    Explosion au bord des yeux
    Elle me souffle de ne plus me taire
    Alors oui, je la laisse faire...
    Écris putain ! Écris !
    #Marie, elle s'est retrouvée et elle aime ça...
    Écoute putain ! Elle rit !

     

     

    https://www.facebook.com/Marie-Mad-Moi-SAiles-Perch%C3%A9e-1641652899381357/