Paraît que d'Heptanes Fraxion
photo : Patrick Bories
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RETOUR À PECH MERLE
la pierre est chair
où vit la rhétorique magique des images
peuplant la même aspérité
mammouth buffle tigre cheval
par transparence on lit
emballement dévoration vitesse frayeur fuite et chaos chair chair
le réel se conforme à de telles objurgations
oui nous ferons des signes
nous mettrons en scène
nous manierons le symbole
nous créerons un langage vivant
nous mêlerons la salive et le sang
le pigment et les cendres
lapis et carmin régurgités
par nos sarbacanes
nous sommes la bouche
qui crache
au cortex de la grotte
ces images rétiniennes hors du temps
la camera oscura
transmute nos mains en négatif
monstration des reliques
la hyène digérée par l'ours digéré par l'image digérée par la grotte
dans son intimité suintant le souffre
un boyau retient prisonnières
les images inverses apposées
au cerveau de la grotte
on voit son œil blanc et fendu
ombres mêlées
le mammouth la biche l'aurochs la tête d'ours l'homme la femme la femme treize fois la femme le point la jument le brochet
ce langage c'est Eurydice aux Enfers
et nous voudrions en retirer quelque chose
alors nous rebroussons chemin
chemin rebroussé au-delà du texte
au-delà de la feuille
au-delà de l'articulation
par-delà les limites que nous nous sommes infligées
nous rebroussons chemin vers l'image pure
le signe vivant
.... et qui s'adresse à l'auteur :
"bien reçu. Viens d'une traite relire ton "Paraît que", dit relu parce que je crois les avoir lus tes textes mais un à un, espacés et là regroupés, à l'enfilade, ça donne un sacré tempo surtout avec pour écho le contrepoint "t'es un mec du XX° siècle toi", oui beaucoup beaucoup de rythme avec ces vérités que tu retournes comme des crêpes et non sans humour... C'est rapide, c'est neuf, beau boulot, vraiment beau boulot. Merci pour cette bonne énergie"
Sortie le 1er juillet 2021
illustration de Jimmy Fortier
*
paraît que t'es naïf en amour
paraît que t'as besoin de sentiments pour niquer
paraît que t'es qu'un connard mesquin
paraît que t'as besoin d'être reconnu dans ta vérité
paraît que chez toi ça sent pas vraiment le poète obscur
paraît que t'as une voix à vendre de l'huile d'olive
paraît qu'il faut que tu sois un peu plus humble
paraît que tu chausses comme Michel Platini
paraît que t'es l'heureux papa d'une IVG et d'une grossesse extra-utérine
*
tirage numéroté
32 pages agrafées
imprimées sur papier calcaire 100 g
couverture calcaire 250 g
100 % recyclé
*
10 € +2 € de port, à commander à
l’Association Nouveaux Délits – Letou – 46330 St Cirq-Lapopie
Heptanes Fraxion par Christine Spadaccini
*
Délits buissonniers
est une collection de tirés à part
de la revue Nouveaux Délits
Vous pouvez lire Heptanes Fraxion
dans le numéro 54 (avril 2016)
*
Composé, imprimé sur papier recyclé et diffusé par :
l'Association Nouveaux Délits
Dépôt légal : juillet 2021
ISSN : 2556-0026
*
coll. Mycélium mi-raisin, Hélice Hélas éd., 29 mars 2019.
Une noria de nuits au pelage léopard accoucha de dizaines de soleils qui, l’un après l’autre, pyrogravèrent le ciel de part en part sans y laisser le moindre sillon.
Au petit bonheur la brousse est un roman dense, consistant, aussi savoureux que désespérément tragique, qui tisse un lien improbable entre une Helvétie paisible, fraîche et ordonnée, lisse et impeccable comme un livre d’images et un pays en sueur, chaotique, déchiqueté par la violence, la corruption, la cupidité, l’injustice et le mensonge. Bel héritage postcolonial entretenu par Didi Salman Dada, alias L’Autre-là, président agrippé au trône depuis presque cinquante ans et qui « pouvait dormir sur ses deux oreilles tant qu’il continuerait à brader l’or noir tchadien à ses parents occidentaux ».
Ce lien entre la verte Genève et la brousse turbulente et aride de la province du Takoral, s’appelle Bendiman Solal, enfant suisse du Tchad ou enfant tchadien de Suisse, dont l’enfance a été bercée par le jet d’eau du lac Léman, le pompon de neige au sommet du Mont Blanc, l’amour de ses parents – son papa est comptable pour l’Ambassade tchadienne — et de Ginette, dit Gigi, sa marraine adorable et adorée, les jeux, les livres, toutes les histoires qu’on lui a racontées : celles du pays de ses ancêtres qui lui ont donné le goût de l’aventure et celles de Guillaume Tell et Madame Royaume qui lui ont donné un idéal d’héroïsme et le font rêver grand dans la belle et tranquille résidence genevoise. Aussi, quand ses parents sont soudainement rappelés au Tchad, qu’il ne connaît donc que par la langue des griots, c’est certes avec une certaine appréhension mais surtout avec une immense curiosité mêlée d’une forme de respect, qu’il s’apprête à poser les pieds au pays des ancêtres. Abreuvé d’histoires d’un Tchad voué à la magie noire, il se rêvait déjà comme un Harry Potter des Tropiques. Ce qu’il n’aurait jamais pu concevoir, jeune et naïf adolescent si enthousiaste à l’idée de découvrir enfin sa terre originelle, c’est que sitôt arrivé, non seulement il allait être séparé de ces deux très chers parents mais que ces derniers allaient être immédiatement arrêtés et mis au secret pour raison d’État. D’un seul coup, tous ses repères sont effacés, « à leur place avait surgi un monde rude, ivre de soleil et craquelé de sécheresse, un monde où tout se passait comme dans un vieux film mal colorisé et projeté au ralenti. Les personnages, pour la plupart efflanqués, étaient aussi fâchés avec la nervosité qu’ils étaient adeptes du rire. Quant au décor, mélange d’immeubles en béton et de maisons en banco assiégés par la brousse, il étalait son indigence de couleurs et de reliefs dans une monotonie à filer le bourdon à une enclume. » et Bendiman Solal finit très vite par se retrouver totalement démuni et isolé, avec un oncle, le seul qui ne craigne pas de l’aider.
Bendiman Solal, n’est cependant pas du genre à baisser les bras ou à sombrer dans le désespoir, à peine sorti de son cocon helvétique et donc « profondément imprégné de l’illusion que la justice était à l’œuvre partout, y compris au cœur de l’Afrique », il s’est donc donné une mission : retrouver ses parents. Une mission que l’adolescent poursuivra envers et contre tout dans ce pays qui, pensait-il, venait de tout lui prendre, mais ce n’était qu’un début. Parcours initiatique et brutal au cours duquel Bendiman Solal, jeune garçon cultivé, intelligent, exceptionnellement doué même, au cœur bon et noble, perdra couche après couche, toute illusion, toute innocence, tout idéal. Il faut le talent d’une plume comme celle de Nétonon Noël Ndéjékéry, lui-même tchadien vivant en Suisse, pour en faire un roman aussi prenant, plume qu’il trempe dans l’encre de l’humour le plus décapant : celui du désespoir, une encre d’un noir si lumineux. Encre qui cependant finit par s’assécher elle aussi, à mesure qu’on s’enfonce dans l’histoire comme Bendiman Solal, allias Mini Tell, s’enfonce dans la réalité la plus crue, laissant loin derrière lui comme une carcasse dans le désert, les rêves, les espoirs et la candeur de son enfance.
Reste la langue imagée et sublime, poésie sage et digne, des griots, « tout le reste s’avère si extrême dans la douleur comme dans la joie que, sous peine d’y perdre la raison, il faut sans cesse le repeindre aux couleurs des mirages si courants avec l’avancée des déserts. Simple exigence de survie. » Au petit bonheur la brousse ou bien au grand malheur la brousse ? Un mélange, un de ces curieux mélanges que l’humanité touille dans ses sombres chaudrons.
Cathy Garcia Canalès
Né au Tchad, Nétonon Noël Ndjékéry a fait des études supérieures de mathématiques. Il vit et travaille en Suisse comme informaticien. Parce que son père était un soldat de carrière, il grandit dans un camp militaire et est très tôt mis au contact de la langue française. Cependant, ses racines se sont d’abord nourries de la puissante sève de l’oralité subsaharienne. Sa mère a juste le temps de lui insuffler le goût de conter avant que le divorce de ses parents ne le sèvre à jamais des berceuses. Mais il a déjà contracté le virus de la parole partagée et en devient une des plus fidèles victimes consentantes. Dès lors, il ne cessera plus de prêter l’oreille à tout griot de passage. L’école lui ouvre ensuite l’univers fabuleux des livres. Il s’y enfonce, papillonne, butine au gré des bibliothèques et découvre, fasciné, que la parole volante et la parole écrite sont les deux rouages d’une seule et même machine à revisiter rêves et réalités. Il a publié Sang de Kola, L’Harmattan, 1999 ; Chroniques tchadiennes, Infolio, 2008 ; Mosso, Infolio, 2011 ; La minute mongole, La Cheminante, 2014.
traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller
Métailié éd., 22 août 2019
Ce roman est une fresque étourdissante d’une densité telle qu’il est impossible de le résumer, et d’ailleurs tel n’est pas le but de cette note, mais il faut tout de même pouvoir donner quelques pistes au lecteur. De quoi s’agit-il ? D’une histoire de famille sur plusieurs générations, trois siècles, en Ouganda, donc bien avant que ce pays ne soit arbitrairement nommé ainsi par le colon britannique, en référence à l’ethnie Ganda, occultant ainsi toutes les autres qui peuplaient cette terre.
Kintu est donc une histoire de famille, mais à vrai dire, c’est avant tout l’histoire d’un geste malheureux et de ses conséquences : la répétition transgénérationnelle d’une malédiction. La gifle d’un père, Kintu, à son fil adoptif, Kalema, lors d’une déjà difficile traversée de désert, ayant entraîné accidentellement la mort de ce dernier, qui de plus, fut vite et mal enterré par mégarde à côté d’un arbuste épineux auprès duquel on enterre habituellement les chiens.
Le roman démarre par un prologue, nous sommes en janvier 2004 à Bwayse, un bidonville situé dans une zone marécageuse au pied de Kampala. Kamu Kantu y est assassiné. Kamu Kantu est un descendant de Kintu Kidda, l'ancêtre qui a attiré la malédiction sur sa lignée. Et ce prologue laisse place au premier chapitre qui nous ramène à l’origine donc de cette malédiction : en 1750, dans la Province du Buddu, au Buganda.
Plusieurs générations vont ainsi se succéder, depuis le temps des clans, des royaumes jusqu’au début du XXIe siècle. L’histoire des individus mêlée, emmêlée à l’Histoire d’une terre sur laquelle sont venues, les unes après les autres, se greffer des religions importées et conflictuelles, dont la pas si petite dernière : la très activiste évangéliste. Une terre démembrée par la colonisation, ce qui a entre autre ravivé et compliqué les guerres tribales, et qui essaie d’avancer avec de douloureuses prothèses occidentales comme tout le reste du continent, et tous les flux migratoires consécutifs, la modernisation et la paupérisation qui va avec, les guerres encore, le sida… Y est évoqué bien-sûr la sinistrement célèbre figure d’Idi Amin Dada, mais d’un point de vue ougandais, notamment dans une discussion entre deux amis qui ne sont pas d’accord.
La figure était cependant déjà suffisamment et atrocement sanguinaire, sans besoin que les fantasmes occidentaux n’en rajoutent pour en faire une caricature révélatrice de leur propre peur du « noir », tout en faisant oublier ainsi leur responsabilité dans l’instauration de ce dictateur, comme tant d’autres en Afrique.
Kintu est un roman, écrit forcément dans la langue de l’ancien colon britannique, mais c’est vraiment un roman ougandais, sans compromis.
Si la toile de fond se transforme au cours des siècles, Jennifer Nansubuga Makumbi tisse sa trame avec tant de subtilité, l'art de montrer sans dire, que ce n'est pas ce qu’on pourrait appeler une fresque historique. L’Histoire est un grand fleuve, mais ce sont les êtres humains qui sont ici au centre de la fresque, ils sont bien sûr entraînés par le courant, roulés, malaxés, modelés et parfois brisés par lui, mais, comme des galets, ils sont solides. Ils ont leur propre densité, identité, ils sont tous reliés à une montagne originelle, ancestrale et si la destinée de chacun est à la merci des événements, il existe aussi une forme de prédestination. La force du fleuve ne change rien à la malédiction qui poursuit les descendants de Kintu Kidda, génération après génération, mais cela pourrait tout aussi bien être une bénédiction, ce qui émerge de ce roman, c’est le fil qui nous relie les uns aux autres et qui traverse le temps.
Roman foisonnant, puissant, où l’on se perd facilement mais, comme les personnages, nous sommes entraînés par la force du courant. Une liste et un arbre généalogique en début d’ouvrage peuvent nous aider à reprendre pied, mais à vrai dire on n’en a pas forcément envie, car très vite, il n’est pas tant question de tout comprendre, mais plutôt de se laisser emporter et peu à peu imprégner de cette langue franche et magnifique avec laquelle Jennifer Nansubuga Makumbi nous raconte sa terre d’origine.
Un premier roman magistral.
Cathy Garcia Canalès
Jennifer Nansubuga Makumbi est née à Kampala. Elle a étudié et enseigné la littérature anglaise en Ouganda, avant de poursuivre ses études en Grande- Bretagne, à Manchester, où elle vit aujourd'hui. Son premier roman, Kintu, lauréat du Kwani Manuscript Project en 2013, sélectionné pour le prix Etisalat en 2014, a reçu un accueil critique et public extraordinaire, aussi bien en Afrique qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, qui lui a valu d'être comparée à Chinua Achebe et considérée comme un « classique » instantané. Elle a remporté le Commonwealth Short Story Prize en 2014 et le prix Windham Campbell en 2018. En sélection pour le Prix Médicis étranger 2019.
©Heather Plew
Sucs à plaies
Ici ou là coulent leurs plaies
En cônes enroulés
Leur haché vert à apaiser
S’inhale en cautère herbacé
Ici ou là coulent leurs plaies
Contre un mur ou bien cachés
Fondre la came en suc troublé
Et par la veine les panser
En silence regards concentrés
Ô bonbon Éden à avaler
Chimie d’instants colorés
Tout éteindre et s’envoler
Étude de Nuages de John Constable
Nuage...
...qui ne s'achète ni se vend
ni se soumet ni se prend
ni se contraint ni se consomme
indispensable à rien ni à personne
archives éphémère pour poète indigent,
traversé de vide, boursouflures du néant,
confluents du rêve, de la pluie et du vent
dans tes flancs vague à l'âme
dérivent les mémoires fantômes,
cartographie errante de pensées perdues,
rêves oubliés, souvenirs diaphanes,
archipel des songes, écumes filigranes
Mais bientôt les orques grondent
et roulent dans les hauts fonds de tes limbes,
percent de leur sang noir
les entrailles de tes brumes
et soufflent aux oracles du chaos
les présages à venir...
septembre 2019
Avril 2021
Numéro 69, numéro chaotique, comme me l’a soufflé un certain Martin ? Fort possible, et en retard comme un lapin d’Alice ! Lapin de Pâques sans aucun doute à la recherche d’un mystérieux œuf noir très cosmico-alchimique, dont j’ai rêvé tout récemment, ce qui n’a pas empêché mon ordinateur de faire un séjour chez son docteur, entre autres contretemps et bifurcations d’agenda sanitaire… Bref, difficile de trouver l’inspiration et plus encore la concentration pour un édito, entre les vagues virales, les tsunamis de fatigue et les clapotis du sens. Quelque chose me murmure à l’oreille qu’il faut se calmer, respirer et faire ce qu’on peut, juste le faire au mieux, sincèrement. En ces temps plus que confus, la poésie me semble plus désirable que jamais et concevoir cette revue continue à faire sens, donc voilà — plus chaotique qu’érotique — un numéro 69 très éclectique ! Puissiez-vous y trouver de quoi nourrir votre jardin intérieur. C’est la saison des semis, alors semons, mettons les mains dans la terre et la langue dans les mots, restons à l’écoute de ces petites voix qui murmurent à nos oreilles et ne trichons pas avec l’essentiel.
cgc
L’impossible est un univers clos. Néanmoins, nous en possédons la clé et, comme nous le soupçonnons depuis des millénaires, la porte s’ouvre sur un champ d’infinies possibilités. Ce champ, il nous appartient plus que jamais de l’explorer et de le cultiver. La clé n’est ni magique ni symbolique. Les Grecs anciens la nommaient « poésie », du verbe « poiein », construire, façonner, créer.
Raoul Vaneigem
AU SOMMAIRE
et pas forcément dans l’ordre
Délits de poésie :
Odile Vecciani
Richard Roos-Weil en Sarabandes & farandoles
Marie Alcance
Archibald Aki
Délit grec : Anne Barbusse, avec des extraits d’À Petros, crise grecque
Résonances : Au petit bonheur la brousse de Nétonon Noël Ndjékéry, coll. Mycélium mi-raisin, Hélice Hélas éd., 2019 & Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi, traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller, Métailié éd., 2019.
Délits d’(in)citations en floraison. Vous trouverez le nouveau bulletin de complicité au fond en sortant, il remplace l’ancien depuis le 1er avril et il ne sent pas le poisson.
Illustrateur : Jean-Louis Millet
chasseur d’alternatives donc curieux de hasards et de connivences en dessin, peinture, sculpture, photo, écriture, édition virtuelle… quelques passages en revues pour des textes et des illustrations : À l’index, Traction Brabant & Nouveaux Délits, auteur et illustrateur du dernier « délit buissonnier » : Preuves incertaines & animateur de blogs et de sites dont http://www.zen-evasion.com/
jouer notre partition dissocier la cacophonie créer en elle un no man’s land ouvert à l’imprévisible enfanter des flous précis pour désorienter les heures dans chaque minute creuser un trou de ver vers l’impossible œuvre insuffisante nécessairement insuffisante mais dans laquelle il nous faudra donner toutes nos mesures d’homme pour désarticuler fût-ce quelques secondes les horlogeries corrompues
Pascal Perrot
in Une brèche dans la tapisserie des ombres
Nouveaux Délits - Avril 2021 – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès - Illustrateur : Jean-Louis Millet Correcteur : Élisée Bec
« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.
Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle.
Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité, et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie.
Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des informations et des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.
On mettra la sexualité au premier plan des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté, de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.
Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. »
Sagesse et révolte, Serge Carfantan – 2007
www.philosophie-spiritualite.com
Depuis longtemps, que mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
m’ont donné le maillet et le ciseau, le burin et la pierre
je suis fils, artisan, compagnon en apprentissage
sans gants ni tablier
vers un lieu d’harmonie
cent fois espéré
les gestes se superposent aux leurs
pour suspendre le temps sans jamais y réussir.
Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
m’ont légué un poignet osseux, un cuir rêche, une mémoire mosaïque
je m’éloigne des berges d’un fleuve qui fut le leur, qui fut origine, qui fut fardeau
qui fut voyage
ma joue posée au creux de l’effort
mes paumes lisent la douceur comme une autre manière de s’abandonner.
Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux, ces fils de plomb
avec lesquels je me réconcilie surveillent et éclairent mon espace
de liberté.
œuvre de l'auteur
En haut de la tour sur la colline
Tu touches le ciel du bout de tes doigts
Et les nuages autours de toi
Se moquent de moi
Se moquent de moi
Hivernale hivernale
Tu es mon hivernale
Tu es mon hivernale
Dans ton château au cœur de la nuit
Tel un rapace tu guettes ta proie
Et les étoiles haut-dessus de toi
Se moquent de moi
Se moquent de moi
Hivernale hivernale
Tu es mon hivernale
Tu es mon hivernale
De ton nid de glace tu souffles le froid
Un baiser du nord qui mord sa proie
Et le temps qui règne
Me dicte sa loi
Me dicte sa loi
Hivernale hivernale
Tu es mon hivernale
Tu es mon hivernale
https://www.youtube.com/channel/UC86Sn9--6L3EJsAUUM0E2Sw
photo de l'auteur
L'espoir est capital
Il a le pas rapide de la hyène, il s'offre en holocauste au grand capital.
Dieu est une ruine, sur laquelle les gargouilles tombent et se fracassent.
Les enfants ont peur du masque du corbeau, des petits Moha disparaissent.
Sur les hautes collines, les prisons de Babylone grouillent du cri des infamies.
Baladant ma carcasse et mon chapelet, je rentre en payant dans Notre-Dame.
Le spirituel est une sinistrose, l'art est une mangeoire d'usurier.
J'ai goûté de l'œil la rue du Cherche-Midi, il n'y avait que des dents blanches.
Je tournai vers la rue du Dragon pour y chercher la demeure de l'Ours Hugo.
Ma vie va aussi vite que l'échange des marchands du temple et des veaux éclatants.
J'ai hurlé dans le métro que je ne voulais pas d'argent, ils baissaient les yeux.
À la Butte Montmartre, je me suis acheté un tissu, j'en ai fait un pagne.
J'étais nu, quant au cœur du printemps, j'ai senti un oranger du Mexique, ô senteur !
Ivre de ma folie, j'ai regardé la capitale, avec l'œil de la pitié.
Je me suis allongé sur l'herbe menue, pour prier, des images d'animaux m'envahirent.
À mon réveil, l'amante inconnue me caressa, elle était de toutes les nations.
Paris c'est l'aumône du miracle !
Gallimard, mars 2014
354 pages, 21,50 €
Quintet, comme son nom l’indique, est un roman composé de cinq voix différentes que le destin emporte dans son tourbillon pour former une œuvre riche et entêtante. Ce Quintet prend place au XIXe siècle, à la naissance de la Nouvelle-Calédonie. Les Français étaient là depuis quelques années et « le pays comptait moins de quatre cents civils, la plupart cantonnés dans la capitale, si on pouvait appeler ainsi une ville aux rues non pavées, sans port aménagé, sans eau potable. Une cité puante, montueuse et marécageuse en diable (…) ». Quatre cents civils si l’on ne comptait bien sûr la population autochtone répartie en une multitude de tribus. Et qui dit naissance dans le cas d’une terre déjà habitée, oublie souvent de dire que c’est le début de la fin pour la culture et la liberté de ceux qui étaient déjà là bien avant, fût-ce depuis des millénaires.
Quatre cents « Men-oui-oui » donc, comme les appelaient les Kanak, « au verbe haut et à la peau rouge, qui sillonnent le pays à grand pas, creusent des trous sans rien y mettre, lavent l’eau des rivières sans la boire. »
« Quand les White Men sont contents, à l’occasion d’un anniversaire ou pour marquer un grand événement, ils tirent dans le vide. Pour le plaisir. Celui d’exhaler tant de puanteur que le ciel recule. »
Mais le propos de Quintet n’est pas de dénoncer et les faits en disent suffisamment par eux-mêmes, notamment ceux qui se rapportent aux Blackbirders, les sinistres navires qui parcouraient le Pacifique au XIXᵉ siècle pour rafler des esclaves sur les îles — principalement pour les plantations de canne à sucre du Queensland en Australie — et exterminer le reste. Quintet, en cinq partitions différentes, raconte et conte et ce subtil tissage entre les deux formes construit un pont entre roman et tradition orale où l’écriture devient flambeau pour éclairer aussi bien la bonté, la générosité, le courage humain que ses turpitudes.
Frédéric Ohlen s’est inspiré de l’histoire d’Heinrich et Maria la sage-femme, ses propres ancêtres, mais Quintet reste avant tout un roman, un vrai roman d’aventures avec des histoires d’hommes et de femmes qui forment une trame qui se resserre par endroits pour se déchirer à d’autres. Et sur cette toile, où les motifs se font tantôt lumineux, colorés, oniriques, tantôt très sombres et torturés, Quintetdonne la part belle à la magie, au mystère, aux sagesses ancestrales et à cette intelligence du cœur qui transcende toute culture, tout particulièrement à travers la magnifique figure de Fidély.
« Depuis toujours, ma lignée rêve. Elle va dans le rêve du monde, se glisse dans le flux, l’accompagne, le garde, le nourrit, l’anticipe, pour que nuit après nuit, le Dormeur puisse continuer à rêver de la Terre et du ciel. »
Fidély non plus n’est pas de cette terre, c’est une « Tête-pointue », comme ses ancêtres à qui l’on façonnait la tête en fuseau dès la naissance ; s’il est là, c’est à cause d’une guerre, il y a longtemps. « Une de plus. » Tous les humains ont ça en commun : la guerre…. Et les siens l’avaient livré à leur ennemi, sur une autre île. Pas comme otage non, mais comme fils adoptif pour mettre fin à la guerre. La paix est essentielle pour que le rêve de la terre puisse se poursuivre. Mais la violence est revenue le chercher, à bord desBlackbirders.
Il serait dommage de trop en révéler et il est, à vrai dire, impossible de résumer ce livre, tellement il est dense, parfois même difficile de ne pas s’y perdre, mais Frédéric Ohlen est avant tout un poète et c’est ce qui donne à ce Quintet ce souffle si puissant et sa beauté, à la mesure de cet hommage que l’auteur voulait rendre à ce qui est aussi sa propre terre. Cette terre aux antipodes que l’on dit être un bout de France et que l’on connaît pourtant si peu. Quintet est un hommage à tous ceux qui l’ont aimée et respectée, qui l’aiment et la respectent encore. Une terre métissée qui jamais cependant ne doit perdre ses racines et son identité kanak afin que le rêve de la terre puisse se poursuivre.
Cathy Garcia
Écrivain, poète, éditeur, enseignant, Frédéric Ohlen est né en 1959 à Nouméa. Il vit ses premières années dans la ferme de son grand-père. Il y apprendra l’amour des mots et du monde. La poésie est au cœur de son itinéraire : l’enfance, la mort, les îles, elle noue avec le monde de l’intime et celui de la Terre, des terres, un lien quasi viscéral. Président de la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie, fondateur des éditions L’Herbier de Feu, Frédéric Ohlen a une très riche bibliographie en plus de la poésie, qui va du roman au récit de vie, en passant par l’anthologie poétique ou l’album jeunesse. La revue Nouveaux délits a eu le plaisir de l’accueillir à deux reprises, dans ses numéros 32 et 45. Quintet n’est pas vraiment son premier roman, mais c’est le premier à avoir été publié en métropole, il a été suivi en 2016 par Les Mains d’Isis toujours dans la collection Continents Noirs, chez Gallimard.
photo de l'auteur par Jean-Marie Cras, photographe
Alerte !
Lèpre de la terre,
Gangrène des berges,
Interstices humanoïdes entre limon et humus,
Qui glisse ses métastases dans les dermes de nos sols.
L’indigeste plastique dégueule sur le rivage des fleuves,
Et incruste ses couleurs criardes dans l’humble nature.
Il souille,
Il tue,
Il mine la plénitude des paysages, le mystère des sous-bois,
Tranche l’équilibre des rizières et des campagnes du monde.
Des rives de l’Ouémé traversant le Bénin aux temples du Cambodge,
Des criques méditerranéennes au vert bocage normand,
Des cimes Himalayennes aux abysses Atlantiques,
Les poches volent au vent et flottent dans les courants,
Accrochant follement aux branches et aux algues leurs anses insécables.
Membranes informes…
Cancer des océans,
Magma meurtrier
De particules indestructibles,
Qui flotte entre deux mers ;
Entre La Californie et Hawaï,
Dérive la nappe immonde,
Charriée par les courants.
Le septième continent engloutit tout,
Étouffe les coraux,
Emplit les ventres des baleines,
Emmêle les tentacules des poulpes.
Plastique,
Que ce mot est comique ;
Place-tique, plassstik, plaztik, clastip,
Il saute en bouche et rebondit comme une petite farce,
Qu’il est doux, ce mot qui claque la langue et tape les dents,
Choque le palais et pousse les lèvres,
Il se moque !
Plastique,
Jamais il ne s’efface.
Quand l’homme périra,
Il disparaîtra dans un sac
Et deviendra poussière,
Le sac demeurera.
Alerte !
L’écosystème est en péril et l’équilibre bascule,
Alerte !
Sur les chemins du monde, ramassez, recyclez.
éditions Liana Levi, 24 août 2017
Dans le quartier du Marais à Paris, encore parsemé de quelques rares vestiges de l’enceinte médiévale du XIIe siècle, on trouve une rue nommée Ave-Maria, mais au XIVe siècle, cette rue s’appelait la rue des Béguines. Aline Kiner y a remonté le temps sur les traces infimes d’un clos disparu et quasi oublié, le grand béguinage royal de Paris, fondé par et sous la protection de Saint-Louis.
« En ce lieu, et dans les quartiers alentours, ont vécu durant près d’un siècle des femmes remarquables. Inclassables, insaisissables, elles refusaient le mariage comme le cloître. Elles priaient, travaillaient, étudiaient, circulaient dans la cité à leur guise, voyageaient et recevaient des amis, disposaient de leurs biens, pouvaient les transmettre à leurs sœurs. Indépendantes et libres. »
Les béguines ne prononcent pas de vœux et n'avaient donc pas à répondre de leurs actes devant une autorité ecclésiastique.
Le roman commence en 1310 et couvre une période de cinq ans. Il commence exactement le 1er juin 1310, le jour où fut brûlée Marguerite Porète, la béguine errante, poétesse, mystique, esprit fin et libre, originaire de la région de Valenciennes, auteur de deux livres en langue d’oïl dont Le miroir des âmes simples et anéanties. Ce livre a déjà subi un autodafé des années auparavant sur la grande place de Valenciennes, mais une copie demeure entre les mains d’un vieux franciscain très proche de Marguerite. Cette dernière, qui ne reniera jamais sa pensée et ses écrits, est la première femme à monter sur le bûcher, Place de Grève.
Philippe le Bel, petit-fils de Saint-Louis, est un roi de plus en plus rigide et fanatique, il presse le pape Clément V de se joindre à sa chasse aux hérétiques, tels les Vaudois ou les membres du Libre-Esprit, chasse qui était peut peut-être aussi (et surtout) une bonne façon de se débarrasser définitivement des Templiers et de saisir leurs biens pour renflouer les caisses du royaume. Ces derniers subissent un véritable acharnement et seront exterminés jusqu’au dernier avec pour inquisiteur, un dominicain, Guillaume de Paris. Les procès s’enchaînent, toutes sortes d’aveux jusqu’aux plus invraisemblables sont soutirés par la « mise à la question » et l’étau se resserre imperceptiblement mais sûrement sur les béguines.
L’auteur nous plonge dans le quotidien en cette période très troublée, de quelques-unes des centaines de béguines de Paris, avec un souci du détail qui donne à voir et à sentir littéralement la vie, les couleurs et les odeurs de la fourmillante cité médiévale. Non seulement à l’intérieur du clos mais aussi dans les autres quartiers et leurs labyrinthes de ruelles.
Dans celui des tisserands, Jeanne de Faut a monté sa propre activité, une maison de la soie, rue Troussevache. Un atelier de confection avec échoppe et plusieurs autres échoppes encore qui permettent à de nombreuses femmes de travailler et de conserver leur indépendance. Certaines béguines vivent à l’intérieur du béguinage, soit en commun, soit en petit logis indépendant, d’autres vivent à l’extérieur, chacune fait comme bon lui semble, mais que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du clos, leur appartenance à la communauté leur assure à la fois indépendance et protection et elles échappent à toute domination masculine. L’appui du roi leur est cependant essentiel, sans quoi leur statut peu conventionnel ne manquerait pas d’éveiller toute sorte de suspicions.
Aline Kiner nous fait partager de façon très réaliste, très vivante, ces existences de femmes à part, précurseuses méconnues des féministes, bénéficiant d’une liberté peu commune pour l’époque et pour les siècles qui suivront, des femmes célibataires ou veuves, qui s’entraident les unes les autres, avec leurs désirs, leurs douleurs, chacune portant son histoire, son passé, ses cicatrices. Les connaissances des béguines sont souvent étendues et précieuses.
Ysabel est une femme robuste originaire du Berry, déjà d’un certain âge, elle est herboriste et avait tout appris de Leonor, sa grand-mère, une noble dame qui ne pouvait s’afficher guérisseuse, ni apothicaire parce que femme. Ysabel riche de son savoir, travaille dans les jardins, s’occupe d’aller cueillir les simples et officie à l’hôpital du béguinage où elle soigne les malades, très nombreux à la mauvaise saison. Les hivers sont de plus en plus rudes et la proximité de la Seine apporte beaucoup d’humidité et d’insalubrité à la cité médiévale déjà pleine de miasmes.
Ade, une belle veuve lettrée aspire à la solitude, vivant en retrait de la communauté dans un des logis indépendants, elle y enseigne cependant la lecture et l’écriture. Maheut la rousse débarque un matin à l’aube à la porte du béguinage, en piteux état. Nul ne sait qu’elle est d’une lignée noble et fuit un mariage forcé, elle-même ne sait pas encore qu’elle en porte le fruit. Un certain Humbert, franciscain, est à sa recherche, il faudra la cacher hors du béguinage.
Les saisons passent et l’atmosphère est de plus en plus lourde, oppressante, les derniers Templiers sont exécutés, le sort des béguines est suspendu au concile de Vienne.
« — Ils nous tirent vers la noirceur. (…) La nuit des béguines va tomber. »
Aline Kiner nous décrit donc les derniers années du béguinage de Paris, dans un roman minutieusement et passionnément documenté, un bel hommage intemporel aussi à cette communauté dont la mémoire a été injustement effacée, alors qu’elle a pourtant su traverser les siècles jusqu’à nos jours dans les Flandres, là où tout avait commencé et où une Bulle papale l’a protégée tant et si bien que la dernière des béguines s’est éteinte à Courtrai en 2013. Elle avait 92 ans, elle s’appelait Marcella Pattyn.
Une lecture conseillée en complément de La nuit des béguines, le très beau roman du québécois Jean Bédard : Marguerite Porète – L’inspiration de Maître Eckart (vlb éditeur, 2012)*.
Cathy Garcia Canalès
Aline Kiner est née en Moselle et vit à Paris. Elle est rédactrice en chef des hors-séries du magazine Sciences et Avenir. Passionnée par l’histoire, et en particulier le Moyen Âge, elle publie en 2004 aux Presses de la Renaissance La Cathédrale, livre de pierre. Aux éditions Liana Levi, elle est l’auteur de deux autres romans : Le Jeu du pendu (2011) et La Vie sur le fil (2014).
illustration de l'auteur
L’enfant de l’aubépine
C’est un petit enfant tombé d’une branche morte,
Chassé du nid douillet de la pré-Vie.
Il est né différent, il se nourrit de roses sauvages,
Il ne sent plus les épines qui déchirent son cœur sage.
Il avance dans l’ombre mais il se bat,
Il a en lui toute l’âme du monde...
Et le feu inextinguible
De la joie.
http://parmecerisetlaplumeamazone.over-blog.com/
©Kiko
Le der des doutes
File beauté File
Reste fier Tu es magnifique
& bien plus encore
Reprends confiance malgré les chagrins & leurs suites
A l'infini
La répétition du geste
de l'espoir à chaque fois renouvelé
Brisé
Non merci tu es gentil
Laquelle des deux a les plus petits seins
Tombent-ils
se cherchent-ils seulement
La douleur aveugle
C'était tout bonnement l'âge Bonsoir Bonjour
A la prochaine
si la came n'est pas trop forte
Perdre son chéri
son frère à l'adoration des minorités
Illes sont sur le même fil
Trop occupé(e)s à ne pas chuter Illes n'ont fait que se croiser
Illes seront pris de spasmes ce soir
Illes n'ont rien vu
rien connu
Tout était pourtant là
à portée de main
Le vent La lumière Les étoiles
Seul(e)s en un hasard illes seront deux
deux & plus qu'un(e)
Si par surprise illes chutent ensemble
C'est en riant qu'illes se relèveront du sol bétonné
Qu'importe les blessures
passées
actuelles
à venir
Illes n'ont plus peur
A leurs âges illes ne risquent plus rien
MERCI AMIE Je l'espère
Longpont-sur-Orge – samedi 22 août 2020 – Après-midi
©Kiko
photo de l'auteur
Goût de trésor
Dans "Les forêts de Sibérie"
Sylvain Tesson parle d'une vieille coutume russe
Celle qui
En hiver
Consiste à éparpiller
Autour de sa cabane
Des bouteilles de vodka qui
Une fois le printemps
Réapparaîtront à la fonte des neiges
Sortes de trésors plus que bienvenu
Je ne suis
Pas plus que ça
Porté sur l'alcool
Mais depuis qu'il neige ici
J'y repense
Et je me dis
Que j'aimerais ralentir le rythme
Sortir de cette sarabande infernale
De covid
Du confinement
Me glisser sous le tapis de neige
Trouant la peau de l'hiver
Et m'y loger
Comme un ver
Puis attendre
La belle saison
Il y aura bien
Une âme
Pour qui ma réapparition
Aura comme un goût
De trésor
Détail du tableau Le départ à l’école de Philippe Durin
Qu’importe la hauteur de la porte de la maison
car elle ne reçoit que des ombres courbées.
Ensuite, elle ferme les fenêtres de bonne heure
pour ne pas les projeter dans les arbres dénudés.
Il y a des soirs où elle a vu pleurer des sèves noires
le long des méandres de l’écorce du temps.
*
©Adeline Raquin
Adossée à la nuit
Dans la bolge du souvenir,
cris d'airain qui te hèlent,
cris d'hommes aux yeux fins,
poumons forts et cris d'acier.
Dans la bolge du souvenir,
claquent les rires qui rident la surface des flaques d'échos enlacés.
Au fond de la caverne aux parois brunes,
le bois imputrescible se met à flotter,
témoin noir, témoin plein, témoin sage des temps passés.
Mais regarde,
regarde le jour qui résonne des nids étales des alouettes.
À plat, face au ciel brûlant, l'oiseau, bec ouvert, fait bruire les herbes sèches.
Mais regarde, le mulot qui ventre à terre défend son être, qui ventre à terre remue la terre, la fait tourbillonner en poussière sous la charge du vent.
C'est là,
face au vide,
les yeux piqués dans le ciel qu'il faut se tenir.
C'est là,
le dos encore engourdi par l'haleine fraîche des morts, le corps ouvert à l'air sifflant,
que dans la fixité du ciel, la lumière viendra déposer son lit de cendres irradier ta pénombre, jusqu'à t'en rendre les yeux blancs.
photo de l'auteur
DEVENIR TROU
Faire des trous
Remplir des trous
Boucher les trous
Changer de trou
Fuir les trous
Découper des trous
Compter les trous
Vider les trous
Trier les trous
Alimenter les trous
Surveiller les trous
Balader les trous
Fleurir les trous
Arroser les trous
Parler aux trous
Soutenir les trous
Applaudir les trous
Vendre des trous
Acheter des trous
Échanger des trous
Trouver le meilleur trou
Penser :
c’est un bon trou
L’adopter
Faire son trou
Filmer les trous
Jouer comme un trou
Admirer les trous
Encenser les trous
Adorer les trous
Embrasser les trous
Lécher les trous
Gratter les trous
Curer ses trous
Virer les trous
Déloger les trous
Casser du trou
Ramasser des trous
Offrir des trous
Rencontrer des trous
Planifier des trous
Engendrer des trous
Éduquer les trous
Dompter les trous
Graisser les trous
Tromper les trous
Tomber dans le trou
Voir le fond du trou
Sentir le trou
Parler le trou
Avaler des trous
Devenir trou
© Camille Moukli-Pérez
Un amour de jeunesse
Mon premier amour s’appelait Croûte.
Il n’était pas méchant, seulement il me grattait.
Il me grattait la vie, il me grattait l’amour, il me grattait jusqu’à la nuit.
Arriva ce qui devait arriver.
A force de me gratter, Croûte est devenu une plaie.
Une plaie purulente, dont je n’arrivais pas à me débarrasser.
Je ne le souhaite à personne.
Il me chantait des sérénades.
Veux-tu fermer ta gueule ? je lui répondais sèchement.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu, ce brave Croûte.
Tout ce que je puis vous dire, c’est que depuis nos différends,
dès qu’un amour me gratte, je disparais.
La fuite reste encore le moyen le plus efficace de se prémunir des plaies.
Léon Spilliaert, "Arbres, blanc et noir" (1941)
Il y a trop
Il y a trop
Il y a ces arbres monstrueux
Qui m’observent la nuit
De leurs yeux grands ouverts
Qui m’observent de haut
L’air sévère
Et moi qui suis petit
Si petit
Ramassé
Tête au sol
Interdit
Étranger
Importun
Déplacé
Moi tout seul dans le noir
Où les formes enfouies
De l’esprit
Me découpent un monde
Inhumain
Moi de trop comme humain
A l’heure où sont les choses
Où l’être n’est personne
Où gagne la matière
Où je ne suis plus moi
Où rien n’est plus que masse
Insignifiante masse
Au regard impérieux
De ce qui n’a pas d’yeux
Et l’esprit
Quand le noir le libère
De ce qu’il reconnaît
S’abandonne à ses affres
Tenté par l’ombre d’y plonger vers le grand fond
Son propre fond qu’il craint
Son fond qu’il réalise
A mesure
Qu’il n’ose le trouver
Mais aussi
Il y a la lumière
Qui grouille de matière où le regard s’épuise
De ne pouvoir l’épuiser elle
Il y a ses grands yeux si perdus
Qui me jouent me délaissent
Et puis m’aiment
Et son cou frêle au point que paraît lui peser
Une tête elle-même si frêle
Un visage si fin si joliment tourné
Un petit nez troussé
Puis sa bouche au dessin plus parfait
Que celui des grands Maîtres
Une lèvre infinie que pourtant
Un menton délicieux
Ponctue de sa virgule
Mais il y a trop encore
Un constant sentiment d’être pauvre
Le savoir humilié
L’esprit insuffisant
Faillant toujours à ses amours
L’harmonie du présent
Déborde tous mes sens
A plus forte raison mon esprit qui l’admire
Perdant de l’impression tout ce qu’il veut en dire
L’harmonie du présent
Excède la caresse
Que lui portent mes mots
Jamais ils ne pourront
L’aborder que de loin
Jamais ils ne sauront
L’embrasser tout entier
Alors mes yeux s’épuiseront à voir
Mon nez à respirer
Mon oreille à entendre
Tout mon sens à sentir
Ce que rien ne peut dire.
Une déchirure dans le vêtement planétaire,
déchirure entre les espoirs les couleurs les flirts
et les disparitions dans les écumes du temps
de tants d'espèces.
Le sang coule à flots sur la plaine béante,
tandis que des volcans éternuent des plastiques
dans le ventre des océans.
Et au coin du globe crachotant,
l'ours pôle erre.
Pendant ce temps on visse à la chaîne
des smartphones qui grillent le pain
ou des robots qui tombent amoureux.
Au lieu de former
des infirmiers de la Terre.
Eh bien 2020 est passé comme un éclair, et on se demande bien après ça, qu’est-ce que cette nouvelle année va bien pouvoir nous concocter dans le grand chaudron fou de la vie ? Virus, guerres, comète, suicides collectifs, extra-terrestres, zombies, miracles ? Qu’est-ce qui va encore nous secouer, nous bousculer, nous jeter à terre ? On n’a aucune prise sur les événements extérieurs mais on peut cependant choisir le meilleur en toutes circonstances, aussi infime soit-il. Il n’y a pas que des mauvaises et sombres nouvelles, il y a des jaillissements surprenants, des résurgences de joie, des illuminations bienfaisantes, une créativité fière et indomptée qui se fout des autorisations et s’il y a bien une énergie qui a le pouvoir de transformer le plomb en or, les larmes en sourires, la colère en création, c’est celle de l’amour. L’amour quand on ne lui met aucune barrière, condition, précaution. Lui aussi fait des vagues, des vagues puissantes et douces, qui inondent le cœur, nettoient l’âme et tout se met à briller ! C’est tellement bon, on oublie à quel point c’est bon. Et gratuit ! Aimer ! Rien ne peut nous empêcher d’aimer, ni confinement, ni distanciation sanitaire, ni crise économique, lois liberticides, rien ni personne ne peut nous interdire d’aimer et de nous aimer nous-mêmes aussi. Pas plus que de danser d’ailleurs ou chanter, jouer, rire ! Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et d’emmerder les autres, mais de rester suffisamment souples pour inventer toujours de nouvelles formes d’expression de cette vie qui bat en nous son rythme vivace. Et si les circonstances s’acharnent à souffler sur les flammes, ne jamais oublier que notre flamme intérieure à chacune, à chacun, possède son propre point d'allumage spontané. Alors résister, oui, mais pas comme des bestiaux acculés qui encornent les murs, mais juste comme une évidence – en vie danse ! – parce que nous sommes des êtres fondamentalement libres, potentiellement capables d’aimer avec une force qui pulvérise toute peur, toute sclérose ; la force de l’eau que rien n’arrête, et qui même retenue par de monumentaux barrages, fomente en secret son évasion par le ciel.
Alors, que l’an 2021 nous guérisse de toutes nos peurs, de tous nos maux et protège la Terre de toutes nos sinistres folies, et soyons souples, forts et porteurs de vie, partout où nous sommes, partout où nous passons, comme une eau aimante !
CGC
AU SOMMAIRE
Délits de poésie :
Dorian Masson
Angélique Condominas
Pierre Thiollière
Jacques Merceron
Pierre Vinclair : Le vivant dans la ville
Patrick Werstink : Caléfactions (extraits)
Résonances :
La nuit des béguines d’Aline Kiner, éditions Liana Levi, 2017
Quintet de Frédéric Ohlen, Gallimard, 2014
Le Tarot de Saint Cirque de Cathy Garcia Canalès et Lionel Mazari, Gros Textes 2020
Les Délits d’(in)citations poinçonnent en sifflotant le coin des pages tandis que le bulletin de complicité vous attend avec ses espoirs et ses plus beaux vœux, toujours à sa place, sur la dernière page, mais aussi avec une mauvaise nouvelle vu la nouvelle et forte augmentation des frais postaux : + 11,6 % pour l’écopli qui a donc doublé en 7 ans ! Aussi, pour ce numéro, on va serrer les fesses mais pour celui d’avril, il me faudra répercuter ça sur les tarifs de la revue, qui augmenteront donc pour la troisième fois en 18 ans.
Illustratrice :
Cathy Garcia Canalès
Mon imprimante pour la revue, de plus en plus capricieuse, n’aime plus que le bleu pour les images, même en mode n&b, aussi je ne peux plus décemment proposer à d’autres d’illustrer ce numéro et même les suivants, donc c’est la femme-orchestre qui s’y colle, avec plaisir cependant : mes griffonnages et gribouglyphes sont d’accord pour voir la vie en bleu. S’y est glissé un cheval venu de très loin, un des rares dessins que je tiens de mon père, qui s’en était allé cavaler dans les prairies célestes en 1973.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre entente.
Que les vents des cieux puissent danser entre vous.
Aimez-vous, l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour un carcan :
Qu'il soit plutôt mer mouvante entre les rives de vos âmes.
Remplissez, chacun, la coupe de l'autre, mais ne buvez pas à la même.
Donnez-vous l'un à l'autre de votre pain, mais ne partagez pas le même morceau.
Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que chacun demeure isolé,
Comme sont isolées les cordes du luth, bien que frémissantes de la même musique.
Donnez vos cœurs, mais pas à la garde de l'autre,
Car vos cœurs, seule la main de Dieu peut les contenir.
Et dressez-vous ensemble, mais pas trop près l'un de l'autre :
Car les piliers du temple se dressent séparément,
Et le chêne et le cyprès ne peuvent croître dans leur ombre mutuelle.
Khalil Gibran
in Le Prophète (1923)
*
Nouveaux Délits - Janvier 202i – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable et illustratrice : Cathy Garcia Canalès - Correcteur : Élisée Bec
En septembre dernier, est sorti un nouveau recueil chez Nouveaux Délits
PREUVES INCERTAINES
de Jean-Louis Millet
avec 15 illustrations originales de l’auteur
"Titubant dans l'escalier liquide
des rails luisants du tram T3,
un bel ivrogne nommé Désir
voyage aux portes de la nuit.
Oiseau nocturne à bec de bois
il brûle de la grande soif amère
et mord la pluie,
une pluie lasse de pleuvoir.
Sa solitude hirsute transpire
en mille éclats de visages fatigués
dans le miroir de l’incognito."
Édité et imprimé par l’Association Nouveaux Délits
sur papier calcaire 100 g, couverture 250 g, 100 % recyclé
12 € + 2,50 € de port
à commander à l'Association Nouveaux Délits
Letou - 46330 St CIRQ-LAPOPIE
Caramelle est une grenade inoffensive. Si on goupille bien son truc, il demeure secret, et on peut la savourer lentement. C’est une transe dans le bouche, d’où son nom Caramelle Mou. C’est succulent.
Évidemment, si on ne fait pas attention, si on veut précipiter le mouvement, elle vous pète à la gueule et vous en prenez plein les dents !
Ainsi va la poésie
à la saillie du cri
comme une voix sur l’indicible
comme un doigt sur la plaie
le couvert est mis à l’aveugle
sur le continent noir de la beauté
"Ciel haut" - photo de l'auteur
À l’heure grave
À l’heure grave, à l’heure constante,
Comme aux autres heures passées,
Maintenant que l’eau ne t’abreuve plus
Que la bouche sèche a épuisé
Ses grands chemins, ses lieux communs
Goûtons-nous entre les deux espaces
Tends l’évidence de ta gorge
Maintenant qu’il n’y a plus de ciel
Tends-y l’échelle de tes jambes.
Dans l’heure juste, dans l’heure sensible,
Apprends-moi le désir sagace,
Ce qui nous tient sur le chaos.
©Sylvie Frénillot - Quartier de Perrache - Lyon
le tunnel avale le tram et moi aussi
les lumières clignotent
fragiles comme des lucioles
le serpent de fer rampe mollement
sur la voie ferrée
ses yeux jaunes éblouissent la nuit
je sens les murs vibrer le sol trembler
et les lettres noires qui se détachent
des murs ternes salis par la vie
ACAB
en ville pas besoin de lire le journal
ni de regarder la télé
tout est sur les murs
ACAB
les murs se souviennent
si les images sont interdites
ACAB
mon index repasse les lettres une par
une
le tram est passé
sa voix se perd près de la sortie
et l'œil de la vidéosurveillance
est braqué sur moi