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LA REVUE NOUVEAUX DÉLITS - Page 4

  • Revue Nouveaux Délits numéro 69

     

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    Avril 2021

     

     

    Numéro 69, numéro chaotique, comme me l’a soufflé un certain Martin ? Fort possible, et en retard comme un lapin d’Alice ! Lapin de Pâques sans aucun doute à la recherche d’un mystérieux œuf noir très cosmico-alchimique, dont j’ai rêvé tout récemment, ce qui n’a pas empêché mon ordinateur de faire un séjour chez son docteur, entre autres contretemps et bifurcations d’agenda sanitaire… Bref, difficile de trouver l’inspiration et plus encore la concentration pour un édito, entre les vagues virales, les tsunamis de fatigue et les clapotis du sens. Quelque chose me murmure à l’oreille qu’il faut se calmer, respirer et faire ce qu’on peut, juste le faire au mieux, sincèrement. En ces temps plus que confus, la poésie me semble plus désirable que jamais et concevoir cette revue continue à faire sens, donc voilà — plus chaotique qu’érotique — un numéro 69 très éclectique ! Puissiez-vous y trouver de quoi nourrir votre jardin intérieur. C’est la saison des semis, alors semons, mettons les mains dans la terre et la langue dans les mots, restons à l’écoute de ces petites voix qui murmurent à nos oreilles et ne trichons pas avec l’essentiel.

    cgc

     

      

    L’impossible est un univers clos. Néanmoins, nous en possédons la clé et, comme nous le soupçonnons depuis des millénaires, la porte s’ouvre sur un champ d’infinies possibilités. Ce champ, il nous appartient plus que jamais de l’explorer et de le cultiver. La clé n’est ni magique ni symbolique. Les Grecs anciens la nommaient « poésie », du verbe « poiein », construire, façonner, créer.

    Raoul Vaneigem

     

     

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    AU SOMMAIRE

    et pas forcément dans l’ordre

     

    Délits de poésie :

    Odile Vecciani 

    Richard Roos-Weil en Sarabandes & farandoles

    Marie Alcance

    Archibald Aki

     

    Délit grec : Anne Barbusse, avec des extraits d’À Petros, crise grecque

     

    Résonances : Au petit bonheur la brousse de Nétonon Noël Ndjékéry, coll. Mycélium mi-raisin, Hélice Hélas éd., 2019 & Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi, traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller, Métailié éd., 2019.

     

    Délits d’(in)citations en floraison. Vous trouverez le nouveau bulletin de complicité au fond en sortant, il remplace l’ancien depuis le 1er avril et il ne sent pas le poisson.

     

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    Illustrateur : Jean-Louis Millet

    jlmillet@free.fr

     

    chasseur d’alternatives donc curieux de hasards et de connivences en dessin, peinture, sculpture, photo, écriture, édition virtuelle… quelques passages en revues pour des textes et des illustrations : À l’index, Traction Brabant & Nouveaux Délits, auteur et illustrateur du dernier « délit buissonnier » : Preuves incertaines & animateur de blogs et de sites dont http://www.zen-evasion.com/

     

     

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    jouer notre partition dissocier la cacophonie créer en elle un no man’s land ouvert à l’imprévisible enfanter des flous précis pour désorienter les heures dans chaque minute creuser un trou de ver vers l’impossible œuvre insuffisante nécessairement insuffisante mais dans laquelle il nous faudra donner toutes nos mesures d’homme pour désarticuler fût-ce quelques secondes les horlogeries corrompues

     

    Pascal Perrot

    in Une brèche dans la tapisserie des ombres

     

     

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    Nouveaux Délits - Avril 2021 – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès -  Illustrateur : Jean-Louis Millet Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

  • Sagesse et révolte, Serge Carfantan – 2007

    « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

     Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle.

     Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité, et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie.

     Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des informations et des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

     On mettra la sexualité au premier plan des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté, de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

     Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

     L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. »

     

    Sagesse et révolte, Serge Carfantan – 2007

    www.philosophie-spiritualite.com

     

     

     

  • Soliflore 107 - Fabienne Roitel

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    Depuis longtemps, que mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
    m’ont donné le maillet et le ciseau, le burin et la pierre
    je suis fils, artisan, compagnon en apprentissage
    sans gants ni tablier 
    vers un lieu d’harmonie  
    cent fois espéré 
    les gestes se superposent aux leurs
    pour suspendre le temps sans jamais y réussir.

    Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
    m’ont légué un poignet osseux, un cuir rêche, une mémoire mosaïque
    je m’éloigne des berges d’un fleuve qui fut le leur, qui fut origine, qui fut fardeau
    qui fut voyage
    ma joue posée au creux de l’effort 
    mes paumes lisent la douceur comme une autre manière de s’abandonner.

    Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux, ces fils de plomb
    avec lesquels je me réconcilie surveillent et éclairent mon espace
    de liberté. 

     

     

  • Soliflore 106 - Fabrice Fossé

     

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    œuvre de l'auteur

     

    En haut de la tour sur la colline

    Tu touches le ciel du bout de tes doigts

    Et les nuages autours de toi

    Se moquent de moi

    Se moquent de moi

     

    Hivernale   hivernale

    Tu es mon hivernale

    Tu es mon hivernale

     

    Dans ton château au cœur de la nuit

    Tel un rapace tu guettes ta proie

    Et les étoiles haut-dessus de toi

    Se moquent de moi

    Se moquent de moi

     

    Hivernale hivernale

    Tu es mon hivernale

    Tu es mon hivernale

     

    De ton nid de glace tu souffles le froid

    Un baiser du nord qui mord sa proie

    Et le temps qui règne

    Me dicte sa loi

    Me dicte sa loi

     

    Hivernale  hivernale

    Tu es mon hivernale

    Tu es mon hivernale

     

     

    https://www.youtube.com/channel/UC86Sn9--6L3EJsAUUM0E2Sw

     

     

     

  • Soliflore 105 - Nathaël Bethencour

     

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    photo de l'auteur

     

     

    L'espoir est capital

     

     

    Il a le pas rapide de la hyène, il s'offre en holocauste au grand capital.

    Dieu est une ruine, sur laquelle les gargouilles tombent et se fracassent.

    Les enfants ont peur du masque du corbeau, des petits Moha disparaissent.

    Sur les hautes collines, les prisons de Babylone grouillent du cri des infamies.

    Baladant ma carcasse et mon chapelet, je rentre en payant dans Notre-Dame.

    Le spirituel est une sinistrose, l'art est une mangeoire d'usurier.

    J'ai goûté de l'œil la rue du Cherche-Midi, il n'y avait que des dents blanches.

    Je tournai vers la rue du Dragon pour y chercher la demeure de l'Ours Hugo.

    Ma vie va aussi vite que l'échange des marchands du temple et des veaux éclatants.

    J'ai hurlé dans le métro que je ne voulais pas d'argent, ils baissaient les yeux.

    À la Butte Montmartre, je me suis acheté un tissu, j'en ai fait un pagne.

    J'étais nu, quant au cœur du printemps, j'ai senti un oranger du Mexique, ô senteur !

    Ivre de ma folie, j'ai regardé la capitale, avec l'œil de la pitié.

    Je me suis allongé sur l'herbe menue, pour prier, des images d'animaux m'envahirent.

    À mon réveil, l'amante inconnue me caressa, elle était de toutes les nations.

     

    Paris c'est l'aumône du miracle !

     

     

  • Quintet de Frédéric Ohlen

     

    Gallimard, mars 2014

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    354 pages, 21,50 €

     

    Quintet, comme son nom l’indique, est un roman composé de cinq voix différentes que le destin emporte dans son tourbillon pour former une œuvre riche et entêtante. Ce Quintet prend place au XIXe siècle, à la naissance de la Nouvelle-Calédonie. Les Français étaient là depuis quelques années et « le pays comptait moins de quatre cents civilsla plupart cantonnés dans la capitale, si on pouvait appeler ainsi une ville aux rues non pavées, sans port aménagé, sans eau potable. Une cité puante, montueuse et marécageuse en diable (…) ». Quatre cents civils si l’on ne comptait bien sûr la population autochtone répartie en une multitude de tribus. Et qui dit naissance dans le cas d’une terre déjà habitée, oublie souvent de dire que c’est le début de la fin pour la culture et la liberté de ceux qui étaient déjà là bien avant, fût-ce depuis des millénaires.

    Quatre cents « Men-oui-oui » donc, comme les appelaient les Kanak, « au verbe haut et à la peau rouge, qui sillonnent le pays à grand pas, creusent des trous sans rien y mettre, lavent l’eau des rivières sans la boire. »

    « Quand les White Men sont contents, à l’occasion d’un anniversaire ou pour marquer un grand événement, ils tirent dans le vide. Pour le plaisir. Celui d’exhaler tant de puanteur que le ciel recule. »

    Mais le propos de Quintet n’est pas de dénoncer et les faits en disent suffisamment par eux-mêmes, notamment ceux qui se rapportent aux Blackbirders, les sinistres navires qui parcouraient le Pacifique au XIXᵉ siècle pour rafler des esclaves sur les îles — principalement pour les plantations de canne à sucre du Queensland en Australie — et exterminer le reste. Quintet, en cinq partitions différentes, raconte et conte et ce subtil tissage entre les deux formes construit un pont entre roman et tradition orale où l’écriture devient flambeau pour éclairer aussi bien la bonté, la générosité, le courage humain que ses turpitudes.

    Frédéric Ohlen s’est inspiré de l’histoire d’Heinrich et Maria la sage-femme, ses propres ancêtres, mais Quintet reste avant tout un roman, un vrai roman d’aventures avec des histoires d’hommes et de femmes qui forment une trame qui se resserre par endroits pour se déchirer à d’autres. Et sur cette toile, où les motifs se font tantôt lumineux, colorés, oniriques, tantôt très sombres et torturés, Quintetdonne la part belle à la magie, au mystère, aux sagesses ancestrales et à cette intelligence du cœur qui transcende toute culture, tout particulièrement à travers la magnifique figure de Fidély.

    « Depuis toujours, ma lignée rêve. Elle va dans le rêve du monde, se glisse dans le flux, l’accompagne, le garde, le nourrit, l’anticipe, pour que nuit après nuit, le Dormeur puisse continuer à rêver de la Terre et du ciel. »

    Fidély non plus n’est pas de cette terre, c’est une « Tête-pointue », comme ses ancêtres à qui l’on façonnait la tête en fuseau dès la naissance ; s’il est là, c’est à cause d’une guerre, il y a longtemps. « Une de plus. » Tous les humains ont ça en commun : la guerre…. Et les siens l’avaient livré à leur ennemi, sur une autre île. Pas comme otage non, mais comme fils adoptif pour mettre fin à la guerre. La paix est essentielle pour que le rêve de la terre puisse se poursuivre. Mais la violence est revenue le chercher, à bord desBlackbirders.

    Il serait dommage de trop en révéler et il est, à vrai dire, impossible de résumer ce livre, tellement il est dense, parfois même difficile de ne pas s’y perdre, mais Frédéric Ohlen est avant tout un poète et c’est ce qui donne à ce Quintet ce souffle si puissant et sa beauté, à la mesure de cet hommage que l’auteur voulait rendre à ce qui est aussi sa propre terre. Cette terre aux antipodes que l’on dit être un bout de France et que l’on connaît pourtant si peu. Quintet est un hommage à tous ceux qui l’ont aimée et respectée, qui l’aiment et la respectent encore. Une terre  métissée qui jamais cependant ne doit perdre ses racines et son identité kanak afin que le rêve de la terre puisse se poursuivre.

    Cathy Garcia

     

    ohlen.jpgÉcrivain, poète, éditeur, enseignant, Frédéric Ohlen est né en 1959 à Nouméa. Il vit ses premières années dans la ferme de son grand-père. Il y apprendra l’amour des mots et du monde. La poésie est au cœur de son itinéraire : l’enfance, la mort, les îles, elle noue avec le monde de l’intime et celui de la Terre, des terres, un lien quasi viscéral. Président de la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie, fondateur des éditions L’Herbier de Feu, Frédéric Ohlen a une très riche bibliographie en plus de la poésie, qui va du roman au récit de vie, en passant par l’anthologie poétique ou l’album jeunesse. La revue Nouveaux délits a eu le plaisir de l’accueillir à deux reprises, dans ses numéros 32 et 45. Quintet n’est pas vraiment son premier roman, mais c’est le premier à avoir été publié en métropole, il a été suivi en 2016 par Les Mains d’Isis toujours dans la collection Continents Noirs, chez Gallimard.

     

     

     

     

     

     

  • Soliflore 104 - Isabelle Bois Cras

     

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    photo de l'auteur par Jean-Marie Cras, photographe

     

    Plastique

     

    Alerte !

    Lèpre de la terre,

    Gangrène des berges,

    Interstices humanoïdes entre limon et humus,

    Qui glisse ses métastases dans les dermes de nos sols.

    L’indigeste plastique dégueule sur le rivage des fleuves,

    Et incruste ses couleurs criardes dans l’humble nature.

    Il souille,

    Il tue,

    Il mine la plénitude des paysages, le mystère des sous-bois,

    Tranche l’équilibre des rizières et des campagnes du monde.

    Des rives de l’Ouémé traversant le Bénin aux temples du Cambodge,

    Des criques méditerranéennes au vert bocage normand,

    Des cimes Himalayennes aux abysses Atlantiques,

    Les poches volent au vent et flottent dans les courants,

    Accrochant follement aux branches et aux algues leurs anses insécables.

    Membranes informes…

     

    Cancer des océans,

    Magma meurtrier

    De particules indestructibles,

    Qui flotte entre deux mers ;

    Entre La Californie et Hawaï,

    Dérive la nappe immonde,

    Charriée par les courants.

    Le septième continent engloutit tout,

    Étouffe les coraux,

    Emplit les ventres des baleines,

    Emmêle les tentacules des poulpes.

     

    Plastique,

    Que ce mot est comique ; 

    Place-tique, plassstik, plaztik, clastip,

    Il saute en bouche et rebondit comme une petite farce,

    Qu’il est doux, ce mot qui claque la langue et tape les dents,

    Choque le palais et pousse les lèvres,

    Il se moque !

     

    Plastique,

    Jamais il ne s’efface.

    Quand l’homme périra,

    Il disparaîtra dans un sac

    Et deviendra poussière,

    Le sac demeurera.

     

    Alerte !

    L’écosystème est en péril et l’équilibre bascule,

    Alerte !

    Sur les chemins du monde, ramassez, recyclez.

     

     

     

     

  • La nuit des béguines d’Aline Kiner

    éditions Liana Levi, 24 août 2017

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    Dans le quartier du Marais à Paris, encore parsemé de quelques rares vestiges de l’enceinte médiévale du XIIe siècle, on trouve une rue nommée Ave-Maria, mais au XIVe siècle, cette rue s’appelait la rue des Béguines. Aline Kiner y a remonté le temps sur les traces infimes d’un clos disparu et quasi oublié, le grand béguinage royal de Paris, fondé par et sous la protection de Saint-Louis.

     

    « En ce lieu, et dans les quartiers alentours, ont vécu durant près d’un siècle des femmes remarquables. Inclassables, insaisissables, elles refusaient le mariage comme le cloître. Elles priaient, travaillaient, étudiaient, circulaient dans la cité à leur guise, voyageaient et recevaient des amis, disposaient de leurs biens, pouvaient les transmettre à leurs sœurs. Indépendantes et libres. »

     

    Les béguines ne prononcent pas de vœux et n'avaient donc pas à répondre de leurs actes devant une autorité ecclésiastique.

     

    Le roman commence en 1310 et couvre une période de cinq ans. Il commence exactement le 1er juin 1310, le jour où fut brûlée Marguerite Porète, la béguine errante, poétesse, mystique, esprit fin et libre, originaire de la région de Valenciennes, auteur de deux livres en langue d’oïl dont Le miroir des âmes simples et anéanties. Ce livre a déjà subi un autodafé des années auparavant sur la grande place de Valenciennes, mais une copie demeure entre les mains d’un vieux franciscain très proche de Marguerite. Cette dernière, qui ne reniera jamais sa pensée et ses écrits, est la première femme à monter sur le bûcher, Place de Grève.

     

    Philippe le Bel, petit-fils de Saint-Louis, est un roi de plus en plus rigide et fanatique, il presse le pape Clément V de se joindre à sa chasse aux hérétiques, tels les Vaudois ou les membres du Libre-Esprit, chasse qui était peut peut-être aussi (et surtout) une bonne façon de se débarrasser définitivement des Templiers et de saisir leurs biens pour renflouer les caisses du royaume. Ces derniers subissent un véritable acharnement et seront exterminés jusqu’au dernier avec pour inquisiteur, un dominicain, Guillaume de Paris. Les procès s’enchaînent, toutes sortes d’aveux jusqu’aux plus invraisemblables sont soutirés par la « mise à la question » et l’étau se resserre imperceptiblement mais sûrement sur les béguines.

     

    L’auteur nous plonge dans le quotidien en cette période très troublée, de quelques-unes des centaines de béguines de Paris, avec un souci du détail qui donne à voir et à sentir littéralement la vie, les couleurs et les odeurs de la fourmillante cité médiévale. Non seulement à l’intérieur du clos mais aussi dans les autres quartiers et leurs labyrinthes de ruelles.

     

    Dans celui des tisserands, Jeanne de Faut a monté sa propre activité, une maison de la soie, rue Troussevache. Un atelier de confection avec échoppe et plusieurs autres échoppes encore qui permettent à de nombreuses femmes de travailler et de conserver leur indépendance. Certaines béguines vivent à l’intérieur du béguinage, soit en commun, soit en petit logis indépendant, d’autres vivent à l’extérieur, chacune fait comme bon lui semble, mais que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du clos, leur appartenance à la communauté leur assure à la fois indépendance et protection et elles échappent à toute domination masculine. L’appui du roi leur est cependant essentiel, sans quoi leur statut peu conventionnel ne manquerait pas d’éveiller toute sorte de suspicions.

     

    Aline Kiner nous fait partager de façon très réaliste, très vivante, ces existences de femmes à part, précurseuses méconnues des féministes, bénéficiant d’une liberté peu commune pour l’époque et pour les siècles qui suivront, des femmes célibataires ou veuves, qui s’entraident les unes les autres, avec leurs désirs, leurs douleurs, chacune portant son histoire, son passé, ses cicatrices. Les connaissances des béguines sont souvent étendues et précieuses.

     

    Ysabel est une femme robuste originaire du Berry, déjà d’un certain âge, elle est herboriste et avait tout appris de Leonor, sa grand-mère, une noble dame qui ne pouvait s’afficher guérisseuse, ni apothicaire parce que femme. Ysabel riche de son savoir, travaille dans les jardins, s’occupe d’aller cueillir les simples et officie à l’hôpital du béguinage où elle soigne les malades, très nombreux à la mauvaise saison. Les hivers sont de plus en plus rudes et la proximité de la Seine apporte beaucoup d’humidité et d’insalubrité à la cité médiévale déjà pleine de miasmes.

     

    Ade, une belle veuve lettrée aspire à la solitude, vivant en retrait de la communauté dans un des logis indépendants, elle y enseigne cependant la lecture et l’écriture. Maheut la rousse débarque un matin à l’aube à la porte du béguinage, en piteux état. Nul ne sait qu’elle est d’une lignée noble et fuit un mariage forcé, elle-même ne sait pas encore qu’elle en porte le fruit. Un certain Humbert, franciscain, est à sa recherche, il faudra la cacher hors du béguinage.

     

    Les saisons passent et l’atmosphère est de plus en plus lourde, oppressante, les derniers Templiers sont exécutés, le sort des béguines est suspendu au concile de Vienne.

     

    « — Ils nous tirent vers la noirceur. (…) La nuit des béguines va tomber. »

     

    Aline Kiner nous décrit donc les derniers années du béguinage de Paris, dans un roman minutieusement et passionnément documenté, un bel hommage intemporel aussi à cette communauté dont la mémoire a été injustement effacée, alors qu’elle a pourtant su traverser les siècles jusqu’à nos jours dans les Flandres, là où tout avait commencé et où une Bulle papale l’a protégée tant et si bien que la dernière des béguines s’est éteinte à Courtrai en 2013. Elle avait 92 ans, elle s’appelait Marcella Pattyn.

     

    Une lecture conseillée en complément de La nuit des béguines, le très beau roman du québécois Jean Bédard : Marguerite Porète – L’inspiration de Maître Eckart (vlb éditeur, 2012)*.

     

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    v_auteur_196.jpgAline Kiner est née en Moselle et vit à Paris. Elle est rédactrice en chef des hors-séries du magazine Sciences et Avenir. Passionnée par l’histoire, et en particulier le Moyen Âge, elle publie en 2004 aux Presses de la Renaissance La Cathédrale, livre de pierre. Aux éditions Liana Levi, elle est l’auteur de deux autres romans : Le Jeu du pendu (2011) et La Vie sur le fil (2014).

     

     

     

     

  • Soliflore 103 - Parme Ceriset

     

     

     

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    illustration de l'auteur

     

     

    L’enfant de l’aubépine

     

    C’est un petit enfant tombé d’une branche morte, 

    Chassé du nid douillet de la pré-Vie.

    Il est né différent, il se nourrit de roses sauvages, 

    Il ne sent plus les épines qui déchirent son cœur sage.

    Il avance dans l’ombre mais il se bat,

    Il a en lui toute l’âme du monde...

    Et le feu inextinguible

    De la joie.

     

    http://parmecerisetlaplumeamazone.over-blog.com/

     

     

     

     

  • Soliflore 102 - Kiko

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                                 ©Kiko

     

     

    Le der des doutes

     

                            File beauté File

                            Reste fier              Tu es magnifique

                                               & bien plus encore

    Reprends confiance malgré les chagrins & leurs suites

                            A l'infini

                            La répétition du geste

                                      de l'espoir à chaque fois renouvelé

                                                              Brisé

         Non merci tu es gentil

                    Laquelle des deux a les plus petits seins

                                         Tombent-ils

                                         se cherchent-ils             seulement

    La douleur aveugle

    C'était tout bonnement l'âge             Bonsoir        Bonjour

                                        A la prochaine

                                          si la came n'est pas trop forte

                  Perdre son chéri

                        son frère à l'adoration des minorités

               Illes sont sur le même fil

               Trop occupé(e)s à ne pas chuter     Illes n'ont fait que se croiser

                                          Illes seront pris de spasmes ce soir

                                          Illes n'ont rien vu

                                                    rien connu

                                          Tout était pourtant là

                                                     à portée de main

    Le vent          La lumière        Les étoiles

    Seul(e)s en un hasard illes seront deux

                              deux & plus qu'un(e)

                   Si par surprise illes chutent ensemble

                   C'est en riant qu'illes se relèveront du sol bétonné

                                        Qu'importe les blessures

                                                passées

                                                actuelles

                                                à venir

              Illes n'ont plus peur

                               A leurs âges illes ne risquent plus rien

                 

                               MERCI AMIE      Je l'espère

     

     

    Longpont-sur-Orge – samedi 22 août 2020 – Après-midi

     

     

     

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      ©Kiko

     

     

     

  • Soliflore 101 - Jérémy Semet

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    photo de l'auteur

     

     

    Goût de trésor 

     

    Dans "Les forêts de Sibérie"

    Sylvain Tesson parle d'une vieille coutume russe

    Celle qui 

    En hiver 

    Consiste à éparpiller

    Autour de sa cabane

    Des bouteilles de vodka qui

    Une fois le printemps

    Réapparaîtront à la fonte des neiges

    Sortes de trésors plus que bienvenu 

     

    Je ne suis 

    Pas plus que ça 

    Porté sur l'alcool 

    Mais depuis qu'il neige ici

    J'y repense

     

    Et je me dis

    Que j'aimerais ralentir le rythme 

    Sortir de cette sarabande infernale 

    De covid

    Du confinement 

    Me glisser sous le tapis de neige

    Trouant la peau de l'hiver 

    Et m'y loger

    Comme un ver

    Puis attendre 

    La belle saison

     

    Il y aura bien

    Une âme 

    Pour qui ma réapparition 

    Aura comme un goût 

    De trésor

     

     

     

     

  • Centième Soliflore ! - Antoine Durin

     

     

    Détail du tableau LE DEPART A L'ECOLE de Philippe Durin.JPG

    Détail du tableau Le départ à l’école de Philippe Durin

     

     

    Qu’importe la hauteur de la porte de la maison

    car elle ne reçoit que des ombres courbées.

    Ensuite, elle ferme les fenêtres de bonne heure

    pour ne pas les projeter dans les arbres dénudés.

    Il y a des soirs où elle a vu pleurer des sèves noires

    le long des méandres de l’écorce du temps.

     

    *

     

     

     

     

  • Soliflore 99 - Adeline Raquin

     

    Adossée à la nuit Adeline Raquin ok.JPG

    ©Adeline Raquin

     

    Adossée à la nuit

     

    Dans la bolge du souvenir,

    cris d'airain qui te hèlent,

    cris d'hommes aux yeux fins,

    poumons forts et cris d'acier.

     

    Dans la bolge du souvenir,

     

    claquent les rires qui rident la surface des flaques d'échos enlacés.

     

    Au fond de la caverne aux parois brunes,

    le bois imputrescible se met à flotter,

     

    témoin noir, témoin plein, témoin sage des temps passés.

     

    Mais regarde,

    regarde le jour qui résonne des nids étales des alouettes.

     

     

    À plat, face au ciel brûlant, l'oiseau, bec ouvert, fait bruire les herbes sèches.

    Mais regarde, le mulot qui ventre à terre défend son être, qui ventre à terre remue la terre, la fait tourbillonner en poussière sous la charge du vent.

     

    C'est là,

    face au vide,

    les yeux piqués dans le ciel qu'il faut se tenir.

    C'est là,

     

    le dos encore engourdi par l'haleine fraîche des morts, le corps ouvert à l'air sifflant,

    que dans la fixité du ciel, la lumière viendra déposer son lit de cendres irradier ta pénombre, jusqu'à t'en rendre les yeux blancs.

     

     

     

  • Soliflore 98 - Virginie Seba

     

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    photo de l'auteur

     

     

     

    DEVENIR TROU


    Faire des trous
    Remplir des trous
    Boucher les trous
    Changer de trou
    Fuir les trous

    Découper des trous
    Compter les trous
    Vider les trous
    Trier les trous
    Alimenter les trous
    Surveiller les trous
    Balader les trous
    Fleurir les trous
    Arroser les trous

    Parler aux trous
    Soutenir les trous
    Applaudir les trous

    Vendre des trous
    Acheter des trous
    Échanger des trous
    Trouver le meilleur trou
    Penser :

    c’est un bon trou
    L’adopter
    Faire son trou

    Filmer les trous
    Jouer comme un trou
    Admirer les trous
    Encenser les trous
    Adorer les trous
    Embrasser les trous
    Lécher les trous

    Gratter les trous
    Curer ses trous

    Virer les trous
    Déloger les trous
    Casser du trou

    Ramasser des trous
    Offrir des trous

    Rencontrer des trous
    Planifier des trous
    Engendrer des trous
    Éduquer les trous
    Dompter les trous
    Graisser les trous
    Tromper les trous


    Tomber dans le trou
    Voir le fond du trou
    Sentir le trou
    Parler le trou
    Avaler des trous

    Devenir trou

     

    https://www.slamchante.fr/


     

     

  • Soliflore 97 - Julie Cayeux

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    © Camille Moukli-Pérez 

     

    Un amour de jeunesse

     

    Mon premier amour s’appelait Croûte.

    Il n’était pas méchant, seulement il me grattait.

    Il me grattait la vie, il me grattait l’amour, il me grattait jusqu’à la nuit.

    Arriva ce qui devait arriver.

    A force de me gratter, Croûte est devenu une plaie.

    Une plaie purulente, dont je n’arrivais pas à me débarrasser.

    Je ne le souhaite à personne.

    Il me chantait des sérénades.

    Veux-tu fermer ta gueule ? je lui répondais sèchement.

    Je ne sais pas ce qu’il est devenu, ce brave Croûte.

    Tout ce que je puis vous dire, c’est que depuis nos différends,

    dès qu’un amour me gratte, je disparais.

    La fuite reste encore le moyen le plus efficace de se prémunir des plaies.

     

     

     

  • Soliflore 96 - Romain Richard

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    Léon Spilliaert, "Arbres, blanc et noir" (1941)

     

     

    Il y a trop

      

    Il y a trop

    Il y a ces arbres monstrueux

    Qui m’observent la nuit

    De leurs yeux grands ouverts

    Qui m’observent de haut

    L’air sévère

    Et moi qui suis petit

    Si petit

    Ramassé

    Tête au sol

    Interdit

    Étranger 

    Importun

    Déplacé

     

    Moi tout seul dans le noir

    Où les formes enfouies

    De l’esprit

    Me découpent un monde

    Inhumain

    Moi de trop comme humain

    A l’heure où sont les choses

    Où l’être n’est personne

    Où gagne la matière

    Où je ne suis plus moi

    Où rien n’est plus que masse

    Insignifiante masse

    Au regard impérieux

    De ce qui n’a pas d’yeux

    Et l’esprit

    Quand le noir le libère

    De ce qu’il reconnaît

    S’abandonne à ses affres

    Tenté par l’ombre d’y plonger vers le grand fond

    Son propre fond qu’il craint

    Son fond qu’il réalise 

    A mesure

    Qu’il n’ose le trouver

     

    Mais aussi

    Il y a la lumière

    Qui grouille de matière où le regard s’épuise

    De ne pouvoir l’épuiser elle

    Il y a ses grands yeux si perdus

    Qui me jouent me délaissent

    Et puis m’aiment

    Et son cou frêle au point que paraît lui peser

    Une tête elle-même si frêle

    Un visage si fin si joliment tourné

    Un petit nez troussé

    Puis sa bouche au dessin plus parfait

    Que celui des grands Maîtres

    Une lèvre infinie que pourtant

    Un menton délicieux

    Ponctue de sa virgule

    Mais il y a trop encore

     

    Un constant sentiment d’être pauvre

    Le savoir humilié

    L’esprit insuffisant

    Faillant toujours à ses amours

    L’harmonie du présent

    Déborde tous mes sens

    A plus forte raison mon esprit qui l’admire

    Perdant de l’impression tout ce qu’il veut en dire

    L’harmonie du présent

    Excède la caresse

    Que lui portent mes mots

    Jamais ils ne pourront

    L’aborder que de loin

    Jamais ils ne sauront

    L’embrasser tout entier

     

    Alors mes yeux s’épuiseront à voir

    Mon nez à respirer

    Mon oreille à entendre

    Tout mon sens à sentir

    Ce que rien ne peut dire.

     

     

     

  • Soliflore 95 - Cédric Landri

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    Une déchirure dans le vêtement planétaire,

    déchirure entre les espoirs les couleurs les flirts

    et les disparitions dans les écumes du temps

    de tants d'espèces.

     

    Le sang coule à flots sur la plaine béante,

    tandis que des volcans éternuent des plastiques

    dans le ventre des océans.

     

    Et au coin du globe crachotant,

    l'ours pôle erre.

     

    Pendant ce temps on visse à la chaîne

    des smartphones qui grillent le pain

    ou des robots qui tombent amoureux.

     

    Au lieu de former

    des infirmiers de la Terre.

     

     

  • Revue Nouveaux Délits numéro 68

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    Eh bien 2020 est passé comme un éclair, et on se demande bien après ça, qu’est-ce que cette nouvelle année va bien pouvoir nous concocter dans le grand chaudron fou de la vie ? Virus, guerres, comète, suicides collectifs, extra-terrestres, zombies, miracles ? Qu’est-ce qui va encore nous secouer, nous bousculer, nous jeter à terre ? On n’a aucune prise sur les événements extérieurs mais on peut cependant choisir le meilleur en toutes circonstances, aussi infime soit-il. Il n’y a pas que des mauvaises et sombres nouvelles, il y a des jaillissements surprenants, des résurgences de joie, des illuminations bienfaisantes, une créativité fière et indomptée qui se fout des autorisations et s’il y a bien une énergie qui a le pouvoir de transformer le plomb en or, les larmes en sourires, la colère en création, c’est celle de l’amour. L’amour quand on ne lui met aucune barrière, condition, précaution. Lui aussi fait des vagues, des vagues puissantes et douces, qui inondent le cœur, nettoient l’âme et tout se met à briller ! C’est tellement bon, on oublie à quel point c’est bon. Et gratuit ! Aimer ! Rien ne peut nous empêcher d’aimer, ni confinement, ni distanciation sanitaire, ni crise économique, lois liberticides, rien ni personne ne peut nous interdire d’aimer et de nous aimer nous-mêmes aussi. Pas plus que de danser d’ailleurs ou chanter, jouer, rire ! Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et d’emmerder les autres, mais de rester suffisamment souples pour inventer toujours de nouvelles formes d’expression de cette vie qui bat en nous son rythme vivace. Et si les circonstances s’acharnent à souffler sur les flammes, ne jamais oublier que notre flamme intérieure à chacune, à chacun, possède son propre point d'allumage spontané. Alors résister, oui, mais pas comme des bestiaux acculés qui encornent les murs, mais juste comme une évidence – en vie danse ! – parce que nous sommes des êtres fondamentalement libres, potentiellement capables d’aimer avec une force qui pulvérise toute peur, toute sclérose ; la force de l’eau que rien n’arrête, et qui même retenue par de monumentaux barrages, fomente en secret son évasion par le ciel.

    Alors, que l’an 2021 nous guérisse de toutes nos peurs, de tous nos maux et protège la Terre de toutes nos sinistres folies, et soyons souples, forts et porteurs de vie, partout où nous sommes, partout où nous passons, comme une eau aimante !

     

    CGC

     

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    AU SOMMAIRE

     

    Délits de poésie :

     

    Dorian Masson

    Angélique Condominas

    Pierre Thiollière

    Jacques Merceron 

    Pierre Vinclair : Le vivant dans la ville
    Patrick Werstink : Caléfactions (extraits)

     

     

    Résonances :

    La nuit des béguines d’Aline Kiner, éditions Liana Levi, 2017

    Quintet de Frédéric Ohlen, Gallimard, 2014

    Le Tarot de Saint Cirque de Cathy Garcia Canalès et Lionel Mazari, Gros Textes 2020

     

     

    Les Délits d’(in)citations poinçonnent en sifflotant le coin des pages tandis que le bulletin de complicité vous attend avec ses espoirs et ses plus beaux vœux, toujours à sa place, sur la dernière page, mais aussi avec une mauvaise nouvelle vu la nouvelle et forte augmentation des frais postaux : + 11,6 % pour l’écopli qui a donc doublé en 7 ans ! Aussi, pour ce numéro, on va serrer les fesses mais pour celui d’avril, il me faudra répercuter ça sur les tarifs de la revue, qui augmenteront donc pour la troisième fois en 18 ans.

     

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    Illustratrice :

    Cathy Garcia Canalès

     

    Mon imprimante pour la revue, de plus en plus capricieuse, n’aime plus que le bleu pour les images, même en mode n&b, aussi je ne peux plus décemment proposer à d’autres d’illustrer ce numéro et même les suivants, donc c’est la femme-orchestre qui s’y colle, avec plaisir cependant : mes griffonnages et gribouglyphes sont d’accord pour voir la vie en bleu. S’y est glissé un cheval venu de très loin, un des rares dessins que je tiens de mon père, qui s’en était allé cavaler dans les prairies célestes en 1973.

     

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    Mais qu'il y ait des espaces dans votre entente.
    Que les vents des cieux puissent danser entre vous.
    Aimez-vous, l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour un carcan :
    Qu'il soit plutôt mer mouvante entre les rives de vos âmes.
    Remplissez, chacun, la coupe de l'autre, mais ne buvez pas à la même.
    Donnez-vous l'un à l'autre de votre pain, mais ne partagez pas le même morceau.
    Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que chacun demeure isolé,
    Comme sont isolées les cordes du luth, bien que frémissantes de la même musique.
    Donnez vos cœurs, mais pas à la garde de l'autre,
    Car vos cœurs, seule la main de Dieu peut les contenir.
    Et dressez-vous ensemble, mais pas trop près l'un de l'autre :
    Car les piliers du temple se dressent séparément,
    Et le chêne et le cyprès ne peuvent croître dans leur ombre mutuelle.

    Khalil Gibran

    in Le Prophète (1923)

     

     

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    *

    Nouveaux Délits - Janvier 202i – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable et illustratrice : Cathy Garcia Canalès -  Correcteur : Élisée Bec         

     

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  • PREUVES INCERTAINES de Jean-Louis Millet, Nouveaux Délits éd., septembre 2020

    En septembre dernier, est sorti un nouveau recueil chez Nouveaux Délits

     

    PREUVES INCERTAINES

    de Jean-Louis Millet

     

    avec 15 illustrations originales de l’auteur

     

     

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     "Titubant dans l'escalier liquide
    des rails luisants du tram T3,
    un bel ivrogne nommé Désir
    voyage aux portes de la nuit.
    Oiseau nocturne à bec de bois
    il brûle de la grande soif amère
    et mord la pluie,
    une pluie lasse de pleuvoir.
    Sa solitude hirsute transpire
    en mille éclats de visages fatigués
    dans le miroir de l’incognito."

     

    Édité et imprimé par l’Association Nouveaux Délits
    sur papier calcaire 100 g, couverture 250 g, 100 % recyclé

    12 € + 2,50 € de port

     à commander à l'Association Nouveaux Délits

    Letou - 46330 St CIRQ-LAPOPIE

     

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  • Soliflore 94 - Pierre Bastide

    Caramelle est une grenade inoffensive. Si on goupille bien son truc, il demeure secret, et on peut la savourer lentement. C’est une transe dans le bouche, d’où son nom Caramelle Mou. C’est succulent.

     

    Évidemment, si on ne fait pas attention, si on veut précipiter le mouvement, elle vous pète à la gueule et vous en prenez plein les dents !

     

     

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    Ainsi va la poésie

     à la saillie du cri

    comme une voix sur l’indicible

     

    comme un doigt sur la plaie

    le couvert est mis à l’aveugle

    sur le continent noir de la beauté

     

     

  • Soliflore 93 - Éric Bouchéty

     

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    "Ciel haut" - photo de l'auteur

     

     

    À l’heure grave 

     

    À l’heure grave, à l’heure constante,

    Comme aux autres heures passées,

    Maintenant que l’eau ne t’abreuve plus

     

    Que la bouche sèche a épuisé

    Ses grands chemins, ses lieux communs

    Goûtons-nous entre les deux espaces

     

    Tends l’évidence de ta gorge

    Maintenant qu’il n’y a plus de ciel

    Tends-y l’échelle de tes jambes.

     

    Dans l’heure juste, dans l’heure sensible,

    Apprends-moi le désir sagace,

     

    Ce qui nous tient sur le chaos.

     

     

     

  • Soliflore 92 - Clément Bollenot

     

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    ©Sylvie Frénillot - Quartier de Perrache - Lyon

     

     

    le tunnel avale le tram et moi aussi

    les lumières clignotent

    fragiles comme des lucioles

    le serpent de fer rampe mollement

    sur la voie ferrée

    ses yeux jaunes éblouissent la nuit

    je sens les murs vibrer le sol trembler

    et les lettres noires qui se détachent

    des murs ternes salis par la vie

    ACAB

    en ville pas besoin de lire le journal

    ni de regarder la télé

    tout est sur les murs

    ACAB

    les murs se souviennent

    si les images sont interdites

    ACAB

    mon index repasse les lettres une par

    une

    le tram est passé

    sa voix se perd près de la sortie

    et l'œil de la vidéosurveillance

    est braqué sur moi

     

    www.kildaprojet.com

     

     

     

  • Soliflore 91 - Tom Saja

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    photo©Daphné Castreau-Charara

     

     

    Kos

     

    Sable Grec

    Mer Égée

    Embruns de temps immémoriaux

     

    Le soleil renait derrière les montagnes

    De l’ancienne Halicarnasse

     

    Visages salés

    De silhouettes

    Qui veulent vivre

    Ardemment

     

    L’amour ne manque pas

    Mais que le monde en manque

    Immanquablement

     

    Ce monde n’est pas juste

    Et nous sommes nés du bon coté de la mer

     

     

     

     

  • Soliflore 90 - Anne Barbusse

     

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    on entre dans l’ère des femmes révoltées : le jardin se vêt

    de vignes vierges rouges comme les combats

    et les femmes hurlent le machisme surplombant,

    les coups, les professions perdues pour cause d’amour maternel

    (dans les divorces les pères demandent la garde pour que les mères

    ne puissent pas partir, ils possèdent l’enfant-objet et tu renonces à un poste universitaire)

    l’homme révolté c’est fini

    alors les femmes se lèvent

    elles en ont assez du machisme des pères des maris des maires des chefs

    elles sont #metoo par étouffement, pleurs, abnégations, face aux plantes ravagées

    les femmes opposent les luttes, manifestantes insultées et vivantes

    plus Marianne que le monde détruit, face au béton

    et aux maires, aux conseillers municipaux inamovibles et

    à la démocratie grippée, aux petits chefs ridicules et désuets

    face aux campagnes désertées, aux friches et vignes arrachées

    et aux lois faites par des hommes pour des hommes, (tu l’as dit à la présidente de l’université années 90, aube du second millénaire, les interruptions de thèse sont autorisées pour service militaire mais non pour congé maternité)

    cela le monde au tournant du millénaire, cela les forêts tranchées, le global warming

    et l’anthropocène absolu

    cela les violences silencieuses et urgentes, le monde à nos pieds exténué

     (étudiante tu ne coucheras pas pour obtenir un poste de secrétaire auprès d’un haut fonctionnaire parisien, poète tu ne coucheras pas pour subventionner un livre auprès d’un vieux maire crapuleux de province)

    droit de cuissage primitif et privilège des hommes mûrs du XXième siècle

    le capitalisme est plus masculin que nos rêves

    au village les femmes sont les seules à hurler au maire leurs révoltes criblées de blessures

    les femmes prostrées se lèvent

    contre les pères qui frappent (soulèvent la petite fille de terre en la tenant

    par ses longs cheveux frisés et dénoués) contre les maris

    qui frappent (parce que nous disent hystériques)

    contre les amants alcoolisés ou camés contre les coups - le fond de teint

    que tu te mets sur le visage le lendemain car

    c’est toi qui as honte d’être la battue de source sûre (avec le père la lèvre

    éclate de sang, mais en grandissant tu as appris à courir vite

    à faire vibrer la rampe d’acier de l’escalier pour t’enfermer

    dans les toilettes), avec le temps tu n’as rien appris

    puis tu jettes ton corps de femme à la face des mondes

    et tu éclates avec les oiseaux, et tu montes en haut

    des arbres pour que le ciel t’absolve, pour que tilleul et acacia

    te pardonnent d’avoir été la frappée, la battue, la folle

    (tu prends des coups parce que tu es folle, disent-ils, répètent-ils,

    ou mauvaise, ce sont leurs termes inébranlés)

    alors tu construis des ZAD et des pancartes rouges, tu bouleverses le cours

    des pouvoirs et tu tiens tête à tous les chefs fonctionnarisés par excès

    et dehors les plantes prennent courage

    la vigne vierge rougit sans honte

    tu seras la révoltée vierge telle la vigne rouge

    et tes pas divorcés auront l’aplomb des arbres fiers comme des ciels

    et ton cri aura la gorge tranchée de féminité et de lune, tu seras

    #metoo dans le réel exalté et les hommes n’osent plus,

    parmi l’effondrement de toutes les biodiversités, décapiter tes désirs

    surnuméraires et tes accouchements flambants et alors

    tu dresseras ta maternité comme une création intempestive tu joueras

    Delacroix pour de vrai mais sans le drapeau tu

    éteindras tous les bûchers dressés par la Didon malheureuse

    et tu prendras les rênes, dans le cours de l’histoire effondrée

    parmi vergers et landes – un soir de juin, le maire abandonne la préemption du potager et

    toutes les plantes respirent, le tilleul pleure d’été – alors les femmes

    sont du côté des oiseaux, tout en haut des arbres elles

    se jettent dans les mots écologiques, dans l’écriture la jamais battue l’instinctive

     

     

     

  • Rage ; rabia de Regina José Galindo

     

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    Traduction LAURENT BOUISSET  - Langue d'origine : ESPAGNOL

     
     

    Dans le numéro spécial Guatemala de la revue Nouveaux Délits (n°58) réalisé en collaboration avec Laurent Bouisset, vous aviez pu découvrir des traductions de poèmes de Regina José Galindo, leur puissance à l'image de tout son travail d'artiste poète et performeuse, la voici donc publiée en France pour la première fois aux éditions des Lisières.

    "À l'image de son travail d'artiste performeuse, la poésie de Regina José Galindo est crue, brute, viscérale. Reflet de la violence d'un continent, son écriture radicale dénonce la violence faite aux femmes et aux Indiens dans son « mauvais mauvais mauvais Guatemala » en proie aux gangs après trente-six années de guerre civile. Rendre hommage et affirmer une résistance, c'est ce que construit par son travail artistique et poétique Regina José Galindo, avec rage et vitalité."

     

    à commander ici :

    https://halldulivre.com/livre/9791096274222-rage-rabia-ga...

     

    Le site de Regina :

    http://www.reginajosegalindo.com/en/home-en/

     

    Le numéro spécial Guatemala :

    http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/archive/2017/...

     

     

     

  • Le Grand Jeu de Cécile Minard

    Rivages poche, janvier 2019

     

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    220 pages, 7,80 €

     

    Un roman surprenant, vraiment rafraîchissant, qui se laisse boire avec une certaine jubilation et qui, plus encore, contient en lui-même une profondeur de réflexion — des pistes, pas de réponses, seulement des pistes — et une énergie communicative qui fait fourmiller les racines de l’être.

    Une jeune femme dont on ne connaîtra pas l’identité, ni rien de son existence antérieure — ou à peine quelques flashs — si ce n’est qu'elle est bien décidée à s’en couper, tout comme elle va se couper du monde et de toute relation humaine, pour s’isoler dans un coin de montagne, une sorte de cirque naturel qui sent bon le Pliocène, un îlot de deux cents hectares de roche, de bois et de prés au cœur d’un massif montagneux de vingt-trois kilomètres carrés, qu'elle a acheté et équipé de façon très technique. Plusieurs modules y ont été héliportés : un « tonneau » d’habitation high-tech « à demi-appuyé à demi-suspendu à un éperon granitique », plus bas des sanitaires et un abri jardin, réserve et outillage, le tout bien réfléchi, hyper organisé. « Une belle planque ». Grâce à un équipement et un entraînement survivaliste de pointe adaptés à la vie en altitude en toutes saisons — matériel d’escalade, de pêche, de chasse, d’agriculture, une autonomie énergétique, suffisamment de réserves, etc. , la jeune femme prend possession de son territoire et se met à l’explorer peu à peu tout en organisant méticuleusement sa nouvelle existence pour ne pas être prise au dépourvu. Le seul élément du passé qu’elle a apporté avec elle et qui n’a rien avoir avec les bases de la survie, c’est un violoncelle.

    Ce roman, ce sont les cahiers qu'elle remplit, son journal de bord. On pense évidemment au Walden de Thoreau. Un Thoreau version 3.0. La narratrice emploie un langage très technique, scientifique même, ce n’est pas ici un retour à la nature façon hippie, mais une immersion totale dans la solitude et une confrontation avec les limites du corps et de l’esprit. La nature — puissante, exigeante — est perçue comme une source de défi autant que d’enseignement et d’émerveillements. Pour quelqu'un qui, semble-t-il, ne manquait de rien sur le plan matériel, ce choix de vie est donc absolument un choix et un choix absolu.

    « Les conditions idéales sont-elles celles auxquelles on ne peut pas échapper, celles qui nous obligent ? »

    Cet isolement total n’est pas seulement un challenge que cette jeune femme s’est lancé à elle-même, mais une nécessité qui se questionne dans ce tête-à-tête avec soi-même et une nature libre, sauvage, un monde qui n’est pas fait pour les humains « Ce monde n’est pas fait pour nous, et c’est un immense soulagement : on peut donc y vivre — si on y parvient. »

    La narratrice est une personne déterminée qui peut sembler, au premier abord, être faite d’un seul bloc, même si elle laisse transparaître au fur et à mesure de son récit une problématique, liée peut-être à la violence, ou à la peur de la violence humaine, de la contrainte imposée par l’autre plutôt que par soi-même :  « L’autorité : le grand jeu de l’humanité ? ».  

    « J’étais détachée, en plein entraînement général, je n’avais plus à redouter de croiser quotidiennement un envieux, un ingrat, un imbécile. »

    Entraînée donc et préparée à toutes sortes d’éventualités, la jeune survivaliste n’avait cependant pas prévu qu'une créature autre qu'animale puisse partager son territoire. Une créature des plus improbables qui pourrait bien devenir son maître, dans le sens initiatique du terme et c’est ainsi que le Grand Jeu va prendre une dimension philosophique très imbibée de taoïsme, qui amène peu à peu la narratrice à passer de sa volonté de maîtrise sur les éléments extérieurs à un lâcher-prise total, condition ultime pour accéder à une réelle maîtrise, celle à laquelle elle aspirait réellement : la maîtrise intérieure. L’équilibre est au centre de ce roman et l’équilibre naît d’un mouvement perpétuel entre les polarités, sagesse et ivresse marchent sur le même fil.

    Ce serait dommage d’en révéler plus. À vous maintenant, lectrices, lecteurs, d’être curieux.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

     

    minard_celine-c-lea_crespi.jpgCéline Minard est née à Rouen en 1969 ; après des études de philosophie, elle se consacre à l’écriture. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages : Le Dernier Monde (2007), Bastard Battle (2009) et Olimpia (2010), So Long Luise (2011), Faillir être flingué (2013, prix livre Inter), Le grand jeu (2016), Bacchantes (2019).

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Le Chemin des âmes de Joseph Boyden

     

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    (titre original : Three-day road, 2004), Albin Michel 2006. 475 pages.

     

    Je viens de terminer ce livre inoubliable, dont la fin m’a fait pleurer. Un hymne tordu de douleur, mais puissant, à la vie arrachée aux champs de mort. Un chant de mort aussi et un chant de guérison. J'y ai appris encore des choses sur cette première guerre mondiale et notamment sur les soldats amérindiens qui y ont pris part. Ici, ce sont deux amis d‘enfance de la nation Cree. En cherchant un peu plus sur le sujet suite à cette lecture inspirée de faits bien réels, j'ai appris, sans surprise hélas, la façon dont ces recrues (comme les autres minorités) ont été traitées, avant, pendant, après...  Mais entre les hommes jetés dans cette grande boucherie, les soldats de base rampant, pataugeant et crevant dans la même soupe de boue et de sang, il n'y avait plus beaucoup de différences. Les deux jeunes Cree vont se distinguer sur le terrain par leurs qualités de chasseurs mais ils en paieront le prix fort : quelque chose les sépare et cette séparation va peu à peu se transformer en gouffre. L’un, abandonné par sa mère qui avait sombré dans l’alcoolisme, avait été sauvé du pensionnat tenu par de rudes religieuses, missionnées pour bouter le païen hors de ces corps de sauvageons, par sa tante, une des rares Cree à perpétuer la vie d’avant à l’écart de la ville et des wemistikochiw et qui l’a pris avec elle au fond des bois, pour lui enseigner tous les savoirs et traditions de son peuple, celles du monde visible mais aussi du monde invisible, elle qui était une des dernières chasseuse de wendigos. L’autre, orphelin, a passé trop d’années dans ce pensionnat, avant que la tante de son ami d’enfance, ne vienne lui aussi le chercher. Le Chemin des âmes force une réflexion sur l'humain dans l’enfer de la guerre, le meurtre autorisé, les limites (y en a t-il ?), mais aussi sur les conséquences de la colonisation et de l’acculturation, leur violence et heureusement il y a cette sagesse ancestrale, qui malgré tout, palpite encore, resurgit quand on la croit disparue à jamais sous la pression de la culture qui se voulait et se veut encore dominante et qui a envoyé des milliers d’hommes colonisés finir en morceaux de viande faisandée au fond d’une tranchée, dans des pays qui leur étaient totalement étrangers. Un livre qui m’a vraiment bouleversée.

     

    Joseph Boyden, né en 1966, est canadien avec des racines amérindiennes, écossaises, irlandaises. Le chemin des âmes est son premier roman. D’autres ont paru depuis, le dernier : Dans le grand cercle du monde, 2015.

     

    En savoir plus sur l'auteur :

    https://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article2344

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits numéro 67

     

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    Octobre 2020

     

    Ensauvagement, en voilà un terme galvaudé encore, quand il sert à définir une spirale ultra-médiatisée de violence. Pourquoi ne pas dire simplement enviolencement ? Si la société s’ensauvageait littéralement, on verrait le béton disparaître sous la verdure. On devrait plutôt parler au contraire de dénaturation, d’artificialisation, d’abrutissement, de dégénérescence… Et souvent même, on devrait se taire ! Il y a en effet tant et trop à dire, et le bruit ambiant est déjà tellement fort, tellement cacophonique, que je préfère m’ensauvager justement et me taire, ou siffloter, ou miauler ou braire ou turlutter… Turlutter oui, comme les alouettes ! Chanter comme les baleines, feuler, grincer, barrir, ricaner comme les hyènes, sûr que ce n’est pas l’envie de mordre qui manque parfois… Mugir, hennir, rugir, glapir, tout plutôt qu’user des mots en dégradant et souillant leur sens. Aussi me voilà affamée de poésie, de celle qui justement ensauvage le langage, le croque et le recrache baigné de sucs, illuminé de l’intérieur par des processus qui échappent à toute explication, tout contrôle, tout dogme, toute rationalisation. Même la noirceur n’est qu’un des innombrables aspects de la lumière quand on passe sa langue par le trou de la poésie, la noirceur n’a rien à voir avec la cruauté. La cruauté n’est pas sauvage, n’est pas l’apanage des bêtes, ni même des brutes, c’est un désir vicié, une froide volonté de faire souffrir, d’humilier, de détruire l’autre. C’est de la cruellisation dont on devrait s’inquiéter, de celle qui s’attaque aux enfants, aux animaux, aux femmes, aux plus fragiles, et qui n’a rien à voir avec la violence de celui qui se défend comme il peut et souvent très mal et à tort d’une autre violence, moins visible, mais toute aussi agressive dans ses effets.

    Et si une des clés pour rééquilibrer, soigner et pacifier nos sociétés était un ré-ensauvagement justement de la Terre ? Renouer, hommes, femmes et toutes nuances intermédiaires, avec la puissance femelle qui sacralise, protège et nourrit ? Sacraliser, du latin sancio : « rendre inviolable ».

    CG

     

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    AU SOMMAIRE

     

     

    Délit de poésie : Hélène Decoin, Claire Cursoux, Ana Minski, Aline Recoura, Antoine Bertot, Martin Payette.

     

    Délit d’auto-promotion : présentation et extraits d’À la loupe, tout est rituel, dernière publication en date de Cathy Garcia Canalès.

     

    Résonances : Le Grand Jeu de Cécile Minard – Rivages poche, 2019 & Le Chemin des âmes de Joseph Boyden, Albin Michel, 2006.

     

    Les Délits d’(in)citations poussent au bas des pages, faites-en provision pour l’hiver.

     

    Vous démasquerez le bulletin de complicité souriant à la sortie, toujours partant pour de nouvelles aventures.

     

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    Illustrateur : Nelson Jacomin

    alxavi.nls@gmail.com

     

    Nelson Jacomin est né en 1993 dans le Var. Peintre, photographe, il monte avec deux amis l'association Mercator en 2018 à Paris. Ils publient et éditent de nombreux fanzines et organisent expositions et évènements dans Paris et alentours. Depuis 2020, vit et travaille entre la Suisse et Paris.

    Insta : https://www.instagram.com/nelson_jacomin/

     

     

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    Lumières. Pluies. Océans sauvages. Emportez-moi dans la moelle frénétique de vos articulations. Emportez-moi ! Il suffit d’un soupçon de clarté pour que je naisse viable. Pour que j’accepte la vie. La tension. L’inexorable loi de la maturation. L’osmose et la symbiose. Emportez-moi ! Il suffit d’un bruit de pas, d’un regard, d’une voix émue, pour que je vive heureux de l’espoir que le réveil est possible parmi les hommes.

    Emportez-moi ! Car il suffit d’un rien, pour que je dise la sève qui circule dans la moelle des articulations cosmiques.

     

    Frankétienne

    in L’oiseau schyzophone

     

     

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    Nouveaux Délits - Octobre 2020 – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès -  Illustrateur : Nelson Jacomin - Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

  • Georges Cathalo a lu "Printemps captif", délit buissonnier n°4

     

    COUV small.jpgIl y aura, c’est certain, dans les mois à venir, toute une profusion d’écrits sur la crise sanitaire. Il semble urgent de chercher des résiliences pour faire face aux turpitudes de l’époque, comme lire « quelques poèmes de Nuno Judice ». On peut aussi lire les poèmes de Lionel Mazari, poèmes qui slaloment entre les écueils du temps présent. Quelques jongleries verbales arrivent comme des respirations entre des bouffées d’ultra-réalisme. Mazari n’hésite pas à affirmer : toute ma sagesse est viatique / et la folie me désaltère. C’est sûrement ainsi qu’il va falloir aborder les temps à venir en se ménageant des espaces où assis sur un banc dans le noir , on découvre ce qui se passe comme « ces ombres calmes aux fenêtres » avec ces  brancardiers venus sauver de pauvres gens blessés par la réalité . Pour finir, signalons la belle illustration de couverture de Morgane Plumelle où deux oiseaux en liberté semblent défier notre printemps captif.

     

    à lire en ligne ici :

    https://www.dechargelarevue.com/No10-Passer-de-friches-en-contre-allees-par-un-printemps-furtif.html

     

     

     

     

  • En juillet est sorti le 4e Délit buissonnier... Printemps captif de Lionel Mazari

     

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    Poèmes de Lionel Mazari

    écrits sous confinement entre le 17 mars et le 19 avril 2020

     

     

    « alors...
    plutôt que d'écouter couiner les ambitieux,
    que la crise épidéconomique,
    — hélas vécue comme une épreuve
    par nous, véritables mortels —
    stimule et extasie,
    j'ai ce jour d'huis préféré
    profiter de l'arrêt cardiaque du monde
    et de la suspension de son souffle,
    pour lire, bercé anesthésié
    par cette nouvelle musique de danse macabre,
    quelques poèmes de Nuno Judice ;
    puis tout en sirotant un citron chaud
    édulcoré au miel de sapin,
    ce jour d'huis préféré,
    tandis que tournoyaient dans le ciel gris doux
    dépourvu d'effets dramatiques
    quelques corbeaux émoustillés,
    voir merles et pies, brindilles au bec,
    préparer leur nid,
    sans se soucier de notre mort,
    parmi des explosions de pâquerettes
    et l'éclosion de trois tulipes. »

     

     

    tirage numéroté, 40 pages agrafées

     papier calcaire 100 g. couverture 250 g. 100 % recyclé

    Illustrations en couverture : Morgane Plumelle

     

    10 € +2 € de port,  à commander à

     l’Association Nouveaux Délits – Letou – 46330 St Cirq-Lapopie