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LA REVUE NOUVEAUX DÉLITS - Page 4

  • Soliflore 110 - Isabelle Garreau

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    RETOUR À PECH MERLE

     

    la pierre est chair

    où vit la rhétorique magique des images

    peuplant la même aspérité

    mammouth buffle tigre cheval

    par transparence on lit

    emballement dévoration vitesse frayeur fuite et chaos chair chair

    le réel se conforme à de telles objurgations

     

    oui nous ferons des signes

    nous mettrons en scène

    nous manierons le symbole

    nous créerons un langage vivant

     

    nous mêlerons la salive et le sang

    le pigment et les cendres

    lapis et carmin régurgités

    par nos sarbacanes

    nous sommes la bouche

    qui crache

    au cortex de la grotte

    ces images rétiniennes hors du temps

     

    la camera oscura

    transmute nos mains en négatif

    monstration des reliques

    la hyène digérée par l'ours digéré par l'image digérée par la grotte

    dans son intimité suintant le souffre

    un boyau retient prisonnières

    les images inverses apposées

    au cerveau de la grotte

     

    on voit son œil blanc et fendu

     

    ombres mêlées

    le mammouth la biche l'aurochs la tête d'ours l'homme la femme la femme treize fois la femme le point la jument le brochet

     

    ce langage c'est Eurydice aux Enfers

    et nous voudrions en retirer quelque chose

    alors nous rebroussons chemin

    chemin rebroussé au-delà du texte

    au-delà de la feuille

    au-delà de l'articulation

    par-delà les limites que nous nous sommes infligées

    nous rebroussons chemin vers l'image pure

    le signe vivant

     

     

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  • "Paraît que" lu par Alain Guillaume

     

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    .... et qui s'adresse à l'auteur :

    "bien reçu. Viens d'une traite relire ton "Paraît que", dit relu parce que je crois les avoir lus tes textes mais un à un, espacés et là regroupés, à l'enfilade, ça donne un sacré tempo surtout avec pour écho le contrepoint "t'es un mec du XX° siècle toi", oui beaucoup beaucoup de rythme avec ces vérités que tu retournes comme des crêpes et non sans humour... C'est rapide, c'est neuf, beau boulot, vraiment beau boulot. Merci pour cette bonne énergie"

     

     

     

  • Avis de parution : Paraît que d'Heptanes Fraxion, délit buissonnier n° 5

     

    Sortie le 1er juillet 2021

     

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    illustration de Jimmy Fortier

     

     

    *

     

    paraît que t'es naïf en amour

    paraît que t'as besoin de sentiments pour niquer

    paraît que t'es qu'un connard mesquin

    paraît que t'as besoin d'être reconnu dans ta vérité

    paraît que chez toi ça sent pas vraiment le poète obscur

    paraît que t'as une voix à vendre de l'huile d'olive

    paraît qu'il faut que tu sois un peu plus humble

    paraît que tu chausses comme Michel Platini

    paraît que t'es l'heureux papa d'une IVG et d'une grossesse extra-utérine

     

    *

     

    tirage numéroté

    32 pages agrafées

    imprimées sur papier calcaire 100 g

    couverture calcaire 250 g

    100 % recyclé

     

    *

     

    10 € +2 € de port,  à commander à

     l’Association Nouveaux Délits – Letou – 46330 St Cirq-Lapopie

     

     

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    Heptanes Fraxion par Christine Spadaccini

     

     

    *

     

     

    Délits buissonniers

    est une collection de tirés à part

    de la revue Nouveaux Délits

     

    Vous pouvez lire Heptanes Fraxion

    dans le numéro 54 (avril 2016)

     

     

     *

     

    Composé, imprimé sur papier recyclé et diffusé par :

     

    l'Association Nouveaux Délits

     

    Dépôt légal : juillet 2021

    ISSN : 2556-0026

     

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  • Au petit bonheur la brousse de Nétonon Noël Ndjékéry

    couv_nàtonon.jpgcoll. Mycélium mi-raisin, Hélice Hélas éd., 29 mars 2019.

     

    Une noria de nuits au pelage léopard accoucha de dizaines de soleils qui, l’un après l’autre, pyrogravèrent le ciel de part en part sans y laisser le moindre sillon.

     

    Au petit bonheur la brousse est un roman dense, consistant, aussi savoureux que désespérément tragique, qui tisse un lien improbable entre une Helvétie paisible, fraîche et ordonnée, lisse et impeccable comme un livre d’images et un pays en sueur, chaotique, déchiqueté par la violence, la corruption, la cupidité, l’injustice et le mensonge. Bel héritage postcolonial entretenu par Didi Salman Dada, alias L’Autre-là, président agrippé au trône depuis presque cinquante ans et qui « pouvait dormir sur ses deux oreilles tant qu’il continuerait à brader l’or noir tchadien à ses parents occidentaux ».

    Ce lien entre la verte Genève et la brousse turbulente et aride de la province du Takoral, s’appelle Bendiman Solal, enfant suisse du Tchad ou enfant tchadien de Suisse, dont l’enfance a été bercée par le jet d’eau du lac Léman, le pompon de neige au sommet du Mont Blanc, l’amour de ses parents – son papa est comptable pour l’Ambassade tchadienne — et de Ginette, dit Gigi, sa marraine adorable et adorée, les jeux, les livres, toutes les histoires qu’on lui a racontées : celles du pays de ses ancêtres qui lui ont donné le goût de l’aventure et celles de Guillaume Tell et Madame Royaume qui lui ont donné un idéal d’héroïsme et le font rêver grand dans la belle et tranquille résidence genevoise. Aussi, quand ses parents sont soudainement rappelés au Tchad, qu’il ne connaît donc que par la langue des griots, c’est certes avec une certaine appréhension mais surtout avec une immense curiosité mêlée d’une forme de respect, qu’il s’apprête à poser les pieds au pays des ancêtres. Abreuvé d’histoires d’un Tchad voué à la magie noire, il se rêvait déjà comme un Harry Potter des Tropiques. Ce qu’il n’aurait jamais pu concevoir, jeune et naïf adolescent si enthousiaste à l’idée de découvrir enfin sa terre originelle, c’est que sitôt arrivé, non seulement il allait être séparé de ces deux très chers parents mais que ces derniers allaient être immédiatement arrêtés et mis au secret pour raison d’État. D’un seul coup, tous ses repères sont effacés, « à leur place avait surgi un monde rude, ivre de soleil et craquelé de sécheresse, un monde où tout se passait comme dans un vieux film mal colorisé et projeté au ralenti. Les personnages, pour la plupart efflanqués, étaient aussi fâchés avec la nervosité qu’ils étaient adeptes du rire. Quant au décor, mélange d’immeubles en béton et de maisons en banco assiégés par la brousse, il étalait son indigence de couleurs et de reliefs dans une monotonie à filer le bourdon à une enclume. » et Bendiman Solal finit très vite par se retrouver totalement démuni et isolé, avec un oncle, le seul qui ne craigne pas de l’aider.

    Bendiman Solal, n’est cependant pas du genre à baisser les bras ou à sombrer dans le désespoir, à peine sorti de son cocon helvétique et donc « profondément imprégné de l’illusion que la justice était à l’œuvre partout, y compris au cœur de l’Afrique », il s’est donc donné une mission : retrouver ses parents. Une mission que l’adolescent poursuivra envers et contre tout dans ce pays qui, pensait-il, venait de tout lui prendre, mais ce n’était qu’un début. Parcours initiatique et brutal au cours duquel Bendiman Solal, jeune garçon cultivé, intelligent, exceptionnellement doué même, au cœur bon et noble, perdra couche après couche, toute illusion, toute innocence, tout idéal. Il faut le talent d’une plume comme celle de Nétonon Noël Ndéjékéry, lui-même tchadien vivant en Suisse, pour en faire un roman aussi prenant, plume qu’il trempe dans l’encre de l’humour le plus décapant : celui du désespoir, une encre d’un noir si lumineux. Encre qui cependant finit par s’assécher elle aussi, à mesure qu’on s’enfonce dans l’histoire comme Bendiman Solal, allias Mini Tell, s’enfonce dans la réalité la plus crue, laissant loin derrière lui comme une carcasse dans le désert, les rêves, les espoirs et la candeur de son enfance.

     

    Reste la langue imagée et sublime, poésie sage et digne, des griots, « tout le reste s’avère si extrême dans la douleur comme dans la joie que, sous peine d’y perdre la raison, il faut sans cesse le repeindre aux couleurs des mirages si courants avec l’avancée des déserts. Simple exigence de survie. » Au petit bonheur la brousse ou bien au grand malheur la brousse ? Un mélange, un de ces curieux mélanges que l’humanité touille dans ses sombres chaudrons.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    Netonon-Noel-NDjekery.jpgNé au Tchad, Nétonon Noël Ndjékéry a fait des études supérieures de mathématiques. Il vit et travaille en Suisse comme informaticien. Parce que son père était un soldat de carrière, il grandit dans un camp militaire et est très tôt mis au contact de la langue française. Cependant, ses racines se sont d’abord nourries de la puissante sève de l’oralité subsaharienne. Sa mère a juste le temps de lui insuffler le goût de conter avant que le divorce de ses parents ne le sèvre à jamais des berceuses. Mais il a déjà contracté le virus de la parole partagée et en devient une des plus fidèles victimes consentantes. Dès lors, il ne cessera plus de prêter l’oreille à tout griot de passage. L’école lui ouvre ensuite l’univers fabuleux des livres. Il s’y enfonce, papillonne, butine au gré des bibliothèques et découvre, fasciné, que la parole volante et la parole écrite sont les deux rouages d’une seule et même machine à revisiter rêves et réalités. Il a publié Sang de Kola, L’Harmattan, 1999 ; Chroniques tchadiennes, Infolio, 2008 ; Mosso, Infolio, 2011 ; La minute mongole, La Cheminante, 2014.

     

     

  • Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi

    traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller

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    Métailié éd., 22 août 2019

     

    Ce roman est une fresque étourdissante d’une densité telle qu’il est impossible de le résumer, et d’ailleurs tel n’est pas le but de cette note, mais il faut tout de même pouvoir donner quelques pistes au lecteur. De quoi s’agit-il ? D’une histoire de famille sur plusieurs générations, trois siècles, en Ouganda, donc bien avant que ce pays ne soit arbitrairement nommé ainsi par le colon britannique, en référence à l’ethnie Ganda, occultant ainsi toutes les autres qui peuplaient cette terre.

     

    Kintu est donc une histoire de famille, mais à vrai dire, c’est avant tout l’histoire d’un geste malheureux et de ses conséquences : la répétition transgénérationnelle d’une malédiction. La gifle d’un père, Kintu, à son fil adoptif, Kalema, lors d’une déjà difficile traversée de désert, ayant entraîné accidentellement la mort de ce dernier, qui de plus, fut vite et mal enterré par mégarde à côté d’un arbuste épineux auprès duquel on enterre habituellement les chiens.

     

    Le roman démarre par un prologue, nous sommes en janvier 2004 à Bwayse, un bidonville situé dans une zone marécageuse au pied de Kampala. Kamu Kantu y est assassiné. Kamu Kantu est un descendant de Kintu Kidda, l'ancêtre qui a attiré la malédiction sur sa lignée. Et ce prologue laisse place au premier chapitre qui nous ramène à l’origine donc de cette malédiction : en 1750, dans la Province du Buddu, au Buganda.

     

    Plusieurs générations vont ainsi se succéder, depuis le temps des clans, des royaumes jusqu’au début du XXIe siècle. L’histoire des individus mêlée, emmêlée à l’Histoire d’une terre sur laquelle sont venues, les unes après les autres, se greffer des religions importées et conflictuelles, dont la pas si petite dernière : la très activiste évangéliste. Une terre démembrée par la colonisation, ce qui a entre autre ravivé et compliqué les guerres tribales, et qui essaie d’avancer avec de douloureuses prothèses occidentales comme tout le reste du continent, et tous les flux migratoires consécutifs, la modernisation et la paupérisation qui va avec, les guerres encore, le sida… Y est évoqué bien-sûr la sinistrement célèbre figure d’Idi Amin Dada, mais d’un point de vue ougandais, notamment dans une discussion entre deux amis qui ne sont pas d’accord.

     

    La figure était cependant déjà suffisamment et atrocement sanguinaire, sans besoin que les fantasmes occidentaux n’en rajoutent pour en faire une caricature révélatrice de leur propre peur du « noir », tout en faisant oublier ainsi leur responsabilité dans l’instauration de ce dictateur, comme tant d’autres en Afrique.

     

    Kintu est un roman, écrit forcément dans la langue de l’ancien colon britannique, mais c’est vraiment un roman ougandais, sans compromis.

     

    Si la toile de fond se transforme au cours des siècles, Jennifer Nansubuga Makumbi tisse sa trame avec tant de subtilité, l'art de montrer sans dire, que ce n'est pas ce qu’on pourrait appeler une fresque historique. L’Histoire est un grand fleuve, mais ce sont les êtres humains qui sont ici au centre de la fresque, ils sont bien sûr entraînés par le courant, roulés, malaxés, modelés et parfois brisés par lui, mais, comme des galets, ils sont solides. Ils ont leur propre densité, identité, ils sont tous reliés à une montagne originelle, ancestrale et si la destinée de chacun est à la merci des événements, il existe aussi une forme de prédestination. La force du fleuve ne change rien à la malédiction qui poursuit les descendants de Kintu Kidda, génération après génération, mais cela pourrait tout aussi bien être une bénédiction, ce qui émerge de ce roman, c’est le fil qui nous relie les uns aux autres et qui traverse le temps.

     

    Roman foisonnant, puissant, où l’on se perd facilement mais, comme les personnages, nous sommes entraînés par la force du courant. Une liste et un arbre généalogique en début d’ouvrage peuvent nous aider à reprendre pied, mais à vrai dire on n’en a pas forcément envie, car très vite, il n’est pas tant question de tout comprendre, mais plutôt de se laisser emporter et peu à peu imprégner de cette langue franche et magnifique avec laquelle Jennifer Nansubuga Makumbi nous raconte sa terre d’origine.

     

    Un premier roman magistral.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    jennifer-nansubuga-makumbi.jpgJennifer Nansubuga Makumbi est née à Kampala. Elle a étudié et enseigné la littérature anglaise en Ouganda, avant de poursuivre ses études en Grande- Bretagne, à Manchester, où elle vit aujourd'hui. Son premier roman, Kintu, lauréat du Kwani Manuscript Project en 2013, sélectionné pour le prix Etisalat en 2014, a reçu un accueil critique et public extraordinaire, aussi bien en Afrique qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, qui lui a valu d'être comparée à Chinua Achebe et considérée comme un « classique » instantané. Elle a remporté le Commonwealth Short Story Prize en 2014 et le prix Windham Campbell en 2018. En sélection pour le Prix Médicis étranger 2019.

     

     

  • Soliflore 109 - Pierre Théobald

     

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    ©Heather Plew

     

    Sucs à plaies 

     

    Ici ou là coulent leurs plaies 

     

    En cônes enroulés 

    Leur haché vert à apaiser 

    S’inhale en cautère herbacé 

     

    Ici ou là coulent leurs plaies 

     

    Contre un mur ou bien cachés 

    Fondre la came en suc troublé  

    Et par la veine les panser

     

    En silence regards concentrés

     

    Ô bonbon Éden à avaler 

    Chimie d’instants colorés

    Tout éteindre et s’envoler 

     

     

     

  • Soliflore 108 - Yvan Robberechts

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    Étude de Nuages de John Constable

     

     

    Nuage...

    ...qui ne s'achète ni se vend
    ni se soumet ni se prend
    ni se contraint ni se consomme
    indispensable à rien ni à personne

    archives éphémère pour poète indigent,
    traversé de vide, boursouflures du néant,
    confluents du rêve, de la pluie et du vent

    dans tes flancs vague à l'âme
    dérivent les mémoires fantômes,
    cartographie errante de pensées perdues,
    rêves oubliés, souvenirs diaphanes,
    archipel des songes, écumes filigranes

    Mais bientôt les orques grondent
    et roulent dans les hauts fonds de tes limbes,
    percent de leur sang noir
    les entrailles de tes brumes
    et soufflent aux oracles du chaos
    les présages à venir...

     

    septembre 2019

     

     

  • Revue Nouveaux Délits numéro 69

     

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    Avril 2021

     

     

    Numéro 69, numéro chaotique, comme me l’a soufflé un certain Martin ? Fort possible, et en retard comme un lapin d’Alice ! Lapin de Pâques sans aucun doute à la recherche d’un mystérieux œuf noir très cosmico-alchimique, dont j’ai rêvé tout récemment, ce qui n’a pas empêché mon ordinateur de faire un séjour chez son docteur, entre autres contretemps et bifurcations d’agenda sanitaire… Bref, difficile de trouver l’inspiration et plus encore la concentration pour un édito, entre les vagues virales, les tsunamis de fatigue et les clapotis du sens. Quelque chose me murmure à l’oreille qu’il faut se calmer, respirer et faire ce qu’on peut, juste le faire au mieux, sincèrement. En ces temps plus que confus, la poésie me semble plus désirable que jamais et concevoir cette revue continue à faire sens, donc voilà — plus chaotique qu’érotique — un numéro 69 très éclectique ! Puissiez-vous y trouver de quoi nourrir votre jardin intérieur. C’est la saison des semis, alors semons, mettons les mains dans la terre et la langue dans les mots, restons à l’écoute de ces petites voix qui murmurent à nos oreilles et ne trichons pas avec l’essentiel.

    cgc

     

      

    L’impossible est un univers clos. Néanmoins, nous en possédons la clé et, comme nous le soupçonnons depuis des millénaires, la porte s’ouvre sur un champ d’infinies possibilités. Ce champ, il nous appartient plus que jamais de l’explorer et de le cultiver. La clé n’est ni magique ni symbolique. Les Grecs anciens la nommaient « poésie », du verbe « poiein », construire, façonner, créer.

    Raoul Vaneigem

     

     

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    AU SOMMAIRE

    et pas forcément dans l’ordre

     

    Délits de poésie :

    Odile Vecciani 

    Richard Roos-Weil en Sarabandes & farandoles

    Marie Alcance

    Archibald Aki

     

    Délit grec : Anne Barbusse, avec des extraits d’À Petros, crise grecque

     

    Résonances : Au petit bonheur la brousse de Nétonon Noël Ndjékéry, coll. Mycélium mi-raisin, Hélice Hélas éd., 2019 & Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi, traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller, Métailié éd., 2019.

     

    Délits d’(in)citations en floraison. Vous trouverez le nouveau bulletin de complicité au fond en sortant, il remplace l’ancien depuis le 1er avril et il ne sent pas le poisson.

     

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    Illustrateur : Jean-Louis Millet

    jlmillet@free.fr

     

    chasseur d’alternatives donc curieux de hasards et de connivences en dessin, peinture, sculpture, photo, écriture, édition virtuelle… quelques passages en revues pour des textes et des illustrations : À l’index, Traction Brabant & Nouveaux Délits, auteur et illustrateur du dernier « délit buissonnier » : Preuves incertaines & animateur de blogs et de sites dont http://www.zen-evasion.com/

     

     

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    jouer notre partition dissocier la cacophonie créer en elle un no man’s land ouvert à l’imprévisible enfanter des flous précis pour désorienter les heures dans chaque minute creuser un trou de ver vers l’impossible œuvre insuffisante nécessairement insuffisante mais dans laquelle il nous faudra donner toutes nos mesures d’homme pour désarticuler fût-ce quelques secondes les horlogeries corrompues

     

    Pascal Perrot

    in Une brèche dans la tapisserie des ombres

     

     

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    Nouveaux Délits - Avril 2021 – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès -  Illustrateur : Jean-Louis Millet Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

  • Sagesse et révolte, Serge Carfantan – 2007

    « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

     Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle.

     Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité, et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie.

     Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des informations et des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

     On mettra la sexualité au premier plan des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté, de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

     Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

     L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. »

     

    Sagesse et révolte, Serge Carfantan – 2007

    www.philosophie-spiritualite.com

     

     

     

  • Soliflore 107 - Fabienne Roitel

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    Depuis longtemps, que mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
    m’ont donné le maillet et le ciseau, le burin et la pierre
    je suis fils, artisan, compagnon en apprentissage
    sans gants ni tablier 
    vers un lieu d’harmonie  
    cent fois espéré 
    les gestes se superposent aux leurs
    pour suspendre le temps sans jamais y réussir.

    Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux
    m’ont légué un poignet osseux, un cuir rêche, une mémoire mosaïque
    je m’éloigne des berges d’un fleuve qui fut le leur, qui fut origine, qui fut fardeau
    qui fut voyage
    ma joue posée au creux de l’effort 
    mes paumes lisent la douceur comme une autre manière de s’abandonner.

    Mon père et le père de mon père et d’autres avant eux, ces fils de plomb
    avec lesquels je me réconcilie surveillent et éclairent mon espace
    de liberté. 

     

     

  • Soliflore 106 - Fabrice Fossé

     

     Fabrice Fossé.JPG

    œuvre de l'auteur

     

    En haut de la tour sur la colline

    Tu touches le ciel du bout de tes doigts

    Et les nuages autours de toi

    Se moquent de moi

    Se moquent de moi

     

    Hivernale   hivernale

    Tu es mon hivernale

    Tu es mon hivernale

     

    Dans ton château au cœur de la nuit

    Tel un rapace tu guettes ta proie

    Et les étoiles haut-dessus de toi

    Se moquent de moi

    Se moquent de moi

     

    Hivernale hivernale

    Tu es mon hivernale

    Tu es mon hivernale

     

    De ton nid de glace tu souffles le froid

    Un baiser du nord qui mord sa proie

    Et le temps qui règne

    Me dicte sa loi

    Me dicte sa loi

     

    Hivernale  hivernale

    Tu es mon hivernale

    Tu es mon hivernale

     

     

    https://www.youtube.com/channel/UC86Sn9--6L3EJsAUUM0E2Sw

     

     

     

  • Soliflore 105 - Nathaël Bethencour

     

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    photo de l'auteur

     

     

    L'espoir est capital

     

     

    Il a le pas rapide de la hyène, il s'offre en holocauste au grand capital.

    Dieu est une ruine, sur laquelle les gargouilles tombent et se fracassent.

    Les enfants ont peur du masque du corbeau, des petits Moha disparaissent.

    Sur les hautes collines, les prisons de Babylone grouillent du cri des infamies.

    Baladant ma carcasse et mon chapelet, je rentre en payant dans Notre-Dame.

    Le spirituel est une sinistrose, l'art est une mangeoire d'usurier.

    J'ai goûté de l'œil la rue du Cherche-Midi, il n'y avait que des dents blanches.

    Je tournai vers la rue du Dragon pour y chercher la demeure de l'Ours Hugo.

    Ma vie va aussi vite que l'échange des marchands du temple et des veaux éclatants.

    J'ai hurlé dans le métro que je ne voulais pas d'argent, ils baissaient les yeux.

    À la Butte Montmartre, je me suis acheté un tissu, j'en ai fait un pagne.

    J'étais nu, quant au cœur du printemps, j'ai senti un oranger du Mexique, ô senteur !

    Ivre de ma folie, j'ai regardé la capitale, avec l'œil de la pitié.

    Je me suis allongé sur l'herbe menue, pour prier, des images d'animaux m'envahirent.

    À mon réveil, l'amante inconnue me caressa, elle était de toutes les nations.

     

    Paris c'est l'aumône du miracle !

     

     

  • Quintet de Frédéric Ohlen

     

    Gallimard, mars 2014

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    354 pages, 21,50 €

     

    Quintet, comme son nom l’indique, est un roman composé de cinq voix différentes que le destin emporte dans son tourbillon pour former une œuvre riche et entêtante. Ce Quintet prend place au XIXe siècle, à la naissance de la Nouvelle-Calédonie. Les Français étaient là depuis quelques années et « le pays comptait moins de quatre cents civilsla plupart cantonnés dans la capitale, si on pouvait appeler ainsi une ville aux rues non pavées, sans port aménagé, sans eau potable. Une cité puante, montueuse et marécageuse en diable (…) ». Quatre cents civils si l’on ne comptait bien sûr la population autochtone répartie en une multitude de tribus. Et qui dit naissance dans le cas d’une terre déjà habitée, oublie souvent de dire que c’est le début de la fin pour la culture et la liberté de ceux qui étaient déjà là bien avant, fût-ce depuis des millénaires.

    Quatre cents « Men-oui-oui » donc, comme les appelaient les Kanak, « au verbe haut et à la peau rouge, qui sillonnent le pays à grand pas, creusent des trous sans rien y mettre, lavent l’eau des rivières sans la boire. »

    « Quand les White Men sont contents, à l’occasion d’un anniversaire ou pour marquer un grand événement, ils tirent dans le vide. Pour le plaisir. Celui d’exhaler tant de puanteur que le ciel recule. »

    Mais le propos de Quintet n’est pas de dénoncer et les faits en disent suffisamment par eux-mêmes, notamment ceux qui se rapportent aux Blackbirders, les sinistres navires qui parcouraient le Pacifique au XIXᵉ siècle pour rafler des esclaves sur les îles — principalement pour les plantations de canne à sucre du Queensland en Australie — et exterminer le reste. Quintet, en cinq partitions différentes, raconte et conte et ce subtil tissage entre les deux formes construit un pont entre roman et tradition orale où l’écriture devient flambeau pour éclairer aussi bien la bonté, la générosité, le courage humain que ses turpitudes.

    Frédéric Ohlen s’est inspiré de l’histoire d’Heinrich et Maria la sage-femme, ses propres ancêtres, mais Quintet reste avant tout un roman, un vrai roman d’aventures avec des histoires d’hommes et de femmes qui forment une trame qui se resserre par endroits pour se déchirer à d’autres. Et sur cette toile, où les motifs se font tantôt lumineux, colorés, oniriques, tantôt très sombres et torturés, Quintetdonne la part belle à la magie, au mystère, aux sagesses ancestrales et à cette intelligence du cœur qui transcende toute culture, tout particulièrement à travers la magnifique figure de Fidély.

    « Depuis toujours, ma lignée rêve. Elle va dans le rêve du monde, se glisse dans le flux, l’accompagne, le garde, le nourrit, l’anticipe, pour que nuit après nuit, le Dormeur puisse continuer à rêver de la Terre et du ciel. »

    Fidély non plus n’est pas de cette terre, c’est une « Tête-pointue », comme ses ancêtres à qui l’on façonnait la tête en fuseau dès la naissance ; s’il est là, c’est à cause d’une guerre, il y a longtemps. « Une de plus. » Tous les humains ont ça en commun : la guerre…. Et les siens l’avaient livré à leur ennemi, sur une autre île. Pas comme otage non, mais comme fils adoptif pour mettre fin à la guerre. La paix est essentielle pour que le rêve de la terre puisse se poursuivre. Mais la violence est revenue le chercher, à bord desBlackbirders.

    Il serait dommage de trop en révéler et il est, à vrai dire, impossible de résumer ce livre, tellement il est dense, parfois même difficile de ne pas s’y perdre, mais Frédéric Ohlen est avant tout un poète et c’est ce qui donne à ce Quintet ce souffle si puissant et sa beauté, à la mesure de cet hommage que l’auteur voulait rendre à ce qui est aussi sa propre terre. Cette terre aux antipodes que l’on dit être un bout de France et que l’on connaît pourtant si peu. Quintet est un hommage à tous ceux qui l’ont aimée et respectée, qui l’aiment et la respectent encore. Une terre  métissée qui jamais cependant ne doit perdre ses racines et son identité kanak afin que le rêve de la terre puisse se poursuivre.

    Cathy Garcia

     

    ohlen.jpgÉcrivain, poète, éditeur, enseignant, Frédéric Ohlen est né en 1959 à Nouméa. Il vit ses premières années dans la ferme de son grand-père. Il y apprendra l’amour des mots et du monde. La poésie est au cœur de son itinéraire : l’enfance, la mort, les îles, elle noue avec le monde de l’intime et celui de la Terre, des terres, un lien quasi viscéral. Président de la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie, fondateur des éditions L’Herbier de Feu, Frédéric Ohlen a une très riche bibliographie en plus de la poésie, qui va du roman au récit de vie, en passant par l’anthologie poétique ou l’album jeunesse. La revue Nouveaux délits a eu le plaisir de l’accueillir à deux reprises, dans ses numéros 32 et 45. Quintet n’est pas vraiment son premier roman, mais c’est le premier à avoir été publié en métropole, il a été suivi en 2016 par Les Mains d’Isis toujours dans la collection Continents Noirs, chez Gallimard.

     

     

     

     

     

     

  • Soliflore 104 - Isabelle Bois Cras

     

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    photo de l'auteur par Jean-Marie Cras, photographe

     

    Plastique

     

    Alerte !

    Lèpre de la terre,

    Gangrène des berges,

    Interstices humanoïdes entre limon et humus,

    Qui glisse ses métastases dans les dermes de nos sols.

    L’indigeste plastique dégueule sur le rivage des fleuves,

    Et incruste ses couleurs criardes dans l’humble nature.

    Il souille,

    Il tue,

    Il mine la plénitude des paysages, le mystère des sous-bois,

    Tranche l’équilibre des rizières et des campagnes du monde.

    Des rives de l’Ouémé traversant le Bénin aux temples du Cambodge,

    Des criques méditerranéennes au vert bocage normand,

    Des cimes Himalayennes aux abysses Atlantiques,

    Les poches volent au vent et flottent dans les courants,

    Accrochant follement aux branches et aux algues leurs anses insécables.

    Membranes informes…

     

    Cancer des océans,

    Magma meurtrier

    De particules indestructibles,

    Qui flotte entre deux mers ;

    Entre La Californie et Hawaï,

    Dérive la nappe immonde,

    Charriée par les courants.

    Le septième continent engloutit tout,

    Étouffe les coraux,

    Emplit les ventres des baleines,

    Emmêle les tentacules des poulpes.

     

    Plastique,

    Que ce mot est comique ; 

    Place-tique, plassstik, plaztik, clastip,

    Il saute en bouche et rebondit comme une petite farce,

    Qu’il est doux, ce mot qui claque la langue et tape les dents,

    Choque le palais et pousse les lèvres,

    Il se moque !

     

    Plastique,

    Jamais il ne s’efface.

    Quand l’homme périra,

    Il disparaîtra dans un sac

    Et deviendra poussière,

    Le sac demeurera.

     

    Alerte !

    L’écosystème est en péril et l’équilibre bascule,

    Alerte !

    Sur les chemins du monde, ramassez, recyclez.

     

     

     

     

  • La nuit des béguines d’Aline Kiner

    éditions Liana Levi, 24 août 2017

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    Dans le quartier du Marais à Paris, encore parsemé de quelques rares vestiges de l’enceinte médiévale du XIIe siècle, on trouve une rue nommée Ave-Maria, mais au XIVe siècle, cette rue s’appelait la rue des Béguines. Aline Kiner y a remonté le temps sur les traces infimes d’un clos disparu et quasi oublié, le grand béguinage royal de Paris, fondé par et sous la protection de Saint-Louis.

     

    « En ce lieu, et dans les quartiers alentours, ont vécu durant près d’un siècle des femmes remarquables. Inclassables, insaisissables, elles refusaient le mariage comme le cloître. Elles priaient, travaillaient, étudiaient, circulaient dans la cité à leur guise, voyageaient et recevaient des amis, disposaient de leurs biens, pouvaient les transmettre à leurs sœurs. Indépendantes et libres. »

     

    Les béguines ne prononcent pas de vœux et n'avaient donc pas à répondre de leurs actes devant une autorité ecclésiastique.

     

    Le roman commence en 1310 et couvre une période de cinq ans. Il commence exactement le 1er juin 1310, le jour où fut brûlée Marguerite Porète, la béguine errante, poétesse, mystique, esprit fin et libre, originaire de la région de Valenciennes, auteur de deux livres en langue d’oïl dont Le miroir des âmes simples et anéanties. Ce livre a déjà subi un autodafé des années auparavant sur la grande place de Valenciennes, mais une copie demeure entre les mains d’un vieux franciscain très proche de Marguerite. Cette dernière, qui ne reniera jamais sa pensée et ses écrits, est la première femme à monter sur le bûcher, Place de Grève.

     

    Philippe le Bel, petit-fils de Saint-Louis, est un roi de plus en plus rigide et fanatique, il presse le pape Clément V de se joindre à sa chasse aux hérétiques, tels les Vaudois ou les membres du Libre-Esprit, chasse qui était peut peut-être aussi (et surtout) une bonne façon de se débarrasser définitivement des Templiers et de saisir leurs biens pour renflouer les caisses du royaume. Ces derniers subissent un véritable acharnement et seront exterminés jusqu’au dernier avec pour inquisiteur, un dominicain, Guillaume de Paris. Les procès s’enchaînent, toutes sortes d’aveux jusqu’aux plus invraisemblables sont soutirés par la « mise à la question » et l’étau se resserre imperceptiblement mais sûrement sur les béguines.

     

    L’auteur nous plonge dans le quotidien en cette période très troublée, de quelques-unes des centaines de béguines de Paris, avec un souci du détail qui donne à voir et à sentir littéralement la vie, les couleurs et les odeurs de la fourmillante cité médiévale. Non seulement à l’intérieur du clos mais aussi dans les autres quartiers et leurs labyrinthes de ruelles.

     

    Dans celui des tisserands, Jeanne de Faut a monté sa propre activité, une maison de la soie, rue Troussevache. Un atelier de confection avec échoppe et plusieurs autres échoppes encore qui permettent à de nombreuses femmes de travailler et de conserver leur indépendance. Certaines béguines vivent à l’intérieur du béguinage, soit en commun, soit en petit logis indépendant, d’autres vivent à l’extérieur, chacune fait comme bon lui semble, mais que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du clos, leur appartenance à la communauté leur assure à la fois indépendance et protection et elles échappent à toute domination masculine. L’appui du roi leur est cependant essentiel, sans quoi leur statut peu conventionnel ne manquerait pas d’éveiller toute sorte de suspicions.

     

    Aline Kiner nous fait partager de façon très réaliste, très vivante, ces existences de femmes à part, précurseuses méconnues des féministes, bénéficiant d’une liberté peu commune pour l’époque et pour les siècles qui suivront, des femmes célibataires ou veuves, qui s’entraident les unes les autres, avec leurs désirs, leurs douleurs, chacune portant son histoire, son passé, ses cicatrices. Les connaissances des béguines sont souvent étendues et précieuses.

     

    Ysabel est une femme robuste originaire du Berry, déjà d’un certain âge, elle est herboriste et avait tout appris de Leonor, sa grand-mère, une noble dame qui ne pouvait s’afficher guérisseuse, ni apothicaire parce que femme. Ysabel riche de son savoir, travaille dans les jardins, s’occupe d’aller cueillir les simples et officie à l’hôpital du béguinage où elle soigne les malades, très nombreux à la mauvaise saison. Les hivers sont de plus en plus rudes et la proximité de la Seine apporte beaucoup d’humidité et d’insalubrité à la cité médiévale déjà pleine de miasmes.

     

    Ade, une belle veuve lettrée aspire à la solitude, vivant en retrait de la communauté dans un des logis indépendants, elle y enseigne cependant la lecture et l’écriture. Maheut la rousse débarque un matin à l’aube à la porte du béguinage, en piteux état. Nul ne sait qu’elle est d’une lignée noble et fuit un mariage forcé, elle-même ne sait pas encore qu’elle en porte le fruit. Un certain Humbert, franciscain, est à sa recherche, il faudra la cacher hors du béguinage.

     

    Les saisons passent et l’atmosphère est de plus en plus lourde, oppressante, les derniers Templiers sont exécutés, le sort des béguines est suspendu au concile de Vienne.

     

    « — Ils nous tirent vers la noirceur. (…) La nuit des béguines va tomber. »

     

    Aline Kiner nous décrit donc les derniers années du béguinage de Paris, dans un roman minutieusement et passionnément documenté, un bel hommage intemporel aussi à cette communauté dont la mémoire a été injustement effacée, alors qu’elle a pourtant su traverser les siècles jusqu’à nos jours dans les Flandres, là où tout avait commencé et où une Bulle papale l’a protégée tant et si bien que la dernière des béguines s’est éteinte à Courtrai en 2013. Elle avait 92 ans, elle s’appelait Marcella Pattyn.

     

    Une lecture conseillée en complément de La nuit des béguines, le très beau roman du québécois Jean Bédard : Marguerite Porète – L’inspiration de Maître Eckart (vlb éditeur, 2012)*.

     

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    v_auteur_196.jpgAline Kiner est née en Moselle et vit à Paris. Elle est rédactrice en chef des hors-séries du magazine Sciences et Avenir. Passionnée par l’histoire, et en particulier le Moyen Âge, elle publie en 2004 aux Presses de la Renaissance La Cathédrale, livre de pierre. Aux éditions Liana Levi, elle est l’auteur de deux autres romans : Le Jeu du pendu (2011) et La Vie sur le fil (2014).

     

     

     

     

  • Soliflore 103 - Parme Ceriset

     

     

     

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    illustration de l'auteur

     

     

    L’enfant de l’aubépine

     

    C’est un petit enfant tombé d’une branche morte, 

    Chassé du nid douillet de la pré-Vie.

    Il est né différent, il se nourrit de roses sauvages, 

    Il ne sent plus les épines qui déchirent son cœur sage.

    Il avance dans l’ombre mais il se bat,

    Il a en lui toute l’âme du monde...

    Et le feu inextinguible

    De la joie.

     

    http://parmecerisetlaplumeamazone.over-blog.com/

     

     

     

     

  • Soliflore 102 - Kiko

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                                 ©Kiko

     

     

    Le der des doutes

     

                            File beauté File

                            Reste fier              Tu es magnifique

                                               & bien plus encore

    Reprends confiance malgré les chagrins & leurs suites

                            A l'infini

                            La répétition du geste

                                      de l'espoir à chaque fois renouvelé

                                                              Brisé

         Non merci tu es gentil

                    Laquelle des deux a les plus petits seins

                                         Tombent-ils

                                         se cherchent-ils             seulement

    La douleur aveugle

    C'était tout bonnement l'âge             Bonsoir        Bonjour

                                        A la prochaine

                                          si la came n'est pas trop forte

                  Perdre son chéri

                        son frère à l'adoration des minorités

               Illes sont sur le même fil

               Trop occupé(e)s à ne pas chuter     Illes n'ont fait que se croiser

                                          Illes seront pris de spasmes ce soir

                                          Illes n'ont rien vu

                                                    rien connu

                                          Tout était pourtant là

                                                     à portée de main

    Le vent          La lumière        Les étoiles

    Seul(e)s en un hasard illes seront deux

                              deux & plus qu'un(e)

                   Si par surprise illes chutent ensemble

                   C'est en riant qu'illes se relèveront du sol bétonné

                                        Qu'importe les blessures

                                                passées

                                                actuelles

                                                à venir

              Illes n'ont plus peur

                               A leurs âges illes ne risquent plus rien

                 

                               MERCI AMIE      Je l'espère

     

     

    Longpont-sur-Orge – samedi 22 août 2020 – Après-midi

     

     

     

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      ©Kiko

     

     

     

  • Soliflore 101 - Jérémy Semet

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    photo de l'auteur

     

     

    Goût de trésor 

     

    Dans "Les forêts de Sibérie"

    Sylvain Tesson parle d'une vieille coutume russe

    Celle qui 

    En hiver 

    Consiste à éparpiller

    Autour de sa cabane

    Des bouteilles de vodka qui

    Une fois le printemps

    Réapparaîtront à la fonte des neiges

    Sortes de trésors plus que bienvenu 

     

    Je ne suis 

    Pas plus que ça 

    Porté sur l'alcool 

    Mais depuis qu'il neige ici

    J'y repense

     

    Et je me dis

    Que j'aimerais ralentir le rythme 

    Sortir de cette sarabande infernale 

    De covid

    Du confinement 

    Me glisser sous le tapis de neige

    Trouant la peau de l'hiver 

    Et m'y loger

    Comme un ver

    Puis attendre 

    La belle saison

     

    Il y aura bien

    Une âme 

    Pour qui ma réapparition 

    Aura comme un goût 

    De trésor

     

     

     

     

  • Centième Soliflore ! - Antoine Durin

     

     

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    Détail du tableau Le départ à l’école de Philippe Durin

     

     

    Qu’importe la hauteur de la porte de la maison

    car elle ne reçoit que des ombres courbées.

    Ensuite, elle ferme les fenêtres de bonne heure

    pour ne pas les projeter dans les arbres dénudés.

    Il y a des soirs où elle a vu pleurer des sèves noires

    le long des méandres de l’écorce du temps.

     

    *

     

     

     

     

  • Soliflore 99 - Adeline Raquin

     

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    ©Adeline Raquin

     

    Adossée à la nuit

     

    Dans la bolge du souvenir,

    cris d'airain qui te hèlent,

    cris d'hommes aux yeux fins,

    poumons forts et cris d'acier.

     

    Dans la bolge du souvenir,

     

    claquent les rires qui rident la surface des flaques d'échos enlacés.

     

    Au fond de la caverne aux parois brunes,

    le bois imputrescible se met à flotter,

     

    témoin noir, témoin plein, témoin sage des temps passés.

     

    Mais regarde,

    regarde le jour qui résonne des nids étales des alouettes.

     

     

    À plat, face au ciel brûlant, l'oiseau, bec ouvert, fait bruire les herbes sèches.

    Mais regarde, le mulot qui ventre à terre défend son être, qui ventre à terre remue la terre, la fait tourbillonner en poussière sous la charge du vent.

     

    C'est là,

    face au vide,

    les yeux piqués dans le ciel qu'il faut se tenir.

    C'est là,

     

    le dos encore engourdi par l'haleine fraîche des morts, le corps ouvert à l'air sifflant,

    que dans la fixité du ciel, la lumière viendra déposer son lit de cendres irradier ta pénombre, jusqu'à t'en rendre les yeux blancs.

     

     

     

  • Soliflore 98 - Virginie Seba

     

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    photo de l'auteur

     

     

     

    DEVENIR TROU


    Faire des trous
    Remplir des trous
    Boucher les trous
    Changer de trou
    Fuir les trous

    Découper des trous
    Compter les trous
    Vider les trous
    Trier les trous
    Alimenter les trous
    Surveiller les trous
    Balader les trous
    Fleurir les trous
    Arroser les trous

    Parler aux trous
    Soutenir les trous
    Applaudir les trous

    Vendre des trous
    Acheter des trous
    Échanger des trous
    Trouver le meilleur trou
    Penser :

    c’est un bon trou
    L’adopter
    Faire son trou

    Filmer les trous
    Jouer comme un trou
    Admirer les trous
    Encenser les trous
    Adorer les trous
    Embrasser les trous
    Lécher les trous

    Gratter les trous
    Curer ses trous

    Virer les trous
    Déloger les trous
    Casser du trou

    Ramasser des trous
    Offrir des trous

    Rencontrer des trous
    Planifier des trous
    Engendrer des trous
    Éduquer les trous
    Dompter les trous
    Graisser les trous
    Tromper les trous


    Tomber dans le trou
    Voir le fond du trou
    Sentir le trou
    Parler le trou
    Avaler des trous

    Devenir trou

     

    https://www.slamchante.fr/


     

     

  • Soliflore 97 - Julie Cayeux

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    © Camille Moukli-Pérez 

     

    Un amour de jeunesse

     

    Mon premier amour s’appelait Croûte.

    Il n’était pas méchant, seulement il me grattait.

    Il me grattait la vie, il me grattait l’amour, il me grattait jusqu’à la nuit.

    Arriva ce qui devait arriver.

    A force de me gratter, Croûte est devenu une plaie.

    Une plaie purulente, dont je n’arrivais pas à me débarrasser.

    Je ne le souhaite à personne.

    Il me chantait des sérénades.

    Veux-tu fermer ta gueule ? je lui répondais sèchement.

    Je ne sais pas ce qu’il est devenu, ce brave Croûte.

    Tout ce que je puis vous dire, c’est que depuis nos différends,

    dès qu’un amour me gratte, je disparais.

    La fuite reste encore le moyen le plus efficace de se prémunir des plaies.

     

     

     

  • Soliflore 96 - Romain Richard

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    Léon Spilliaert, "Arbres, blanc et noir" (1941)

     

     

    Il y a trop

      

    Il y a trop

    Il y a ces arbres monstrueux

    Qui m’observent la nuit

    De leurs yeux grands ouverts

    Qui m’observent de haut

    L’air sévère

    Et moi qui suis petit

    Si petit

    Ramassé

    Tête au sol

    Interdit

    Étranger 

    Importun

    Déplacé

     

    Moi tout seul dans le noir

    Où les formes enfouies

    De l’esprit

    Me découpent un monde

    Inhumain

    Moi de trop comme humain

    A l’heure où sont les choses

    Où l’être n’est personne

    Où gagne la matière

    Où je ne suis plus moi

    Où rien n’est plus que masse

    Insignifiante masse

    Au regard impérieux

    De ce qui n’a pas d’yeux

    Et l’esprit

    Quand le noir le libère

    De ce qu’il reconnaît

    S’abandonne à ses affres

    Tenté par l’ombre d’y plonger vers le grand fond

    Son propre fond qu’il craint

    Son fond qu’il réalise 

    A mesure

    Qu’il n’ose le trouver

     

    Mais aussi

    Il y a la lumière

    Qui grouille de matière où le regard s’épuise

    De ne pouvoir l’épuiser elle

    Il y a ses grands yeux si perdus

    Qui me jouent me délaissent

    Et puis m’aiment

    Et son cou frêle au point que paraît lui peser

    Une tête elle-même si frêle

    Un visage si fin si joliment tourné

    Un petit nez troussé

    Puis sa bouche au dessin plus parfait

    Que celui des grands Maîtres

    Une lèvre infinie que pourtant

    Un menton délicieux

    Ponctue de sa virgule

    Mais il y a trop encore

     

    Un constant sentiment d’être pauvre

    Le savoir humilié

    L’esprit insuffisant

    Faillant toujours à ses amours

    L’harmonie du présent

    Déborde tous mes sens

    A plus forte raison mon esprit qui l’admire

    Perdant de l’impression tout ce qu’il veut en dire

    L’harmonie du présent

    Excède la caresse

    Que lui portent mes mots

    Jamais ils ne pourront

    L’aborder que de loin

    Jamais ils ne sauront

    L’embrasser tout entier

     

    Alors mes yeux s’épuiseront à voir

    Mon nez à respirer

    Mon oreille à entendre

    Tout mon sens à sentir

    Ce que rien ne peut dire.

     

     

     

  • Soliflore 95 - Cédric Landri

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    Une déchirure dans le vêtement planétaire,

    déchirure entre les espoirs les couleurs les flirts

    et les disparitions dans les écumes du temps

    de tants d'espèces.

     

    Le sang coule à flots sur la plaine béante,

    tandis que des volcans éternuent des plastiques

    dans le ventre des océans.

     

    Et au coin du globe crachotant,

    l'ours pôle erre.

     

    Pendant ce temps on visse à la chaîne

    des smartphones qui grillent le pain

    ou des robots qui tombent amoureux.

     

    Au lieu de former

    des infirmiers de la Terre.

     

     

  • Revue Nouveaux Délits numéro 68

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    Eh bien 2020 est passé comme un éclair, et on se demande bien après ça, qu’est-ce que cette nouvelle année va bien pouvoir nous concocter dans le grand chaudron fou de la vie ? Virus, guerres, comète, suicides collectifs, extra-terrestres, zombies, miracles ? Qu’est-ce qui va encore nous secouer, nous bousculer, nous jeter à terre ? On n’a aucune prise sur les événements extérieurs mais on peut cependant choisir le meilleur en toutes circonstances, aussi infime soit-il. Il n’y a pas que des mauvaises et sombres nouvelles, il y a des jaillissements surprenants, des résurgences de joie, des illuminations bienfaisantes, une créativité fière et indomptée qui se fout des autorisations et s’il y a bien une énergie qui a le pouvoir de transformer le plomb en or, les larmes en sourires, la colère en création, c’est celle de l’amour. L’amour quand on ne lui met aucune barrière, condition, précaution. Lui aussi fait des vagues, des vagues puissantes et douces, qui inondent le cœur, nettoient l’âme et tout se met à briller ! C’est tellement bon, on oublie à quel point c’est bon. Et gratuit ! Aimer ! Rien ne peut nous empêcher d’aimer, ni confinement, ni distanciation sanitaire, ni crise économique, lois liberticides, rien ni personne ne peut nous interdire d’aimer et de nous aimer nous-mêmes aussi. Pas plus que de danser d’ailleurs ou chanter, jouer, rire ! Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et d’emmerder les autres, mais de rester suffisamment souples pour inventer toujours de nouvelles formes d’expression de cette vie qui bat en nous son rythme vivace. Et si les circonstances s’acharnent à souffler sur les flammes, ne jamais oublier que notre flamme intérieure à chacune, à chacun, possède son propre point d'allumage spontané. Alors résister, oui, mais pas comme des bestiaux acculés qui encornent les murs, mais juste comme une évidence – en vie danse ! – parce que nous sommes des êtres fondamentalement libres, potentiellement capables d’aimer avec une force qui pulvérise toute peur, toute sclérose ; la force de l’eau que rien n’arrête, et qui même retenue par de monumentaux barrages, fomente en secret son évasion par le ciel.

    Alors, que l’an 2021 nous guérisse de toutes nos peurs, de tous nos maux et protège la Terre de toutes nos sinistres folies, et soyons souples, forts et porteurs de vie, partout où nous sommes, partout où nous passons, comme une eau aimante !

     

    CGC

     

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    AU SOMMAIRE

     

    Délits de poésie :

     

    Dorian Masson

    Angélique Condominas

    Pierre Thiollière

    Jacques Merceron 

    Pierre Vinclair : Le vivant dans la ville
    Patrick Werstink : Caléfactions (extraits)

     

     

    Résonances :

    La nuit des béguines d’Aline Kiner, éditions Liana Levi, 2017

    Quintet de Frédéric Ohlen, Gallimard, 2014

    Le Tarot de Saint Cirque de Cathy Garcia Canalès et Lionel Mazari, Gros Textes 2020

     

     

    Les Délits d’(in)citations poinçonnent en sifflotant le coin des pages tandis que le bulletin de complicité vous attend avec ses espoirs et ses plus beaux vœux, toujours à sa place, sur la dernière page, mais aussi avec une mauvaise nouvelle vu la nouvelle et forte augmentation des frais postaux : + 11,6 % pour l’écopli qui a donc doublé en 7 ans ! Aussi, pour ce numéro, on va serrer les fesses mais pour celui d’avril, il me faudra répercuter ça sur les tarifs de la revue, qui augmenteront donc pour la troisième fois en 18 ans.

     

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    Illustratrice :

    Cathy Garcia Canalès

     

    Mon imprimante pour la revue, de plus en plus capricieuse, n’aime plus que le bleu pour les images, même en mode n&b, aussi je ne peux plus décemment proposer à d’autres d’illustrer ce numéro et même les suivants, donc c’est la femme-orchestre qui s’y colle, avec plaisir cependant : mes griffonnages et gribouglyphes sont d’accord pour voir la vie en bleu. S’y est glissé un cheval venu de très loin, un des rares dessins que je tiens de mon père, qui s’en était allé cavaler dans les prairies célestes en 1973.

     

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    Mais qu'il y ait des espaces dans votre entente.
    Que les vents des cieux puissent danser entre vous.
    Aimez-vous, l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour un carcan :
    Qu'il soit plutôt mer mouvante entre les rives de vos âmes.
    Remplissez, chacun, la coupe de l'autre, mais ne buvez pas à la même.
    Donnez-vous l'un à l'autre de votre pain, mais ne partagez pas le même morceau.
    Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que chacun demeure isolé,
    Comme sont isolées les cordes du luth, bien que frémissantes de la même musique.
    Donnez vos cœurs, mais pas à la garde de l'autre,
    Car vos cœurs, seule la main de Dieu peut les contenir.
    Et dressez-vous ensemble, mais pas trop près l'un de l'autre :
    Car les piliers du temple se dressent séparément,
    Et le chêne et le cyprès ne peuvent croître dans leur ombre mutuelle.

    Khalil Gibran

    in Le Prophète (1923)

     

     

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    Nouveaux Délits - Janvier 202i – ISSN: 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable et illustratrice : Cathy Garcia Canalès -  Correcteur : Élisée Bec         

     

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  • PREUVES INCERTAINES de Jean-Louis Millet, Nouveaux Délits éd., septembre 2020

    En septembre dernier, est sorti un nouveau recueil chez Nouveaux Délits

     

    PREUVES INCERTAINES

    de Jean-Louis Millet

     

    avec 15 illustrations originales de l’auteur

     

     

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     "Titubant dans l'escalier liquide
    des rails luisants du tram T3,
    un bel ivrogne nommé Désir
    voyage aux portes de la nuit.
    Oiseau nocturne à bec de bois
    il brûle de la grande soif amère
    et mord la pluie,
    une pluie lasse de pleuvoir.
    Sa solitude hirsute transpire
    en mille éclats de visages fatigués
    dans le miroir de l’incognito."

     

    Édité et imprimé par l’Association Nouveaux Délits
    sur papier calcaire 100 g, couverture 250 g, 100 % recyclé

    12 € + 2,50 € de port

     à commander à l'Association Nouveaux Délits

    Letou - 46330 St CIRQ-LAPOPIE

     

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  • Soliflore 94 - Pierre Bastide

    Caramelle est une grenade inoffensive. Si on goupille bien son truc, il demeure secret, et on peut la savourer lentement. C’est une transe dans le bouche, d’où son nom Caramelle Mou. C’est succulent.

     

    Évidemment, si on ne fait pas attention, si on veut précipiter le mouvement, elle vous pète à la gueule et vous en prenez plein les dents !

     

     

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    Ainsi va la poésie

     à la saillie du cri

    comme une voix sur l’indicible

     

    comme un doigt sur la plaie

    le couvert est mis à l’aveugle

    sur le continent noir de la beauté

     

     

  • Soliflore 93 - Éric Bouchéty

     

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    "Ciel haut" - photo de l'auteur

     

     

    À l’heure grave 

     

    À l’heure grave, à l’heure constante,

    Comme aux autres heures passées,

    Maintenant que l’eau ne t’abreuve plus

     

    Que la bouche sèche a épuisé

    Ses grands chemins, ses lieux communs

    Goûtons-nous entre les deux espaces

     

    Tends l’évidence de ta gorge

    Maintenant qu’il n’y a plus de ciel

    Tends-y l’échelle de tes jambes.

     

    Dans l’heure juste, dans l’heure sensible,

    Apprends-moi le désir sagace,

     

    Ce qui nous tient sur le chaos.

     

     

     

  • Soliflore 92 - Clément Bollenot

     

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    ©Sylvie Frénillot - Quartier de Perrache - Lyon

     

     

    le tunnel avale le tram et moi aussi

    les lumières clignotent

    fragiles comme des lucioles

    le serpent de fer rampe mollement

    sur la voie ferrée

    ses yeux jaunes éblouissent la nuit

    je sens les murs vibrer le sol trembler

    et les lettres noires qui se détachent

    des murs ternes salis par la vie

    ACAB

    en ville pas besoin de lire le journal

    ni de regarder la télé

    tout est sur les murs

    ACAB

    les murs se souviennent

    si les images sont interdites

    ACAB

    mon index repasse les lettres une par

    une

    le tram est passé

    sa voix se perd près de la sortie

    et l'œil de la vidéosurveillance

    est braqué sur moi

     

    www.kildaprojet.com