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LA REVUE NOUVEAUX DÉLITS - Page 8

  • Soliflore 61 - Charles Orlac

     

     

     

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    Cézanne - La montagne Sainte-Victoire

     

     

     À celle qui

     Verse l’eau fertile sur les sables de la nuit

    Qui barre la route aux vaines encyclopédies

     

     À celle des

     Restanques lézardées sous l’effort de mémoire

    Celles des

     Villages perchés jeunes filles ou grand-mères loquaces

    Leurs collines en marche vers des golfes rutilants

     

     À celle des

     Oiseaux prénommés de couleurs

    Des ravines calcinées et leur bouche plus grave

    Celle des

    Portraits d’anonymes sous la plume désennuyée

    Quand la pensée en panne se cherche un vocabulaire

    Celle qui

    Souligne les crêtes arpégées d’une glorieuse brume

     

     À celle des

    Parapluies emmurés qui désamorce les malheurs

    Qui rapatrie dans leur brousse

    Les taxis aux cœurs embouteillés

    Celle qui

    Rive les ciels nocturnes de réverbères-pleines lunes

    Pour tous les mécréants qui craignent

    Un jour de les voir s’écraser

     

     À celle des

    Abris-bus aux sans-abris parasités de matins clairs

    Parasités du luxe de l’espoir

     À celle qui

    Revêt le vent de pardons jaunissants

    Quand sous la porte il glisse paupières mi-closes

    Celle qui

    Garde-barrière se soulève

    Quand passent les soleils couchants

     

      À celle des

     Volontés puissantes, des barrages défiant les montagnes

    Celle des

    Garrigues hiérarchisant les parfums les heures

    Celle des

    Après-midi incendiés de crépitements d’insectes

     

     À celle qui

    Écosse les jours et les délie de leur fil spatiotemporel

    Celle des

    Balustrades-belvédères où s’arrête la parole

    Où le regard vient à nouveau tout unifier tout simplifier

    Pour mieux partager l’éternité ainsi retrouvée

     

     À celle qui

     Coule l’horloge de cire dans nos cerveaux flottants

     

    extrait de Vie d'origami et autres pliages (Édilivre)

     

    https://www.facebook.com/CharlesOrlac/

     

     

     

     

     

  • Soliflore 60 - Anne Perrin

     

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    (photo de l'auteur)

     

     

    Chaleur suave et étrangeté de ce soir en pointillé
    où rôdent les épaves. Que les yeux se plissent
    aux immondices, que l'écarlate jaillisse
    à l'horizon-délice.

    Fais-moi silence pour ne plus voir l'orage et sa robe de plage,
    fais-moi absence.

    Retenons merveilles aux creux de l'océan,
    sablons les courants des étoiles-vermeil

    Et d'un ciel de feu, nous peindrons
    les oraisons des nouveaux dieux.

     

     

     

  • Soliflore 59 - Sébastien Cochinard

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    Toulouse-Lautrec - La blanchisseuse, Rosa

     

     

    je ne t’idéalise pas
    d’une glaise de mots je sculpte ton retard
    je vais t’inverser de couleurs
    peau rousse et cheveux lactés d’alpaline
    ta langue de feldspath marouflant l’espace de nos bouches
    d’un millefeuilles la mienne ruant aux flux de tes secousses
    à l’oraison de tes jambes
    le rougeoiement des estrans
    l’incendie joint à ses couleurs
    ta langue de victoire des rapides du monde
    ton sexe mont-cratère gorgé de cerises racines
    beau de son ignorance pour l’ardeur du jour
    pour la cannelle de tes yeux
    pour le pluriel ovni de ton regard
    belle d’inassouvance
    pour ton gypse gitan dont je ne sais la saveur

     

    https://www.facebook.com/scochinard

     

     

     

     

  • Petite histoire essentielle de la futilité de Bruno Toméra - Lu par Patrice Maltaverne

     


    Publié par Cathy Garcia, en tant que supplément de la revue Nouveaux Délits (même si ce texte s'achète indépendamment de la revue), "Petite histoire essentielle de la futilité", de Bruno Toméra est son troisième supplément (collection des délits buissonniers).
     
    Cela fait plusieurs années que j'espérais relire des poèmes de Bruno Toméra, que j'ai publié à plusieurs reprises dans les premiers numéros de "Traction-brabant".
     
    Heureux, donc, de retrouver cette poésie inchangée., qui suit, au plus près, des vies d'infortunes, faites de petits boulots mal payés, de misères de la rue, de ces réalités impossibles à cacher, à moins d'être de mauvaise foi.
     
    Si la poésie de l'auteur sort souvent cabossée de ces malheurs ordinaires, ne croyez pas pour autant qu'elle s'y enfonce. Une lueur d'espoir traverse tous ces poèmes, qui est celle d'une fraternité humaine non feinte, et non basée sur l'intérêt. Quelque chose de franc, de direct, de solide, qui s'affirme contre vents et marées. 
     
    Rien de malsain dans ces textes, juste une soif de révolte renouvelée, qui s'exprime avec le sourire, qualité rare qui fait que le style des poèmes, chaleureux dans ses images comme dans ses mains tendues, est reconnaissable et rare entre tous.
     
    Extrait de "Petite histoire essentielle de la futilité", de Bruno Toméra :

    "Le nouveau testament personnel et subjectif"

    En m'invitant dans la fiesta de la vie,

    l'univers a égaré le carton d'invitation
    et me voilà loufiat (comme des milliards d'autres)
    à chercher une planque pas trop inconfortable,
    un peu d'amour et de calme
    mais c'est sans compter
    sur la panne d'électricité au seuil du Grand Soir
    sur la dernière chanson déprimée du rebelle Renaud
    sur dieu et sa bande d'abrutis sanguinaires
    sur les grossistes des boutiques multinationales
    sur le salon de la motoculture et du tripatouillage animal
    sur la délocalisation des entreprises de confettis
    sur la peine-à-jouir de l'égocentrique poésie
    sur le one man show de la spectaculaire connerie
    et son public connaisseur et ravi.
    Sur un tas de fatras que nous enjambons chaque jour,
    pauvres cloches.
    Quand la mort m’enlacera sur un slow éculé
    avec ses clins d’œil d'allumeuse pubère
    ou sur un dico débridé avec des petits cris jouissifs de travelo
    sortir de la fête à son bras sera le point final
    de foutus SOS éparpillés en pointillés
    avec la satisfaction de celui qui s'est exténué
    à rafistoler la ligne de flottaison du radeau jusqu'au bout
    et hypocrite jure que c'était bien mais que toute
    bonne a une fin... Enfin."

    Les illustrations de la couverture et des pages intérieures sont de Jean-Louis Millet.

    http://poesiechroniquetamalle.blogspot.com/2018/07/petite-histoire-essentielle-de-la.html

     

     

     

     

     

  • 1er juillet 2018 – Cabrerets : Chemin poétique du Célé à Pech Merle

    Dans le cadre de la 1ère édition du Printemps des paysages, le Printemps des Poètes joue du Hors Saison, en programmant sa première salve aux premiers jours de l'été 2018, les 29, 30 juin et 1er juillet. Le choix a été fait de retenir trois lieux réunis par un fil conducteur fort (la vallée du Lot) et révélateurs par ailleurs d’une pluralité de situations et de paysages (de confluence, industriels, préhistoriques…) : Aiguillon, Fumel et Cabrerets.

     

    Et donc, voici le programme pour le 1er juillet, à Cabrerets, village pittoresque entre falaise et ruisseau :


    14h Point de rendez-vous : Place de la mairie, où Cathy Garcia Canalès, poète, créatrice et responsable de la revue Nouveaux délits, tiendra un stand.


    Cœur de Village, déambulation de la place du foirail au fil de La Sagne jusqu’au Célé ; présentation de Dominique Segond, maire de Cabrerets, et Emmanuel Prieur, paysagiste concepteur.


    14h30 La légende de la chèvre blanche depuis les berges du Célé
    Point de rendez-vous : Pont du Célé
    Transmission audio de la légende de la Chèvre Blanche de l’autre coté du pont face au château du Diable.


    15h La grotte et le sentier de Pech Merle
    Point de rendez-vous : Église de Cabrerets


    Initiez-vous à la lecture de paysage des Causes du Quercy, avec le PNR des
    Causses du Quercy et le CAUE du Lot :
    - le village de Cabrerets (Belvédère de l’église)
    - le paysage du Causse depuis le sentier de la Grotte, avec halte à mi chemin
    pour découvrir la vue plongeante sur le coeur de village niché au pied de la
    falaise


    Descente par groupe (sur inscription préalable auprès de la mairie) au sein de la grotte et lecture de Dominique Sampiero. Possibilité de retrouver le groupe sur l’esplanade en contrebas du grand escalier sur un espace plat herbé.

     

     

    Le Printemps des Paysages est né de la rencontre du Printemps des Poètes et du Bureau des Paysages du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Cette initiative en partage entend donner à voir de façon originale la dimension sensible et poétique du paysage (qui en fait sa totale singularité par rapport à d’autres formes d’analyse ou d’aménagement de l’espace).

     

    La brochure pour en savoir plus sur ces évènements : Brochure paysage - poésie A5 V4.doc

     

     

     

     

     

  • Avis de parution : Petite histoire essentielle de la futilité de Bruno Toméra - Délit buissonnier n°3, juillet 2018

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    40 pages agrafées

     

    tirage limité et numéroté

    sur papier recyclé  

    offset 90 gr

    couverture calcaire 250 gr

     

    textes de Bruno Toméra

     

     

     

    l’auteur  présenté par Jean-Louis Millet :

     

    Tom   le malgré tout poète

    Quelle est cette manie de vouloir coller une bio ?  les poèmes se

    suffisent, non ? Pour les bios je préfère l'intime à deux, dans un canapé

    moelleux, prêts à se défenestrer l'ego et le corps, dans le duel de la

    parade séductrice.... (non je rigole)

     

    Mais, faut se méfier des chats acculés dans les coins de murs, balancent

    toujours de foutus coups de pattes, enfin...  je suis aux aguets des

    pulsions de révoltes comme autant de petits espoirs de cette humanité

    déchue.

     

    Ce regard entrouvre la porte d'un désir

    que nous n'aurons pas le temps de franchir

    c'est le cambriolage d'une caresse

    qui restera là, dérobée, sans adresse.

     

    … mais, avec le recul, y a de quoi pondre quelques belles foutues

    phrases  sur le tapis savonneux de l'existence.

    Mon rire délivre insolent et joyeux l'impertinence de vivre.

     

     

    Tom

    Ouvrier mécanicien pour la raison sociale, poète essentiellement

    chercheur de vie et d’étonnement, chercheur de musicos chanteurs & enchanteurs aussi pour que les mots puissent vaincre les lois de la

    gravité.

     

     

    Bio recomposée par petits prélèvements dans l’œuvre et les échanges épistolaires avec « le malgré tout poète ».

     

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    illustrations originales de Jean-Louis Millet

     

     

    Grand spécialiste en rien mais curieux de tout : dessin, peinture, sculpture, photo, écriture, vidéos, édition virtuelle, chasse aux connivences & alternatives… Ensemble de ‘’propos’’ mis en actes dans l'animation de blogs et de sites dont "Zen-évasion", site cave-grenier aux malles ego-mystérieuses : http://www.zen-evasion.com/. Il a déjà maintes fois illustré la revue ainsi que d’autres publications Nouveaux Délits comme Ailleurs simple ; Claques & boxons ; Guerres et autres gâchis  (textes de Cathy Garcia) et ses encres sont à l’origine du livr’art : États du Big Bang. Il a illustré Le poulpe et la pulpe de Cathy Garcia également (Cardère éd., 2010) et Des brins et des bribes (éd. Du Cygne, 2011) de Werner Lambersy et Cheval rouge de Fanny Sheper, 2017 (thebookedition.com). Il a exposé ses travaux artistiques, notamment à Perros-Guirec, en Bretagne, sa terre évasion.

     

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    « Au retour dans la bagnole, intercalé dans la file des pressurés

    l'humanité klaxonnait, gueulait, les bras au ciel, pressés

    de se jeter corps et âmes dans d'autres emmerdements.

    Le connard de derrière habillé en voiture dernier cri

    gesticulait dans le rétro, le poing brandi.

     

    Garde toujours le piaf des urgences dans ton cœur

    Garde toujours le piaf des urgences dans ton cœur.

    Que je me suis dit. »

     

     

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    Serrant mes mains dans ses mains

    elle me dit :

    “Gamin, c'est une bulle de savon, la vie,

    ça pique les yeux et c'est fini.”

     

     

     

     

     

    10 €

     

     à commander à

    Association Nouveaux délits

    Letou

    46330 St Cirq-Lapopie

     

     

     

     

  • Double fond d’Elsa Osorio

     

    traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry

    Métailié, 18 janvier 2018

     

    editions-metailie.com-double-fond-hd-300x460.jpg

    400 pages, 21 €

     

     

    « L’ananké. L’impossibilité d’échapper au destin. »

    Sur la côte bretonne à La Turballe, proche de Saint-Nazaire, un pêcheur a retrouvé le corps d’une femme noyée. On découvre qu’il s’agit de Marie Le Boullec, un médecin apprécié, épouse d’Yves le Boullec, un photographe décédé quelque temps auparavant et issu d’une famille de notables locaux connue et respectée. La thèse du suicide semble la plus évidente et sans doute la plus arrangeante aussi pour cette famille sans histoire qui n’apprécie pas qu’on parle d’elle, si ce n’est pour en faire l’éloge, mais cette thèse ne satisfait pas Muriel, la jeune journaliste chargée d’écrire des articles sur la « femme de La Turballe » dans le journal local, depuis qu’elle a eu une conversation avec le commissaire Fouquet. Outre que le but d’un journal est forcément de capter et conserver l’attention des lecteurs, Muriel a un goût pour l’investigation et la vérité et Fouquet en lui révélant les origines argentines de la noyée, a aussi évoqué des assassinats jamais élucidés pendant la dictature, il la met sur une piste que lui-même, proche de la retraite, ne va pourtant pas creuser. Elle va donc mener sa propre enquête, même si elle ne pourra révéler publiquement toutes ses découvertes et encore moins quand l’affaire sera déclarée classée.

    Ce qui a éveillé les soupçons du commissaire dans cette histoire de suicide par noyade, ce sont les fractures du corps de la noyée qui indiqueraient qu’elle soit tombée d’une certaine hauteur et les traces d’un anesthésique retrouvées elles aussi à l’autopsie. Marie Le Boullec étant médecin, cela pourrait confirmer la thèse du suicide, mais il se trouve que c’est du penthotal, exactement le même anesthésique utilisé par les officiers de la junte pendant la dictature argentine, lors de ce qu’ils appelaient des « transferts », ces vols de la mort qui consistaient à balancer des prisonniers vivants, conscients mais anesthésiés, du haut d’avions pendant des vols de nuit tous feux éteints au-dessus de la mer. Membres des FAR, des Monteneros, simples militants politiques, syndicalistes, artistes, étudiants, parents, religieuses ou autres soi-disant subversifs qui comptent au nombre des milliers de « disparus » de la dictature.

    Mais quel rapport avec Marie Le Boullec, même si celle-ci à des origines argentines ? En menant son enquête, Muriel est aidée par Marcel, un ami très ou trop attaché à elle mais calé en Espagnol et Melle Geneviève Leroux, une voisine âgée de Marie de Boullec qui ne croit pas à la thèse du suicide, car cette dernière lui avait téléphoné pour l’appeler à l’aide le soir de sa disparition. Marie était venue parfois chez Geneviève pour consulter ses mails sur l’ordinateur de cette dernière et c’est en réussissant à avoir accès à cette boîte, que le trio tombe sur une correspondance avec un jeune homme dans laquelle il est question de la mère de ce dernier et où elle utilise un autre nom, Soledad Durand.

    Double fond démarre sur un récit, que nous allons suivre simultanément avec l’enquête de Muriel, dans une sorte de patchwork vertigineux, un récit qui nous transporte des années en arrière, à la fin des années 70. Celle qui raconte, c’est une mère et elle raconte à son fils, tous deux sont Argentins et elle raconte pour qu’il sache que, malgré toutes les apparences, elle ne l’a jamais véritablement abandonné. Elle raconte sa participation à la lutte armée contre la dictature, lutte en laquelle elle croyait et comment elle fut contrainte à la clandestinité, elle raconte l’arrestation qui l’a conduite avec son fils alors âgé de 3 ans, au terrible centre secret de rétention, l’ESMA et son « avenida de la Felicidad », un couloir baptisé ainsi par les militaires à cause des hurlements des prisonniers torturés qui y résonnaient en permanence.

    Elle aussi a été torturée sur un grabat de la cellule 13 et son fils à l’écart entendait ses cris, elle criait mais elle n’a jamais parlé. Elle s’appelle Juana, mais aussi Lucia, et elle raconte, elle raconte tout, elle écrit sur du papier.

    « J’aime ce chuchotement de la plume sur le papier. Elle le caresse, l’égratigne, fait surgir des mots cachés, prisonniers. Comme ces noms que je comptais sur les doigts de la main gauche : ceux des nôtres, et sur la main droite ceux de nos ennemis. Des noms que je répétais sans cesse, comme une litanie, une prière païenne. Je m’en souviens encore, il y aura bientôt vingt-sept ans, depuis le 16 septembre 1978 où j’ai commencé à les mémoriser. »

    Du sous-sol de l’ESMA à son antenne à Paris, le Centre de Pilote, où des prisonniers furent envoyés clandestinement pour infiltrer le COBA, les groupes d’exilés sud-américains qui luttaient depuis leur exil et tentaient de dénoncer les crimes de la dictature et puis à l’ESMA de nouveau et de là à un appartement à Buenos Aires, un autre genre de prison, où sa seule liberté fut de pouvoir suivre des études de médecine, elle raconte son destin de femme, de mère, une femme et une mère dont l’intelligence et le courage furent à la fois le salut et l’enfer. Une femme qui n’a jamais parlé mais qui a dû se compromettre au-delà de tout respect d’elle-même et s’arracher le cœur pour sauver des vies. Et si la dictature a eu une fin, son enfer lui n’en a pas. L’injustice et l’impunité continuent de régner 30 ans après et vont la rattraper, même si elle a tenté de sauver ce qu’il restait de sa dignité et ce qui a toujours été le plus cher à son cœur : son fils, dût-il la haïr pour toujours.

    « (…) ce que fuyait la femme de la Turballe, un homme, un régime, une folie, une haine tenace, l’a poursuivie jusqu’ici et la tuée. Noyée. », écrira Muriel dans un de ses articles.

    Il est question dans Double fond de ces circonstances qui permettent à des êtres humains de devenir des monstres sans culpabilité et d’autres qui combattent les monstres, bourreaux et victimes pris dans une même tourmente. Résonne douloureusement cette phrase de Nietzsche : « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. » Reste qu’il y a tout de même deux côtés de la barrière quand il s’agit de dictature, de torture et d’assassinats. Les faibles, les lâches, les opportunistes qui ont vendu leur âme sont souvent hélas du côté qui semble le plus fort et qui s’auto-justifie sans honte, et même si rien n’est jamais complètement noir ou complètement blanc, apparaît clairement dans ce livre — et dans toute sa pathétique et terrible indigence morale —, la folie humaine.

    C’est tout un pan de l’histoire argentine qui est contenu dans ce livre, avec ses dessous les plus sales, les liens avec la France et les connivences entre militaires argentins et membres du gouvernement français, l’Ambassade argentine en France — comme dans d’autres pays — servant de centre de propagande et le Mondial de Foot en 1978 qui s’est déroulé en Argentine à la face du monde entier. Les hurlements des supporters couvraient ceux des torturés. Et n’oublions jamais qui a enseigné aussi aux militaires sud-américains leurs techniques de torture, à l’École des Amériques…

    L’auteur nous livre une enquête romanesque mais fouillée dont les éléments n’ont rien de fictionnel, il s’agit de toute évidence pour Elsa Osorio, argentine elle-même, d’un devoir de mémoire dont on ressent pleinement la tension et la force émotionnelle et c’est en ce sens que ce livre, écrit lors d’une résidence à la Maison des écrivains et des traducteurs en France, en plus d’être réellement passionnant, est absolument indispensable. Il sert de cadre à une vérité qui n’a pas encore été assez dite, la plupart des coupables n’ayant pas été condamnés, les assassins dispersés dans la nature, sont devenus de redoutables hommes d’affaires, des maffieux avec pignon sur rue, enrichis grâce à leurs crimes, quand ils ne sont pas carrément réapparus dans les gouvernements soi-disant démocratiques qui ont succédé à la dictature. La mort de Marie Le Boullec dans le roman, survient un an après que les lois d'amnistie aient enfin été levées en Argentine par le président Nestor Kirchner, ce qui a permis de ré-ouvrir les dossiers judiciaires des militaires assassins et les conduire devant la justice, le procès le plus emblématique étant celui qui a concerné l’ESMA (École de mécanique de la marine) où plus de 5 000 victimes avaient été torturées puis éliminées.

    Captivant, bouleversant, édifiant et incontournable, Double fond nous prend à la gorge et ne nous lâche plus. L’odeur de la mort, l’odeur de la peur.

    « L’odeur de la peur grimpe aux murs, elle raréfie l’air, elle est plus forte que la saleté, que les torchons sales, plus forte que tout. »

     

    Cathy Garcia

     

    editions-metailie.com-elsa-osorio-sophie-bassouls-2-300x460.jpgNée à Buenos Aires en 1952, Elsa Osorio est romancière, biographe, nouvelliste et scénariste pour le cinéma et la télévision. Elle a vécu à Paris et à Madrid, et réside actuellement à Buenos Aires. Elle a publié notamment de nombreuses œuvres en Argentine (Ritos privados, Reina Mugre, Beatriz Guido, Como tenerlo todo, Las malas lenguas). Elle est lauréate de plusieurs prix, dont le Prix National de Littérature pour Ritos Privados, le Prix Amnesty International pour Luz ou le temps sauvage. Ses romans sont largement traduits en Europe et dans le monde. Son œuvre est disponible en français chez Métailié, dont Luz ou le temps sauvage, Tango, Sept nuits d’insomnie, La Capitana (2012).

     

     

     

     

  • Marc Tison - Des abribus pour l’exode

     

     

    images et peintures de Raymond Majchrzak

    éditions Le Citron Gare, novembre 2017

    CouvertureMarcTison.jpg

     

    82 pages, 10 €.

     

    Sensations vivaces qui imprègnent le mental, maintiennent sous tension le réseau de nerfs, scarifications émotionnelles sur le corps de la mémoire qui n’accepte pas la reddition, ni la soumission. Mémoire du corps jamais rassasiée de cette ivresse qui nous propulse dans le corps de l’autre. Sexe, musique, jeunesse, pures sensations qui lancent les rêves à l’assaut des horizons, pied sur l’accélérateur.

     

    On ne va plus dans les étoiles. Les fusées sont dépiécées. La tête en feu de joie c’était pourtant bien là, claquant le réel à l’enchantement du voyage.

     

    Il y a si peu de temps. Il y a si peu de soi.

     

    Mémoire du corps accro à l’intensité, à la sensation de liberté, aussi illusoire soit-elle.

     

    Il y a tant d’espaces délabrés que tu revisites plein d’espoir, incrédule. L’avant ne s’est pas peint d’éternité.

     

    Le passé n’existe plus, mais le monde a-t-il mieux à offrir ? Tel est le questionnement qui sourd de ce recueil de Marc Tison. Abribus pour l’exode, tentations en lignes de fuite.

     

    L’alcool me flambe toujours au crépuscule

    pour saluer les jours brûlés à l’ennui.

    Je ne suis pas si fragile

     

    Un recueil pas tout à fait nostalgique, ou pas seulement, même lors d’un retour dans le Nord, à Denain.

     

    « Je reviens à mon pays, intérieur, affranchi, en orpailleur. (…) Entre les usines désarmées, les terrils décapités, il reste sur les bars de poussière, les traces rondes des bocks de bières. Les jukebox remisés chuchotent mémoriels des Ep gravés pour des bals rock et ouvriers. »

     

    Le poète pratique un art magique. Avec ses mots, il peut souffler sur les braises, réanimer à volonté la flamme. Ce n’est pas sans danger d’user de ce pouvoir et l’hypersensibilité permanente lui interdit de s’abrutir dans un confort étanche. Convocation lucide de sensations dont le corps ne parvient pas à se défaire au point parfois de ne pouvoir dormir. La révolte est intacte, la conscience vive et les injustices demeurent insupportables.

     

    « Au cœur de l’Europe chrétienne on aime son prochain. (…) Ha qu’est ce qu’on l’aime son prochain quand il est courageux et qu’il reste noyé dans la mer. »

     

    Insupportable comme la tiédeur, la médiocrité, l’hypocrisie, le mensonge, le vide de sens contemporain.

     

    « Les animateurs des émissions d’actualité et de divertissement des chaines de télévision ont des trous dans leurs mots. A travers passent d’immenses tristesses de rien. Alors les téléspectateurs tombent dedans.

    Ceux qui n’ont pas de parachute s’écrasent méchamment le dedans de la tête. »

     

    Même la musique est creuse. « Les notes juteuses - qui touchent le corps – se sont tirées des clips maniérés. Parties continuer la fête ailleurs.

     

    (…) Nous appelons alors musiques les dérangements sonores qui habillent les cliquetis des caisses enregistreuses des supermarchés. »

     

    « Au quotidien on se fait à toutes les crapuleries (!?!) » Ce n’est pas un constat résigné, mais un « !?! », car non poète, tant que ton corps est vivant, il vibre ! Il n’est pas dupe mais il sait encore ressentir.

     

    « Prends le matin nu en embrassade. Tu l’effleures et tu lui souffles des siroccos. Ta bouche pleine du sucre des figues fraîches de l’aube.

     

    Fais l’amour, alors fais l’amour comme se maquillent les rêves. Dans tes yeux explosent des couleurs, des rouges mélangées de jaunes et d’ailleurs. »

     

    Mais il faut savoir qu’après chaque shoot de sensations intenses, il y a la redescente. Amertume et dégoût guettent l’insurgé, les focus sur le monde attisent la rage et la nuit, seul espace de rêve, exige l’insomnie.

     

    « Une communication interlope avec les fantômes de tes désirs. (…) Le sommeil t’attend. Tu n’en veux pas. Pourtant les draps frais sentent si près la mélancolie de l’enfant. Cet état qui t’apeure.

    Comme un licol sur l’encolure d’un mustang. »

     

    Le poète est en cavale, ce n’est pas la mort qu’il fuit, ni même la vieillesse, mais bien ce licol à l’encolure. Semant au vent ses brassées de mots indomptables, cet « autochtone des plaines d’exodes » ne se rendra jamais, parce qu’ayant su saisir l’essentiel de sa vie et de ses folies, il le convoque autant qu’il lui plait pour des fêtes intimes subtiles qui passent au travers des mailles de n’importe quel filet.  De toutes les pertes, il sort vainqueur. Il a gagné la plus belle des libertés, sa liberté intérieure.

     

    « J’abandonne le champ des batailles en friches. J’abandonne la routine des ultimes charges.

     

    J’en reviens à l’absolu.

     

    L’absolu silence. D’où se recompose le mystère. La parole et le chant.

     

    L’absolue virginité. D’où nait l’amour. La complexité absolue du vivant.

     

    L’absolu lointain. D’où se mesure l’avenir. Son effacement conjuré de promesses.

     

    (…) Toute disparition fera un renouvellement.

     

     

    Pas de nostalgie donc, ou pas seulement. Trop de saveur encore dans la bouche, pour cultiver les regrets.

     

    (…) Dans l’espace existentiel de millions d’années lumières, je ne saurais pas l’omniscience. Ça n’a pas d’importance.

     

    Ma vie idiote est une merveille. »

     

     

    Et quand c’est l’âme qui jouit, il n’y a plus aucune limite.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    tison nb_031433651bfd190a9d553ddfeb391298.jpgMarc Tison est né en 1956 entre les usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières. Engagé tôt dans le monde du travail. Il a pratiqué dans un premier temps de multiples jobs : de chauffeur poids-lourd à rédacteur de pages culturelles, en passant par la régie d’exposition (notamment H. Cartier Bresson) et la position du chanteur de rock. Puis il s’est spécialisé dans la gestion et l’accompagnement de projets culturels et d’artistes. S’est mis à l’écriture de poésie très tôt comme la juste expression des sensations vivaces. Habite maintenant dans le Tarn où il continue, heureusement troublé, l’exploration des univers à réinventer.

      

    Raymond Majchrzak est né en 1955 à Escaudain (59), pays minier et industriel, à quelques kilomètres de Denain. Il a fait les beaux arts à Valenciennes. Il peint et travaille des images numériques. Il déroule aussi de longues improvisations musicales plus ou moins électroniques pour lui même à longueur de temps. 

     

    Pour commander le recueil auprès de l'association le Citron Gare, p.maltaverne@orange.fr

     

     

  • Soliflore 58 - Pierre Aurélien Delabre

     

    Ernest Pignon-Ernest  Pasolini portant sa propre dépouille  prise à quelques pas de Campo dei Fiori, Roma par Pierre Aurélien delabre..jpg

     

    catania

     

    j’arrive à catania

    mais mon cœur est souillé

    hésitant

    à l’heure de vivre simplement

     

    et tout dans ma vie

    à ce goût de l’indifférence sordide

     

    mais j’arrive a catania

    qui m’invite à jeter

    un verre d’eau fraiche sur mes regrets

     

    pas envie de rire

    pas envie de jouir

    je tiens trop à mes regrets

     

    et je tisse un monde

    où même les ombres doutent de leurs effets

     

     

    photo prise par l'auteur :

    Ernest Pignon-Ernest Pasolini portant sa propre dépouille prise à quelques pas de Campo dei Fiori, Roma

     

     

     

     

     

  • Revue Nouveaux délits n°60 lu par Patrice Maltaverne

     
     
     

     

    Le numéro 60 de la revue "Nouveaux délits" (14,7 cms X 20,4 cms), animée par Cathy Garcia (et auteur de l'édito et de la 4e de couverture, une belle réflexion à partir de la macro en photo), comprend des textes poétiques de Valère Kaletka, Pierre Rosin, Daniel Birnbaum, Jospeh Pommier, Florent Chamard, Vincent Duhamel, Antonella Eye Porcelluzzi.
     
    Les livres chroniqués par Cathy Garcia sont "Double fond" d'Elsa Orroyo, et "Des abribus pour l'exode", de Marc Tison (ce dernier recueil de poèmes publié par les éditions du Citron Gare).
     
    Avec également les citations de bas de pages empruntées à d'autres livres, caractéristiques de la revue "Nouveaux délits", comme, par exemple, "La terre seule me rassure, quelle que soit la part de boue qu'elle contient" (de Françoise Sagan).
     
    Les illustrations de ce numéro 60 sont de Jean-Louis Millet.
     
    Extrait de ce numéro 60, "Pluion", de Valère Kaletka :
     
    "Cet homme me parle en langage ourlé
    Génuflexions Rodomontades
    Et - j'en suis sûr
    Violences contenues
    Il parle pour vendre
    J'écoute pour acheter
    Ou est-ce l'inverse
    (tiens, dehors, une averse)
    Je suis un miroir qui ne s'aime pas
    (antithétique ?)
    Qu'est-ce que je fous là ?
    (tiens, dedans, une aversion)"
     
     
     
  • Le numéro 60 lu par Florent Toniello

     

    Revue de revue : Nouveaux Délits

    Je l’avoue : déjà abonné à pas mal de revues et avec un budget poésie pas illimité — en tout cas pas aussi vaste que mon goût éclectique, parfois trop, je sais, pour le genre —, j’ai tendance à me reposer sur le grand nombre de revues que je reçois, sans trop regarder les autres maintenant. Eh oui, la poésie est aussi la vie, et il y en a une en dehors de la poésie. Je sais, je radote… Mais le sous-titre « revue de poésie vive » et un appel à soutien de Cathy Garcia, la taulière, qui a vu son vieil ordinateur cesser ses services aux vers et aux strophes inopinément, m’ont convaincu de tenter l’aventure. Peut-être aussi le fait qu’un numéro précédent a été consacré à la remuante poésie guatémaltèque traduite par Laurent Bouisset, allez savoir. Enfin bon : grand bien m’en a pris.

    Le numéro 60 de Nouveaux Délits rassemble des textes de sept poètes, agrémentés par Cathy Garcia d’un court édito relatant la genèse (pas simple) de cet opus et d’une quatrième de couverture en forme d’extrait d’un essai sur la simplicité joyeuse et volontaire. Quand le politique s’en mêle, et bien tourné en plus... S’y ajoutent deux « résonances », notes de lecture aussi bien que jeux de miroir à l’écriture ciselée sur deux livres récents, également par la maîtresse des lieux, décidément productive et tellement amoureuse de la poésie que cet enthousiasme est particulièrement contagieux. Ah oui : de petites notes de bas de page, extraits de poèmes ou de romans, font aussi écho, comme des résonances, aux textes originaux publiés ; ces « délits d’(in)citation » confirment, s’il fallait encore la démontrer, la haute connaissance littéraire de Cathy Garcia, qui peaufine une revue franchement réussie tant sur la forme que sur le fond.

    Car sur le fond, la cohérence de l’ensemble des sept poètes choisis est admirable, et l’exigence dans l’écriture est un dénominateur commun. Connu des amateurs de revues, Valère Kaletka ouvre le bal avec des textes à la nostalgie qui tourne à l’étrange et au fantastique parfois, avec des titres énigmatiques et décalés : « Ahan / Fils de Crâo / Sur la route du Run / Poumons-de-feu / Ahan / Guerre au gramme intégral / À l’anévrisme hautain en rupture / De son ban », peut-on lire dans « Ahan », savant détournement d’un personnage bien connu en « poésie de Cro-Magnon » (là, c’est moi qui invente, ce n’est pas une citation), pourrait-on dire. Pierre Rosin, lui, ose la poésie de science-fiction (on en publie trop peu, je trouve), même si ce n’est qu’un poème parmi les autres où peut-être sonne comme dénominateur commun « le malheur d’être un homme et de n’être rien » : « construisons un vaisseau / une flottille / une arche / semons les germes d’une nouvelle espérance ». Espérance que versifie Daniel Birnbaum, dans une série narrative qui décrit un voyage à Madagascar ; Daniel, comme souvent, y montre une empathie (« elle a les pieds infectés / suintants / sanguinolents / il faudrait les mettre à l’abri de la poussière / de la boue des ordures des mouches ») qui rend ses vers simples immédiatement assimilables sans cheminement intellectuel tarabiscoté : une poésie qui va droit au cœur. Joseph Pommier, lui, ne parle pas d’autre chose que d’espérance non plus quand, après avoir décrit en vers plus longs et plus fourmillants de cassures de rythme une vie au travail marquée par la servitude volontaire, il glisse qu’« Au prix d’un sommeil lourd on s’arrache / À ces pensées rageuses qui stationneront dans l’oubli ». Florent Chamard flirte (un peu, par rapport à ses prédécesseurs plus narratifs et moins métaphoriques) avec le surréalisme pour « réapprendre le silence des horizons sans but » et retrouver « la tentation du sel et des vagues » ; dans sa présentation, il avoue qu’il aime haïr… tout un programme ! Poésie rock’n’roll pour Vincent Duhamel, mon chouchou de ce numéro, avec un poème magistral et habité intitulé « La boîte » : « J’aurais voulu mourir à neuf ans lors d’un mercredi pluvieux ennuagé de flocons et de victoires avec sur le bord des lèvres l’amour d’une pêche ensoleillée de la veille et, dans le cœur, un oisillon s’étouffant d’un requiem enchanté. » Puis vient une étrange boîte offerte par la mystérieuse Matriochka, concentré de peurs et de fantasmes ; un texte puissant sur les attirances de l’enfance, qu’elle soit enchantée ou brisée. Enfin, dernière autrice et seule femme, Antonella Eye Porcelluzzi conclut par une poésie plus déstructurée où le langage se fait plutôt phonèmes que longs vers. C’est un de ses poèmes, court alors qu’elle peut aussi nous embarquer dans de longues variations hypnotiques sur un sujet donné, qui sera reproduit complet ci-dessous.

    En un mot comme en cent : Nouveaux Délits, c’est une belle revue, bien conçue, bien réalisée, et ce numéro 60 en est la preuve.

    Pour en savoir plus et surtout ! vous abonner, visitez le site internet de la revue Nouveaux Délits.


    Love deux song n. 25 (Antonella Eye Porcelluzzi)

    Pour ceux qui conduisent deux avions
    qui dirigent deux industries
    qui chevauchent deux chevaux
    et tirent avec deux arcs
    pour ne pas se retrouver avec
    deux anus à soigner
    en cas d’hémorroïdes.
    je suis un monstre qui a tout osé

     

    Source :

    http://accrocstich.es/post/2018/04/10/Revue-de-revue-%3A-Nouveaux-D%C3%A9lits

     

     

  • Nouveaux Délits n°60

     

     

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    Avril 2018

     

    Eh bien, voilà un numéro qui n’a pas été simple à réaliser, il a fallu que je m’adapte aux circonstances assez pénibles et aux données qui m’étaient accessibles. Aussi Je profite de cet édito pour remercier infiniment celles et ceux d’entre vous qui ont pu répondre présent(e)s à mon appel à soutien pour le rachat d’un nouvel ordinateur, indispensable, le mien ayant pris définitivement congé après une dizaine d’années de pas trop mauvais services. Merci donc, d’ici quelque temps, une nouvelle machine devrait permettre de poursuivre l’aventure dans de bonnes, voire de meilleures conditions et aussi de stocker à l’abri, entre autres, 15 années de Nouveaux Délits !

     

     Ce n’est pas quelque chose sur quoi j’aime m’étaler mais il faut savoir peut-être que si cette revue existe, c’est par une sorte de passion entêtée de ma part, car elle est réalisée (volontairement) sans subvention et bénévolement, dans un contexte de précarité permanente, qui a d’ailleurs tendance à s’accroître d’année en année et ce numéro 60 a eu un accouchement particulièrement difficile. Cependant, je crois bien qu’au final, c’est un beau bébé ! Un peu étrange, douloureux même, mais riche de toute sa complexité humaine et de cette énergie qui passe dans les mots, qui les traverse et parfois nous transperce, cet appel d’air, ce désir indéfinissable de saisir, en nous et hors de nous par les filets de la parole, ce qui le plus souvent demeure insaisissable.

     

    CG

     

     

    Je pense donc j’écris. J’écris ce que je ne sais pas dire. Le gouffre entre le semblant et le réel. Réel morcelé, multiplié par un coefficient inconnu, un prisme, un miroir à mille facettes. Toute parole est attaquable, transformable, critiquable. Toute parole pourrait être vaine et pourtant nous avons besoin de ce moyen imparfait de communication, nous sommes des êtres communiquant, nous sommes même des vases communicants. La réalité est absurde. Parler de réalité est absurde. Alors, se raccrocher à quoi ?

    À une fleur, à la graine qui va peut-être germer, au nuage qui passe. À un rayon de lune ou de soleil. C’est ça la poésie et pas autre chose, c’est trouver une réalité à laquelle s’accrocher. La nature, la douleur, l’amour, la haine. La possibilité d’échapper à sa propre carcasse.

     

    Cathy Garcia in Journal 2001

     

     

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    AU SOMMAIRE

     

     

    Délit de poésie :

     

    ፠  Valère Kaletka

    ፠  Pierre Rosin

    ፠  Daniel Birnbaum

    ፠  Joseph Pommier

    ፠  Florent Chamard

    ፠  Vincent Duhamel

    ፠  Antonella Eye Porcelluzzi

     

    Résonance :

     

    Des abribus pour l’exode, Marc Tison, Le Citron Gare éd.

    Double fond, Elsa Orroyo (Argentine), Métailié éd.

     

     

    Délits d’(in)citations percent la brume des coins de page.

    Vous verrez le bulletin de complicité au fond en sortant qui vous fait de gros appels de phares, tout en résistant une fois de plus à la hausse des tarifs postaux (et du reste).

     

     

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    Illustrateur : Jean-Louis Millet

    jlmillet@free.fr

     

    Grand spécialiste en rien mais curieux de tout : dessin, peinture, sculpture, photo, écriture, édition virtuelle, chasse aux connivences & alternatives… ensemble de  ‘’propos’’  mis en actes dans l'animation de blogs et de sites dont "Zen-évasion", site cave-grenier aux malles ego-mystérieuses ; http://www.zen-evasion.com/. Il a déjà maintes fois illustré la revue ainsi que d’autres publications Nouveaux Délits.

     

     

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    Soir de printemps -
    de bougie en bougie
    la flamme se transmet
    Yosa Buso

     

     

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    Nouveaux Délits  -  avril 2018  -  ISSN : 1761-6530  -  Dépôt légal : à parution  -  Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Illustrateur : Jean-Louis Millet Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

     

  • La simplicité joyeuse et volontaire

     

    La simplicité joyeuse et volontaire, comme je la vis et l’ai vécue avant même de l’avoir nommée, c’est de savoir apprécier ce qu’on a, quels que soient nos moyens, et ceci sur tous les plans. Pas dans l’idée d’une discipline qu’on s’impose, d’une vertu à cultiver, non, pas d’efforts qui finiront par nous dégoûter, nous révolter et nous faire retomber plus bas qu’au départ, c’est vraiment autre chose. C’est une sorte d’initiation à l’essence du plaisir. C’est d’abord apprendre à regarder les choses à la loupe et à amplifier nos sensations. Lorsqu’on passe près d’une plante à toutes petites fleurs, souvent elle est tellement insignifiante qu’on ne la remarque pas ou à peine, mais si on prend le temps de se pencher et de la regarder de près, alors se révèlent des trésors de nuances, de finesse, de beauté. C’est pourquoi j’aime faire de la macro en photo. En macro une punaise devient un joyau, mais la macro, c’est aussi une façon de voir que l’on peut appliquer à tous les domaines de notre vie. Pas seulement pour aller remuer ce qui ne va pas, ce qui manque, ce qui fait mal, ça en général on sait tous le faire et il faut parfois le faire, mais il faudrait aussi le faire pour aller arroser les minuscules graines de joie inconditionnelle qui n’attendent que notre attention pour s’épanouir. Alors, ça ne veut pas dire se forcer à être d’un optimiste béat ou se voiler la face, bien au contraire, plus on sait apprécier le minuscule, plus on voit aussi la moindre petite ombre triste de ne pas être prise en compte elle aussi, car la vie est faite d’ombres et de lumière et nous avons à apprendre des deux. Les deux sont nécessaires pour prendre conscience, terme emprunté au latin classique « conscientia », la « connaissance en commun », donc quelque chose qui va au-delà de l’individu, quelque chose que nous partageons et que nous devons chacun alimenter autant que possible, afin que l’humanité dans son ensemble puisse évoluer. Ainsi la simplicité joyeuse et volontaire pourrait s’apparenter à une sorte de travail d’alchimiste : en plongeant dans l’infiniment petit, on dégage les éléments les plus élémentaires du réel et il nous est alors possible de transformer le plomb en or. (…)

    La simplicité ce n'est pas seulement faire des choses mais c'est aussi et surtout ÊTRE. Faire autant que possible des choix qui nous permettent d’être plutôt que de paraître et/ou d'avoir (deux redoutables diktats), donc que ce soit sur le plan pratique et matériel ou moral, toujours se poser la question de l'utilité, du sens de ce qu'on l'on fait, de ce que l'on achète, de ce que l'on possède, de ce que l'on pense, de ce que l'on dit. L'utilité d'une façon très vaste et le sens et l'impact des choix que nous faisons, comment nous utilisons notre temps et quelle place nous laissons dans notre vie pour l'essentiel. Ce qui veut dire déterminer déjà qu'est-ce qui est réellement essentiel pour nous et là nous trouverons ce qui est essentiel communément à la plupart des êtres humains et puis ce qui nous est essentiel à nous tout personnellement et particulièrement, et pour déterminer cela il faut se connaître, au-delà de ce que nous avons appris, au-delà de ce que nous pensons devoir être ou faire, au-delà de ce que nous pensons devoir prouver et au-delà des attentes que nous pensons être les nôtres ou celles des autres qui nous entourent et de la société elle-même.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

    Vous pouvez lire l’intégralité du texte ici http://conscienceauquotidienaccompagnementpersonnalisepourconsommeraut.hautetfort.com/

     

     

     

  • "Morterranée", exposition d'Anabel Serna Montoya

    Dans le cadre de la 2ème Nuit de la Poésie à Crest, le vendredi 2 février 2018, l'artiste mexicaine Anabel Serna Montoya qui avait illustré le numéro 59, spécial Guatemala, a présenté pour la première fois son installation "Morterranée" sur la thématique des réfugiés et migrants morts en Méditerranée. (Cyanotypes, aquarelles et encres de chines ont côtoyé un poème de Raúl Zurita cousu, ainsi qu'une installation au sol.)

     

     

     

     

     

     

     

  • Soliflore 57 - Ivan Pozzoni

     

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    La ballata del Fantozzi -  Paolo Villaggio

     

     

    BALLATA DEGLI INESISTENTI

     

    Potrei tentare di narrarvi

    al suono della mia tastiera

    come Baasima morì di lebbra

    senza mai raggiunger la frontiera,

    o come l’armeno Méroujan

    sotto uno sventolio di mezzelune

    sentì svanire l’aria dai suoi occhi

    buttati via in una fossa comune;

    Charlee, che travasata a Brisbane

    in cerca di un mondo migliore,

    concluse il viaggio

    dentro le fauci di un alligatore,

    o Aurélio, chiamato Bruna

    che dopo otto mesi d’ospedale

    morì di aidiesse contratto

    a battere su una tangenziale.

     

    Nessuno si ricorderà di Yehoudith,

    delle sue labbra rosse carminio,

    finite a bere veleni tossici

    in un campo di sterminio,

    o di Eerikki, dalla barba rossa, che,

    sconfitto dalla smania di navigare,

    dorme, raschiato dalle orche,

    sui fondi d’un qualche mare;

    la testa di Sandrine, duchessa

    di Borgogna, udì rumor di festa

    cadendo dalla lama d’una ghigliottina

    in una cesta,

    e Daisuke, moderno samurai,

    del motore d’un aereo contava i giri

    trasumanando un gesto da kamikaze

    in harakiri.

     

    Potrei starvi a raccontare

    nell’afa d’una notte d’estate

    come Iris ed Anthia, bimbe spartane

    dacché deformi furono abbandonate,

    o come Deendayal schiattò di stenti

    imputabile dell’unico reato

    di vivere una vita da intoccabile

    senza mai essersi ribellato;

    Ituha, ragazza indiana,

    che, minacciata da un coltello,

    finì a danzare con Manitou

    nelle anticamere di un bordello,

    e Luther, nato nel Lancashire,

    che, liberato dal mestiere d’accattone,

     fu messo a morire da sua maestà britannica

    nelle miniere di carbone.

     

    Chi si ricorderà di Itzayana,

    e della sua famiglia massacrata

    in un villaggio ai margini del Messico

    dall’esercito di Carranza in ritirata,

    e chi di Idris, africano ribelle,

    tramortito dallo shock e dalle ustioni

    mentre, indomito al dominio coloniale,

    cercava di rubare un camion di munizioni;

    Shahdi, volò alta nel cielo

    sulle aste della verde rivoluzione,

    atterrando a Teheran, le ali dilaniate

    da un colpo di cannone,

    e Tikhomir, muratore ceceno,

    che rovinò tra i volti indifferenti

    a terra dal tetto del Mausoleo

    di Lenin, senza commenti.

     

    Questi miei oggetti di racconto 

    fratti a frammenti di inesistenza

    trasmettano suoni distanti

    di resistenza.

     

    [Scarti di magazzino, 2013]

     

     *

     

    BALLADE DES INEXISTANTS

     

    Je pourrais tenter de vous conter

    au son de mon clavier

    comment Baasima mourut de la lèpre

    sans jamais atteindre la frontière,

    ou comment l’arménien Méroujan

    sous un flottement de demi-lunes

    sentit s’évanouir l’air de ses yeux

    jetés dans une fosse commune;

    Charlee, qui transvasée à Brisbane

    en quête d’un monde meilleur,

    conclut le voyage

    dans la gueule d’un alligator,

    ou Aurélio, nommée Bruna

    qui après huit mois d’hôpital

    mourut de sidaïe contractée

    après s’être battu sur un périphérique.

     

    Personne ne se rappellera Yehoudith,

    ses lèvres rouges carmin,

    effacées à boire des poisons toxiques

    dans un camp d’extermination,

    ou Eerikki, à la barbe rouge, 

    vaincu par l’agitation des flots,

    qui dort, récuré par les orques,

    sur les fonds de quelque mer;

    la tête de Sandrine, duchesse

    de Bourgogne entendit la rumeur de la fête

    en tombant de la lame d’une guillotine

    dans un panier

    et Daisuke, samurai moderne,

    comptait les tours du moteur d’un avion 

    transcendant un geste de kamikaze en harakiri.

     

    Je pourrais rester à raconter

    dans la chaleur étouffante d’une nuit d’été

    comment Iris et Anthia, enfants spartiates

    difformes furent abandonnées,

    ou comment Deendayal creva de privations

    imputables au crime unique

    de vivre une vie de paria

    sans jamais s’être rebellé;

    Ituha, fille indienne,

    menacée d’un couteau,

    qui finit par danser avec un Manitou

    dans l’antichambre d’un bordel

    et Luther, né dans le Lancashire

    libéré du métier de mendiant,

    et forcé de mourir par sa majesté britannique

    dans les mines de charbon.

     

    Qui se souviendra d’Itzayana,

    et de sa famille massacrée

    dans un village aux marges du Mexique

    par l’armée de Carranza en retraite,

    et quoi d’Idris, africain rebelle,

    assommé de chocs et de brûlures

    alors qu’indompté par la domination coloniale,

    il tâchait de voler un camion de munitions;

    Shahdi vola haut dans le ciel

    au-dessus des hampes de la révolution verte,

    atterrissant à Téhéran, les ailes déchiquetées

    par un coup de canon,

    et Tikhomir, maçon tchétchène,

    s’abîma devant les visages indifférents

    sur la terre du toit du Mausolée

    de Lénine, sans commentaires.

     

    Des objets de récit

    fractures aux fragments d’inexistence

    qui transmettent des sons lointains

    de résistance.

     

       [Déchets de magasin, 2013]

     

    traduction de Pierre Lamarque

     

     

    https://independent.academia.edu/IvanPozzoni

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Numéro 59, revue du mois pour Décharge

     

    Février, c’est

    Nouveaux Délits n° 59

    publié le 31 janvier 2018 , par Jacmo dans Accueil> Revue du mois

     
     

    Cathy Garcia la « coupable responsable » de la revue poursuit son chemin de livraisons expédiées sans anicroche. Elle conclut pour l’année nouvelle son édito ainsi : ….que la paix ferme le bec des imbéciles qui ne laissent pas passer la lumière.
    Cinq auteurs sont conviés dans ce numéro à qui sont attribuées entre 7 et 12 pages, ce qui constitue un bel aperçu pour chacun.

    Illustrateur du numéro : Arnaud Martin.

    Pénélope Corps. Les gens naissent avec des trous dans le ventre… Un langage oralisé qui ne s’embarrasse des conventions ni des conformités ordinaires. S’il y a figures de style, ce n’est pas par jeu mais par nécessité, entre anaphores et répétitions. D’une façon générale, les poètes choisis ici par Cathy Garcia ne sont pas économes de mots et usent de vers proches de la phrase et de strophes voisines de la période. Les titres des textes résumeraient à eux seuls l’angle assez brut de sa poésie : L’humanité est un trou, Super 8, J’écris pas, On n’est pas meilleurs, Dimanche en décembre.

    Le passé de Benoit Arcadias, ancien interné des hôpitaux, résonne dans ses textes. Lesquels racontent chaque fois des rencontres dans le métro ou le train. Des choses qui lui sont arrivées, mettant en scène au final hostilité ou déception.
    Jean-Louis Millet propose 7 fragments d’un « psychorama holographique ». Il s’agit de listes assez longues de ce qu’on pourrait appeler des données à la fois abstraites et précises. Exemples pris presque au hasard : La valise éventrée des restes du quotidien d’une vie ou La croûte d’une banquise dans la fermentation d’un rêve ou encore, avec, pour le coup, une image L’ombre d’un pommier vivante au moindre souffle d’air Cette accumulation de traits, ayant pour point commun l’article défini, tend à rendre réel un univers hétéroclite et poétique. Ajoutons que ces listes sont seulement interrompues parfois par un Question/ réponse ou la réponse vient avant la question. Réponse : dans l’ombre de la lumière / Question : Où est la seule réalité ?

    Marc Guimo est l’auteur du tout récent Polder (Co-collection Décharge/Gros textes) : Un début de réalité. Il donne ici des extraits d’un ensemble dans la prolongation intitulé : « Réalité dispersée ». On reste dans la même logique. Le problème du mur, c’est qu’il ne croit pas naturellement à la fenêtre. On est toujours à la limité de l’absurde et du fantastique. On est allé trop loin / En ne bougeant pas L’auteur n’est pas fixé sur la forme, passant facilement de l’aphorisme au long poème, avec ce vers final : Voulez-vous qu’on rajoute une musique d’ascenseur qui descend ?
    Enfin Pablo Gelgon qui, en tant que charpentier, sait parler des « Mains qui voyagent » : Elles n’en finissent plus de saigner sur le beau bardage d’épicéa / On voudrait bien avoir des mains comme un pied de biche et soulever / Agripper sans avoir peur de rien suinter / On voudrait bien l’oublier l’écorchure / La bonne vieille croûtasse / La main finit par ajuster la manière…
    Deux résonances critiques à propos de recueils de Walter Rhuhlmann et Murièle Modély et le tour est joué.

    Illustrations d’Arnaud Martin : sensible à l’expressionnisme et au romantisme sombre du XIX° siècle et à la mélancolie sous toutes ses formes…

     

    Rappel  : On se procure le polder de Marc Guimo : Un début de réalité contre 6 €, à nos éditions (4 rue de la Boucherie - 89240 - Egleny). Paypal possible : ici.

     

    MERCI à Jacques Morin !

    Lien : http://www.dechargelarevue.com/Nouveaux-Delits-no-59.html

     

     

  • Tu écris des poèmes de Murièle Modély

     

     

    éditions du Cygne, novembre 2017

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    95 pages, 12 €.

     

     

    « Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien-sûr à l’île de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine| dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens| à bride abattue| jusqu’à respirer sur la table| l’odeur de langue coupée. »

     

    Le poème sourd de l’intérieur, il vient dire quand dire est trop difficile, voire impossible. « Tu écris des poèmes| lorsque tu sens le réel se dérober| dès l’instant où personne ne te comprend| et vice et versa où tu ne comprends personne ». Alors le poème jaillit du cratère, du gouffre : « comme le poème, tu as un trou au milieu de la phrase ». Chez Murièle Modély, les poèmes suintent de ce trou, forment le corps du poète. « Tes poèmes sont n’importe quelle partie de ton corps| n’importe laquelle (…) sauf la tête. » 

     

    Le poème est l’hameçon — l’âme-son — au bout du fil, lancé à la mer des réseaux sociaux — à l’amer ? —  où « le vers même minuscule » doit « s’ébrouer contre un dièse ». Et la poète du XXIe siècle pêche des émoticônes, elle n’écrit plus, elle tapote, elle a mal au clavier, mais reste « la danse des canines| leurs morsures affairées dans la pulpe des doigts » pour conjurer le banal qui tue.

     

    Le banal et ses petites phrases assassines quand l’amour est un point d’interrogation.  « Il dit – passe moi le sel |  et la mer chavire le poème ». Pour ne pas sombrer, la poète n’en finit plus de rafistoler son radeau, elle fait corps avec lui. Le poème est son mat, sa colonne vertébrale, il est une « torsion vibrante au niveau du pubis » et dans le naufrage quotidien, il sublime son cri, tandis que « dans la vie de tous les jours », elle avale un cachet ou achète «  des choses inutiles| en bonne jouisseuse compulsive d’objets. » Pour combler le gouffre, taire les angoisses, alors que le poème lui il sait. Il sait parce qu’il est le corps des angoisses, le corps qui dit, le corps qui suinte.

     

    La poésie de Murièle Modély surgit d’un tréfonds moite et obscur, d’une préhistoire qui ne trouve pas sa place dans un monde aux lignes bien droites qui avance et « déroule sous ses semelles| les choses concrètes et laides ». Alors Murièle Modély écrit « avec la langue, à quatre pattes dans la rue », elle « lèche l’herbe, les cailloux, les traces de pas ».

     

    Elle écrit des poèmes, des « poèmes rouges, menstrués et vibrants » et dit l’essentiel en trois lignes :

     

    « tu as la sensation

    quand tu écris

    d’être. »

     

     

    Et le lecteur à la lire, se sent lui aussi plus vivant, la poésie de Murièle Modély pulse et bat comme le cœur d’un volcan sous la terre.

     

    Cathy Garcia

     

     

    201410161645-full.jpgMurièle Modély est née en 1971 à Saint-Denis, île de la Réunion. Installée à Toulouse depuis une vingtaine d'années, elle écrit depuis toujours, essentiellement de la poésie qu’elle publie régulièrement sur son blog : https://l-oeil-bande.blogspot.fr/. Elle présente un penchant fort pour les regards de côté, elle cherche encore et toujours la mer, elle guette sous la lettre le noir / le blanc... Elle a participé par ailleurs à des revues poétiques ou sites : Nouveaux Délits, Microbe, Traction Brabant, L'Autobus, FPDV, etc. Tu écris des poèmes est son troisième recueil publié aux éditions du Cygne, elle a publié également Rester debout au milieu du trottoir aux éditions Contre-Ciel et Sur la table chez Qazaq.fr, ainsi qu’un délit buissonnier de Nouveaux délits, Feu de tout bois, en 2016.

     

     

  • Civilisé de Walter Ruhlmann

     

    Urtica, juillet 2017

     

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    42 pages, 7 € (port inclus).

     

     

     

    La tendreté est un mot de boucher

     

    Civilisé est à prendre à rebrousse-poil, car ce terme prend ici une connotation péjorative. Walter Ruhlmann nous livre un recueil sans concession, sombre, parfois brutal et désespéré.

     

    J’écrase les mégots dans des tasses de thé,

    je sens le gaz souffler à mes narines,

    un air marin de pacotille.

     

    Éros et Thanatos se livrent à une danse plutôt macabre et c’est Thanatos qui mène. Civilisé fait partie de ces recueils qu’il est bon pour un auteur de cracher, le genre de crachat qu’on balancerait à son reflet dans la glace, un reflet que l’on a du mal à supporter. Éros ici est dénudé de ses rêves et parures, le reflet dans la glace est sans pitié, reste alors le sexe et la mort, et quand même le sexe a un goût trop amer, reste la mort qui nous dévisage. Civilisé, c’est déjà mourir à son être le plus profond, c’est peut-être le trahir. Walter Ruhlmann se dévisage lui-même ici, se débite même, corps tout entier, sucs et tripes. Un regard impitoyable qui englobe ses semblables et dissemblables.

     

    Elle navigue en radeau sur des rivières d’éthers,

    des lacs de méthadone brûlée,

    des ruisseaux de lisiers.

     

    Le glauque, l’infâme hantent ces pages, et la mort du père est une blessure qui demeure à vif.

     

    Père

    j’écris depuis le sac

    enfermé comme un chat

    prêt à être noyé

     

    Le corps se délite et la peur, la douleur, deviennent rage.

     

    J’aurais besoin de profondeurs,

    De ces abysses incommensurables :

    Les trous béants, les failles sans fond,

    Les caves ouvertes comme des bouches prêtes à sucer.

     

    (…)

    Superficie douteuse, superficiel je suis,

    les profondeurs me recrachent, elles me vomissent

     

    Walter Ruhlmann comme le figure l’illustration de Norman J. Olson en couverture, se livre nu, plus encore, il nous déroule ses entrailles, matière et odeur et comme le hurle le titre du dernier poème « Tu pue sapiens ». Il y a pourtant comme une quête sous-jacente dans ce recueil, une quête de pureté sans avoir besoin de se trahir, pureté que l’auteur va chercher dans un passé mythique personnel où les princes auraient des ailes, mais toute histoire a une chute, tout nous ramène au sol et le sol à la pourriture. Difficile de trouver une rédemption à la condition humaine, le civilisé n’a jamais eu cette innocence originelle où les anges ne salissent pas leurs ailes et où la chair ne serait pas corruptible. Civilisé cherche à tâtons dans le noir, la moiteur, la profusion des corps, sa nature perdue et ce jusqu’à l’excès et la turpitude.

     

    J’ai passé tant de nuits à baiser,

    sucer des queues tendues,

    caresser des peaux ternes, des poils gris

     

    (…)

    Un hôtel sans limite

    le ciel seul comme frontière

     

    (…)

    Et j’attendais mon tour

    le cul dressé à plaire

     

    La nature qui elle-même dans ce recueil nous renvoie souvent une image sombre et abjecte.

     

    Chacals, vautours, freux, scolopendres

    tous viendront goûter à ma viande

     

    Civilisé veut dire mentir et c’est de ce mensonge obligé que suppure la haine de soi. Ici les mots deviennent des armes de vérité, pour dire ce qui ne se dit pas, pour dire ce que le civilisé est censé taire.

     

    Inspirer la fumée par tous tes orifices,

    le cul branché en permanence sur les fourmilières chatoyantes

    chatouillé des cuisses à la nuque

    anus gonflé par les piqûres d’insectes,

    ou par la bite de tes contemporains :

    vas te faire enculer.

     

    Il y a de la noirceur, de la lucidité et aussi beaucoup de tristesse dans ce recueil.

     

    Tu ne détestes rien, tu aimes ce qui vient,

    tu n’es qu’un trou de plus

    avalant les ruisseaux gras,

    goûtant leurs flots infâmes

     

    Mais on ne peut s’empêcher de voir au-delà de cette obscurité, car la force qui habite ce recueil est de celle qui sait crever les ténèbres.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    Walter.jpgWalter Ruhlmann enseigne l’anglais. Il a dirigé mgversion2>datura de 1996 à 2017 et les éditions mgv2>publishing de 2008 à 2017. Walter est l’auteur de recueils de poèmes en français et en anglais et a publié des poèmes et des nouvelles dans diverses revues dans le monde entier. Son blog : http://thenightorchid.blogspot.fr. Certains des textes de Civilisé sont parus dans Axolotl, Le capital des mots, Journal de mes paysages, Mes paysages écrits, Libellé, Le livre à disparaître, Microbe, Mots à maux, Nouveaux délits, Traction-Brabant & mgversion2>datura.