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LA REVUE NOUVEAUX DÉLITS - Page 9

  • Marc Tison - Des abribus pour l’exode

     

     

    images et peintures de Raymond Majchrzak

    éditions Le Citron Gare, novembre 2017

    CouvertureMarcTison.jpg

     

    82 pages, 10 €.

     

    Sensations vivaces qui imprègnent le mental, maintiennent sous tension le réseau de nerfs, scarifications émotionnelles sur le corps de la mémoire qui n’accepte pas la reddition, ni la soumission. Mémoire du corps jamais rassasiée de cette ivresse qui nous propulse dans le corps de l’autre. Sexe, musique, jeunesse, pures sensations qui lancent les rêves à l’assaut des horizons, pied sur l’accélérateur.

     

    On ne va plus dans les étoiles. Les fusées sont dépiécées. La tête en feu de joie c’était pourtant bien là, claquant le réel à l’enchantement du voyage.

     

    Il y a si peu de temps. Il y a si peu de soi.

     

    Mémoire du corps accro à l’intensité, à la sensation de liberté, aussi illusoire soit-elle.

     

    Il y a tant d’espaces délabrés que tu revisites plein d’espoir, incrédule. L’avant ne s’est pas peint d’éternité.

     

    Le passé n’existe plus, mais le monde a-t-il mieux à offrir ? Tel est le questionnement qui sourd de ce recueil de Marc Tison. Abribus pour l’exode, tentations en lignes de fuite.

     

    L’alcool me flambe toujours au crépuscule

    pour saluer les jours brûlés à l’ennui.

    Je ne suis pas si fragile

     

    Un recueil pas tout à fait nostalgique, ou pas seulement, même lors d’un retour dans le Nord, à Denain.

     

    « Je reviens à mon pays, intérieur, affranchi, en orpailleur. (…) Entre les usines désarmées, les terrils décapités, il reste sur les bars de poussière, les traces rondes des bocks de bières. Les jukebox remisés chuchotent mémoriels des Ep gravés pour des bals rock et ouvriers. »

     

    Le poète pratique un art magique. Avec ses mots, il peut souffler sur les braises, réanimer à volonté la flamme. Ce n’est pas sans danger d’user de ce pouvoir et l’hypersensibilité permanente lui interdit de s’abrutir dans un confort étanche. Convocation lucide de sensations dont le corps ne parvient pas à se défaire au point parfois de ne pouvoir dormir. La révolte est intacte, la conscience vive et les injustices demeurent insupportables.

     

    « Au cœur de l’Europe chrétienne on aime son prochain. (…) Ha qu’est ce qu’on l’aime son prochain quand il est courageux et qu’il reste noyé dans la mer. »

     

    Insupportable comme la tiédeur, la médiocrité, l’hypocrisie, le mensonge, le vide de sens contemporain.

     

    « Les animateurs des émissions d’actualité et de divertissement des chaines de télévision ont des trous dans leurs mots. A travers passent d’immenses tristesses de rien. Alors les téléspectateurs tombent dedans.

    Ceux qui n’ont pas de parachute s’écrasent méchamment le dedans de la tête. »

     

    Même la musique est creuse. « Les notes juteuses - qui touchent le corps – se sont tirées des clips maniérés. Parties continuer la fête ailleurs.

     

    (…) Nous appelons alors musiques les dérangements sonores qui habillent les cliquetis des caisses enregistreuses des supermarchés. »

     

    « Au quotidien on se fait à toutes les crapuleries (!?!) » Ce n’est pas un constat résigné, mais un « !?! », car non poète, tant que ton corps est vivant, il vibre ! Il n’est pas dupe mais il sait encore ressentir.

     

    « Prends le matin nu en embrassade. Tu l’effleures et tu lui souffles des siroccos. Ta bouche pleine du sucre des figues fraîches de l’aube.

     

    Fais l’amour, alors fais l’amour comme se maquillent les rêves. Dans tes yeux explosent des couleurs, des rouges mélangées de jaunes et d’ailleurs. »

     

    Mais il faut savoir qu’après chaque shoot de sensations intenses, il y a la redescente. Amertume et dégoût guettent l’insurgé, les focus sur le monde attisent la rage et la nuit, seul espace de rêve, exige l’insomnie.

     

    « Une communication interlope avec les fantômes de tes désirs. (…) Le sommeil t’attend. Tu n’en veux pas. Pourtant les draps frais sentent si près la mélancolie de l’enfant. Cet état qui t’apeure.

    Comme un licol sur l’encolure d’un mustang. »

     

    Le poète est en cavale, ce n’est pas la mort qu’il fuit, ni même la vieillesse, mais bien ce licol à l’encolure. Semant au vent ses brassées de mots indomptables, cet « autochtone des plaines d’exodes » ne se rendra jamais, parce qu’ayant su saisir l’essentiel de sa vie et de ses folies, il le convoque autant qu’il lui plait pour des fêtes intimes subtiles qui passent au travers des mailles de n’importe quel filet.  De toutes les pertes, il sort vainqueur. Il a gagné la plus belle des libertés, sa liberté intérieure.

     

    « J’abandonne le champ des batailles en friches. J’abandonne la routine des ultimes charges.

     

    J’en reviens à l’absolu.

     

    L’absolu silence. D’où se recompose le mystère. La parole et le chant.

     

    L’absolue virginité. D’où nait l’amour. La complexité absolue du vivant.

     

    L’absolu lointain. D’où se mesure l’avenir. Son effacement conjuré de promesses.

     

    (…) Toute disparition fera un renouvellement.

     

     

    Pas de nostalgie donc, ou pas seulement. Trop de saveur encore dans la bouche, pour cultiver les regrets.

     

    (…) Dans l’espace existentiel de millions d’années lumières, je ne saurais pas l’omniscience. Ça n’a pas d’importance.

     

    Ma vie idiote est une merveille. »

     

     

    Et quand c’est l’âme qui jouit, il n’y a plus aucune limite.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    tison nb_031433651bfd190a9d553ddfeb391298.jpgMarc Tison est né en 1956 entre les usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières. Engagé tôt dans le monde du travail. Il a pratiqué dans un premier temps de multiples jobs : de chauffeur poids-lourd à rédacteur de pages culturelles, en passant par la régie d’exposition (notamment H. Cartier Bresson) et la position du chanteur de rock. Puis il s’est spécialisé dans la gestion et l’accompagnement de projets culturels et d’artistes. S’est mis à l’écriture de poésie très tôt comme la juste expression des sensations vivaces. Habite maintenant dans le Tarn où il continue, heureusement troublé, l’exploration des univers à réinventer.

      

    Raymond Majchrzak est né en 1955 à Escaudain (59), pays minier et industriel, à quelques kilomètres de Denain. Il a fait les beaux arts à Valenciennes. Il peint et travaille des images numériques. Il déroule aussi de longues improvisations musicales plus ou moins électroniques pour lui même à longueur de temps. 

     

    Pour commander le recueil auprès de l'association le Citron Gare, p.maltaverne@orange.fr

     

     

  • Soliflore 58 - Pierre Aurélien Delabre

     

    Ernest Pignon-Ernest  Pasolini portant sa propre dépouille  prise à quelques pas de Campo dei Fiori, Roma par Pierre Aurélien delabre..jpg

     

    catania

     

    j’arrive à catania

    mais mon cœur est souillé

    hésitant

    à l’heure de vivre simplement

     

    et tout dans ma vie

    à ce goût de l’indifférence sordide

     

    mais j’arrive a catania

    qui m’invite à jeter

    un verre d’eau fraiche sur mes regrets

     

    pas envie de rire

    pas envie de jouir

    je tiens trop à mes regrets

     

    et je tisse un monde

    où même les ombres doutent de leurs effets

     

     

    photo prise par l'auteur :

    Ernest Pignon-Ernest Pasolini portant sa propre dépouille prise à quelques pas de Campo dei Fiori, Roma

     

     

     

     

     

  • Revue Nouveaux délits n°60 lu par Patrice Maltaverne

     
     
     

     

    Le numéro 60 de la revue "Nouveaux délits" (14,7 cms X 20,4 cms), animée par Cathy Garcia (et auteur de l'édito et de la 4e de couverture, une belle réflexion à partir de la macro en photo), comprend des textes poétiques de Valère Kaletka, Pierre Rosin, Daniel Birnbaum, Jospeh Pommier, Florent Chamard, Vincent Duhamel, Antonella Eye Porcelluzzi.
     
    Les livres chroniqués par Cathy Garcia sont "Double fond" d'Elsa Orroyo, et "Des abribus pour l'exode", de Marc Tison (ce dernier recueil de poèmes publié par les éditions du Citron Gare).
     
    Avec également les citations de bas de pages empruntées à d'autres livres, caractéristiques de la revue "Nouveaux délits", comme, par exemple, "La terre seule me rassure, quelle que soit la part de boue qu'elle contient" (de Françoise Sagan).
     
    Les illustrations de ce numéro 60 sont de Jean-Louis Millet.
     
    Extrait de ce numéro 60, "Pluion", de Valère Kaletka :
     
    "Cet homme me parle en langage ourlé
    Génuflexions Rodomontades
    Et - j'en suis sûr
    Violences contenues
    Il parle pour vendre
    J'écoute pour acheter
    Ou est-ce l'inverse
    (tiens, dehors, une averse)
    Je suis un miroir qui ne s'aime pas
    (antithétique ?)
    Qu'est-ce que je fous là ?
    (tiens, dedans, une aversion)"
     
     
     
  • Le numéro 60 lu par Florent Toniello

     

    Revue de revue : Nouveaux Délits

    Je l’avoue : déjà abonné à pas mal de revues et avec un budget poésie pas illimité — en tout cas pas aussi vaste que mon goût éclectique, parfois trop, je sais, pour le genre —, j’ai tendance à me reposer sur le grand nombre de revues que je reçois, sans trop regarder les autres maintenant. Eh oui, la poésie est aussi la vie, et il y en a une en dehors de la poésie. Je sais, je radote… Mais le sous-titre « revue de poésie vive » et un appel à soutien de Cathy Garcia, la taulière, qui a vu son vieil ordinateur cesser ses services aux vers et aux strophes inopinément, m’ont convaincu de tenter l’aventure. Peut-être aussi le fait qu’un numéro précédent a été consacré à la remuante poésie guatémaltèque traduite par Laurent Bouisset, allez savoir. Enfin bon : grand bien m’en a pris.

    Le numéro 60 de Nouveaux Délits rassemble des textes de sept poètes, agrémentés par Cathy Garcia d’un court édito relatant la genèse (pas simple) de cet opus et d’une quatrième de couverture en forme d’extrait d’un essai sur la simplicité joyeuse et volontaire. Quand le politique s’en mêle, et bien tourné en plus... S’y ajoutent deux « résonances », notes de lecture aussi bien que jeux de miroir à l’écriture ciselée sur deux livres récents, également par la maîtresse des lieux, décidément productive et tellement amoureuse de la poésie que cet enthousiasme est particulièrement contagieux. Ah oui : de petites notes de bas de page, extraits de poèmes ou de romans, font aussi écho, comme des résonances, aux textes originaux publiés ; ces « délits d’(in)citation » confirment, s’il fallait encore la démontrer, la haute connaissance littéraire de Cathy Garcia, qui peaufine une revue franchement réussie tant sur la forme que sur le fond.

    Car sur le fond, la cohérence de l’ensemble des sept poètes choisis est admirable, et l’exigence dans l’écriture est un dénominateur commun. Connu des amateurs de revues, Valère Kaletka ouvre le bal avec des textes à la nostalgie qui tourne à l’étrange et au fantastique parfois, avec des titres énigmatiques et décalés : « Ahan / Fils de Crâo / Sur la route du Run / Poumons-de-feu / Ahan / Guerre au gramme intégral / À l’anévrisme hautain en rupture / De son ban », peut-on lire dans « Ahan », savant détournement d’un personnage bien connu en « poésie de Cro-Magnon » (là, c’est moi qui invente, ce n’est pas une citation), pourrait-on dire. Pierre Rosin, lui, ose la poésie de science-fiction (on en publie trop peu, je trouve), même si ce n’est qu’un poème parmi les autres où peut-être sonne comme dénominateur commun « le malheur d’être un homme et de n’être rien » : « construisons un vaisseau / une flottille / une arche / semons les germes d’une nouvelle espérance ». Espérance que versifie Daniel Birnbaum, dans une série narrative qui décrit un voyage à Madagascar ; Daniel, comme souvent, y montre une empathie (« elle a les pieds infectés / suintants / sanguinolents / il faudrait les mettre à l’abri de la poussière / de la boue des ordures des mouches ») qui rend ses vers simples immédiatement assimilables sans cheminement intellectuel tarabiscoté : une poésie qui va droit au cœur. Joseph Pommier, lui, ne parle pas d’autre chose que d’espérance non plus quand, après avoir décrit en vers plus longs et plus fourmillants de cassures de rythme une vie au travail marquée par la servitude volontaire, il glisse qu’« Au prix d’un sommeil lourd on s’arrache / À ces pensées rageuses qui stationneront dans l’oubli ». Florent Chamard flirte (un peu, par rapport à ses prédécesseurs plus narratifs et moins métaphoriques) avec le surréalisme pour « réapprendre le silence des horizons sans but » et retrouver « la tentation du sel et des vagues » ; dans sa présentation, il avoue qu’il aime haïr… tout un programme ! Poésie rock’n’roll pour Vincent Duhamel, mon chouchou de ce numéro, avec un poème magistral et habité intitulé « La boîte » : « J’aurais voulu mourir à neuf ans lors d’un mercredi pluvieux ennuagé de flocons et de victoires avec sur le bord des lèvres l’amour d’une pêche ensoleillée de la veille et, dans le cœur, un oisillon s’étouffant d’un requiem enchanté. » Puis vient une étrange boîte offerte par la mystérieuse Matriochka, concentré de peurs et de fantasmes ; un texte puissant sur les attirances de l’enfance, qu’elle soit enchantée ou brisée. Enfin, dernière autrice et seule femme, Antonella Eye Porcelluzzi conclut par une poésie plus déstructurée où le langage se fait plutôt phonèmes que longs vers. C’est un de ses poèmes, court alors qu’elle peut aussi nous embarquer dans de longues variations hypnotiques sur un sujet donné, qui sera reproduit complet ci-dessous.

    En un mot comme en cent : Nouveaux Délits, c’est une belle revue, bien conçue, bien réalisée, et ce numéro 60 en est la preuve.

    Pour en savoir plus et surtout ! vous abonner, visitez le site internet de la revue Nouveaux Délits.


    Love deux song n. 25 (Antonella Eye Porcelluzzi)

    Pour ceux qui conduisent deux avions
    qui dirigent deux industries
    qui chevauchent deux chevaux
    et tirent avec deux arcs
    pour ne pas se retrouver avec
    deux anus à soigner
    en cas d’hémorroïdes.
    je suis un monstre qui a tout osé

     

    Source :

    http://accrocstich.es/post/2018/04/10/Revue-de-revue-%3A-Nouveaux-D%C3%A9lits

     

     

  • Nouveaux Délits n°60

     

     

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    Avril 2018

     

    Eh bien, voilà un numéro qui n’a pas été simple à réaliser, il a fallu que je m’adapte aux circonstances assez pénibles et aux données qui m’étaient accessibles. Aussi Je profite de cet édito pour remercier infiniment celles et ceux d’entre vous qui ont pu répondre présent(e)s à mon appel à soutien pour le rachat d’un nouvel ordinateur, indispensable, le mien ayant pris définitivement congé après une dizaine d’années de pas trop mauvais services. Merci donc, d’ici quelque temps, une nouvelle machine devrait permettre de poursuivre l’aventure dans de bonnes, voire de meilleures conditions et aussi de stocker à l’abri, entre autres, 15 années de Nouveaux Délits !

     

     Ce n’est pas quelque chose sur quoi j’aime m’étaler mais il faut savoir peut-être que si cette revue existe, c’est par une sorte de passion entêtée de ma part, car elle est réalisée (volontairement) sans subvention et bénévolement, dans un contexte de précarité permanente, qui a d’ailleurs tendance à s’accroître d’année en année et ce numéro 60 a eu un accouchement particulièrement difficile. Cependant, je crois bien qu’au final, c’est un beau bébé ! Un peu étrange, douloureux même, mais riche de toute sa complexité humaine et de cette énergie qui passe dans les mots, qui les traverse et parfois nous transperce, cet appel d’air, ce désir indéfinissable de saisir, en nous et hors de nous par les filets de la parole, ce qui le plus souvent demeure insaisissable.

     

    CG

     

     

    Je pense donc j’écris. J’écris ce que je ne sais pas dire. Le gouffre entre le semblant et le réel. Réel morcelé, multiplié par un coefficient inconnu, un prisme, un miroir à mille facettes. Toute parole est attaquable, transformable, critiquable. Toute parole pourrait être vaine et pourtant nous avons besoin de ce moyen imparfait de communication, nous sommes des êtres communiquant, nous sommes même des vases communicants. La réalité est absurde. Parler de réalité est absurde. Alors, se raccrocher à quoi ?

    À une fleur, à la graine qui va peut-être germer, au nuage qui passe. À un rayon de lune ou de soleil. C’est ça la poésie et pas autre chose, c’est trouver une réalité à laquelle s’accrocher. La nature, la douleur, l’amour, la haine. La possibilité d’échapper à sa propre carcasse.

     

    Cathy Garcia in Journal 2001

     

     

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    AU SOMMAIRE

     

     

    Délit de poésie :

     

    ፠  Valère Kaletka

    ፠  Pierre Rosin

    ፠  Daniel Birnbaum

    ፠  Joseph Pommier

    ፠  Florent Chamard

    ፠  Vincent Duhamel

    ፠  Antonella Eye Porcelluzzi

     

    Résonance :

     

    Des abribus pour l’exode, Marc Tison, Le Citron Gare éd.

    Double fond, Elsa Orroyo (Argentine), Métailié éd.

     

     

    Délits d’(in)citations percent la brume des coins de page.

    Vous verrez le bulletin de complicité au fond en sortant qui vous fait de gros appels de phares, tout en résistant une fois de plus à la hausse des tarifs postaux (et du reste).

     

     

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    Illustrateur : Jean-Louis Millet

    jlmillet@free.fr

     

    Grand spécialiste en rien mais curieux de tout : dessin, peinture, sculpture, photo, écriture, édition virtuelle, chasse aux connivences & alternatives… ensemble de  ‘’propos’’  mis en actes dans l'animation de blogs et de sites dont "Zen-évasion", site cave-grenier aux malles ego-mystérieuses ; http://www.zen-evasion.com/. Il a déjà maintes fois illustré la revue ainsi que d’autres publications Nouveaux Délits.

     

     

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    Soir de printemps -
    de bougie en bougie
    la flamme se transmet
    Yosa Buso

     

     

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    Nouveaux Délits  -  avril 2018  -  ISSN : 1761-6530  -  Dépôt légal : à parution  -  Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Illustrateur : Jean-Louis Millet Correcteur : Élisée Bec

     

     

     

     

  • La simplicité joyeuse et volontaire

     

    La simplicité joyeuse et volontaire, comme je la vis et l’ai vécue avant même de l’avoir nommée, c’est de savoir apprécier ce qu’on a, quels que soient nos moyens, et ceci sur tous les plans. Pas dans l’idée d’une discipline qu’on s’impose, d’une vertu à cultiver, non, pas d’efforts qui finiront par nous dégoûter, nous révolter et nous faire retomber plus bas qu’au départ, c’est vraiment autre chose. C’est une sorte d’initiation à l’essence du plaisir. C’est d’abord apprendre à regarder les choses à la loupe et à amplifier nos sensations. Lorsqu’on passe près d’une plante à toutes petites fleurs, souvent elle est tellement insignifiante qu’on ne la remarque pas ou à peine, mais si on prend le temps de se pencher et de la regarder de près, alors se révèlent des trésors de nuances, de finesse, de beauté. C’est pourquoi j’aime faire de la macro en photo. En macro une punaise devient un joyau, mais la macro, c’est aussi une façon de voir que l’on peut appliquer à tous les domaines de notre vie. Pas seulement pour aller remuer ce qui ne va pas, ce qui manque, ce qui fait mal, ça en général on sait tous le faire et il faut parfois le faire, mais il faudrait aussi le faire pour aller arroser les minuscules graines de joie inconditionnelle qui n’attendent que notre attention pour s’épanouir. Alors, ça ne veut pas dire se forcer à être d’un optimiste béat ou se voiler la face, bien au contraire, plus on sait apprécier le minuscule, plus on voit aussi la moindre petite ombre triste de ne pas être prise en compte elle aussi, car la vie est faite d’ombres et de lumière et nous avons à apprendre des deux. Les deux sont nécessaires pour prendre conscience, terme emprunté au latin classique « conscientia », la « connaissance en commun », donc quelque chose qui va au-delà de l’individu, quelque chose que nous partageons et que nous devons chacun alimenter autant que possible, afin que l’humanité dans son ensemble puisse évoluer. Ainsi la simplicité joyeuse et volontaire pourrait s’apparenter à une sorte de travail d’alchimiste : en plongeant dans l’infiniment petit, on dégage les éléments les plus élémentaires du réel et il nous est alors possible de transformer le plomb en or. (…)

    La simplicité ce n'est pas seulement faire des choses mais c'est aussi et surtout ÊTRE. Faire autant que possible des choix qui nous permettent d’être plutôt que de paraître et/ou d'avoir (deux redoutables diktats), donc que ce soit sur le plan pratique et matériel ou moral, toujours se poser la question de l'utilité, du sens de ce qu'on l'on fait, de ce que l'on achète, de ce que l'on possède, de ce que l'on pense, de ce que l'on dit. L'utilité d'une façon très vaste et le sens et l'impact des choix que nous faisons, comment nous utilisons notre temps et quelle place nous laissons dans notre vie pour l'essentiel. Ce qui veut dire déterminer déjà qu'est-ce qui est réellement essentiel pour nous et là nous trouverons ce qui est essentiel communément à la plupart des êtres humains et puis ce qui nous est essentiel à nous tout personnellement et particulièrement, et pour déterminer cela il faut se connaître, au-delà de ce que nous avons appris, au-delà de ce que nous pensons devoir être ou faire, au-delà de ce que nous pensons devoir prouver et au-delà des attentes que nous pensons être les nôtres ou celles des autres qui nous entourent et de la société elle-même.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

    Vous pouvez lire l’intégralité du texte ici http://conscienceauquotidienaccompagnementpersonnalisepourconsommeraut.hautetfort.com/

     

     

     

  • "Morterranée", exposition d'Anabel Serna Montoya

    Dans le cadre de la 2ème Nuit de la Poésie à Crest, le vendredi 2 février 2018, l'artiste mexicaine Anabel Serna Montoya qui avait illustré le numéro 59, spécial Guatemala, a présenté pour la première fois son installation "Morterranée" sur la thématique des réfugiés et migrants morts en Méditerranée. (Cyanotypes, aquarelles et encres de chines ont côtoyé un poème de Raúl Zurita cousu, ainsi qu'une installation au sol.)

     

     

     

     

     

     

     

  • Soliflore 57 - Ivan Pozzoni

     

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    La ballata del Fantozzi -  Paolo Villaggio

     

     

    BALLATA DEGLI INESISTENTI

     

    Potrei tentare di narrarvi

    al suono della mia tastiera

    come Baasima morì di lebbra

    senza mai raggiunger la frontiera,

    o come l’armeno Méroujan

    sotto uno sventolio di mezzelune

    sentì svanire l’aria dai suoi occhi

    buttati via in una fossa comune;

    Charlee, che travasata a Brisbane

    in cerca di un mondo migliore,

    concluse il viaggio

    dentro le fauci di un alligatore,

    o Aurélio, chiamato Bruna

    che dopo otto mesi d’ospedale

    morì di aidiesse contratto

    a battere su una tangenziale.

     

    Nessuno si ricorderà di Yehoudith,

    delle sue labbra rosse carminio,

    finite a bere veleni tossici

    in un campo di sterminio,

    o di Eerikki, dalla barba rossa, che,

    sconfitto dalla smania di navigare,

    dorme, raschiato dalle orche,

    sui fondi d’un qualche mare;

    la testa di Sandrine, duchessa

    di Borgogna, udì rumor di festa

    cadendo dalla lama d’una ghigliottina

    in una cesta,

    e Daisuke, moderno samurai,

    del motore d’un aereo contava i giri

    trasumanando un gesto da kamikaze

    in harakiri.

     

    Potrei starvi a raccontare

    nell’afa d’una notte d’estate

    come Iris ed Anthia, bimbe spartane

    dacché deformi furono abbandonate,

    o come Deendayal schiattò di stenti

    imputabile dell’unico reato

    di vivere una vita da intoccabile

    senza mai essersi ribellato;

    Ituha, ragazza indiana,

    che, minacciata da un coltello,

    finì a danzare con Manitou

    nelle anticamere di un bordello,

    e Luther, nato nel Lancashire,

    che, liberato dal mestiere d’accattone,

     fu messo a morire da sua maestà britannica

    nelle miniere di carbone.

     

    Chi si ricorderà di Itzayana,

    e della sua famiglia massacrata

    in un villaggio ai margini del Messico

    dall’esercito di Carranza in ritirata,

    e chi di Idris, africano ribelle,

    tramortito dallo shock e dalle ustioni

    mentre, indomito al dominio coloniale,

    cercava di rubare un camion di munizioni;

    Shahdi, volò alta nel cielo

    sulle aste della verde rivoluzione,

    atterrando a Teheran, le ali dilaniate

    da un colpo di cannone,

    e Tikhomir, muratore ceceno,

    che rovinò tra i volti indifferenti

    a terra dal tetto del Mausoleo

    di Lenin, senza commenti.

     

    Questi miei oggetti di racconto 

    fratti a frammenti di inesistenza

    trasmettano suoni distanti

    di resistenza.

     

    [Scarti di magazzino, 2013]

     

     *

     

    BALLADE DES INEXISTANTS

     

    Je pourrais tenter de vous conter

    au son de mon clavier

    comment Baasima mourut de la lèpre

    sans jamais atteindre la frontière,

    ou comment l’arménien Méroujan

    sous un flottement de demi-lunes

    sentit s’évanouir l’air de ses yeux

    jetés dans une fosse commune;

    Charlee, qui transvasée à Brisbane

    en quête d’un monde meilleur,

    conclut le voyage

    dans la gueule d’un alligator,

    ou Aurélio, nommée Bruna

    qui après huit mois d’hôpital

    mourut de sidaïe contractée

    après s’être battu sur un périphérique.

     

    Personne ne se rappellera Yehoudith,

    ses lèvres rouges carmin,

    effacées à boire des poisons toxiques

    dans un camp d’extermination,

    ou Eerikki, à la barbe rouge, 

    vaincu par l’agitation des flots,

    qui dort, récuré par les orques,

    sur les fonds de quelque mer;

    la tête de Sandrine, duchesse

    de Bourgogne entendit la rumeur de la fête

    en tombant de la lame d’une guillotine

    dans un panier

    et Daisuke, samurai moderne,

    comptait les tours du moteur d’un avion 

    transcendant un geste de kamikaze en harakiri.

     

    Je pourrais rester à raconter

    dans la chaleur étouffante d’une nuit d’été

    comment Iris et Anthia, enfants spartiates

    difformes furent abandonnées,

    ou comment Deendayal creva de privations

    imputables au crime unique

    de vivre une vie de paria

    sans jamais s’être rebellé;

    Ituha, fille indienne,

    menacée d’un couteau,

    qui finit par danser avec un Manitou

    dans l’antichambre d’un bordel

    et Luther, né dans le Lancashire

    libéré du métier de mendiant,

    et forcé de mourir par sa majesté britannique

    dans les mines de charbon.

     

    Qui se souviendra d’Itzayana,

    et de sa famille massacrée

    dans un village aux marges du Mexique

    par l’armée de Carranza en retraite,

    et quoi d’Idris, africain rebelle,

    assommé de chocs et de brûlures

    alors qu’indompté par la domination coloniale,

    il tâchait de voler un camion de munitions;

    Shahdi vola haut dans le ciel

    au-dessus des hampes de la révolution verte,

    atterrissant à Téhéran, les ailes déchiquetées

    par un coup de canon,

    et Tikhomir, maçon tchétchène,

    s’abîma devant les visages indifférents

    sur la terre du toit du Mausolée

    de Lénine, sans commentaires.

     

    Des objets de récit

    fractures aux fragments d’inexistence

    qui transmettent des sons lointains

    de résistance.

     

       [Déchets de magasin, 2013]

     

    traduction de Pierre Lamarque

     

     

    https://independent.academia.edu/IvanPozzoni

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Numéro 59, revue du mois pour Décharge

     

    Février, c’est

    Nouveaux Délits n° 59

    publié le 31 janvier 2018 , par Jacmo dans Accueil> Revue du mois

     
     

    Cathy Garcia la « coupable responsable » de la revue poursuit son chemin de livraisons expédiées sans anicroche. Elle conclut pour l’année nouvelle son édito ainsi : ….que la paix ferme le bec des imbéciles qui ne laissent pas passer la lumière.
    Cinq auteurs sont conviés dans ce numéro à qui sont attribuées entre 7 et 12 pages, ce qui constitue un bel aperçu pour chacun.

    Illustrateur du numéro : Arnaud Martin.

    Pénélope Corps. Les gens naissent avec des trous dans le ventre… Un langage oralisé qui ne s’embarrasse des conventions ni des conformités ordinaires. S’il y a figures de style, ce n’est pas par jeu mais par nécessité, entre anaphores et répétitions. D’une façon générale, les poètes choisis ici par Cathy Garcia ne sont pas économes de mots et usent de vers proches de la phrase et de strophes voisines de la période. Les titres des textes résumeraient à eux seuls l’angle assez brut de sa poésie : L’humanité est un trou, Super 8, J’écris pas, On n’est pas meilleurs, Dimanche en décembre.

    Le passé de Benoit Arcadias, ancien interné des hôpitaux, résonne dans ses textes. Lesquels racontent chaque fois des rencontres dans le métro ou le train. Des choses qui lui sont arrivées, mettant en scène au final hostilité ou déception.
    Jean-Louis Millet propose 7 fragments d’un « psychorama holographique ». Il s’agit de listes assez longues de ce qu’on pourrait appeler des données à la fois abstraites et précises. Exemples pris presque au hasard : La valise éventrée des restes du quotidien d’une vie ou La croûte d’une banquise dans la fermentation d’un rêve ou encore, avec, pour le coup, une image L’ombre d’un pommier vivante au moindre souffle d’air Cette accumulation de traits, ayant pour point commun l’article défini, tend à rendre réel un univers hétéroclite et poétique. Ajoutons que ces listes sont seulement interrompues parfois par un Question/ réponse ou la réponse vient avant la question. Réponse : dans l’ombre de la lumière / Question : Où est la seule réalité ?

    Marc Guimo est l’auteur du tout récent Polder (Co-collection Décharge/Gros textes) : Un début de réalité. Il donne ici des extraits d’un ensemble dans la prolongation intitulé : « Réalité dispersée ». On reste dans la même logique. Le problème du mur, c’est qu’il ne croit pas naturellement à la fenêtre. On est toujours à la limité de l’absurde et du fantastique. On est allé trop loin / En ne bougeant pas L’auteur n’est pas fixé sur la forme, passant facilement de l’aphorisme au long poème, avec ce vers final : Voulez-vous qu’on rajoute une musique d’ascenseur qui descend ?
    Enfin Pablo Gelgon qui, en tant que charpentier, sait parler des « Mains qui voyagent » : Elles n’en finissent plus de saigner sur le beau bardage d’épicéa / On voudrait bien avoir des mains comme un pied de biche et soulever / Agripper sans avoir peur de rien suinter / On voudrait bien l’oublier l’écorchure / La bonne vieille croûtasse / La main finit par ajuster la manière…
    Deux résonances critiques à propos de recueils de Walter Rhuhlmann et Murièle Modély et le tour est joué.

    Illustrations d’Arnaud Martin : sensible à l’expressionnisme et au romantisme sombre du XIX° siècle et à la mélancolie sous toutes ses formes…

     

    Rappel  : On se procure le polder de Marc Guimo : Un début de réalité contre 6 €, à nos éditions (4 rue de la Boucherie - 89240 - Egleny). Paypal possible : ici.

     

    MERCI à Jacques Morin !

    Lien : http://www.dechargelarevue.com/Nouveaux-Delits-no-59.html

     

     

  • Tu écris des poèmes de Murièle Modély

     

     

    éditions du Cygne, novembre 2017

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    95 pages, 12 €.

     

     

    « Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien-sûr à l’île de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine| dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens| à bride abattue| jusqu’à respirer sur la table| l’odeur de langue coupée. »

     

    Le poème sourd de l’intérieur, il vient dire quand dire est trop difficile, voire impossible. « Tu écris des poèmes| lorsque tu sens le réel se dérober| dès l’instant où personne ne te comprend| et vice et versa où tu ne comprends personne ». Alors le poème jaillit du cratère, du gouffre : « comme le poème, tu as un trou au milieu de la phrase ». Chez Murièle Modély, les poèmes suintent de ce trou, forment le corps du poète. « Tes poèmes sont n’importe quelle partie de ton corps| n’importe laquelle (…) sauf la tête. » 

     

    Le poème est l’hameçon — l’âme-son — au bout du fil, lancé à la mer des réseaux sociaux — à l’amer ? —  où « le vers même minuscule » doit « s’ébrouer contre un dièse ». Et la poète du XXIe siècle pêche des émoticônes, elle n’écrit plus, elle tapote, elle a mal au clavier, mais reste « la danse des canines| leurs morsures affairées dans la pulpe des doigts » pour conjurer le banal qui tue.

     

    Le banal et ses petites phrases assassines quand l’amour est un point d’interrogation.  « Il dit – passe moi le sel |  et la mer chavire le poème ». Pour ne pas sombrer, la poète n’en finit plus de rafistoler son radeau, elle fait corps avec lui. Le poème est son mat, sa colonne vertébrale, il est une « torsion vibrante au niveau du pubis » et dans le naufrage quotidien, il sublime son cri, tandis que « dans la vie de tous les jours », elle avale un cachet ou achète «  des choses inutiles| en bonne jouisseuse compulsive d’objets. » Pour combler le gouffre, taire les angoisses, alors que le poème lui il sait. Il sait parce qu’il est le corps des angoisses, le corps qui dit, le corps qui suinte.

     

    La poésie de Murièle Modély surgit d’un tréfonds moite et obscur, d’une préhistoire qui ne trouve pas sa place dans un monde aux lignes bien droites qui avance et « déroule sous ses semelles| les choses concrètes et laides ». Alors Murièle Modély écrit « avec la langue, à quatre pattes dans la rue », elle « lèche l’herbe, les cailloux, les traces de pas ».

     

    Elle écrit des poèmes, des « poèmes rouges, menstrués et vibrants » et dit l’essentiel en trois lignes :

     

    « tu as la sensation

    quand tu écris

    d’être. »

     

     

    Et le lecteur à la lire, se sent lui aussi plus vivant, la poésie de Murièle Modély pulse et bat comme le cœur d’un volcan sous la terre.

     

    Cathy Garcia

     

     

    201410161645-full.jpgMurièle Modély est née en 1971 à Saint-Denis, île de la Réunion. Installée à Toulouse depuis une vingtaine d'années, elle écrit depuis toujours, essentiellement de la poésie qu’elle publie régulièrement sur son blog : https://l-oeil-bande.blogspot.fr/. Elle présente un penchant fort pour les regards de côté, elle cherche encore et toujours la mer, elle guette sous la lettre le noir / le blanc... Elle a participé par ailleurs à des revues poétiques ou sites : Nouveaux Délits, Microbe, Traction Brabant, L'Autobus, FPDV, etc. Tu écris des poèmes est son troisième recueil publié aux éditions du Cygne, elle a publié également Rester debout au milieu du trottoir aux éditions Contre-Ciel et Sur la table chez Qazaq.fr, ainsi qu’un délit buissonnier de Nouveaux délits, Feu de tout bois, en 2016.

     

     

  • Civilisé de Walter Ruhlmann

     

    Urtica, juillet 2017

     

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    42 pages, 7 € (port inclus).

     

     

     

    La tendreté est un mot de boucher

     

    Civilisé est à prendre à rebrousse-poil, car ce terme prend ici une connotation péjorative. Walter Ruhlmann nous livre un recueil sans concession, sombre, parfois brutal et désespéré.

     

    J’écrase les mégots dans des tasses de thé,

    je sens le gaz souffler à mes narines,

    un air marin de pacotille.

     

    Éros et Thanatos se livrent à une danse plutôt macabre et c’est Thanatos qui mène. Civilisé fait partie de ces recueils qu’il est bon pour un auteur de cracher, le genre de crachat qu’on balancerait à son reflet dans la glace, un reflet que l’on a du mal à supporter. Éros ici est dénudé de ses rêves et parures, le reflet dans la glace est sans pitié, reste alors le sexe et la mort, et quand même le sexe a un goût trop amer, reste la mort qui nous dévisage. Civilisé, c’est déjà mourir à son être le plus profond, c’est peut-être le trahir. Walter Ruhlmann se dévisage lui-même ici, se débite même, corps tout entier, sucs et tripes. Un regard impitoyable qui englobe ses semblables et dissemblables.

     

    Elle navigue en radeau sur des rivières d’éthers,

    des lacs de méthadone brûlée,

    des ruisseaux de lisiers.

     

    Le glauque, l’infâme hantent ces pages, et la mort du père est une blessure qui demeure à vif.

     

    Père

    j’écris depuis le sac

    enfermé comme un chat

    prêt à être noyé

     

    Le corps se délite et la peur, la douleur, deviennent rage.

     

    J’aurais besoin de profondeurs,

    De ces abysses incommensurables :

    Les trous béants, les failles sans fond,

    Les caves ouvertes comme des bouches prêtes à sucer.

     

    (…)

    Superficie douteuse, superficiel je suis,

    les profondeurs me recrachent, elles me vomissent

     

    Walter Ruhlmann comme le figure l’illustration de Norman J. Olson en couverture, se livre nu, plus encore, il nous déroule ses entrailles, matière et odeur et comme le hurle le titre du dernier poème « Tu pue sapiens ». Il y a pourtant comme une quête sous-jacente dans ce recueil, une quête de pureté sans avoir besoin de se trahir, pureté que l’auteur va chercher dans un passé mythique personnel où les princes auraient des ailes, mais toute histoire a une chute, tout nous ramène au sol et le sol à la pourriture. Difficile de trouver une rédemption à la condition humaine, le civilisé n’a jamais eu cette innocence originelle où les anges ne salissent pas leurs ailes et où la chair ne serait pas corruptible. Civilisé cherche à tâtons dans le noir, la moiteur, la profusion des corps, sa nature perdue et ce jusqu’à l’excès et la turpitude.

     

    J’ai passé tant de nuits à baiser,

    sucer des queues tendues,

    caresser des peaux ternes, des poils gris

     

    (…)

    Un hôtel sans limite

    le ciel seul comme frontière

     

    (…)

    Et j’attendais mon tour

    le cul dressé à plaire

     

    La nature qui elle-même dans ce recueil nous renvoie souvent une image sombre et abjecte.

     

    Chacals, vautours, freux, scolopendres

    tous viendront goûter à ma viande

     

    Civilisé veut dire mentir et c’est de ce mensonge obligé que suppure la haine de soi. Ici les mots deviennent des armes de vérité, pour dire ce qui ne se dit pas, pour dire ce que le civilisé est censé taire.

     

    Inspirer la fumée par tous tes orifices,

    le cul branché en permanence sur les fourmilières chatoyantes

    chatouillé des cuisses à la nuque

    anus gonflé par les piqûres d’insectes,

    ou par la bite de tes contemporains :

    vas te faire enculer.

     

    Il y a de la noirceur, de la lucidité et aussi beaucoup de tristesse dans ce recueil.

     

    Tu ne détestes rien, tu aimes ce qui vient,

    tu n’es qu’un trou de plus

    avalant les ruisseaux gras,

    goûtant leurs flots infâmes

     

    Mais on ne peut s’empêcher de voir au-delà de cette obscurité, car la force qui habite ce recueil est de celle qui sait crever les ténèbres.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    Walter.jpgWalter Ruhlmann enseigne l’anglais. Il a dirigé mgversion2>datura de 1996 à 2017 et les éditions mgv2>publishing de 2008 à 2017. Walter est l’auteur de recueils de poèmes en français et en anglais et a publié des poèmes et des nouvelles dans diverses revues dans le monde entier. Son blog : http://thenightorchid.blogspot.fr. Certains des textes de Civilisé sont parus dans Axolotl, Le capital des mots, Journal de mes paysages, Mes paysages écrits, Libellé, Le livre à disparaître, Microbe, Mots à maux, Nouveaux délits, Traction-Brabant & mgversion2>datura.

     

     

     

  • Revue Nouveaux Délits n°59 lu par Patrice Maltaverne

    article en ligne sur son blog : http://cestvousparcequecestbien.blogspot.fr/

     

     


    Le numéro 59 de la revue Nouveaux Délits (14,5 cms X 20,5 cms), animée par Cathy Garcia, comprend des poèmes de Pénélope Corps, Benoit Arcadias, Jean-Louis Millet, Marc Guimo et Pablo Gelgon.

    L'édito et les chroniques (des livres de Walter Ruhlmann et Murièle Modely) sont de Cathy Garcia.

    Les illustrations (dont celle de couverture) sont d'Arnaud Martin.

    Extrait de ce n°59 de "Nouveaux Délits", un poème emblématique (au-delà de la revue même, je trouve), de Pénélope Corps :

    "quand on en aura marre
    de suivre le sens de la file
    et de procéder comme indiqué sur les panneaux prévus à cet effet
    quand on vomira la ville les murs les agents de sécurité
    quand on aura pigé la dictature des images
    les petits parasites vicieux
    sous la peau dans la bouche et dans les trous
    les salles de cinéma bondées
    le besoin de se remplir les orifices pour avoir l'impression d'exister
    quand de la pluie nous brûlera le visage
    et que le vin n'aura plus d'effet
    quand des bébés naîtront avec les bronches atrophiées
    et qu'on sera devenu des animaux malades
    quand les déflagrations nous amèneront au fond des forêts
    nous et nos morceaux de corps
    peut-être qu'on fermera nos gueules enfin
    qu'on finira par entendre quelque chose
    peut-être qu'on reviendra aux arbres
    et qu'on arrêtera de faire semblant de savoir
    à propos de rien
    du silence et de l'eau
    peut-être qu'on improvisera
    quelque chose avec les pierres
    avec les pieds
    et la constance des oiseaux
    et puis
    un jour ils viendront tout raser
    tout dévaster
    tout détruire
    fleurs sauvages ombres cailloux poumons
    par transgression
    par jeu
    par nécessité
    avec des pierres
    avec les pieds
    alors restera deux ou trois photos floues
    sûrement mal cadrées
    ce genre de photos qui fout un peu les boules
    tu sais ?"
     
     
     
  • Revue Nouveaux Délits n°59, éclosion !

     

     

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    Eh bien voilà revenue l’année nouvelle ! Nous savons que ça ne veut pas dire grand chose, mais si ça peut nous permettre de nous sentir de même un tant soit peu neufs, décidés à laisser derrière nous le pesant et l’obsolète... Une nouvelle chance, un nouveau départ, un peu de poudre de perlimpinpin qui brille, une virginité en toc, un lustre qui disparaitra en deux coups d’éponge, mais quelques secondes de rêve, ce n’est pas rien, alors on ne va pas se les gâcher en faisant du mauvais esprit, surtout quand on s’appelle « Nouveaux Délits ».

     

    Si la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil, comme l’écrivait Char, alors elle est au soleil pendant que d’autres sont au bureau, aussi spacieux soit-il. Alors, fait-elle vraiment souffrir cette lucidité ? Et si elle était justement la garante du rêve ? Entre la transparence et l’opacité, il y a la beauté de la translucidité, ce qui n’est pas sans rapport avec la poésie.

     

    Aussi, je vous invite sans plus de blabla à la découverte des poètes de ce nouveau numéro. Je les ai choisis avec mon meilleur mauvais goût, clin d’œil à de pauvres petites idées fixes et préconçues et donc pas très neuves, de ce qu’est, doit être et ne peut pas être la poésie. Ne cherchez pas, la poésie n’y est déjà plus ! Souhaitons-nous plutôt de tirer le meilleur jus de cette année inédite et de le boire en chantant à tue-tête. Soyons sérieux : rions beaucoup et aimons plus encore !

     

    Bonne année 2018 à vous toutes et tous et que la paix ferme le bec des imbéciles qui ne laissent pas passer la lumière.

     

    CG

     

     

    La poésie n’est pas un art pur, indépendant. Elle n’est que révélatrice. La poésie n’a pas besoin d’être, c’est tout le reste qui n’est pas, sans elle.

    Cathy Garcia in Qué wonderful monde

    (Nouveaux délits, coll. Les délits vrais éd. 2012)


     


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    AU SOMMAIRE

     

     

    Délit de poésie dans l’irrespect total de la parité (mais c’est LA poésie) :

     

    Pénélope Corps

    Benoit Arcadias

    Jean-Louis Millet avec six fragments de Psychorama holographique

    Marc Guimo et des extraits de sa Réalité dispersée

    Pablo Gelgon

     

    Résonances :

     

    Civilisé de Walter Ruhlmann, Urtica 2017

    Tu écris des poèmes de Murièle Modély, Éd. du Cygne, 2017

     

    Délits d’(in)citations, petits flocons mignons qui fondent au coin des pages.

    Vous trouverez le nouveau bulletin de complicité au fond en sortant, il est en tout point pareil que l’ancien, en digne résistant à la hausse des tarifs postaux.

     

     

     

    Illustrateur : Arnaud Martin


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    http://www.arnaudmartinpeintre.com/


     

     

    L’homme d’Osa

    Il descendait de la montagne,
    il rentrait chez lui,
    on lui a fait traverser le fjord
    depuis Osa jusqu’à Öydvinstö.
    Il avait la main ouverte,
    il a offert de payer.

    Mais l’homme d’Osa
    Ne voulut rien entendre.
    – Je veux payer ;
    j’habite trop loin
    pour te rendre la pareille.
    – Eh bien, rends service
    à un autre homme,
    dit l’homme d’Osa,
    et il reprit les rames.

    Olav H. Hauge

    in Nord profond

     


     

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    Et toujours de la poésie À ÉCOUTER (et autres délires vocaux) sur http://cathygarcia.hautetfort.com/donner-de-la-voix/

    et sur la chaîne youtube Donner de la voix.

    Du fait maison avec les moyens et la technicienne du bord, pour le plaisir et le partage.

     

     

    Nouveaux Délits - Janvier 2018 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Illustrateur : Arnaud Martin Correcteur : Élisée Bec          http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

     

  • Cathy Garcia - Sursis

     

     

    Paru en octobre dernier

     

     

    SURSIS

     

    Treize micro-fictions poétiques, bizarres, décalées, dérangées… Dérangeantes ?

     

     « Je l'observe avec étonnement et soudain, je vois ses lèvres venir s'écraser contre le rempart de verre et son regard virer au gris. Je la vois se retourner sur elle-même, cette crispation soudaine qui ne trompe pas. Je me demande, l’espace d’un instant, si elle pourra obtenir rapidement son sursis, puis je m'éloigne, je voudrais profiter du mien. »

     

     

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    10 € + 1,50 de port

     

    neuf collages originaux (impression nb)

    28 pages agrafées

     

    papier 90 g calcaire,

    couverture 250 g calcaire

    100 % recyclé

    autoédité à tire d’ailes



     

    De cet ouvrage, a été réalisé un tirage de tête (épuisé) limité à 13 exemplaires, numérotés et signés avec illustrations en couleurs. Ces collages de format A4 sont maintenant en vente. Visibles sur http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com/

     

     

     

    Nouveaux Délits - Janvier 2018 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Illustrateur : Arnaud Martin Correcteur : Élisée Bec          http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

     

  • Soliflore 56 - Maxime Deprick

     

     

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    Edward Hopper - Chop suey, 1929

     

     

    Le peintre de la terrasse

     

    Je suis le peintre de la terrasse. Celui qui voit les gens à travers les culs de verres. Celui qui trompe son crayon dans les couleurs de la ville tentaculaire. L’aube et le crépuscule forment ma parenthèse. Avant, après, je disparais. Pendant, j’esquisse, je gribouille, je trafficote, je brouillonne, je mange des cacahuètes et j’observe.

    J’observe tout, surtout les bouches. Une bouche guimauve, une bouche bavasse, une bouche pincée, une autre relâchée, encore une bouche triste, beaucoup de bouches tristes ces temps-ci. La bouche, c’est un peu comme le dernier tiroir de la commode, là où on planque son histoire : malléable au fil des récits mais jalonnée de faits essentiels à sa construction. La bouche, c’est la juxtaposition de toutes ces photos du dernier tiroir de la commode. C’est un aboutissement et une cacophonie. Une halle de marché et un grenier rongé aux mites. Et c’est ce que je dessine, la bouche et son histoire. Je m’assieds sur une terrasse chauffée et j’attends que les perles multicolores jaillissent de l’antre aux contes sans fin. Et alors j’esquisse, je gribouille, je trafficote et je brouillonne. Et je mange des cacahuètes. Mon vocabulaire se définit par les formes de ces perles : un elle, un lui, un on, un toujours, un jamais, un éclair, une madeleine ou un verre de cognac. Et parfois, j’ajoute un nuage.

    Ça fait beau un nuage entre mes formes, ça fait respirer le dessin. J’ai tout un répertoire de nuages. Pour les colériques, il y a le nuage gros et gris, porteur de pluie et de remords que je dessine toujours en deux parties. Pour les amoureux, il y a le nuage duveteux, léger, effleuré par le soleil ; le nuage rose et violet, bleu et doré. Pour les simples d’esprits, il y a le nuage-mouton qui me plaît parce qu’il me dit que le ciel est toujours une cour de récré. Et puis, pour les gens importants, il y a le nuage pet-de-lapin, le nuage qu’on ose pas assumer, comme si on ne pouvait plus faire des nuages qu’on fumant des cigarettes à la pause. Et on s’efforce de faire le plus de nuages possible, mais le seul qu’on fait vraiment, c’est le nuage pet-de-lapin quand une fois par jour ou par semaine peut-être, on se permet de rigoler de quelque chose qui est drôle, et pas de quelque chose qui est triste. Pour les enfants, je fais quasiment que des nuages, mais dans ce cas, les formes sont des nuages, aussi grand, aussi colorés, aussi variés que les perles de leur imagination, quand par exemple ils expliquent avec leurs mots qu’ils ont vu une fée, une vraie, avec des ailes et qu’elle brillait, et que même s’ils l’ont pas vu longtemps, ils l’ont vu tout de même et maintenant plus de doute, les fées existent bien. Ou quand ils ont vu un gros monsieur se moucher avec un bruit de tonnerre et que le monsieur a regardé dans son mouchoir avant de le ranger, et qu’ils trouvent ça dégoûtant, mais qu’en cachette de leurs parents, ils t’en gobent une en passant, ni vu ni connu.

    Je suis le peintre de la terrasse et je m’amuse de leurs vices, de leurs vertus, comme d’une araignée aux poils si longs qu’elle trébuche sans cesse et forme des lambeaux de toile le long de son logis – comme d’un monstre extraordinaire et malicieux, qui entre sans frapper dans vos rêves de vies sérieuses et n’en ressort que lorsque le tour est joué. J’interroge alors mon araignée : Tisse-perle, quel est mon nuage aujourd’hui ?

     

    https://www.facebook.com/Mezimezak/

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Nouveaux Délits n°58 sur Radio Galère (Poésie du Guatemala en version bilingue)

    Dataplex / Résistances Musicales du mardi 28 novembre 2017 avec Damien Morel, Laurent Bouisset, Annette Zingle et Jean-Marie Nicolas, Antonella Porcelluzzi et Nicolas Guyot + les voix enregistrées de Cathy Garcia, Ana Minski et les auteurs guatémaltèques, par ordre d'apparition : Julio Serrano Echeverría, Regina José Galindo, Luis Carlos Pineda et Vania Vargas.

     

     

     

  • Numéro 58, live sur radio Galère, 28 novembre à 22h

     

    Julio Serrano es un lugar comun  SMALL.jpgDemain soir, c'est-à-dire mardi 28 novembre 2017 à 22h sur Radio Galère, en direct de La Friche de Marseille : émission DATAPLEX / RESISTANCES MUSICALES consacrée intégralement au numéro 58 de la revue Nouveaux Délits spécial Guatemala (celui que j'ai eu la chance de coordonner, traduire et préfacer, grâce à l'aide précieuse et dynamique de Cathy Garcia). Lectures d'Antonella Eye Porcelluzzi, d'Annette Zingle et Jean-Marie Nicolas, de Cathy Garcia et moi-même + tous les auteurs de la revue (ReginaJose Galindo, Julio Serrano Echeverría, Luis Carlos Pineda, Vania Vargas) ayant envoyé leurs textes enregistrés en VO pour l'occasion. Lectures bilingues et forcément intenses que l'on pourra écouter partout sur terre à l'adresse suivante :

    http://www.radiogalere.org/


    Monterez-vous dans le train à temps ? Sinon, il y aura un podcast, ne vous en faites pas, il devrait arriver en fin de semaine au plus tard...

    Laurent Bouisset

     

     

     

     

     

     

  • Soliflore 54 - Jasmin Limans

     

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    (photo (c)Alain Hugonenc)

     

    (Mimi, 18 cité Besson.) 

     

    Elle pleure en pelant des oignons. C'est une occupation précieuse, que trop de gens sérieux négligent. Elle avoue, au passage, qu'un de ses amis médecins, suite à ses recommandations, prescrit désormais à ses patients de peler et manger au moins deux fois par semaine, ses propres oignons. Elle dit ça fièrement, sans fausse humilité. Elle ne fait pas semblant. Il y a longtemps qu'elle n'a plus de prétention. Elle n'a pas de temps à perdre. Elle a 81 ans. Elle a, comme ça, des ordonnances étranges, que personne ne comprend. Elle dit que le monde meurt à cause de ça : des gestes de la main qui disparaissent ou que l'on oublie et des oignons qu'on ne mange jamais assez toute seule. Elle ne va pas plus loin. On n'en sait jamais plus.

    Je mange mes oignons, moi. Tous les jours, alors, deux fois par semaine, quand même, vous pourriez faire de même. 

    Elle mange ses oignons de différentes façons : seule, dans le salon, après les avoir cuits à la vapeur, ou bien couchée dans son lit, coupés en petits dés, qu'elle dispose en cavaliers sur des tartines de beure. Parfois, elle se contente de les dévorer crus, assise en tailleur. Souvent, elle les accommode à une soupe aux orties. Quand elle n'a plus d'idée, elle les fait revenir. Elle dit que c'est moins saint, que c'est au poil, c'est tout. Elle ne s'attarde pas.  Elle dit que les oignons, un rien les accompagne, qu'ils se marient à tout, qu’ils s’accommodent toujours, qu'ils sont faciles à vivre malgré nos sautes d'humeurs.   

    Elle dit que les oignons, c'est l'explication même du sens de l'univers. Elle en est sûre et certaine et selon elle, plusieurs textes sacrés, encore mal traduits, l'approuvent. 

    Elle fait famille, comme ça, depuis des décennies et des mauvaises décisions, des divorces et des morts avec les Amaryllidacées et les Asparagales.

     

     

  • Pas de soumission

     

    Étonnante cette façon de formuler : soumettre des poèmes...

    J'ai beau être revuiste, quand je lis comme objet de courrier "soumission de poèmes" ça me fait un peu mal....

    Poètes, proposez vos poèmes, offrez-les, dites-les, chantez, hurlez, mangez, déchirez, brûlez vos poèmes mais ne les soumettez jamais !

     

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  • Feu de tout bois de Murièle Modély, le délit buissonnier n°1, lu par Sanda Voïca

     

    COUV 1.jpgDans ce recueil, Murièle Modély fait, encore une fois, en paraphrasant le titre, poème de tout bois. Chaque instant vécu devient poésie. Et quelle poésie : visions et épiphanies, sans cesse. Visions : « certains jours/la langue quitte la bouche/et se balade limace au-dessus de nos têtes » (cuisine). Vision apocalyptique dans voie basse. On pourrait même parler d’un livre des visions. Mais il y a des épiphanies aussi, et elles coïncident souvent avec les visions : le poème sommeil à citer en entier. Le quotidien, le passé (l’enfance) et le futur passés à la moulinette et réassemblés, avec quelques ingrédients : humour, voire dérision, lucidité, intelligence, maîtrise de la langue et dépassement du langage : «aujourd’hui, c’est la fête du couteau/c’est marqué en rouge à côté de la date/il y a la fête des mères, des pères/celle de la jupe, du voile/il y a aussi un jour/de l’amour/des morts/sans portable/sans voiture/sans électricité/la journée du lard ou du cochon/des seins/du saint des saints/des revendications, des recommandations/ de l’économie triomphante/du brame/des drames/des femmes/des hommes/(non, pas des hommes – question d’excroissance,/la case est trop petite)/vivre au fond/ n’est pas bien compliqué/il suffit de s’en tenir au mot du jour/composer décomposer, recomposer/une croix après l’autre/l’empilement des faits » (éphéméride)

    La joie de vivre et celle d’écrire font un : « la porte n’est pas de barreaux/mon lit n’est pas un navire/je ne suis pas perdue/pensive/au milieu des eaux/ils balancent leur corps/leur joie franche/tranchante/contre ma peau ».

    Mais le couteau, le poignard, le coutelas et surtout la lame, mais aussi les hachoirs sont de nouveau bien présents dans les poèmes : « c’est qu’une menace pèse comme une malédiction/sur toutes les filles, sous leurs jupons//quelque chose comme une main sournoise/qui appuie là où ça fait mal » (habitude). Et toujours, par-dessus tout : le corps de mots de l’auteur qui s’impose, qui s’incarne devant nous : « la dernière fois que les enfants ont vu grand-père/il ressemblait à un vieil arbre/allongé dans le lit […] les enfants intrigués par les battements d’ailes/collaient leurs corps de lait/contre mon corps de mots » (caresse). Les occurrences des mots qui parlent de la poésie, des figures de style, de jeux de mots, de l’écriture même, la conscience aiguë que la poésie est un animal vivant, et que c’est au poète de le faire venir au monde : « j’entends les grognements, je ne m’étonne plus/je sais que le temps vient pour eux, d’ouvrir leur ventre/d’y plonger les deux mains pour mettre bas le mot ». (velot).

    La poète est magicienne dans ses journées, avec ses enfants et sa propre vie – et aussi avec les mots. Des doutes – sur la force réelle des mots, sur la « réussite » – viennent et s’en vont : « est-il possible/de prendre à bras le corps/réellement, puissamment/ces humeurs, ces cris stridents, ces corps bruyants/ces craquements du vivant/dont les mots sont – magie de l’abstraction/à la fois vides et totalement pleins » (brassée). Errance aussi : « parfois la langue est condamnée à dériver sans fin/adieu la côte, l’horizon est trop loin/la phrase ballotte puis soudain plonge/et vous mes vers, mes tendres, mes oblongues/atteignez des abysses la mémoire acide profonde » (holothurie)

    Et sans trop s’étonner, car « il ne suffit pas de dire pour se comprendre /au creux des intestins, les souvenirs flamboient/faisant feu de tout bois » (héritage).

    Sanda Voïca

     

    Note de lecture parue dans la revue Paysages écrits n°28, octobre 2017

    https://sites.google.com/site/revuepaysagesecrits/archives/numero-28/pe28---sv-sur-modely