Revue Nouveaux Délits n°62 - Florentine Rey
"Zébrée", "Body writing" et "En solitaire", trois poèmes parmi ceux de Florentine Rey publiés dans ce numéro de janvier 2019.
Lus par Cathy Garcia Canalès.
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"Zébrée", "Body writing" et "En solitaire", trois poèmes parmi ceux de Florentine Rey publiés dans ce numéro de janvier 2019.
Lus par Cathy Garcia Canalès.
Gros Textes, 2017
60 pages, 9 €
La première fois que j’ai lu Florentine Rey, c’était dans la revue Traction Brabant et aussitôt son nom est resté. Elle m’avait envoyé des textes pour la mienne de revue, mais en début d’année mon ordinateur est mort en les emportant avec lui, aussi ce fut un vrai plaisir de recevoir un recueil entier de Florentine, publié par ce cher Yves Artufel et ses éditions Gros Textes.
Florentine Rey est de ces magiciennes qui distillent en secret dans leur cuisine la poésie du quotidien, une bonne eau de vie qui vous arrache la gorge en passant, mais vous réchauffe le ventre. Pas besoin d’aller chercher on ne sait quels fruits rares ou épices coûteuses, tout est là sous la main, y’a qu’à faire avec, mais ce n’est pas si facile que ça de faire de la gnole buvable avec le gris des jours. Cela permet par contre, indubitablement, de danser encore après minuit, comme dit dans le titre du recueil avec un clin d’œil appuyé à Cendrillon. La nique aux douze coups, à ce qui veut nous enfoncer, nous maintenir dans les cases obligatoires et le poème d’ouverture a déjà tout dit :
Il fait un petit peu froid
on va
un petit peu rentrer
dans notre
petite maison
on fera
un petit feu
on préparera
un petit repas
on parlera
de nos petits projets
le mien
c’est de tout faire péter.
Voilà. Et les munitions, elles sont là, bien rangées dans un livre, mais méfiez-vous des poètes, surtout quand elles sont femmes et qu’elles viennent vous parler du « désordre ordinaire », vous canardent avec de l’énergie pure. « Ça sonne ! C’est l’heure ! Laisse-moi faire, je peux me démouler toute seule. »
Ce qui caractérise ces héroïnes de l’ordinaire, c’est leur humour tout aussi féroce que leur lucidité.
« La voie est libre, elles peuvent foncer, les chaussures, toutes dans la même direction, toutes dans le mur. »
Le proverbe japonais qui dit « Sept fois à terre, huit fois debout » est fait pour elles. Fatigantes, amoureuses, désespérées, combattantes, bonnes comme la terre, vastes comme le cosmos, fragiles et redoutables, des femmes quoi ! « J’ai un cœur de bouchère qui rissole à chacun de coups de sang, un cœur femelle qui déverse son eau quand il fait trop d’excès puis réclame du sel pour refaire du sentiment ».
Florentine Rey manie les mots comme des armes de vérité, renoue avec cette nature sauvage de la féminité, celle qui fascine tellement qu’on n'a eu de cesse de tenter de la dompter, la museler, la ferrer, elle renoue avec la femme d’avant son mythe, la vraie femme ordinaire : « D’ailleurs je vais me promener. Personne dans la forêt, personne sur le sentier, je peux sortir mon cul et pisser ».
Une femme comme tout le monde, « énervée comme tout le monde, la gorge nouée comme tout le monde, réversible comme tout le monde, inquiète, en quête, en manque comme tout le monde, (…) n’a pas écouté où se trouve la sortie de secours comme tout le monde ». Une enfant aussi encore, grande, grande comme seuls savent l’être les enfants : « tu vas cesser de camper sur le rond-point des âmes errantes, tu vas vider la décharge des émotions usées, tu vas recolorer ton corps, tu vas tracter ta joie depuis les profondeurs, tu vas bouger ton cul et honorer la vie. »
Une femme….. qui parfois se sent être « une chose venue d’un autre siècle : un mannequin sur une chauffeuse qui réclame une place en vitrine pour montrer ses dentelles, un tablier de ferme cousu de trop d’enfants, une aiguille qui défait les générations. »
Une femme qui sait « des femmes perdues dans un monde d’hommes » qui « traversent la vie à la nage en tenant d’un côté le réel, de l’autre la main de leurs enfants » et qui nous alerte. « Il manque la moitié du monde au monde, il manque des variations, des visions, il manque des yeux sans fards de temps en temps, des sentiments sans manipulation, des intuitions, (…) une petite marche pour se rehausser, se cambrer et crier : est-ce qu’on pourrait en placer une de temps en temps ? »
Je danse après minuit est un condensé d’émotions non pasteurisées, des cycles d’émotions à boire cul sec, des oh !, des bah… Le tricot des espoirs, le tricot désespoir, une maille à l’endroit, dix mailles à l’envers, des pépites de poésie plein les poches.
« Réparation
C’est pas la pomme que j’ai mangée, c’est le serpent. On peut être heureux maintenant ? »
Et cette soif de vivre, immense soif de vivre vivante, « je veux la vérité, je veux entendre une vraie chose, donne moi la météo ».
Rire toujours, de soi, des autres, de tout, « on va se marrer jusqu’à la dernière flamme » et danser ! Danser même et surtout après minuit.
Merci Florentine Rey.
Cathy Garcia
Florentine Rey est née en 1975, elle vit et travaille à Saint-Étienne. Des études de piano intensives (classe musicale à horaires aménagés) affinent sa sensibilité, lui apprennent l'exigence mais l'isole. Une année d'hypokhâgne lui fait rencontrer la philosophie. En 2000, elle obtient le diplôme des beaux arts et crée la même année une structure de production artistique où se croise l'art et la technologie. Six ans plus tard, installée au château d'Hérouville, dans le Val d’Oise, la nécessité d'écrire et de créer la rattrape. Le destin place alors Jacques Lanzmann et Yves Michalon sur son chemin. Dès l'annonce de la publication de son premier roman, elle quitte Paris toutes affaires cessantes et part sur les routes de France, inspirée, rêvant de pouvoir se consacrer un jour pleinement à son travail d’écriture qu’elle considère comme un travail d’invention, d’exploration et d’expérimentation, garant de sa liberté de penser.
En complément de son travail d’écrivain, Florentine Rey a développé une pratique d’ateliers d’écriture, qu’elle mène dans le cadre de l’association Paragraphe, à Lyon et dans le cadre du programme SOPRANO Rhône-Alpes. Son site : https://florentine-rey.fr
Bibliographie : Blandine-Marcel, Michalon, 2006 et Blandine-Marcel 2, Business Story, Michalon, 2007 ; Mon œil !, roman graphique, éditions des Ronds dans l'O, prix Olympe de Gouges, 2010 ; Bubon, éditions Gros Textes, 2016 et Je danse encore après minuit, poésie, éditions Gros Textes, 2017.
Feu de tout bois de Murièle Modély, collection Délits buissonniers n°1, juillet 2016 :
postface de Grégoire Damon
Ed. Cormor en nuptial, 2018
110 pages, 16 €.
Il en a fallu du temps pour qu’enfin ce livre naisse, ce livre qui ne pouvait pas ne pas naître, quoique… Dans un monde à l’envers, quoi de plus normal, finalement, qu’un poète ne trouve pas d’éditeur — poète au sens le plus sincère et authentique du mot ? Un poète qui ne fait pas de concessions pour arrondir les arêtes, lisser les recoins, cacher les taches et la bouteille mais qui colle depuis des années des post-it de poésie partout où il passe. Une bave poétique qui fait scintiller les murs, les vitrines menteuses, les poteaux, les portes closes, les poubelles, les panneaux tristes. Heptanes Fraxion, nous sommes pourtant nombreux à le connaître, lui qui balance sur le net ses textes à qui veut et dont quelques revues de poésie pas trop connes ont su se faire l’écho. Mais les éditeurs ?!
Ce livre devenait une nécessité et le voilà enfin ! Première publication d’une toute jeune édition belge lancée par Gaël Pietquin et il est beau ! Un bel objet à la hauteur de ce qu’il accueille : de purs morceaux de poésie pêchés à même le caniveau de la vie, de la poésie compulsive, boire, écrire, pisser, pleurer, jouir, échapper encore et toujours à ce qui nous broie, nous concasse en cube. Et sous ses airs de poésie qui n’en serait pas, non seulement elle vous saute à la gueule et vous saisit le cœur comme s’il était un steak, mais elle vous envoie un shoot de sagesse, de celle de ces moines qui se font passer pour des fous, des clochards, dotés de tous les vices. La vraie sagesse, celle qui ne s’affiche pas comme telle.
Le titre se suffit à lui-même: Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas.
Difficile cependant de tirer des citations de ce recueil, il faudrait tout citer ou rien, donc vous n’y couperez pas, il faut le lire et puis vu le temps qu’il a fallu pour qu’enfin il existe, à vous de le mériter un peu, de faire ce petit effort de rien du tout : être curieux des autres.
Cela dit, s’il fallait définir l’auteur en une seule de ses propres phrases, ce serait celle-ci et elle nous définit tous, qui que nous soyons, quoi que nous en pensions : « le système est une erreur qui me transforme en anomalie ».
Après ce sont juste de petites mais essentielles différences de conscience :
historiquement personne ne sait grand-chose
alors autant rester disponible au merveilleux
Certains seront tentés de chercher des filiations à l’auteur, mais Heptanes Fraxion c’est du Heptanes Fraxion et vous ne le rentrerez dans aucune case, aucune famille, aucun style. Chez lui la poésie coule toute seule, même quand il pisse, se mouche ou éjacule et ça ne plaira pas à tout le monde et heureusement. C’est juste dommage pour ceux qui passeront à côté, ils rateront la chance d’avoir un petit post-it sur le cœur qui fera briller leurs yeux quelques secondes, le temps de VOIR, voir avec des yeux de voyant qui éclairent le monde et projettent leur propre lumière pour et sur les autres.
Ces autres qui sont très importants dans la poésie d’Heptanes Fraxion, omniprésents ces autres, qui l’emmerdent, qu’il emmerde « mais avec une putain de tendresse ». Et oui c’est un tendre le poète, sa chair est tendre, son cœur est tendre, normal, comme tous les écorchés vifs, alors il faut bien un peu de poésie dure pour faire la carapace, mais c’est une bonne dope la poésie !
douceur qui transperce
douleur qui transporte
livres qui consolent
Celui-ci vous consolera soyez-en sûrs, ce sera un bon ami, de ces flacons de secours que l’on garde pas loin, pour pouvoir boire une gorgée ou deux dans les mauvaises descentes, les crashs sentimentaux, les coups de crasse, les coups de froid, les licenciements, les burn-out, le goudron des jours et tenir bon. Notez bien cette phrase, elle un a sens littéral : tenir bon.
Et de la moindre goutte de lumière sur une joue, du moindre brin d’herbe, du moindre trou dans le grillage, savoir profiter.
Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas
Le soleil va vers le vide
Je suis bien là
Cathy Garcia
« Poète obscur rasta chauve chien de métal parasite pédé Heptanes Fraxion fils d’une prostituée et d’un ecclésiastique vit à Toulouse où il ne s’occupe ni de ses enfants ni de ses deux chiens ».
Son blog : http://heptanesfraxion.blogspot.com/
Ses albums avec le musicien Jim Floyd : https://soundcloud.com/jim_floyd/albums
La Maison (à compte d'éditeur) Cormor en nuptial, anagramme de « L'amen-corruption », publie essentiellement de la prose poétique, percutante, originale et sans tabou. Les auteurs qui la représentent sont des individus viandés, couillus-décousus, des crapauds, des crocs, des persécutés. Contact pour commander : cormorennuptial@gmail.com
© Andrew Wieth
Chambre avec vue
Les marmots se défoulaient près des chaudières
Et se roulaient dans les poussières du dernier cercle.
Leur dos déjà voûté supportait leurs ascendants
Dont un pied s'engouffrait en enfer,
L'embonpoint aidant.
La poésie respirait dans le souffle
Des quelques épouvantails encore debout
Et l'hiver esquissait des mots étranges
Dans les couches des premières neiges.
La beauté du songe et l'amour pour l'amour
Surplombaient l'arrière boutique de nos carrières.
Extrait de son premier recueil, Le Ventre de l'hiver, Editions Prem'Edit, à paraître en 2019
D'autres textes disponibles sur la revue en ligne Le Capital des mots
http://www.le-capital-des-mots.fr/2018/05/le-capital-des-mots.html
Janvier 2019
À nous toutes et tous, convives parmi d’autres formes de vie dont aucune n’est quantité négligeable, de cette toute petite planète de plus en plus abimée et qui ne pas tarder à nous envoyer bouler, à nous toutes et tous, humains, bons vivants, survivants, gavés, affamés, élus, exclus, exploitants, exploités, avec ou sans terre, avec ou sans papier, avec ou sans droit, maltraitants, maltraités et toute la palette de plus en plus mince des entre-deux, je nous souhaite, à toutes et tous, une surprenante année d’évolution, aussi improbable que magnifique, une année où les consciences se mettront à briller tellement fort que nul ne pourra les ignorer, aussi perché, aussi borné soit-il ! Une année 2019, avec du vrai neuf qui ne soit pas pure pacotille. Que l’ouverture de l’esprit — laquelle n’est pas, nous rappelait ce cher Desproges, une fracture du crâne — et celle du cœur deviennent pandémiques. Souhaitons-nous un truc dingue, incroyable, une fulgurance empathique, un éclair de lucidité universelle qui foudroie d’un coup l’arrogance et la cupidité, le mensonge, les peurs et vieilles rengaines encrassées, un truc qui déculotte d’un coup tous ceux qui confondent pouvoir et intelligence et leur remette l’humilité en place. Un virus de sagesse et de générosité que rien ne puisse arrêter afin que le principe d’équité devienne partout et en tout, une évidence, car voyez-vous « le monde est nous tous, ou rien ».
Haïssez celui qui n’est pas de votre race.
Haïssez celui qui n’a pas votre foi.
Haïssez celui qui n’est pas de votre rang social.
Haïssez, haïssez, vous serez haï.
De la haine, on passera à la croisade,
Vous tuerez ou vous serez tué.
Quoi qu’il en soit,
vous serez les victimes de votre haine.
La loi est ainsi :
Vous ne pouvez être heureux seul.
Si l’autre n’est pas heureux,
vous ne le serez pas non plus,
Si l’autre n’a pas d’avenir,
vous n’en aurez pas non plus,
Si l’autre vit d’amertume,
vous en vivrez aussi,
Si l’autre est sans amour,
vous le serez aussi.
Le monde est nous tous, ou rien.
L’abri de votre égoïsme est sans effet dans l’éternité.
Si l’autre n’existe pas, vous n’existez pas non plus.
Louis Calaferte
AU SOMMAIRE
Délit de poésie : Florentine Rey, Guénane, Patrick Boutin, Guillaume Simon
Délit d’évasion : extrait de La Rumeur Sourde du Récif de Xavier Combres, récit d’un séjour aux Iles Loyauté, Nouvelle-Calédonie
Délit de poésie brésilienne : Nilton Resende, Regina Alonso, Tereza Du'Zai et Itamar Vieira Junior, traduits par Stéphane Chao
Résonances : Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas d’Heptanes Fraxion & Je danse encore après minuit de Florentine Rey.
Délits d’(in)citations en flocons au coin des pages mènent au bulletin de complicité à la patience légendaire, qui sifflote au fond en sortant.
Illustrateur : Michel Vautier
http://www.michelvautier.fr
« MV, on retrouve ce signe cryptogrammé parfois dans quelques recoins des peintures de Michel Vautier, comme un souvenir de lui-même, tant il aime s’effacer …/… Certains utilisent la photographie pour peindre (ils sont nombreux), d’autres (beaucoup moins nombreux) utilisent la peinture pour photographier, et c’est bien là me semble-t-il que la tournure du travail de MV prend tout son sens. Comme si MV utilisait la peinture en toile de fond pour faire de la photographie (ou l’inverse)… MV décline avec énormément d’enthousiasme et de clarté tous ces composants qui font de la photographie non plus un modèle mais une substance, une matière à part entière. » j.f. Yorobietchik, septembre 2018.
J'ai vu que ce n'était pas l'homme qui était impuissant dans sa lutte contre le mal, j'ai vu que c'était le mal qui était impuissant dans sa lutte contre l'homme. Le secret de l'immortalité de la bonté est dans son impuissance. Elle est invincible.
Vassili Grossman
Jeûnez de la méchanceté !
Empédocle (485-440 av. J.-C. environ)
Ce premier livre édité par BUzo, l’association qui porte la Nuit de la Poésie de Crest, est un ouvrage collectif, un livre de solidarité vendu au profit du collectif allexois de solidarité avec les réfugié.e.s.
Parution 8 janvier 2019
56 pages
15 € (+ 2,10 de port)
Préface d’Emily Loizeau
Textes de : Cathy Garcia, Grégoire Damon, Colette Daviles-Estinès, Abdellatif Laâbi, Julie Rossello-Rochet, Alissa Thor, Chloé Landriot, David Myriam, Claire Rengade, Marlène Tissot, Stéphanie Quérité, Samuel Gallet, Claire Audhuy, Julio Serrano Echeverría, Rafael Cuevas Molina, Rodrigo Arenas Carter, Alberto Blanco, Laurence Loutre-Barbier, Serge Pey, Snayder Pierre Louis, Baptiste Cogitore, Laura Tirandaz.
Traductions : Laurent Bouisset / Illustrations : Julien Sibert, Simon Fuste et Noémie Ségala / Graphisme : Noémie Ségala / Ouvrage collectif rassemblé par Samaël Steiner
À commander à BUzo 9 rue Gustave André, 26400 CREST
https://www.nuitdelapoesie-crest.fr/edition/
Pieter Brueghel dit l'Ancien
deuxième des lyres
j’ai égaré des émotions
que tu trouverais nécessaires
je ne sais plus à quoi ça sert
ce paquet de vaines passions
j’ai abandonné même la FIERTÉ
je dois dire que j’en ai presque honte
au dernier soupir je ferai le compte
être fier de quoi ? qui peut m’expliquer ?
se sentir content ça ne suffit pas ?
la fierté c’est la médaille inutile
l’expansion du soi - orgueil imbécile !
manquer de confiance aggrave son cas
j’ai plongé dans un lac par un hiver très rude
pour sauver ces gens qui coulaient dans leur voiture
j’ai pu les ramener gratifiante aventure
- mais pas question de célébrer mon attitude
j’ai fait ce que j’ai fait un secours immédiat
il faudrait des lauriers une couronne d’or ?
un simple sourire est le plus charmant trésor
ce serait largement assez - restons-en là !
une histoire de réussite
et la fatuité du vainqueur
arborer de nobles couleurs
jouer le paon plein de « mérite »
est-ce vraiment ce que l’on veut ?
où avez-vous mis la tendresse ?
nous aider est notre richesse
nous aimer est notre seul vœu
certains sont fiers dit-on d’être nés quelque part
mais ils n’y sont pour rien ! qui pourra le leur dire ?
d’autres de leur projet - s’ils ont pu l’accomplir
c’est que leur santé leur a offert ce pouvoir
ou peut-être la chance - on peut les applaudir
c’est leur son favori bravo pour leurs efforts
ils veulent notre accord
tout cela fait sourire
être fier de ce que tu as réalisé
c’est d’abord t’occuper des choses du passé
mais pas de celui-ci - du passé répété
qui tourne sans arrêt dans son éternité
ça a commencé quand ? il n’y a pas de date
les faits ont bossué un parcours infini
que tu ne peux que suivre au soleil dans la nuit
maintenant ou avant - la frontière est étroite
et tu vas te vanter d’une splendeur antique ?
ça semble dérisoire on n’y comprendrait rien
il faudrait accepter cet incroyable point :
être fier mille fois pour une chose unique
ce serait trop
dédain stupide
mépris sordide
qui sonnent faux
si tu joues ce jeu
avançant dans l’ombre
calculant ton nombre
de gestes glorieux
tu vas t’aveugler
sans t’en rendre compte
et même la honte
devra te laisser
il faut que tu te reconnaisses
que tu poses sur la balance
l’image de ton excellence
ET tes faiblesses - tes prouesses
les plateaux cherchent l’équilibre
aide-les - tu en es capable
jette tes cartes sur la table
il ne tient qu’à toi d’être libre
non je ne suis pas fier je suis parfois content
où donc est mon pouvoir ? il a dû disparaître
je ne le cherche pas je refuse tout maître
respirer calmement me semble suffisant
vivre profondément
toujours prêt à renaître
extrait de l'ensemble "Le son des lyres"
Extrait de "Mordre les temps de mort" parmi les extraits du recueil Aujourd'hui est habitable présentés dans ce numéro en écho à sa parution chez cardère éditeur, en septembre 2018. Lu par l'auteur.
En savoir plus : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/
"Ce n’est pas ça", le premier des cinq poèmes de Jérémie Tholomé publiés dans ce numéro. Lu par Cathy Garcia Canalès.
Extrait d'"Aujourd’hui c’est raviolis" (extrait de la pièce de l'auteur « Est-ce que répandre du bleu c’est faire la mer ?).
Lu par Cathy Garcia Canalès.
Extraits de "Prendre à deux mains pour aller demain", poème fleuve de Didier Trumeau publié dans ce numéro. Choisis et lus par Cathy Garcia Canalès. En savoir plus :
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/
Quelques-uns des très courts poèmes d'Arnaud Martin publiés dans ce numéro, eux-mêmes extraits d'un ensemble intitulé Renaissance des Lumières. Lus par Cathy Garcia Canalès.
coll. Sur le billot, 2016, réimpression 2017
74 pages, 12 €.
« Rien ne dure éternellement, mais tout continue à continuer »
Lame de fond a quelque chose du carnet intime que l’on emporte partout avec soi pour y noter nos météos intérieures, sauf que dans Lame de fond, le besoin d’écrire est motivé par un évènement précis : la perte. La perte et l’absence définitive d’un être cher et ce besoin soudain, cette urgence de tout plaquer, pour aller le retrouver sur les lieux qui rallumeront la mémoire. Partir les mains vides avec cette part de soi plus ou moins enfouie que la douleur vient raviver.
Ici l’être cher — mais l’auteur ne le dit pas, on le devine au fil des pages — c’est un grand-père, un grand-père vieux loup des mers adoré, un homme des grands espaces, un homme libre.
« Avec toi, tout est permis. Avec toi, on chahute l’apparence des choses ordinaires, on colorie le monde. »
Mais il ne s’agit surtout pas de rendre un hommage édulcoré au disparu.
« Non, tu n’étais pas parfait. Mais c’est ainsi que je veux me rappeler de toi. Avec chacun des fils dont ta peau d’homme était tissée, les rêches comme les soyeux. »
Et le lieu vers lequel le deuil renvoie l’auteur est un espace-temps, celui de Cancale en Bretagne et celui de l’enfance. Car avec les êtres chers qui nous quittent, ce sont comme des parts de nous qui s’en vont et que seule la mémoire peut convoquer. L’écriture sert alors de catalyseur et de fixateur.
« Des détails en forme de graines semées dans le terreau de l’enfance. Giboulée de souvenirs. Tout cela me semble tellement loin et si présent pourtant. Comme un paysage miniature dans une boule à neige. »
L’écriture de Marlène a toujours été juste, précise, percutante. Dans Lame de fondelle se polit comme un galet roulé par la mer dans le sable. La douleur non seulement ramène à l’essentiel, mais dénude aussi ce qu’on pourrait appeler l’âme. Il est impossible de tricher avec la mort, elle met le doigt sur toute notre fragilité, met en relief tout ce qui est creux, vide et artificiel en nous et dans nos vies.
« Quel contrat tacite nous oblige à penser en terme d’avenir professionnel, de confort matériel, en termes de consommation, de concurrence, d’efficacité, de sacrifices, en termes de famille à fonder, d’enfants à éduquer, de vacances à planifier ? Doit-on nécessairement être raisonnable, responsable, capable d’adapter sa ligne de conduite à la société, se fondre dans la masse ? (…) Est-ce qu’on se laisse décolorer l’âme sans même le remarquer ? »
Dans toute famille, on peut espérer qu’il y ait au moins une personne qui nous transmette quelque chose qui a à voir avec l’essentiel, c’est le cadeau le plus précieux que l’on puisse faire à quelqu’un, c’est comme un nécessaire de survie. Le grand-père que Marlène évoque est de ceux-là, aussi son absence a la capacité de la rendre à elle-même avec une force et une acuité telle que la douleur de la perte devient une leçon de vie, intense.
« Cours ma belle ! Nage dans le ciel. »
La douleur anesthésie mais l’amour qui transcende la perte exacerbe au contraire tous nos sens, nous rend plus vivants que jamais. Et la mort du grand-père fait germer, dans le cœur de celle qui écrit, le noyau de l’enfance.
« Je marche à reculons, à rebrousse-temps et j’ai enfin l’impression d’avancer dans la bonne direction. »
Marlène nous offre un très beau livre, sensible, il ne peut laisser indifférent, il vient nous toucher, nous bouleverser, au plus secret de nous-mêmes, là où nous planquons nos plus grandes joies et nos plus grandes peines. Comme une lame de fond, il nous prend et nous retourne.
« Je trinque à ton éternité en buvant l’horizon, d’un trait. »
« Tu m’avais prévenue : “tout n’est que commencement.” »
Cathy Garcia
Marlène Tissot est venue au monde inopinément. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix ans et demi et capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Écrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.
La sirène étoilée, novembre 2017
47 pages, 12 €.
« le bout du monde ressemble au début du monde »
Ce recueil est un hommage, un magnifique et poignant hommage à une terre et à ses habitants disparus.
« L’horizon les dents du vent
aimantent les solitaires
les rêveurs de rupture
ceux qui ne craignent de se rencontrer »
C’est ainsi qu’il faut comprendre le « ma » devant Patagonie : non pas une appropriation conquérante des lieux, pas comme un adjectif possessif donc, mais comme la perception très personnelle de l’auteur au-delà de ce qui se donne à voir aujourd’hui.
Devant l’immensité des paysages, la puissance de leur mémoire et leur beauté qui raconte ce qui fut, elle s’incline avec humilité et une grande sensibilité.
« savoir se taire quand on écrit »
Ce n’est pas le premier recueil de Guénane qui évoque la Patagonie, mais ici elle s’attache avec les maigres outils du poète — « en poésie aucun mot n’est cloué/ il n’a aucune prise » — à rendre âme et justice aux premiers habitants de ces terres :
« Indiens Tehuelche
nomades aux empreintes géantes
onze mille ans de présence
(…)
civilisation Évangiles tourments
hommes blancs qu’ils voyaient roses
les Yámana s’éteignirent en 15 ans
(…)
1839 « Créatures abjectes et misérables »
Darwin écrit dans son Journal
(…)
Indiens Ona
(…) 1880 carnage
Ona tous traqués immolés
Aucun exil possible sur une île
Toutes ces vies horriblement massacrées et l’arrogante bêtise des « découvreurs ».
(…)
Je voyage en silence
Dans la témérité des traces
Une main posée sur la grotte du cœur. »
Rendre justice aussi aux animaux en péril :
« je regarde cabrioler les baleines
dans un golfe - maternité
(…)
elles sombrent jaillissent
trente tonnes de graisse
de grâce
saluent le ciel replongent »
et à la nature défigurée :
« espérer que son souffle survive
sous les talons du tourisme
(…)
Lointain Sud engagé
dans la prolifération assassine
de nos inutilités ».
Ainsi l’auteur a su capter, non seulement les paysages, mais leur essence même, visions d’un monde disparu. Elle parvient à transmettre au lecteur tout le respect qu’ils lui inspirent, sans tomber dans l’aveuglement d’un romantisme exacerbé, bien au contraire, sa lucidité est vive et aiguisée comme le vent d’été austral « qui garde trace des sauvageries polaires ».
« la Patagonie épineuse érafle
les images faciles
mais elle attire
ses dix millions d’années apaisent
les esprits trop griffés
rassurent les insatiables
les soiffards d’horizon
(…)
La Patagonie c’est elle qui vous explore
ouvre vos brèches fouille votre cœur. »
Ma Patagonie a clairement une dimension écologique et politique engagée. Tout territoire a une histoire, celle de cette « Terre des feux éteints/des rêves consumés » est particulièrement cruelle.
« la colère du vent vient de loin
dans sa voix mugissent des ombres. »
Histoire d’un monde disparu :
« si aujourd’hui les chevaux fiscaux
hennissent sur la piste
la mémoire agrippe les cavaliers du passé
soudés à leur monture ponchos au vent
ils avaient des ailes. »
Et d’un monde sur le point de disparaître sous l’avancée d’un prétendu progrès :
« Le vent happe les dépotoirs sauvages
plaque les plastiques aux buissons
nos indestructibles macromolécules»
et d’un tourisme de masse, « paisible ravage ».
« si tu prononces
Humains
pourquoi cette impression toujours
que s’annonce un déclin ? »
(…)
comment fait-elle l’Histoire
avec ce perpétuel goût de l’échec en bouche
d’où tient-elle cet estomac d’acier ? »
Notre propre histoire finalement, à toutes et tous.
« Si ta mémoire mesure le temps
évite la dangereuse nostalgie
se pencher à la portière de sa vie
c’est déjà la Patagonie »
(…)
Nous gardons tous en nous des lieux que jamais
Nous ne foulerons le cœur tiède »
Ma Patagonie, incontournable.
Cathy Garcia
Guénane est née le 26 juillet 1943 à Pontivy (Morbihan), sa famille ayant quitté la ville de Lorient bombardée par les Alliés. Elle ne se souvient pas avoir appris à lire et à écrire. Elle a commencé à étudier le violon à 7 ans. Elle a grandi au bord du Blavet, un fleuve marin, et a vite compris que chacun porte en lui ses propres marées. Dans les années 1960, elle fait des études de lettres à Rennes ; elle fait aussi partie de la petite troupe de théâtre du Cercle-Paul-Bert et déclame avec le groupe Poésie Vivante de Gilles Fournel, le mot Résistance avait alors son sens fort. Le 24 juillet 1964, avec le poète avignonnais Gil Jouanard, elle rencontre René Char, chez lui, à L'Isle-sur-la-Sorgue, une rencontre intense. Son premier recueil, paru aux éditions Rougerie en 1969, s'intitule Résurgences, un mot emprunté à René Char. Resurgere / renaître ; insurgere / s'insurger : toute sa démarche d'écriture est contenue dans ces mots. Renaître toute la vie à sa manière. Elle a enseigné à Rennes puis elle a longtemps vécu en Amérique du Sud. Années de dictature mais aussi avec la sensation d'avoir foulé les derniers arpents du paradis originel avant l'emballement économique mondial. Elle vit là où le fleuve d'origine qui lui enseigna le large se jette dans l'océan. Dans Un Fleuve en fer forgé (Rougerie), elle évoque son enfance auprès du Blavet en termes durs et implacables. "On ne repeint pas ses lieux d'enfance" dit-elle. Dans La Ville secrète (Rougerie) et La Guerre secrète (Apogée), elle évoque Lorient sous les bombes. Son roman Dans la gorge du diable (Apogée) se déroule dans les dictatures sud-américaines des années 1970-80. Demain 17 heures Copacabana (Apogée) se situe au Brésil dans les années 1970-80. L'Intruse, roman historique (Chemin Faisant) plonge dans le 19 e siècle, du second Empire à la guerre de la Triple-Alliance, l'épopée la plus sanglante de toute l'Amérique du Sud. Le titre de son recueil Couleur femme a été pris comme thème du Printemps des Poètes 20101.
Dernières publications poétiques : Tangerine éclatée, livret, collection La Porte, 2017 ; En Rade 4, brèves de cale illustrées par Pascal Demo et Killian Duviard, édition associative Chemin Faisant, 2017 ; Atacama, éditions La Sirène étoilée, illustrations Gilles Plazy, 2016 ; Le Détroit des Dieux, livret, collection La Porte, 2016 ; La Sagesse est toujours en retard, Éditions Rougerie, 2016 ; Au-delà du bout du monde, livret, collection La Porte , 2015 ; En Rade 3, brèves de cale, illustré par NicoB, édition associative Chemin Faisant, 2015 ; L'Approche de Minorque, livret, collection La Porte, 2014 ; Un rendez-vous avec la dune, Éditions Rougerie, 2014.
octobre 2018
Quand j’ai commencé la revue, dans les premiers numéros, j’étais systématiquement au sommaire. C’était une façon de faire connaître mon travail en même temps que celui des autres auteurs que j’accueillais. Puis devant leur nombre sans cesse croissant et lassée aussi de ma présence, j’ai libéré la place avec joie. Mais le problème des poètes revuistes, comme ces cordonniers (quand il y en avait) mal chaussés, c’est qu’à force de se mettre au service de l’écriture des autres, ils n’ont plus beaucoup, voire plus du tout de temps pour la leur. Il y a aussi un fait : la réciprocité chez les êtres humains — et les poètes ne font pas exception — ne coule pas de source, c’est pourquoi le proverbial « jamais aussi bien servi que par soi-même » prend au final tout son sens.
Alors pour une fois, je reprends un bout de territoire ici, juste le temps de mettre un coup de projecteur entre autre sur la sortie d’un livre à lente maturation auquel je tiens et que publient les éditions Cardère, qui hébergent déjà trois autres de mes bébés. La bonne maison Cardère publie avant tout des ouvrages sur le pastoralisme, la poésie c’est en plus et elle n’a jamais eu l’imbécile idée de choper la grosse tête ou de s’illusionner sur un quelconque pouvoir d’éditeur, pas plus qu’elle ne s’illusionne sur les auteurs eux-mêmes. Une chose est essentielle en poésie — et qui dit poésie, dit vie — : une forme d’humilité. Pas une posture humble non, juste quelque chose de très naturel, humus, humilité, humain, cette racine plantée dans la terre qui nous nourrit et qu’il ne faut jamais oublier, quelle que soit la force et l’envolée de notre imaginaire ou de nos prétentions.
Écrire est une chose, être lu en est une autre. Entre les deux se tissent de fragiles et éphémères passerelles dans lesquelles se prend la rosée de l’aube, trésor qui scintille un instant — précieux instant — avant que le jour ne vienne le boire.
CG
monde de rosée
rien qu'un monde de rosée
pourtant et pourtant
Issa
AU SOMMAIRE
Délit de poésie : Arnaud Martin, Didier Trumeau, Jérémie Tholomé (Belgique) et Cathy Garcia Canalès
Délit de table : « Aujourd’hui c’est raviolis » extrait d’une pièce de théâtre de Marcel Moratal,
Délit de vagabondage : « Une vie de carton », récit nomade de Julien Amillard
Résonance :
Ma Patagonie de Guénane, La sirène étoilée, 2017
Lame de fond de Marlène Tissot, La Boucherie littéraire, 2017
Et un flash spécial sur Calepin paisible d’une pâtresse de poules, le n°2 de la série Délits vrais – poésie postale, qui est passé en format livre en septembre.
C’est aussi la rentrée des Délits d’(in)citation sagement installés au coin des pages et vous trouverez un bulletin de complicité qui n’a pas pris la grosse tête, toujours au fond en sortant.
Illustratrice : Muriel Dorembus
je balaie le sol, allume de l'encens et ferme la porte pour dormir
la natte, comme des rides dans l'eau, la tenture comme de la fumée
ici en étranger, je me réveille, où suis-je ?
je soulève le store de la fenêtre à l'ouest, les vagues rejoignent le ciel
Han Shan
Nouveaux Délits - octobre 2018 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits - Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès - Illustratrice : Muriel Dorembus - Correcteur : Élisée Bec
Petite histoire essentielle de la futilité
textes de Bruno Toméra
illustrations originales de Jean-Louis Millet
« Au retour dans la bagnole, intercalé dans la file des pressurés
l'humanité klaxonnait, gueulait, les bras au ciel, pressés
de se jeter corps et âmes dans d'autres emmerdements.
Le connard de derrière habillé en voiture dernier cri
gesticulait dans le rétro, le poing brandi.
Garde toujours le piaf des urgences dans ton cœur
Garde toujours le piaf des urgences dans ton cœur.
Que je me suis dit. »
40 pages agrafées
tirage numéroté sur papier calcaire 100 % recyclé
90 g et couverture 250 g
10 € + 2 € de port
à commander à l'Association Nouveaux délits
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/delits-buissonniers/
(c)photo de l'auteur
Aimer
La femme est un Temple,
Un lieu sacré à l'image de l'univers,
Un lieu de don de vie, de lumière.
Tu m'as donné un pouvoir
Celui de dédicacer ce sanctuaire.
C'est en toute liberté que je te voue un culte,
Sans liturgie, car tout se crée dans l'instant.
Rien n'est enfermé dans un cadre imposé
L'amour ne peut être emprisonné,
Il vit et se nourrit de chaque instant.
La vie triomphera de tout si nous y croyons,
Elle est pureté comme l'aurore naissante.
Le corps devient une oreille qui écoute l'âme,
Invite-moi au banquet des futures épousailles.
L'absolu du désir ne peut être violence
Il est cette juste certitude qui régit tout.
Cette vérité que l'homme cherche tant
Se situe dans son exacte liberté de conscience.
Allons là où se situe ce secret qui nous anime
Le reconnaître, c'est soulager son cœur.
(c)Alvaro Sanchez
Tu n'as pas d'empreinte
Hormis la cendre
Pas de nom
Excepté celui hurlé entre les dents dont tu es né
- L'injure de l'oubli dans ta gorge
Fore un puits de lave dans ta poitrine
Mais il faut bien s'empreindre d'un avenir -
Tu n'as de nom que celui écrit par dessus
Le tien le leur a eux qui t'appelaient
Par ce nom hurlé entre les dents
Qui devaient te déchirer
Dont tu devais mourir
Pas trace de toi avant que tu t'imprimes
Sur les murs et les pages et les écrans
Avant que tu détournes les voies toutes tracées
Par ton nom et ceux qui te nommaient alors
Vers d'autres lieux vers d'autres corps
Tu n'as d'empreintes
Que dans la cendre de qui tu fus
De qui tu fuis en lui fermant les yeux
Le laissant vivre de son aveuglement
Dans cet ailleurs qui fut toi
photo de l'auteur
elle mue d’arbre en arbre. apparition enlacée au cuivre du soleil. d’une marche lente. jamais à l’abri. majesté venue d’ailleurs. mal de rêveur, son agenda toujours ouvert. contre la pierre entrebâillée qui traîne sous la pluie. son brouillon épuisé de ville. ce quelque chose dans le pain. elle sauvera l’autre rêveur. qu’elle impose. au rythme de l’invisible ciel qui respire l’onde blonde, la présence, le geste libre. elle, la paix. elle anime le « i » d’aimer. se déporte avec le pollen et le vent. part encensée. passage secret. pour nous trouver enfin.
Ce n’est certainement pas à l’excellent qualité des contenus et des projets que renvoie le terme « pauvre » – mais comme pour ce qu’on nomme « l’art pauvre », je voudrais par ce titre souligner l’inventivité, les maigres ressources (les abonnements et l’investissement bénévole des revuistes), et ce génie de l’utilisation des bouts de ficelle qui permet de concocter des revues ne le cédant en rien aux plus connues, mais qui vivent à la marge, en raison de la confidentialité de leur diffusion.
« Nouveaux Délits, revue de poésie vive » en est un excellent exemple : de petit format (une feuille A4 pliée en 2), agrafée sous une couverture rousse, il offre 54 pages d’excellente poésie accompagnée d’illustrations en n&b – un illustrateur différent invité pour chaque numéro – imprimée sur papier recyclé : « Du fait maison avec les moyens et la technicienne du bord, pour le plaisir et le partage. » ainsi que le déclare la maîtresse d’œuvre, la poète Cathy Garcia, qui mène contre vents et marées cette entreprise depuis 15 ans, et à laquelle je cède la parole en recopiant l’édito du numéro 60, dans lequel on lit l’enthousiasme et les difficultés de l’entreprise. (...)
"Ce n’est pas quelque chose sur quoi j’aime m’étaler mais il faut savoir peut-être que si cette revue existe, c’est par une sorte de passion entêtée de ma part, car elle est réalisée (volontairement) sans subvention et bénévolement, dans un contexte de précarité permanente, qui a d’ailleurs tendance à s’accroître d’année en année et ce numéro 60 a eu un accouchement particulièrement difficile. Cependant, je crois bien qu’au final, c’est un beau bébé ! Un peu étrange, douloureux même, mais riche de toute sa complexité humaine et de cette énergie qui passe dans les mots, qui les traverse et parfois nous transperce, cet appel d’air, ce désir indéfinissable de saisir, en nous et hors de nous par les filets de la parole, ce qui le plus souvent demeure insaisissable.”
Feuilletons ensemble ce numéro fatidique : après l’édito que nous venons de citer in extenso, le sommaire : 7 poètes pour cette livraison, dans une partie intitulée « Délit de poésie » puis deux livres présentés dans la rubrique « Résonance ». Suit la mention intriguante « Délits d’’in)citations percent la brume des coins de page » : en effet, la revue est ponctuée de citations plus ou moins longues, dans l’angle des pages non numérotées : on trouve dans ce numéro un proverbe russe, Victor Hugo, Daniel Biga, un haïku de Sôseki… ou encore – en écho au poème de Valère Kaletka, « Le lieu », cette phrase de l’humoriste Pierre Doris : « C’est très beau un arbre qui pousse dans un cimetière. On dirait un cercueil qui pousse ». Car l’entreprise de Cathy Garcia, on le comprend vite, n’est pas dépourvue de cette distance souriante, qui lui a fait choisir le titre provocant de cette publication, liée à l’association et aux éditions Nouveaux délits, à Saint Cirq-Lapopie – rien de moins : revue pauvre, peut-être, mais au moins sous le regard tutélaire d’André Breton, qui y a séjourné après y avoir acheté une maison en 1950. D’ailleurs, si elle invite le lecteur à s’abonner, elle le fait en dernière page avec un « bulletin de complicité » qui vous propose de « blanchir (votre) argent en envoyant (votre) chèque à l’association – et comment résister à cet appel à soutien, lorsqu'on a pu constater la variété des textes publiés ? Dans cette livraison, outre Valère Kaletka, Pierre Rosin, dont on suit le parcours de peintre-poète dans Recours au Poème également, et dont je relève le post-scriptum à l’un de ses textes : « PS : nous pourrons garder les poètes et les peintres à condition qu’ils sachent jardiner ». Puis Daniel Birnbaum, Joseph Pommier, Florent Chamard, dont on peut écouter deux textes lus par Cathy Garcia sur la chaîne youtube « donner de la voix »
Puis Vincent Duhamel avec quelques proses poétiques, et Antonella Eye Porcelluzzi, dont la biographie succinte nous amène sur google à regarder les films ou écouter à travers la voix de Cathy sur la chaîne associée à la revue.
Vous ne connaissez pas la plupart de ces noms ? C’est qu’ils ont surtout publié en revue, et que les éditeurs ne les ont pas encore rencontrés, mais parcourez donc, sur le site, la liste des poètes publiés par la courageuse revue Nouveaux Délits – et : bonnes découvertes !
Pour lire l'intégralité de l'article : https://www.recoursaupoeme.fr/les-revues-pauvres-1-nouveaux-delits-et-comme-en-poesie/
(c)Alison Scarpulla
vagabond,
le sommeil flirtait avec la mort
crises justes, aiguisées
chose des morts
dans l’enfer des buissons !
images cuites des mots,
étoiles baignées d’ivresse…
les mots sucent la poussière
la bête approche
sur le sentier du dire
elle flanne
jusqu’au repère du poème
(…)
les nerfs besognent en terre de douleur
champs malades
l’existence use le poème
ailleurs,
mêmes les rêves meurent…
un sommeil rouillé
un mort lave la nuit
les flaques cassantes
du ciel
drainent les falaises
au hasard des pierres…
illustration de l'auteur
café 2
claque aux doigts
fringué de sa dégaine
coup d'œil qui délimite le territoire
claque la commande
se jette un verre
rituel
claque la langue
coude affirmé
billet désinvolte sur le comptoir
claque le fric
main qui s’impose paternaliste
droit de cuissage
claque la cuisse
le pas irrémédiable qui doit laisser un vide
claque la porte
Patrick Le Divenah a illustré le n°56 de la revue
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/archive/2016/12/27/numero-56.html
(c)photo de l'auteur - La Roche-en-Ardenne, août 2018
Revenir à la source
Lumière pure entre les plus hautes déchirures
le vent la pluie la liberté
le chant et le silence
mon beau pays
de joie
Dieter Appelt - self-portrait - 1978
Le miroir te renvoie
des rides nouvelles
qui s’accentuent
avec ton sourire benêt.
Que s’est-il passé
pendant ton sommeil ?
Tu avais pourtant mis
une crème de nuit
dans le gouffre
de tes angoisses…
(c)Lucile Lert
Attaqué de tous les côtés,
Je suis une pile
d’accablement
étoile d’un filant
manque d’espoir
un dévorant
dévoré.
Mais je l’ai dit à votre juge,
amoureux.
J’ai répété, j’ai crié
la secousse
l’ouverture
qui m’habitait.
J’ai tenté la suturation,
J’ai même voulu écrire,
mais je ne suis pas un graveur de roche
Je suis une fumée habile
qui vibre
de toutes parts.
Je ne suis pas un fluide, un flux,
je ne coule pas.
Je suis une fumée en vibration
en expansion.
Mais tu m’assièges,
tu m’assènes
que la porte est fermée
et les clés, perdues
dans un lointain futur;
que nous sommes
une prison en démolition.
(c)Raphaël Fournier
L’ABSENCE
L’absence,
C’est une part de nous
Qu'on a éprouvé dans l’autre
Et qui se respire sans visage
L’absence,
C’est une veine
Qui se frotte à notre démouillée
C’est cet absurde grillé par l'absolu
De vouloir tout garder et grandir
Dans notre fragilité
L’absence,
C’est le satin de la branche
De nos racines
Où l’on ne voudrait que la cambrure
Sans la surface dessoudée
L’absence,
C’est ce voile
Qui trempe notre encre dans sa chair
L’absence,
C’est la terre brouillée
A l’indélébile de notre présent
L’absence,
C’est cette bulle couchée
Aux larmes épuisées de la nuit
L’absence,
C’est cette promesse que le buvard
Se remplira à nouveau
Dès l’aube de sa rosée
L’absence,
C’est ce miroir
Où le cœur se fond dans ses graines
De toiles de silence.
https://www.facebook.com/Anne.B.SOLEIL/
(c) Séverine Portejoie
Sagesse
Elle s'assied au pied d'un chêne centenaire,
Hume l'odeur du temps, fumant sa pipe en bois,
Fait bruisser les feuilles rouges entre ses doigts
Lève les bras, enlace le ciel salutaire.
Elle est le loup solitaire sur son rocher,
Celui veillant sur la meute juste en dessous.
La sagesse est le fil du temps, l'eau, ses remous,
Le ruisseau qui connait la mer et ses dangers.
Elle est dans le souffle du vent, dans les embruns,
Parfume les soupes, le pain des pauvres gens,
Dîne à la table sans nappe des indigents,
Puis, calme les colères de ceux qui ont faim.
Vous la trouverez au creux d'un arbre pourri,
Dans les pommes vertes, dans votre potager,
Dans les cimetières, au détour d'une allée,
Vous parlant de la mort, mais surtout de la vie.
https://www.facebook.com/jean.piet1967/
Christian Halna du Fretay
Prendre le parti du large
sans étroitesse ni a priori
Espérer la tempête
pour se hisser sur la pointe de l’eau
à flux tendu
Braver le ciel
les navires conquérants
et préférer toujours
au monde de terre
les horizons moqueurs
http://fredericvitiello.hautetfort.com