Le cardinal Saliège disait en mars 1944 qu'il fallait "travailler comme si tout dépendait de nous, et il poursuivait : De quoi sera fait demain ? De nos actes". Plus tard, en décembre 1945 , il aura cette phrase : "Prudence, que de lâchetés on commet en ton nom !"
La poésie est un art de faire, la poésie est acte. A lire les poètes cités dans l'émission du jeudi 21 mai consacrée en majeure partie à Marc TISON, il apparaît à l'évidence que tous, dans leurs actes, s'éloignent de la lâcheté par prudence. Pourtant notre époque, s'accorde à la crainte de notre courageux cardinal qui s'interrogeait déjà en octobre 1944 :" Ôte-toi de là que je m'y mette. Est-ce que la haine ne serait que la forme, le jaillissement des appétits ?"
Vous pouvez écouter l'émission Marc TISON en cliquant sur :
http://les-poetes.fr/emmission/emmission.html
Le compte(rendu de l'émission :
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Cathy GARCIA poursuit don beau chemin et a fait paraître les n° 50 et 51 de sa revue "Nouveaux Délits Revue de poésie vive". (Le n° 6 €, abonnement 28 €, chèque à adresser à Association Nouveaux Délits, Létou, 46330 Saint Cirq-Lapopie.)
Des textes toujours intelligibles, ce qui ne nuit en rien à leur qualité, une relation éditoriale sympathique comme le confirme l'invité de la semaine Marc TISON. Une militante culturelle qui ne ménage pas son dynamisme militant, avec une générosité qui signe sa personnalité. A titre personnel cette artiste revuiste publie aux éditions Gros Textes : "TRANS(e)FUSEES / 80 essais de décollage du réel 1993 - 2013"
"Il y avait au fond de ma valise, un vieux brouillon, une veste d'homme, une bouteille, quelques fantômes et leurs bleus désirs de méharées. C'est de bon cœur que je m'apprêtais à les suivre, hélas, monsieur, en guise de départ, j'entendis pleurer les bombes et je vis l'automne passer sous les rails. Oui Monsieur ! J'ai donc ôté mes souliers et j'ai même ôté mes pieds avant de me glisser , sans rien de plus à dire, sous cet atôme de soupir où vous m'avez trouvée."
Commande Gros Textes, Fontfourane, 05380 Châteauroux-les-Alpes (chéques à l'ordre de Gros Textes, 9 € + 2 € de port).
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Denis HEUDRE vient de publier :
Bleu naufrage / Elégies de Lampedusa
éditions La Sirène étoilée
48 pages 12€
à commander à :
lasirene.etoilee@orange.fr
Lecture d'extrait.
Jeudi 3 octobre 2013
-un fait divers
-pour à jamais verser du noir
-dans mon bleu
--l’île des lapins
-pays de vaste lumière
-des hommes ont choisi le paradis
-pour enfer
--un bateau de 20 mètres
-pour 500 migrants
--l’horizon effondré
-la mort y a jeté son suaire de sel
--je ne sais rien de toi
-je ne sais pas si tu es un garçon
-je ne sais pas si tu es une fille
-encore moins ton nom
--à ton cercueil blanc
-je te sais enfant
--je sais que ta couleur noire
-assombrit nos âmes de nantis
-je t’appellerai Quinze
-c’est peut-être ton âge
-c’est le numéro sur ton cercueil
--les hommes avec toi
-voyaient les femmes d’ici
-avec des baisers de coquelicot
--s'ils pensaient réussir à apprivoiser
-le cristal et l’acier de notre histoire
-ils ont cru aux mensonges des miroitements
-et au bleu de ce qu’on raconte
--la mer d’ici n’a que faire de toi déjà oublié
-moi je t’ai donné un nom
-et jamais il ne tournera le dos à ma mémoire
--il nous faudra toujours penser
-à effacer méticuleusement les frontières
*
Murièle MODELY déjà citée dans des émissions précédentes est à lire; avant qu'une émission particulière lui soit consacrée, lecture d'extraits de "Rester debout au milieu du trottoir" Contre Ciel éditeur 12 €.
Extraits d'un recueil précédent : "Je te vois" éditions du Cygne, 13 € :
mordre
le vide mordre
laisser tous
les indispensables
biens de consommation
finir
dans la gorge
dans le creux du pantalon
vomir pour se remplir encore
*
Christian Saint-Paul accueille son invité : Marc TISON.
Il se présente aux auditeurs :
1956 : Né entre les usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières.
1969 : Lit un premier poème de Ginsberg. Electrisé à l’écoute de John Coltrane et des Stooges.
1971 : Performe des textes de Jacques Prévert sur les scènes de collège. Premiers écrits.
1977 : L’engagement esthétique est politique. Punk et free. Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Premières publications dans des revues.
1977 – 1992 Il écrira et chantera plus d’une centaine de chansons dans plusieurs groupes.
1980 : Décide de ne plus envoyer de textes aux revues, le temps d’écrire et d’écrire des cahiers de phrases sans fin. Cela jusque 1998 où Il jette tout et s’interroge sur un effondrement du « moi ». Part alors à l’aventure analytique.
2000 : Déménage dans le sud ouest. Rend sa poésie de nouveau publique.
Engagé tôt dans le monde du travail. A pratiqué multiples jobs : chauffeur poids-lourd, concepteur- rédacteur publicitaire, directeur d’équipement culturel…. Il s’est spécialisé dans la gestion de projet de l’univers des musiques d’aujourd’hui. A élargi depuis son champ d’action à la gestion et l’accompagnement de projets culturels et d’artistes.
Programme aussi des évènements liés à l’oralité, la poésie dite, et la « poésie action ».
Ses publications :
1977 - 1980 : Publié dans plusieurs revues (dont « Poètes de la lutte et du quotidien »)
2000- 2015 : Publié dans diverses revues (« traction Brabant, Verso, Nouveaux délits, Diérèse,…).
2008 : Recueil collectif « Numéro 8 », éditions « Carambolage ».
2010 : Recueil « Manutentions d’humanités », éditions « Arcane 17 ».
2012 : Recueil « Topologie d’une diaclase », éditions « Contre poésie ».
Texte « Désindustrialisation », éditions « Contre poésie ».
2014 : Recueil « L’équilibre est précaire », éditions « Contre poésie ».
Trois affiches poèmes, éditions « Contre poésie ».
2014 : Publications de quinze textes dans le livre d’artiste « Regards » du photographe Francis Martinal.
2015 : Recueil « Les paradoxes du lampadaire + à NY ». édition « contre poésie »
Depuis 2011 : Performances / installations d’action poésie (solo ou duo avec Eric Cartier).
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L'entretien entre Saint-Paul et Marc TISON est entrecoupé de lecture de textes par l'auteur.
"L’amour, ça ne s’écrit pas / ça s’invente dans les nerfs", clame Marc Tison qui enrage dans l’observation du monde : ‘L’humiliation c’est tellement indolore / à regarder. » Il reste la colère qui « allume de petits phares épandus, mais « pourtant le ciel en feux ça ne suffit / plus. » La poésie de Tison est une poésie de dénonciation. Pour se révolter, donc agir, il faut d’abord affirmer son refus du monde tel qu’il est. C’est le rôle de la poésie que de changer le regard des contemporains sur le monde. Le poète accomplit le dessein de « L’homme révolté » de Camus :" Apparemment négative, puisqu'elle ne crée rien, la révolte est profondément positive, car elle révèle ce qui, en l’homme, est toujours à défendre. » « Il y a tant de révolutions / à faire » écrit Marc Tison dans « l’équilibre est précaire. » La première est celle de la langue. Même s’il utilise le mode de l’harangue, le langage n’est jamais un langage habitué. Les mots sont lavés de leur gangue de routine. Ils voyagent et sont comme les villes que le poète traverse pour en saisir l’éphémère quintessence. Milan, Barcelone, New York, Ostende, Hambourg, etc... la même mésaventure humaine. Et l’univers invite à vivre « notre liberté inaliénable ».
Textes de Marc TISON :
J'engage aujourd’hui 06
janvier 2009 celui qui m'a
volé mes disques le 03
décembre 1975 à me les
ramener au plus vite ou en
faire bon usage surtout le
vinyle pressage 1957 du
« Mulligan meets Monk »
acheté chez un soldeur en
Angleterre en 1974 l’année
de mes 18 ans, disque dont
le poids de matière comme
l’épaisseur de la pochette
cartonnée à la photo en noir
et blanc si heureuse
ajoutaient à la volupté de
l’écoute de sa texture
sonore
*
Extraits de "Les paradoxes du lampadaire suivi de A NY :
A NY j’ai entendu un quatuor d’afro-américains septuagénaires chanter à capella du Doo wop dans un wagon de métro le dimanche matin sur la ligne reliant Harlem
Ils avaient des baskets neuves et deux des casquettes à longue visière
Un avait un chapeau à bords ronds
Et j’ai vu tous les passagers du wagon laisser des billets de 1, 5, ou même 10 dollars dans la petite boite en fer peinte maladroitement en rose et tendue par le plus costaud qui chantait la voix basse.
A NY j’ai croisé des gens pauvres, beaucoup de gens pauvres.
A NY j’ai aperçu des gens riches, beaucoup à « upper east side » .
*
A NY à l’aube laiteuse nous cherchions les enfants somptueux des Fleshtones
Nous en avions perdu la trace dans nos pas insouciants lors de battues sonores et vaniteuses.
Et puis dans ce qui n’est pas encore le matin
A NY j’ai pris
des taxis qui roulaient sur deux rails oranges
la nuit bleue isotrope des lumières des yeux qui te regardent si loin d’où tu es
un trait scintillant jusqu’à l’émoi sonore dans la gorge dans la poitrine qui résonne du mot évadé « monamour ».
A NY j’ai vu un après midi ensoleillé une junky en trithérapie promener son chien et ramasser ses crottes avec un sac plastique fait pour ça
Elle n’a pas vingt cinq ans.
*A NY j’ai vu de mes yeux vu, le ciel si loin - il s’habille des façades - se rapprocher auprès des foules au fond noir des avenues transversales, jonchées des éclats trompeurs de rêves, poussières d’enseignes publicitaires
Clinquantes et insomniaques.
A NY j’ai vu des bibelots désuets
surpris des siècles loin de moi
à l’étal d’une brocante dans un entrepôt gris
les vitrages sécurit des vasistas percés de trous
impacts de balles comme des coups de pioches.
Confusion harmonieuse des esthétiques mémorielles, revint en transparence la vitrine de ce magasin de montres soviétiques à Kotor, et les reflets de la poussière dans le maigre souffle de soleil
Evaporation des pastels et les vendeurs qui souriaient.
*
Extrait de "Manutentions d'humanités "
Pierres
Pierres qui calent mesures d'usines imbriquent des briques de terre de pierres pierres rouges les murs des maisons ouvrières des ouvriers effacés dans le canton de Denain désintégrés statistique sociale troisième page des misères du journal rouge maisons barricades planches aux fenêtres et les murs désertés rouges de pierres s'effritent sans fin recyclées et d'autres écrasées sans fin tapis des sols d'autoroutes sacrifices des os d'anciens locataires sidérurgistes au RMI offerts à la condition de poussières
*
Extraits de "L'équilibre est précaire" :
Suivras tu dans la jungle ses pensées sombres sans fin. Croiras tu voir de l’or dans ses regards perdus.
Rentreras tu dans le corps que tes bras enserrent. Et la joie et la peine pagailles d’émois qui apeurent.
Le chant frotté des mains poignant des chairs, bat l’arythmie haletante des souffles. Moiteurs de suées aux ventres mélangées, et la bite dans le con défiant la mort de baisers.
Il y a tant de révolutions à faire.
Tu seras le désir cette sorte de peine.
*
Un inédit pour l'émission "les poètes" :
Mostar : arrivée comme un road-movie
40° à l’ombre et le ciel bleu
cache les traces de l’enfer
Pelure sèche c’est la terre
Là autour d’un pont
les prêches et les sermons
des pervers religieux ont nourris les canons
Ce jour de soleil
Les imams et curetons
Ferment enfin leurs gueules
Paraît il qu’ils n’ont toujours pas honte
Là au bas d’un pont
Ce jour de soleil
Un Dj hiphop mixe sur une plage de poussière
des jeunes femmes en bikini ondulent
quand des ados fins plongent en frimant
La rivière redevenue bleue
Combien d’assassinats snipers fallait il
Retransmis en direct sur les télés du monde
Un jeu de gloriole
Les morts comme figurants
On filme le poing haineux brandi en vociférant
Le racisme nationaliste fait people
Et dire qu’on promet des unes spectaculaires sur son retour
Alors Mostar : 40° à l’ombre et le ciel bleu
Y revenir
Dans le miroir du présent
Plus jamais ça
Plus jamais ça
Ad lib..
*
Marc TISON une voix témoin de son temps, totalement confondue et en mouvement avec l'art d'aujourd'hui, qu'il est bon de connaître et d' accompagner dans notre énigmatique époque.
Amitiés à ceux qui se reconnaîtront,
fraternité à tous,