Key Mignot - Brumes (haiku) - 11 ans
Des brumes, il y'en a,
Même l'oiseau ne voit pas
l'arbre à deux pattes de là.
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Des brumes, il y'en a,
Même l'oiseau ne voit pas
l'arbre à deux pattes de là.
STELLA MARISFileuses stellaires, qui tissezcontre vents et maréesle corps moiré de la nuit,sur le rouet des imagesrythmez du temps les repliscomme vagues sur rivageO mes Moires mer-veilleuses,terribles et silencieuses,sur la toile des mystères,déroulez en horizons lointainslueurs corpusculairesoù défilent nos destins
vient de paraître aux éditions Acoria
Textes réunis par Yusuf Kadel
Préface Eileen Lohka
Introduction Robert Furlong
Existe-t-il, comme pour la mesure du progrès humain, des paramètres, des indices permettant de mesurer le développement poétique ? Probablement pas, car la poésie transcende le temps et un poème d’il y a mille ans peut paraître plus contemporain qu’un poème tout juste accouché… L’outil pouvant faciliter à la fois une vision panoramique, voire une lecture diagonale d’échantillons d’une production littéraire tant romanesque que poétique reste l’anthologie. Même si celle-ci n’est jamais totalement exempte de directivité, l’anthologie reste un acte littéraire fondateur en soi, car, à travers elle, un auteur ou un collectif d’auteurs considère que telle ou telle somme de production littéraire est représentative d’un génie particulier et/ou reflète une maturité littéraire suffisante… En quelque sorte, elle est une vitrine rassemblant de façon quasi muséale ce qui mérite d’être pérennisé en bloc et qu’il convient de considérer comme emblématique.
Y figurent donc avec bien d 'autres à découvrir, trois auteurs publiés dans la revue Nouveaux Délits : Yusuf Kadel, Alex Jacquin-Ng et Umar Timol.
Pour commander : http://www.acoria.site-fr.fr/produit/210040/
Voyage, vers telle ou telle éternité.
Perçant et expugeant l’alphabet de la fièvre, craquements, mandibules,
Ordre et désordre du chant d’amour,
Goutte à goutte que plume,
Perle à perle que dieux.
(…)
brûle, ondule, l’œil pullule !
l’à l’endroit, là l’envers, tout est rues d’univers.
Garde l’or. Garde l’œil.
Ce qui vient entre nous sur terre.
Xam ! Xam ! C’est un rêve surnuméraire.
Il fait lèvre. Il fait froid. Sur ta peau d’hortensia.
Dans la rue du vagin, chevelure et brûlure.
O mon corps, loup de joie.
Fais-moi signe dans l’ici-bas.
(…)
Nous savons témoigner des mots lovés dans
les terriers de chair. Mots désastres du corps perdu.
Mots qui n’ont plus leur place dans la bouche…
Nous sommes des brûleurs d’eau froide.
L’aube est sans laisse, et le cœur est immense.
L’âge du monde est notre voie.
(…)
Le cœur descend de tout, échassiers des chimères.
(…)
Les mots sont l’océan de nos barques de pierre.
Nous avons mis des siècles à dépouiller la nuit de nos chimères.
Car nous avons gagné le droit du large, chacun
Dans son manteau d’écailles et d’horizons.
Chacun dans le gisant des mots, l’étoile au sec.
La nuit dort sur le flanc, vieux chien de nos poitrines.
(…)
Nos mains s’agitent, cages intimes, où sont les anges fous, nos sibylles vaincues. Voyage dans la blancheur du corps, voix délicieuses, premières perce-neiges au-delà du pubis. Premières étoiles sur la peau. Les sexes fusent. Fatigues des maquis de bouches, des jardins sous l’aisselle. Fatigue des parfums en déroute. La perle du matin sur son dernier rivage.
(…)
Autant de hanches, autant de gorges sur l’horizon. Autant de tailles cernées par l’océan, l’ambre et la pulpe des mots. La mer s’est retirée, découvrant l’étendue de la nuque, les halos de l’échine, la lune attardée des yeux dans les saules. Ce quelque chose qui fait de nous des puits, des corps tourbillonaires dans le chaos des rêves. Ecrire c’était hier, renaître c’était demain. L’océan quelquefois se noie ans nos suaires.
(…)
Les passereaux emportent les destins, frères aux jabots de feu, fées aux longs yeux d’amantes, pluies sacrées. L’étreinte à l’âge des clavicordes.
Chants de nos cygnes intimes, trouvés morts dans l’aurore, quand le ciel lentement se défait de ses linges de femmes sur le seuil.
Ce goût de vieux futur dans la bouche indécise.
(…)
Nous cherchons Aphrodite, elle est dans nos poussières. Sa taille et son nombril, les sources de sa nuque. Le matin n’a plus d’âge, l’oiseau quitte nos laines. Notre étoffe de chair se froisse sur la berge.
Nous traquons l’éphémère, le ventre du ciel pur. L’oubli ne nous sied plus. Un jour, nous renaîtrons de ses restes barbares. Rien ne sera trop pur, trop loin, trop improbable.
Ce que nous avons fait, nous savons le défaire.
(…)
Ecrire est un pays qui n’a plus d’horizon.
(…)
Tout l’eau n’est que ruine et caresse. Il faut faire allégeance à ces femmes de source et d’estuaire. Il faut plonger en soi dans les vagues et la fièvre des poissons vainqueurs.
Tout cela, tu le sais, mais tu nages en eau blême, frère du chêne et du houx. Quand tu es arrivé n’aies pas peur, le rivage est une frontière de soi à soi, laissé dans l’or et l’éblouissement du corps.
Après l’amour, nous parlerons. Après l’amour obscur.
(…)
Tout revient pour germer. Tout revient pour gémir.
Le corps enchevêtré du monde est sur nos pas, brûlant ses hanches, mendiant sa nuque, tirant les oripeaux du sexe sur la route. Etreinte aux ailes de grand froid.
Peut-être saurons-nous un jour qui est l’âme du bleu ? Des mots, des rêves, d’autres mots, d’autres rêves, des écorces, des branches, l’en marche du désir, l’en marche de la pluie, les horizons errants sur chaque lèvre…
Tout l’impensé du monde est sur nos traces.
(…)
Le grain des rêves est humide. Sable et rêve génèrent la même eau, la même femme à la voix de ténèbres. Il faut sans fin lever sa peau entre les sables de la nuit, effacer cette trace de ciel dans nos poitrines.
(…)
Dans la cour, les guerriers mangent la chair des tours. Buvez, mangez. Anne est nue dans sa tour.
Anne au genou fier, aux chevilles légères. Anne du vent. Mais de la nuit, que savons-nous, bergère des ifs blancs ?
(…)
La nuit entre par tous les mots. Car la nuit trompe ses vieux amants.
(…)
S.o.s. à la mer. S.o.s. à la pluie. Au suaire du vent qui nous colle à la peau.
Nous savons tous que les mots sont fossiles.
Ecailles d’un autre âge.
Il ne reste presque plus rien des rêves. Seulement l’inachèvement des tempêtes, le bleu déchu du ciel dans nos vertèbres.
Chaque jour le judas du temps montrant ses traces.
(…)
Depuis toujours, je polis l’airain noir de ton corps
De tous mes mots, je pèse sur le fléau des villes
Tout ce qu’on peut tirer d’un arbre au crépuscule
Pierre Colin, extraits de Je ne suis jamais sorti de Babylone
* * * * *
Pierre s'en est allé, emportant avec lui sa fougue, ses élans et sa passion de l'Autre qui, j'en suis certaine, sauront éclairer sa route. Sa présence et ses mots demeurent, à jamais gravés dans le cœur de ses proches et amie(e)s et tous celles et ceux qui ont et auront la joie de lire sa poésie puissante comme le granit de cette Bretagne qu'il aimait tant et lumineuse comme l'écume à la crête des vagues. Les hommes vont, les paroles restent et à travers elles, le poète nous convie au banquet d'une immortelle liberté.
Librairie des Beaux Jours, Tarbes, Avril 2012
Et un grand et du fond du cœur MERCI !! Pierre Colin et sa compagne Maïté font partie de ceux qui n'ont jamais cessé de soutenir et encourager mon travail autant poétique qu'artistique et qui ont généreusement invitée la revue et moi-même à plusieurs reprises dans le cadre des cafés littéraires de leur association Thot'M. Ce sont des choses qui comptent et ne s'oublient pas.
Cathy Garcia, 6 mai 2014
Avril-Mai-Juin 2014
Éclosion presque tardive pour ce numéro de printemps, pour cause de grand remue-ménage. C’est la vie comme on dit, avec ses accidents, ses dégringolades, mais on ne peut qu’aller de l’avant vu que la marche arrière n’existe pas… Et tant mieux, notre temps est trop court, même si « le temps des hommes est de l’éternité pliée » (Cocteau). Pas grand-chose à dire du coup, mais des mots vous en avez plein la revue déjà et l’Amour demeure, quoiqu’il arrive, tel le ciel derrière les nuages.
CG
Chacun contient en lui des galaxies de rêves et de fantasmes, des élans inassouvis de désirs et d'amours, des abîmes de malheur, des immensités d'indifférence glacée, des embrasements d'astre en feu, des déferlements de haine, des égarements débiles, des éclairs de lucidité, des orages déments....
Edgar Morin
in Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur
AU SOMMAIRE
Délit de poésie : Élisa Parre, Cécile Coulon, Hamid Tibouchi, Rodrigue Lavallé
Délit de vagabondage : Sylvère Moulanier (Québec)
Délits d’(in)citations au renouvellement des pensées, c’est le printemps !
Bulletin de complicité toujours frais et dispo au fond en sortant.
Illustratrice : Cathy Garcia
Gribouglypheuse, elle s’adonne à l’art vénal = œuvres à vendre :
http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com/
Le génie n'est que le chant du rouge-gorge
à l'aube d'un printemps indolent.
Khalil Gibran
Nu sur la terrasse
Nu sur la terrasse, il tond sa poule aux yeux d'or, s'endort et joue l'autruche face au déluge.
Il touche du doigt son sexe tendu, se frotte aux épines d'aubépine dressées dans les pots de terre: révolution espiègle.
La poule caquette et, plumes aux vents bressans, vents écarlates et douloureux, vents des monts du Jura, du Bugey, de Savoie, elle s'épouille et s'ébat sans se soucier nullement des saletés semées à ses pattes.
Il devient blême, il bêle. Il s'habille de soie, le soir, se détend dans un bain de lait tiède, amande et coquelicot. Infusion d'illusions,
La baronne conduit vers les gorges et le sourire commercial manque à l'appel. Il semble qu'elle ait effacé le mot patience de son vocabulaire, son dictionnaire ne compte donc plus les mots nécessaires, les mots sincères, tous ceux qu'une relation naturelle et honnête serait en droit d'attendre.
Parcourir les chemins, les chem-trails, les canaux du temps assassin. Recycler les poncifs d'un passé pas si lointain et pourtant momifié. Les reliques d'une autre vie, d'un temps fécond, abscons et moribond.
Subir l'excuse, la platitude et les caprices d'un enfant-roi. Sa loi. Son droit.
Devoir composer avec ses humeurs, porter des masques aux sourires à l'endroit et accepter de ne jamais se plaire plus que nécessaire dans le trou où ses envies nous auront faits choir.
Pourtant le sexe dur pénètre encore ses entrailles, son anus chaud, sa bouche moite. Les yeux moirés voient cet organe avec envie et la main douce, câline et ferme l'enferme, le serre et le compresse. Ce lent mouvement, ce va-et-vient appelle l'orgasme et l'explosion d'un jus visqueux, tiède et salé, qui coule et qui s'étale sur un lit anthracite.
Les nuits apaisent les désirs, rendent possibles les envies, annoncent les orgasmes gris, les liqueurs du délit.
(texte inédit extrait du recueil Civilisé, en cours d'écriture)
Douce musique, si douce, mais la berceuse ricoche, crible le cœur.
La folie est à quelques cellules à peine, trois fois rien.
Le refuge du placard est vain.
Traquée, détraquée. Ça me hurle.
Ma lèvre tremble, le ciel est tombé en cataracte de verre. En granit fracassé à la mer.
Tant de pêcheurs encombrent la rive et le soleil veut sa part de crème géologique.
Je glisse, toboggan, vers l’abime entraperçu sous la couture des océans.
(…)
Patience, mon âme. Tu veux fendre muselière, je te parle sagaie, flèche, rasoir.
Obscure arborescence dissimulée dans le filet.
Je flotte dans le corps, bascule les câbles. Étrange toupie, coque scindée.
Déroulée la houle, découpée la coupe, démolis les mots.
Nous cumulons les éternités comme un enfant empile ses cubes.
Mais dans le chiffon de l’univers, la mort serait-elle un trou de ver ?
Fugitive de Cathy Garcia, maintenant disponible chez Cardère éditeur
Illustrations originales de l’auteur, 64 pages, 12 €
Éditions Les doigts dans la prose, avril 2013.
134 pages, 15 €.
Le plancher est un livre d’une densité singulière, qui au fur et à mesure confine à l’étouffement, et pour cause, l’histoire peinte ici raconte le basculement dans la folie de toute une famille. Peinte, car la langue dont use l’auteur est un matériau quasi organique qui est à elle toute seule, une œuvre d’art. La poésie n’y est pas un décorum, mais véritablement la seule langue possible pour formuler l’indicible, pénétrer l’intolérable et infuser la folie dans les tripes même du lecteur. Car si dans la première partie nous sommes encore dans la narration, dans la seconde nous culbutons du côté où la langue elle-même s’affole. Une langue pleine de terre, taillée au couteau, absolument magnifique cependant, flamboyante comme un crépuscule d’automne. Dans la troisième partie, elle nous immerge pour de bon dans un bourbier de démence.
La première partie est intitulée La souche. La souche, ce qui reste d’un arbre que l’on a coupé, les racines toujours plongées dans la terre, nourricière ou collet, c’est selon. Ici cette terre, cette terre de paysans, passera de nourricière à cocon toxique, jusqu’à ce que piège, elle se referme définitivement. Nulle métamorphose heureuse n’en sortira.
La famille, ils sont six. Le père, la mère et les enfants : Paule, Simone, Jeannot et Mortné.
L’histoire commence en 1930 quand Joséphine et Alexandre, le père et la mère, achètent une ferme dans le Sud, fuyant des problèmes avec les autres, là-haut dans le Nord. Joséphine, avec ses deux frères à l’asile, porte déjà en elle les germes d’une impossibilité de s’entendre avec qui que ce soit. Ils achètent donc une grande et belle ferme et en tant qu’estrangers, s’attirent immédiatement la haine et la jalousie des Deux-cents, les villageois d’à côté.
Dans cet univers déjà clos, trois enfants de plus viendront au monde. Paule était déjà née dans le Nord. Le dernier est mort né en plein champ.
Jean, qui ne sera jamais que Jeannot, est né en 1939, pour éviter au père la conscription, ce qui ne fait qu’alimenter sales murmures et jalousie du côté des Deux-cents. Quand aux six, « ils ont tous un air de famille, un air de désastre ».
La guerre passe et « Les années passent et avec elles les coups de hache, les éraflures, les entailles, les éviscérations. Les années avancent et elles essaient, les filles, de courir insouciantes, d’étudier bienveillantes, de grandir insouciantes. Les années passent et Jeannot tente de comprendre, d’aimer et de parler. Les années passent et les parents poursuivent l’œuvre de destruction, souterrainement aidés par les Deux-cents qui n’en finissent pas de maudire, de cracher, d’envier.
(…)
Ce n’est pas un père, juste une forme de violence
Ce n’est pas une mère, juste une forme d’indifférence
Ce n’est pas une famille, juste une forme de récit
(…)
Une longue cohabitation avec l’inhabitable. »
(…)
Les parents ne sont jamais d’accord. Sur rien. Sauf pour persécuter les enfants. »
Et puis il y a ce jour funeste où Jeannot pénètre dans la grange et qu’il voit…
« - Tu n’as rien vu !
Je n’ai rien vu. Verrai rien. Jamais. Ni dans la grange, ni dans la chambre, ni dans le champ. La bête je la vois pas. La bête aux yeux dilatés de peur. »
Alors Alexandre, le père, le colosse, l’abuseur, deviendra l’ENNEMI. L’ENNEMI qui commande au cerveau de Jeannot. Ne rien voir.
« Alexandre bine et bêche et sillonne, brutalise. Passe et repasse sa charrue. Paule a de la terre plein la bouche, plein les yeux, jupe relevée sur son ventre neuf. »
Jeannot a dix-huit ans, il est amoureux. Amoureux de Destinée. Fille du village des Deux-cents qui ne voient pas cela d’un bon œil. Jeannot a dix-huit ans, son cœur sera pulvérisé. Il va partir, il part, ira verser plus de saloperie encore sur ses plaies. Il part pour l’Algérie.
Jeannot parti tuer, Simone partie avec un mari pour ne plus jamais revenir, Paule restée avec la graine de douleur que l’ennemi a semé en elle, l’EnfantX et les voix des Deux-cents qui vipèrent plus que jamais, jusqu’à l’agression physique. Paule, la labourée, commence à basculer. Le père rattrapé par le bouche à oreille, l’irracontable qui s’ébruite à tout va, le père : pendu dans la grange. Jeannot doit rentrer.
« Jeannot sera toujours le mutilé, suspendu au crochet, sur les murs épais de la ferme, blessé aux épines de silence cloués aux portes des granges pour éloigner le mal qui est le bien, mais qui le dit ? »
Nous entrons alors dans la deuxième partie, Les branches, où « s’ouvre le gouffre des douze longues années de solitude »
« Tout ce qui était au père, tout ce qui était le père, Jeannot le laisse pourrir. » Ce qui reste de la « famille » se referme sur elle-même, « mi-humains, mi-bêtes, ils n’existent plus, deviennent innommables, désintégrés, sauf à visser plus fort leur masque de fou. »
Tout ira alors crescendo dans le non-sens de la désintégration, de la dissolution, de la décomposition, jusqu’à la troisième partie, où la mère déjà enterrée sous le plancher, où Paule erre dans ce qui reste de la ferme envahie par la végétation et la putréfaction. Jeannot lui, ne décolle plus du plancher, à plat ventre, il grave dans les planches, au couteau, à s’en faire saigner les mains, il grave tout. Parce qu’il n’a pas trouvé un seul bout de papier dans toute cette désolation et qu’il doit conjurer trente-deux ans de silence. Il grave, saigne à blanc le plancher.
« Si Jeannot le veut, bois devient papier. »
« Ceci est malangue !
Allongé dans ma litière de copeaux je touche les lettres, je sais ce que je dis. Je dis que j’ai vu. Je dis que ma rétine, ma vue, mon œil et les images. Je dis les abus. Je dis noir sur noir. Je dis et ne vacille pas. Je dis ce qu’ils ne m’ont pas raconté. Leurs interdits. Je dis à leur place, je dis à leur faute, je dis à leur face, je dis à leur tête. Je dis ma puissance. C’est à vous de me regarder maintenant. »
Cinq mois de travaux forcés à plat ventre sur le plancher, à plat ventre sur le corps pourrissant de la mère. Jusqu’à la mort.
Restera Paule, SURVIVANTE, la première et la dernière.
Le plancher de Jeannot a été présenté lors de l’exposition Écriture en délire à la collection de l’Art Brut, à Lausanne, du 11 février au 26 septembre 2004. Ce plancher existe et il est placardé sur les murs de l’hôpital Sainte Anne, dans le 14è arrondissement de Paris, où il est toujours visible et rend justice à tous les Jeannot, toutes les Paule, tous les enfantsX et les Mortnés… On en trouvera des photos à la fin de ce livre.
Un livre d’une beauté saisissante, portrait choc d’une certaine réalité du monde rural d’antan, entre autre, un livre hybride dans sa construction, qui dissout les frontières entre prose et poésie et met comme le souhaite ses éditeur, les doigts dans la prose. Nous en ressortons absolument électrifiés, ébahis et profondément fouillés de l’intérieur.
Cathy Garcia
Le plancher photographié par Martin d'Orgeval
Perrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons. Perrine Le Querrec est une auteure vivante. Elle écrit dans les phares, sur les planchers, dans les maisons closes, les hôpitaux psychiatriques. Et dans les bibliothèques où elle recherche archives, images, mémoires et instants perdus. Dès que possible, elle croise ses mots avec des artistes, photographes, plasticiens, comédiens.
Bibliographie :
« Jeanne L’Étang », Bruit Blanc, avril 2013
« De la guerre », Derrière la salle de bains, 2013
« No control », Derrière la salle de bains, 2012
« Bec & Ongles », Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
« Coups de ciseaux », Les Carnets du Dessert de Lune, 2007
Site : http://www.perrine-lequerrec.com/
Blog: http://entre-sort.blogspot.com/
Moustique
Petit point noir vrombissant
Sur la blancheur de mes draps
Le matin te transformera
En une étoile rouge sang.
leseditionsduportdattache-overblog.com
Le scénario de l'émission que vous pouvez partiellement écouter en cliquant sur : http://les-poetes.fr/emmission/emmission.html
L’émission diffusée le jeudi 9 janvier 2014 avait été enregistrée, ce qui est exceptionnel, les émissions étant réalisées normalement en direct. Toutefois, avant le passage du document sonore, et alors en direct, Christian Saint-Paul a fait quelques annonces à l’antenne. Ces annonces n’ont pas été enregistrées et n’ont pu être écoutées que par les auditeurs présents ce jeudi à 20 h. Pour mémoire et bien entendu pour incitation à la lecture, voici ces annonces :
Lecture de l’éditorial de Cathy GARCIA :
Lecture de « Signes de mon vieillissement » d’Eric DEJAEGER.
Et parce que Cathy GARCIA dans son éditorial évoque l’année 1972, Saint-Paul revient sur ces années soixante dix et en particulier sur ces années en Espagne et sur une jeunesse déboussolée qui entrera avec un désespoir aveugle dans le terrorisme. Epoque douloureuse. Pour Saint-Paul la lutte antifranquiste de l’extérieur et de façon active se devait de cesser dès 1970. La transition démocratique, voulue par l’Espagne qui désirait entrer dans l’Europe ne laissait aucune place à une action clandestine dirigée depuis les pays étrangers, comme l’URSSS par exemple. Toulouse, plaque tournante de ces actions clandestines et qui s’était si bien illustrée, devait céder le terrain de la lutte politique aux forces de l’intérieur. Toute obstination compromettait la rapidité et le succès du changement vers un état démocratique. Pourtant, des groupes se sont constitués après 1970 refusant le capitalisme et prônant la lutte armée. Et l’amiral CARRERO BLANCO pouvait assurer une continuité édulcorée du régime en place. L’action réussie de l’ETA a rendu drôlement service aux partis démocratiques de transition, toujours officiellement clandestins mais déjà représentatifs et dans l’action politicienne classique qui sied en Europe. Cette année 2014, il y aura 40 ans que les velléités utopiques de jeunes anarchistes fourvoyés dans une action de guérilla, furent stoppées dans le sang. Toulouse fut une des villes les plus impliquées dans l’inutile protestation internationale qui s’en suivit. Le consulat d’Espagne de la ville rose fut plastiquée, avec, c’est vrai, de bien maigres dégâts. Mais la voix toulousaine se faisait entendre. Elle avait intégré dans sa mémoire politique humaniste le nom de Salvador PUIG ANTICH, militant du Mouvement Ibérique de Libération (MIL) impliqué lors de son arrestation à Barcelone, d’échange de coups de feu qui coûtèrent la vie à un inspecteur de police. Six mois après cette arrestation, PUIG ANTICH né en 1948 fut garrotté à la prison Modelo de Barcelone. Son supplice dura vingt minutes. Le même jour, à la prison de Tarragone, Heinz CHEZ un activiste polonais qui avait tué un garde civil fut lui aussi garrotté, mais dans l’indifférence de l’opinion internationale. L’année suivante, en septembre 1975, cinq autres militants de la lutte armée furent fusillés car l’Espagne ne possédait pas assez de garrots pour les exécuter en même temps. L’Espagne est entrée dans l’Europe en 1986. La peine de mort y est abolie. Mais le nom de Salvador PUIG ANTICH symbole d’une répression brutale qui fut celle, terrifiante, de la dictature franquiste doit demeurer dans nos mémoires, non comme un exemple, mais comme « una putada » une saloperie qui déshonore, s’il en était besoin, les hommes de pouvoir de ces années.
Les prisonniers qui étaient dans la galerie d’où partit Salvador PUIG ANTICH pour le supplice, dont il ne découvrit la nature qu’au dernier moment, composèrent sur cette mise à mort des chansons. Lecture de l’une d’elles :
Ferme la porte
Tire le verrou
Maton !
Attache ferme cet homme-là
Avec des chaînes, avec des cordes
Ces chaînes aux anneaux
Ensanglantés qui forment
Des nœuds de sang
Attache ferme et serré
Cet homme là, maton
Tu n’attacheras jamais son âme
Nombreuses sont les serrures
Nombreuses sont les clefs, maton
Mais tu n’as pas celles de son âme
Un homme attend
Dans son confinement
L’oreille à l’écoute
C’est le prisonnier Salvador
Le peuple criera peut-être
Ce peuple, le nôtre, qui réclame la liberté
Et alors voleront les serrures
Voleront les prisons
Attache ferme et serré
Cet homme-là, maton
Tu n’enchaîneras jamais son âme
Putain de vie, le garrot l’a emporté !
CHIRICO
La sensation opère dans le bloc
De béton natif
Les distances s’étirent jusqu’où pique
L’anonyme qui les a vues naître
Nourri par le sable et les gravillons
Nourri par le liant de ciment
Qui lentement lui ont plombé la cervelle
Lentement lui ont fait assimilé
La parfaite solitude où il s’est collé
Ni le temps ni rien n’altèrent la texture
De l’océan mort où la ligne d’horizon
Taquine comme un venin stérile
L’étendue avide de cerveaux anonymes
Depuis qu’on a fondu ce prodige moderne
Depuis qu’on a fondu la modernité
Dans les cervelles des anonymes
Janv. Fév. Mars 2014
« Dernier noël capitaliste » lançait le journal Hara Kiri en décembre 1972… Visionnaire, non ? Mais ils n’avaient pas prévu entre autre le retour des tablettes (depuis le bon vieux temps de l’argile) et des téléphones plus intelligents que leurs utilisateurs… Flonflons, cotillons, soyons mignons, la même rengaine encore et toujours, joyeux naufrage et bonne bourre 2014 !?
Oh bien-sûr, ça n’empêche pas les vrais sentiments, les vœux vraiment les plus sincères, ça n‘empêchera pas non plus les gens de mourir de froid dans la rue, noyés en Méditerranée, bombardés par ci, découpés par là, balayés par les statistiques, ça n’empêchera pas les trafics en tout genre, d’influences ou d’organes, mais on se plie bon gré, malgré, à la tradition, à l’habitude, au désir aussi, toujours un peu suspect, de capter un peu de joie précieuse entre deux factures.
Et puis on peut aussi lire ce numéro. Il est sans flonflons, sans trompettes, il est même un peu triste, un peu noir, un peu trash… Et pourquoi pas ? S’exprimer c’est aussi ne pas laisser dans l’ombre ce qui pourrait déranger, c’est affronter le malaise, ouvertement, ça peut même en devenir libérateur. Être libre de flonflons et de trompettes, prêt à accueillir chaque instant qui passe, avant ou après minuit, sans vouloir changer hier, sans craindre de ne pouvoir changer demain, mais simplement être ici et maintenant, heureux ou malheureux, amer ou amoureux, en pleine forme ou sur les genoux, pessimiste ou optimiste, lâche ou courageux, gagnant ou perdant, qu’importe ! Juste être là, laisser les sourires se poser sur nos lèvres s’ils le veulent et repartir quand ils auront envie d’aller fleurir d’autres bouches, laisser nos mains s’ouvrir et se fermer comme des battements d’ailes, en attendant le printemps qui revient toujours, même si tout se détraque, même si les coutures craquent et patatrac !
Se dire que plus on prend de claques, plus le sang circule… et la vie va !
C.G.
Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes,
c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres.
Nelson Mandela
(18 juillet 1918- 5 décembre 2013)
Délit de poésie : Carl Sonnenfeld, Stéphane Bernard, Murièle Modély, Jérôme Pergolesi, Thierry Roquet.
Délit-foutoir : quelques streets imaginaires, un poète, un prisonnier et des signes de vieillesse, le tout passé au shaker d’Éric Dejaeger.
Suivi d’un Déli(t)re au clavier de Léon Maunoury
Résonance : Le plancher de Perrine le Querrec aux Ed. Les doigts dans la prose, 2013.
Délits d’(in)citations quelques touches supplémentaires de féminin dans ce numéro qui se moque un peu de la parité. On n’en pense pas moins.
Vous trouverez le bulletin de complicité au fond en sortant et vous l’offrirez à vos meilleur(e)s ami(e)s comme à vos pires ennemi(e)s, le commerce ne prend jamais parti, seulement la monnaie.
Illustrateur : Jean-Louis Millet
"jlmi ? Grand spécialiste en rien mais curieux de tout : dessin, peinture, photo, écriture, édition virtuelle, chasse aux alternatives… le tout mis en actions concrètes dans l'animation virtuelle de blogs et de sites :
"Au hasard de connivences" un potlatch poético-artistique http://jlmi22.hautetfort.com/
"le Musée Improbable", chaque jour deux œuvres, deux artistes http://jlmi94.hautetfort.com/
"Évazine", une petit île d'asile poétique http://evazine.com/
"Zen-évasion", site grenier aux malles ego-mystérieuses http://www.zen-evasion.com/
Hors de la voie de la pensée unique, la croisée des "Voix dissonantes" http://jlmi.hautetfort.com/
ébauchée ici http://jlmi.eklablog.com/?logout
Allez y faire un tour … ou plusieurs, c'est gratuit et sous copyleft
FUGITIVE
de Cathy Garcia
Fugitive est un ouvrage en vers libres qui nécessite une lecture chronologique. Comme dans les deux premiers recueils de Cathy Garcia que nous avons publiés (Le poulpe et la pulpe en 2011, Les mots allumettes en 2012), on est dans un récit abstrait, avec un axe fort, de l’action, et ici une exhortation quasi externe : je marche, je dois marcher ! En miroir, le lecteur pourrait/devrait entendre : reconstruit ton propre récit, avance ! Ce texte court tire sa force de sa cohérence essentiellement. Le vocabulaire est riche, « brut », plutôt terrestre (pollen, étoiles, silex, transhumances, tourbe, loups, humus, rosée, glaise, vendanges, jachères, sources, rapace, moisson, rocaille, granit…) Les expressions sont souvent violentes, de l’ordre du tragique ou de la tragédie (Les bêtes désarticulées ; Visions éclatées de l’oracle ; Un corps de femme à lapider ; sinistres bouillies de chimères) ; on respire toutefois avec de rares mots tendres (la douce chair des roses ; la nacre d’un ange). On est parfois au bord de la provocation, de l’outrance sulfureuse (La meute aime le rut ; Je suis la sorcière parfumée d’épices. Voyez les déluges rougissant entre mes seins d’ambre ; Allongée. Au bord de la jouissance ; ouvrir mes cuisses libère mes odeurs de femme). On y trouve quelques constructions originales mais parlantes (liturgies volcaniques ; je panthère avec la mort). La situation de fuite, de traque, donne à ce recueil-récit une grande énergie où transpirent la colère, la frustration, la hargne, la révolte, mais aussi la soif de (sur)vie, l’animalité, une sorte d’optimisme quasi atteint. Nous avons avec l’écriture de Cathy Garcia, le côté féminin de celle de Serge Bec, en particulier dans Psaume dans le vent.
illustrations originales de l’auteur
64 pages, prix public 12 €
ISBN 978-2-914053-74-7
Jours d’hiver
1
Un jour désagrégé
rien ne va rien ne sert
je jette les morceaux
qu’ils pourrissent au dépotoir
où vont tous les passe-temps
en train-train de misère.
*
Le vent souffle en rafales
sur les hauts peupliers
qui peignent le ciel
inutilement
Le temps vire à l’orage
et je voudrais soudain
marcher sous les éclairs
pour ne plus avoir à déchirer la nuit
de rêves ajourés.
*
Un regret passe, malhabile
et puant la sueur froide
un deuxième passe, fébrile
un troisième, incertain
et puis un quatrième
et une palanquée
une foule en délire
un désir refoulé
un fou en liberté
un autre sur ses gardes
et puis un garde-fou
et quand la scène est pleine
alors subitement
les regrets regrettent
d’occuper le terrain
et le laissent
à regret.
2
La neige tombe jusqu’au silence
couvrant les champs
et leurs barrières
laissant de but en blanc
tout un champ du possible
où les pas des enfants
feront de beaux desseins
Les corbeaux s’y découpent
comme des pointillés
On garderait le tout
y compris le silence.
*
Sous les nuées d’étoiles
insensibles au vent
mais vaincues par le jour
je prends un air léger
contourne les nuages
vole sur l’incertitude du vent
et cherche un regard
pour marcher avec lui
le long des crépuscules
Albin Michel octobre 2012.
Si on a eu la chance de suivre Corine Sombrun depuis le début de ses incroyables, mais bien réelles aventures, nous ne pourrons qu’apprécier au plus haut point ce nouveau livre, qui raconte la vie d’Enkhetuya. Cette femme chamane tsaatane a initié pendant de longues années Corine Sombrun, après que celle-ci soit inopportunément, et bien malgré elle, se soit retrouvée en transe dans la peau d’un loup, alors qu’elle participait à une séance chamanique chez un autre chamane, afin d’en faire des enregistrements sonores pour la BBC. C’est ce que Corine Sombrun raconte dans son livre Mon initiation chez les Chamanes (Une Parisienne en Mongolie) paru chez Albin Michel en 2004. Cela dit son séjour d’alors en Mongolie n’était pas totalement dû au hasard. Si on lit son tout premier livre, Journal d’une apprentie chamane, paru en 2002, on apprendra que lors d’un séjour chez un ayahuascuero en Amazonie, où elle était partie suite à la perte d’un être très cher, elle s’était mise à chanter, lors d’une cérémonie sous ayahuasca, des chants diphoniques qu’elle ne connaissait pas du tout, mais qui lui avait indiqué sans qu’elle comprenne pourquoi, la voie vers la Mongolie où est pratiquée cette technique de chant traditionnelle. Ce qui est bien avec Corine, c’est que toute son histoire, depuis le départ et dans chacun de ses livres, elle nous la raconte avec simplicité, beaucoup d’humour, malgré la grande douleur qui en est à l’origine, et aussi une grande humilité. C’est une femme intelligente, sensible, douée, la tête bien sur les épaules et ses livres sont bien loin des ouvrages new-ageux un peu foireux et racoleurs. Ses aventures sont authentiquement extraordinaires, de l’Amazonie à la Mongolie, où elle reviendra tous les ans pour continuer sa formation de chamane, en passant par son face à face avec elle-même à Paris, qu’elle raconte dans Les tribulations d’un chamane à Paris (Albin Michel, 2007), avec toutes les peurs et les doutes que ne pouvait manquer de provoquer ce grand écart entre une culture moderne et une culture puisant ses savoirs au fin fond des âges les plus reculés de l’humanité, mais cependant des savoirs aux conséquences et aux répercussion bien réelles, jusqu’à la rencontre, qui elle non plus n’est pas hasardeuse, avec Harlyn Geronimo, l'arrière petit-fils du célèbre apache qui a lutté pour la liberté des natifs américains à la fin du 19ème siècle et qu’elle raconte dans Sur les pas de Geronimo (Albin Michel 2008). Corine Sombrun fait ainsi office de passerelle entre la Mongolie et les cultures amérindiennes, qui ont sans aucun doute de lointaines origines communes. Aussi, pour en revenir à L’esprit des steppes, après avoir raconté sa propre histoire et les rencontres qui ont suivi, il est naturel que Corine Sombrun ait eu envie de raconter Enkhetuya, de raconter qui est cette incroyable femme chamane qui l’a initiée tout au long de ces années, plusieurs mois par an, au milieu de la steppe et des rennes.
Après avoir posé le contexte historique depuis 1915, Corine Sombrun nous entraine donc en 1964, en pleine taïga et en plein communisme, où la petite Enkhetuya âgée de 7 ans, vit avec sa famille, des Tsaatans nomades et éleveurs de rennes. A travers la rude vie de la fillette, puis de la femme au caractère exceptionnel, Corine Sombrun nous raconte aussi le sort de ce peuple nomade, qui en quelques décennies, a basculé d’un mode de vie autarcique identique depuis des millénaires à une société de consommation et de tourisme, subissant les ravages de la télévision et de l’alcoolisme, après avoir traversé non sans mal les persécutions et l’oppression du régime communiste, qui punissait les pratiques chamaniques de la peine de mort. Cependant la mère d’Enkhetuya, elle-même chamane ayant continué de pratiquer dans le secret, voyant que sa fille ne pourrait pas faire autrement que de répondre à l’appel des esprits, sans quoi elle tomberait gravement malade, la fera initier par un vieux chamane. Lorsque Corine bien plus tard, sera amenée chez elle par le chamane Balgir, l’ayant reconnu comme une des leurs, le chamanisme en plus de l’élevage de rennes, sera au contraire devenu un moyen de subsistance pour les Tsaatans, grâce au tourisme, mais les pratiques culturelles encore très présentes disparaissent cependant à grande vitesse et c’est aussi le but de ce livre, témoigner d’une culture qui après avoir survécu à 70 ans de communisme, risque de disparaître à jamais, avalée par une mondialisation galopante. Quand Corine Sombrun rencontre Enkhetuya, en 2001, elle « vivait sur la rive ouest du lac Khovsgol, à cent quatre-vingt quinze kilomètres au sud-ouest du lac Baïkal. (…) Les Tsaatans ne comptaient plus alors qu’une trentaine de familles, réparties de part et d’autre de la rivière Shisged. Une population et une culture en voie de disparition, m’avait-on dit. Mais j’étais loin d’imaginer qu’en seulement dix ans, j’allais être le témoin d’un effacement bien plus rapide que celui annoncé par les prévisions les plus pessimistes ». L’écriture de Corine Sombrun a le pouvoir de nous captiver, Les esprits de la steppe se lit et se savoure comme un roman, on pense d’ailleurs à l’écrivain mongol Galsan Tschinag, mais il faut aussi en comprendre l’importance, car justement si la réalité dépasse bien souvent la fiction, il faut que cela puisse aussi faire prendre conscience de l’état du réel et de la nécessité urgente de préserver la richesse des diverses cultures et savoirs de l’humanité. Il faut de même lire les autres livres de Corine Sombrun, si on veut saisir l’envergure de cette aventure à la fois extérieure et intérieure, une aventure qui est loin d’être terminée. Après avoir frappé à pas mal de portes de chercheurs et scientifiques qui lui ont donné des adresses de psychiatres, Corine qui entre temps est passée par l’Alaska où elle a rencontré le chef d’une communauté d’Indiens Athabaskans, a enfin trouvé un chercheur digne de ce nom : Pierre Etevenon, ancien directeur de recherche de l’Inserm, et qui a déjà fait de nombreuses recherches sur l’état du cerveau des méditants et de ce qu’on appelle les « états modifiés de conscience ».
Il l’a mise en contact avec d’autres chercheurs, et Corine a dû apprendre à reproduire la transe induite par le tambour chamanique, celui grâce ou à cause duquel elle devient loup, bond et hurlements à l’appui, mais sans tambour, afin de pouvoir être étudiée en laboratoire, ce qu’elle a réussi à faire. La voilà donc maintenant cobaye, car les fait sont là, sous l’effet de la transe Corine a des capacités qu’elle n’a pas dans la vie de tous les jours, et les résultats des premières expériences ayant eu lieu en 2007, qu’elle nous livre à la fin du livre, ne sont que le début du nouvelle histoire à venir, une plongée dans l’esprit humain, dans ces capacités ignorées, le lien entre savoirs immémoriaux et ce que nous sommes aujourd’hui. C’est plus que passionnant, c’est énorme ! Oui Corine Sombrun a un destin hors du commun, son loup fait le pont entre les cultures chamaniques qui nous relient à la source originelle de l’humanité et le monde d’aujourd’hui auquel elle appartient entièrement. Merci à elle d’aider ainsi au ré-enchantement du monde. Nous attendons la suite avec une très vive impatience !
Cathy Garcia
Corine Sombrun passe son enfance en Afrique à Ouagadougou (Burkina Faso). De retour en France elle se consacre à des études de Musicologie, piano et composition. Lauréate de concours nationaux et internationaux, elle obtient une bourse de l’Office Franco Québécois pour la Jeunesse et part à Montréal, étudier auprès de performers multimédia et de compositeurs. En 1999 elle s’installe à Londres, où elle travaille comme pianiste et compositrice : Sacred Voice Festival of London (Création d’une pièce pour piano préparé et percussions iraniennes avec Bijan Chemirani), Drome London Bridge Theater («The Warp», pièce-performance de 24h mise en scène par Ken Campbell), BBC World Service, Turner Price, October Gallery, 291 Gallery, Price Water House Cooper Atrium Gallery… Puis fait des reportages pour BBC World Service, dans le cadre d’un programme sur les religions. En 2001, au cours d’un reportage en Mongolie, le chamane Balgir lui annonce qu’elle est chamane. Dans cette région du monde, les chamanes accèdent en effet à la transe grâce au son d’un tambour spécifique. Un son auquel, lors de cette première expérience, elle réagit violemment, jusqu’à perdre le contrôle de ses mouvements. Pour Balgir, elle a bien les capacités chamaniques et « sa voie » dit-il, sera de suivre leur enseignement pour les développer. Elle va ainsi passer plusieurs mois par an à la frontière de la Sibérie, auprès de Enkhetuya, chamane de l’ethnie des Tsaatans, chargée de lui transmettre cette connaissance. Après huit années d’apprentissage – au cours desquelles elle sera un sujet d’étude pour les anthropologues Lætitia Merli (EHESS, Paris) puis Judith Hangartner (Université de Berne) – elle devient la première occidentale à accéder au statut d’Udgan, terme mongol désignant les femmes ayant reçu le « don » puis la formation aux traditions chamaniques. En 2002 elle publie chez Albin Michel le premier récit de ses aventures, Journal d’une apprentie chamane (Albin Michel 2002, Pocket 2004), traduit en plusieurs langues. Suivront, Une parisienne en Mongolie (Albin Michel 2004, Pocket 2006), Dix centimètres loi Carrez (Belfond 2004), Les tribulations d’une chamane à Paris (Albin Michel 2007, Pocket 2009), Sur les pas de Geronimo (Albin Michel 2008, Pocket 2013) bientôt traduit en américain, et Les esprits de la steppe (Albin Michel 2012). En 2005 elle part au Nouveau Mexique rencontrer Harlyn Geronimo, medicin-man et arrière petit-fils du célèbre guerrier Apache. Selon une légende Apache en effet, ce peuple serait originaire de Mongolie. Ensemble, ils vont échanger leurs connaissances respectives sur les traditions Apaches et Mongoles et faire un voyage-pèlerinage jusqu’aux sources de la Gila, le lieu de naissance de Geronimo. De ces mois de complicité va naître l’idée du livre Sur les pas de Geronimo, l’histoire de cette rencontre et l’unique récit de la vie de Geronimo, racontée par l’un de ses descendants directs. Parallèlement à ses voyages d’étude, Corine Sombrun est compositrice pour différentes sociétés de production, donne des conférences et poursuit son travail sur les États Modifiés de Conscience. Son expérience dans la pratique de la transe chamanique et sa capacité à l’induire par la seule volonté intéresse désormais les scientifiques. Elle collabore depuis 2006 avec le Dr Etevenon, Directeur de recherche INSERM honoraire. Il l’a mise en relation avec différents chercheurs dont le but est de découvrir les mécanismes physiologiques liés à cet état de Transe (État de conscience volontairement modifié) et son influence sur le fonctionnement des hémisphères cérébraux. Les premiers résultats (obtenus en 2007 par analyses d’EEG sous la direction du Pr. Flor-Henry / Alberta Hospital – Canada) ont montré que cette transe chamanique, dont les mécanismes d’action sur le cerveau restent inconnus, modifiait effectivement les circuits du fonctionnement cérébral. En repoussant les limites des connaissances actuelles, ces résultats ont ouvert de nouvelles perspectives et sont à l’origine du premier protocole de recherche sur la transe chamanique mongole étudiée par les neurosciences ; Une tentative d’exploration des phénomènes liés aux capacités du cerveau humain et des fondements neuronaux de la Conscience. (Source : site de l’éditeur)
Site de l’auteur : http://www.corinesombrun.com/
Lettre d’un soldat
Sur un sol nauséabond
Je t'écris ces quelques mots
Je vais bien, ne t'en fais pas
Il me tarde, le repos.
Le soleil toujours se lève
Mais jamais je ne le vois
Le noir habite mes rêves
Mais je vais bien, ne t'en fais pas …
Les étoiles ne brillent plus
Elles ont filé au coin d'une rue,
Le vent qui était mon ami
Aujourd'hui, je le maudis.
Mais je vais bien, ne t'en fais pas …
Le sang coule sur ma joue
Une larme de nous
Il fait si froid sur ce sol
Je suis seul, je décolle.
Mais je vais bien, ne t'en fais pas …
Mes paupières se font lourdes
Le marchand de sable va passer
Et mes oreilles sont sourdes
Je tire un trait sur le passé.
Mais je vais bien, ne t'en fais pas …
Sur un sol nauséabond
J'ai écrit ces quelques mots
Je sais qu'ils te parviendront
Pour t'annoncer mon repos.
Je suis bien, ne t'en fais pas …
http://plumie.blog.mongenie.com/
par Hervé Merlot
avec Hélène Dassavray (France) – Éric Dejaeger (Belgique) – Henry Denander (Suède) – Cathy Garcia (France) – Frédérick Houdaer (France) – Gerald Locklin (USA) – Patrice Maltaverne (France) – Adrian Manning (Royaume Uni) – Renaud Marhic (France) – Hervé Merlot (France) – Owen Roberts (Canada) – Thierry Roquet (France) – Ross Runfola (USA) – Marlène Tissot (France).
Poème-préface inédit de Dan Fante.
Traduction des six auteurs anglo-saxons : Éric Dejaeger.
Quatorze auteurs, dont pas mal que j'ai eu le plaisir de publier dans Nouveaux Délits, fans de Bukowski proposent des textes en hommage au grand Hank, non pas « à la manière de » mais plutôt « dans la mouvance de ».
Gros Textes (2013)
160 pages
14 € (12 € pièce à partir de deux exemplaires)
ISBN : 978-35082-233-4
L’avis de parution est ici
Le blog de l’éditeur
La dame rose
Une grande dame un peu rose
Retirait sa veste
Droite et verte
Comme une fleur de jardin parisien
Elle a orienté la paume de sa main droite en direction du ciel
L'oeil droit fermé
L'autre
Voyait le vent
Elle semblait attendre un cri jamais venu
La dame un peu rose était un peu nue
Un chapeau
Juste
Tulle gonflé comme fines voiles échappées de sur la mer
Bleu clair
Blanc vieilli
Rose chair
Une grande véronique vêtue de peau nue
Elle avait ôté sa tige
Fleur de Paris
Sur la main de la grande dame comme un éclair d'instant
L'aterrissage de quelque essence volatile
Une disparition immédiate
L'explosion minuscule d'une apparition
L'ineffable accoutumance
D'une étincelle en soie
Voix soyeuse en elle
Jean Gédeon, poète et artiste, fait un beau clin d'œil à la revue et à Cathy Garcia, sa coupable-responsable sur le blog de La Pierre et le Sel.
A lire ici : http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/09/revue-nouveaux-d%C3%A9lits.html
Oct. Nov. Déc. 2013
MERCI !!!
En juillet dernier, la revue Nouveaux Délits a fêté ses 10 ans !
Pari fou, pari tenu. 223 auteurs y ont été publiés à ce jour et certains d’entre eux nous ont malheureusement quittés depuis. 17 artistes l'ont illustrée, autant dire que certains plus d'une fois ! Je les remercie toutes et tous, car une revue c'est avant tout le fruit du généreux travail et de la douce folie de chacun. Si elle a réussi à perdurer jusqu'à aujourd'hui, c'est bien grâce à celles et ceux qui s'y intéressent, tous les abonné(e)s bien-sûr, mais aussi les lectrices et lecteurs occasionnel que je remercie également. Pour repartir de plus belle, en juillet, Les Soliflores ont vu le jour sur le blog de la revue. Il s'agit d’une publication en ligne de textes uniques d'auteurs, pour répondre à l'afflux toujours plus important de propositions, qui déborde largement ce que peuvent contenir trois numéros papier par an. Les Soliflores sont donc des clins d'œil pour encourager l’art poétique car oui, le poète est un artiste ! Le poète est un musicien, peintre, sculpteur de langue. Comme dans tout art, on y retrouvera toutes sortes de styles et du hors-style, du singulier, du brut et de vrais morceaux de vie posés ou crachés sur le papier (ou sur l’écran, modernité oblige). Aussi, il n’est pas besoin de batailler pour savoir ce qu’est la vraie poésie. Il y en a simplement pour tous les goûts, y compris pour celles et ceux qui en manquent, et c’est tant mieux. Comme tout art, elle exprime la multiplicité, la diversité et la complexité humaine. Comme tout art, elle demande ouverture, curiosité, audace autant qu’humilité. Elle est en profonde relation avec la musique, puisqu’elle travaille comme elle avec un matériau intangible, vibratoire : le son. Elle construit, déconstruit et fait naître des étincelles aux points de friction de ces assemblages sonores et elle use ou au contraire détourne le sens qui leur est généralement donné pour en inventer d’autres. J’ai donc une fois de plus le plaisir de vous présenter, dans ce 47ème numéro (avec le numéro 0), quelques pièces choisies de cet art vivant, en espérant que vous les trouverez à votre goût.
CG
Quelques peuples seulement ont une littérature,
tous ont une poésie.
Victor Hugo in Océan prose
AU SOMMAIRE
Délit de poésie : Céline Rochette-Castel et Isabelle Delpérié
Délit sensuel :
Afrique de mes baisers de Bénédicte Fichten
Poèmes de Gisaeng, courtisanes coréennes, traduits du coréen par Henri-Charles Alleaume
Délit de faciès : Sénamé, Ce que j’ai vu (extraits)
Délit malgache : Vérité sur parole et Mettons que je n’ai rien dit, deux nouvelles de Ben Arès
Résonance : Les esprits de la steppe de Corinne Sombrun
Délits d’(in)citations volent au bas des pages, détachées de leur texte-arbre, c’est de saison. Vous trouverez encore, mais oui, le bulletin de complicité au fond en sortant.
Illustrateur : Hamid Tibouchi
Né en 1951 en Algérie. Peintre et poète, il vit et travaille en région parisienne depuis 1981. Sa production, abondante, est protéiforme : poèmes, peintures, dessins, gravures, photos, livres d’artiste, livres-objets, décors de théâtre, vitraux, illustrations de livres et revues… Auteur d’une vingtaine de plaquettes et recueils de poèmes parmi lesquels on peut citer: Mer ouverte, Soleil d’herbe, Parésie, Nervures. Textes, dessins et peintures dans diverses anthologies ainsi que dans de nombreux périodiques (Esprit, Europe, Alif, Traces, Le Fou parle, Signes, Solaire, Fanal, Poésie 1, Le Journal des Poètes, Alimentation Générale, Impressions du Sud, 25 Mensuel, Athanor, Écriture, La Sape, Bacchanales, Poésie/Première, Horizons Maghrébins, L’Art Aujourd’hui, Artension, Liaisons, Area, Friches, Comme en Poésie, La Traductière, Le Frisson Esthétique, L’Étrangère, Phœnix, Les Archers, Il Particolare, Les Cahiers du Sens, Décharge, Incertain Regard, L’Établi …)
Certains voient les choses comme elles sont
et se demandent "Pourquoi?"
Moi je rêve les choses telles qu'elles n'ont jamais été,
et je me demande "Pourquoi pas?"
George Bernard Shaw
POÈMES FOLLETS & CHANSONS FOLLETTES
POUR GRANDS PETITS & PETITS GRANDS
de Cathy Garcia
Illustrations originales en couleur de
Joaquim Hock
http://joaquimhock.blogspot.com
Un recueil qui s’adresse avant tout aux enfants
de 9 mois avant la naissance à 99 ans et demi après
« Dès fois on est content
Dès fois on ne l’est pas
Dès fois on est gentil
Dès fois on ne l’est pas
C’est la vie
Et c’est comme ça
C’est comme ça la vie
(…)
La vie c’est bien
Et parfois ce n’est pas bien
Mais c’est toujours beau la vie
Mais parfois on l’oublie. »
Tirage sur papier recyclé limité et numéroté
56 pages, 15 €
À commander à l’Association Nouveaux Délits
Létou 46330 St CIRQ-LAPOPIE
Polaroïd de vacances
le soleil dessine des auréoles
sur les lunettes couleur de nuit
la chair brûlée et grasse
s'expose devant les visages sans yeux
les clones se mirent dans la même glace.
La terrasse étale les bruit des couverts
dans l'avidité des ventres ouverts.
les couples satisfaits, de leurs doigts poisseux
décortiquent des carapaces
sirotent une quelconque vinasse
qu'ils imaginent nectar.
Fiers rusés renards
leur langage en de ternes économies
se glorifient de plates affaires
et de rassurantes philosophies
10 euros de rabais à " pigeon partenaire"
15 sur une brinquebalante cuisine garantie
le néant est une somme de petits prix.
les hommes décousent les jupes de passage
les femmes s'essoufflent à n'avoir plus d'âge
les hommes rêvent les femmes de leurs amis
les femmes se rêvent d'autres nuits.
Puis ils promènent leur esprit repu
sur le sable qui les maudit
une pensée fluette vite interrompue
leur fait espérer qu'ils ont côtoyés un autre éden.
Parés pour défiler de l'ennui aux ennuis
dans une année nouvelle ou blanchissent leurs membres
accepter l'enfer ne leur est plus une gêne.
Pendant ce temps l'océan attend septembre
et pleure des débris.
Bruno Toméra
*
Je te ferai la vie là où la fumée s’envole
Je te lame de fond futur sur la béance
Tu le je dans la chute de l’abandon
Où est le il, en nous des eux
Je te ferai la vie par-delà les retours,
y revenir
Je te flamme encore délivrance de la détente
Je la vie voirie du solstice moiré
Au chant d’accords sismiques, la clef du sol
Gérard Leyzieux
Plénitude
Souffler d'un nuage
tombée à la pluie
tendre douceur
aux ailes mousse
sucrée d'avoine
en étés d'ocre
embaumée libre
dépliant à bonheur
douce embellie
sans la course
jaune lumière
et vertes routes
enveloppe azurée
aux plaisirs doux
sieste d'amour
sur son lit tendre
fines embrasures
de portes ouvertes
angle vivant d'arrondi
repas moelleux
en agapes bonnes
sirop du temps
coule au long plaisir
Jacques Ceaux
photo (c)cathy garcia
se faire des idées
faire son cirque
raconter des histoires
faire du cinéma
à quoi tu joues toi ?
chercher des signes partout
de vilains petits canards
cachés ici ou là
qui lui diraient
quoi quoi quoi
tremble et tressaute
à la moindre trace
tout petit pas de travers
tout droit
raye son nom sur le calendrier
souffle coupé rature son prénom
en oublie le jour et l'heure
rêve entre aurore et crépuscule
rêve que et aussi que
alors seulement peut dormir enfin
keskessadi sadikoi
ça dit que tu t'oublies
ça parle de lumière et de beauté
ça dit de foncer tête la première dans ce qui te rend heureux
ça dit que ça peut aussi claquer fort et que si ça cogne la nuit c'est normal
tout ira bien
rassurez-vous madame
écrire redevient possible
Isabelle Grosse
http://www.m-e-l.fr/isabelle-grosse,ec,494
photo de l'auteur
JOUR DE PLUIE
dégringolé de déluge
les murs
accouchent
de ruisseaux
un pianiste joue
sur les gouttières
je vois les toits
de Londres
les minarets
d’Istanbul
un vieil or de gare
sous le lampadaire
les filets du rideau capturent
des poissons de lumière
in Toboggan de velours
ARTICULATIONS
craque les articulations
de mes doigts que
j’entende la première
musique du réveil
que je sente les extrémités
de la mort au petit déjeuner
Cathy Garcia - Mémoire, traces III NB
PENSÉE PORTUAIRE
la vie dans un élan
de carte postale écrite
face à un port
pourrait être simple
si les bateaux
ne tanguaient pas
pour la photo
Le psychiatre
Dites-moi, c'est quoi, un psychiatre ?
demanda la femme innocemment
au retour d'un délire.
Oh, non, ce n'est pas un ami
plutôt un lointain parent
un peu de ce père qu'on sauve et qu'on tue
chaque jour un peu plus
un peu de ce frère absent qui exerce ses talents.
Un professeur de replis
de replis stratégiques
Un amateur d'oublis
d'oublis systématiques.
Un élève de nos vies
qui laisse bien des maux en suspens
comme on ménage un enfant
(récalcitrant, l'enfant, surtout aux médicaments ...)
Un rôdeur d'âme, un aspic rampant
Un déverrouilleur de peines
Un tâtonneur de vérités
Un combattant dans le noir
Un dérouilleur de mécaniques
Un essayeur de clés, un horloger
Un chasseur de gazelles
Un trappeur du Grand Nord
Un pourfendeur d'hydres à six têtes
Un oiseleur en cage
Un détrousseur d'images
Un décortiqueur d'amandes
Un drôle de type
Un docteur bien énigmatique
avec un léger accent
(Très charmant, l'accent !...)
Mais oui, un psychiatre c'est cela :
Un docteur exotique ...
Michèle Rosenzsweig